Accueil. Zangsa : le cultivateur chamane
Je me glissai hors du bâtiment principal. Ce que j’y vis me laissa un instant cloué sur place. Au-delà de la cour centrale déserte, dans l’ample allée dallée près du portail, les masqués se battaient. Contre qui ? Ce n’étaient pas des Mendiants. Ni, en fait, des cultivateurs tout court. Eux aussi portaient des masques, mais pas en tissu noir : c’étaient de vrais masques en bois représentant des figures d’animaux ou d’esprits vengeurs. Les uns brandissaient de longs bâtons, les autres des lances… Grâce à leurs armes à longue portée, au moins, ils arrivaient à se défendre. Mais c’était tout : ils étaient peut-être deux fois plus nombreux que les démons cultivateurs, mais la différence d’expérience en combat était flagrante. S’en rendant compte, ils osaient à peine avancer.
Mais qui étaient-ils ? Je n’en savais rien. D’une certaine manière, ils me compliquaient la tâche : le portail de sortie était loin d’être accessible avec tout ce grabuge. Mais, en même temps, la petite porte des domestiques, un peu plus à gauche, était libre…
— « Ah ! Zangsa ! Te voilà ! », s’écria soudain une voix à ma droite.
C’était Borbo, qui bondissant de derrière un hortensia en fleur, courait vers moi à travers la cour. Je ne pus m’empêcher de lui envoyer un regard noir. Que diable faisait-il ici en plein… ?
— « Je suis allé demander de l’aide, mais tout le monde est occupé avec les bêtes-démons qui attaquent le Pavillon des Herbes ! Alors, quand je pensais qu’il n’y avait rien à faire, je suis tombé sur ces types qui couraient vers le Hall des Soins. C’est pas des cultivateurs, mais ils avaient tellement l’air de vouloir aider les gens du Hall que je leur ai filé un coup de main pour ouvrir la porte depuis l’intérieur, hé », fit-il fièrement.
Mon jeune disciple était tout content d’avoir bien agi. Il ne se rendait pas compte qu’à l’heure qu’il était, il aurait pu manger les pissenlits par la racine si la chance ne lui avait pas souri… Et Belbey m’aurait alors maudit et aurait dîné du renard pour le souper funéraire. Je soupirai. Un enfant avait droit à l’erreur, me dis-je. Et je frappai son front du tranchant de ma main en disant :
— « Si on t’a blessé, je te pends par les oreilles, mon cher Borbo. »
— « Aïe… Avant que tu me frappes, j’allais parfaitement bien, maudit chamane ! »
Je souris.
— « Alors, tout va bien. J’ai du travail pour toi. Pourrais-tu aller voir à l’intérieur ? Il y a des survivants. Ils sont en train de descendre. Guide-les de ton mieux vers la porte là-bas à gauche. » Avant de m’éloigner, j’hésitai puis j’ébouriffai les cheveux en bataille du garçon. « Beau travail. »
— « … Hé », répliqua Borbo, levant le bout du nez.
Et c’est que, grâce à ces types mystérieux armés de lances et de bâtons, les démons cultivateurs n’allaient peut-être même pas remarquer la fuite des survivants. Il fallait quand même que je fasse quelque chose, sinon il allait y avoir plus d’un blessé parmi ces alliés imprévus.
Impossible, toutefois, de les prendre tous dans un cercle vaudou : ils étaient trop éparpillés. J’optai pour une solution simple et, dès que Borbo disparut dans le bâtiment à la recherche de Zahou et des autres, je pris mon épée dans une main et activai le Cube de l’Inexistence. Quatre secondes me suffirent — je commençais à devenir un expert. Puis, me dirigeant vers le masqué le plus en retrait, je lui assénai un coup du pommeau de mon arme en plein sur la tête, aussi fort que possible. Le démon cultivateur s’effondra.
Yelyeh m’avait averti que mon cube pouvait se désactiver tout seul si je touchais directement une personne, mais, puisque j’avais utilisé mon épée, qui sait, peut-être qu’il était encore activé ? Sans trop savoir, je continuai à éliminer un à un les démons cultivateurs en les attaquant par derrière, aussi discrètement et rapidement que possible. À ma surprise, j’en terrassai sept avant qu’une de mes prochaines victimes, ayant blessé un de mes mystérieux alliés à la jambe, ne jette un coup d’œil en arrière et… ne voie le désastre. Il s’époumona :
— « On nous attaque ! »
Un de ses compagnons, peu intimidé par les lances, partit d’un grand rire.
— « La bonne blague… ! »
Le rieur tomba, assommé, à terre. Et de huit. Apparemment, le cube continuait à fonctionner, car on ne m’avait pas encore repéré. C’est ce que je pensais quand, soudain, un démon m’attaqua. Et mince. Bon. Le cube m’avait bien fait avancer le travail, dus-je reconnaître tout en parant le coup d’épée et ripostant.
Je constatai que ces démons cultivateurs étaient moins habiles que ceux que j’avais combattus dans la Forêt des Roches ou sur l’Île Azurée : ils étaient à peine plus rapides qu’un humain normal. Rassuré par ce constat, j’esquivai une attaque et fis s’effondrer mon adversaire d’un coup de pommeau. Je passai au suivant sans m’arrêter.
“Belle danse”, commenta le serpent-sage.
Hé. Comparé à d’autres camarades plus doués, je n’avais jamais excellé dans les combats, à l’Académie Céleste, mais j’avais toujours été assez bon dans l’art d’esquiver. Mes camarades savaient ô combien j’étais habile pour me couler jusqu’à eux, déposer une fleur de prunier sur leur tête, et partir sans qu’ils n’aient le temps de riposter. Malheureusement, au fil des années, ils avaient appris mes techniques et, si j’arrivais encore parfois à leur jouer un tour, c’était probablement parce que leur patience envers moi avait grandi en même temps que leur vertu…
Enfin, contre des adversaires comme ces démons cultivateurs, mes techniques étaient amplement suffisantes pour les surprendre et tous les assommer. Mes mystérieux alliés, certes, aidèrent à empêcher les démons cultivateurs de m’encercler. Ils m’aidèrent aussi quand les trois derniers démons cultivateurs essayèrent de s’enfuir. Le nettoyage fait, à défaut de fourreau, je fis glisser mon épée dans mon ceinturon et jetai un coup d’œil en arrière.
Borbo se précipitait vers nous. Les survivants du Hall des Soins étaient tous sortis dans la cour, mais ils n’avaient pas franchi la porte des domestiques. Ça va qu’il n’y avait plus de danger… enfin, tant que les Mendiants s’étaient bien chargés des bêtes-démons enragées dans le quartier.
La femme d’Armizel s’était mise à appeler à grands cris des noms à travers les flammes du bâtiment en feu. Grâce au petit étang qui le séparait de l’édifice principal du Hall des Soins, et sans une goutte de vent pour transporter les braises, les flammes ne s’étaient heureusement pas propagées. Toutefois… la scène n’en était pas moins attristante. Il n’y avait plus vraiment besoin d’essayer d’éteindre le feu : il n’allait bientôt rester de ce bâtiment des soins qu’une ruine aux poutres noircies et fumantes. La jeune femme était sous le choc. Zahou posa une main sur son épaule et secoua la tête.
— « Petite princesse ! Grâce aux dieux, vous êtes vivante ! »
Un de mes alliés, au masque représentant la tête d’une chèvre, se mit à courir vers les survivants. Je haussai un sourcil. Petite princesse ? Je devinai vite qu’il parlait de l’épouse d’Armizel. Oh. Ces hommes aux masques d’animaux étaient-ils des serviteurs de sa famille d’origine ? Je comprenais mieux pourquoi ils s’étaient rués au Hall des Soins dès qu’ils avaient entendu tout ce tapage et vu la colonne de fumée.
— « Ha ! Ils n’ont pas fait long feu, dis donc ! », lança Borbo en arrivant à mes côtés, la mine excitée et soulagée.
— « Ils n’étaient pas très habiles », commentai-je.
L’Œil Renversé avait sans doute gardé ses meilleurs guerriers pour lutter contre l’Alliance. Le coupable d’avoir voulu s’emparer de ces dangereux documents tamponnés du sceau du Gouvernement Impérial était derrière l’attaque du Hall des Soins — le Prince Zorén, peut-être ? En tout cas, il avait certainement pensé qu’une escouade d’hommes armés et légèrement plus forts que la moyenne grâce à leur ki-démon était amplement à même de massacrer un clan de guérisseurs. Surtout que, d’après Borbo, le gros de l’invasion de bêtes-démons se déroulait quelque part ailleurs, près du Pavillon des Herbes, ce qui avait dévié l’attention des Mendiants et des gardes d’Osha. Somme toute, le Hall des Soins avait effectivement failli être exterminé cet après-midi.
— « Faites entrer les blessés dans le hall ! », ordonna alors la femme d’Armizel.
Elle semblait s’être remise du choc et s’apprêtait à présent à soigner les hommes masqués qui étaient venus lui porter secours. Quant à son époux, il portait dans ses bras une mallette en cuir, la serrant contre lui comme si elle allait lui sauver la vie. Contenait-elle ces fameux documents… ?
— « Zahou ! Fais harnacher mon cheval ! », ordonna-t-il, d’une voix qui se voulait ferme.
— « Votre cheval… ? »
— « Tout de suite ! Il faut absolument que j’aille parler au prince de cette catastrophe ! C’est un ministre du gouvernement. Dès qu’il saura ce qui s’est passé, il nous prendra sous sa protection le temps que toute cette folie soit terminée. Dépêche-toi ! »
Zahou afficha une mine incrédule.
— « Maître… Je doute que Son Altesse ait le temps de… »
— « Je fais ça pour le bien des Zobels ! », le coupa Armizel. « Il faut que je protège les survivants ! Veux-tu qu’on se retrouve comme les Jardins, à fuir sans le sou, à mourir de faim ? Jamais ! Vas-tu encore me trahir, Zahou ? »
— « N-Non, Maître ! »
Zahou partait déjà en courant prendre les chevaux, qui piaffaient dans l’étable, encore bien vivants.
Les exclamations d’Armizel lui avaient fait oublier tout bon sens. Pourtant, si on prenait un tant soit peu le temps de réfléchir, qui avait le plus intérêt à reprendre ces documents sensibles si ce n’était le Gouvernement Impérial ? Or, comme Armizel l’avait bien dit, le Prince Zorén était un des nombreux ministres de l’Empire.
— « Le loup trahi rêve-t-il d’être mordu à la gorge une deuxième fois ? », soufflai-je, m’appuyant sur mon ombrelle en bambou-démon. Bah. Ce n’était pas mon affaire. Je n’allais assurément pas sauver la vie de cet assassin une deuxième fois.
— « Ô guerrier chamane. »
Un homme enleva son masque de lynx et s’avança vers moi. Il avait la cinquantaine et une tignasse encore bien noire.
— « Je suis Azaï Amagaré, de la Ligue Marchande. J’ignore qui vous êtes, mais, sans votre aide, nous n’aurions pas réussi à vaincre ces brigands sans perdre plusieurs de nos hommes. Et la jeune Lyne, à cette heure-ci, serait… Enfin, merci du fond du cœur », dit-il avec sincérité, et il s’inclina profondément.
— « De rien », fit Borbo, voulant sans doute rappeler à cet homme qu’il leur avait ouvert la porte.
Je demandai :
— « La jeune Lyne ? Qui est-ce ? »
— « C’est la petite princesse », répondit l’un des hommes en souriant, son masque de sanglier relevé sur sa tête.
— « Ah… Ceux d’entre nous qui l’avons connue quand elle était petite l’appelons comme ça », expliqua Azaï Amagaré. « Son vrai nom est Lyne des Alunes. C’est la petite-fille du chef de la Ligue Marchande d’Osha. »
— « Oh. Tu veux parler de l’épouse du patriarche des Zobels », devinai-je, le voyant la regarder, tandis que celle-ci, avec l’aide des guérisseurs survivants, s’affairait à arrêter les saignements abondants d’un homme blessé à la jambe. Lyne, me répétai-je mentalement. Elle portait le même prénom que la fille de Xivia et de Zaklan, le tigre des neiges.
À mes paroles, Azaï Amagaré grimaça et d’autres hommes à ses côtés l’imitèrent.
— « C’est ça », confirma-t-il.
Les hommes de la Ligue Marchande n’avaient pas l’air d’être satisfaits de l’union entre Armizel des Zobels et Lyne des Alunes. Maintenant que j’y pensais, Belbey m’avait mentionné quelque chose à propos de la Ligue Marchande d’Osha quand je lui avais demandé si elle avait contacté le Clan des Ignobles. Elle avait répondu :
“La Ligue Marchande est la plus grosse organisation du Clan des Ignobles à Osha. Le problème, c’est que, depuis déjà des années, elle subit des pertes un peu partout. Certains l’appellent même la Ligue Malchance au lieu de la Ligue Marchande. Si tu as des questions à leur poser, sur les alchimistes ou que sais-je, tu peux contacter Azaï Amagaré à la Taverne de Jade, près du port de pêche. C’est un homme honnête, mais, contrairement aux Mendiants, il ne fait rien gratuitement.”
Au bout du compte, je n’étais pas passé à cette taverne, de peur qu’Aysen et ses informateurs ne croient que j’avais une liaison avec le Clan des Ignobles et n’hésitent à m’offrir une place au sein de la guilde chamanique. Je hochai la tête pour moi-même, détaillant Azaï Amagaré d’un regard curieux. Cet homme était donc le contact du Clan des Ignobles à Osha. Si Belbey avait une bonne opinion de lui, c’était sûrement quelqu’un de bien. Je le saluai avec respect.
— « Enchanté de faire la connaissance des Ignobles d’Osha. Moi, c’est Zangsa. »
— « Ho. Tu es donc bel et bien un cultivateur », aventura Azaï sans montrer une once de surprise. « Tu fais partie de l’Alliance du Murim ? »
— « Disons qu’en ce moment, je suis un allié de l’Alliance », nuançai-je. Sous le soleil de plomb, j’ouvris mon ombrelle et ajoutai nonchalamment : « Si tu te demandes pourquoi ces “brigands” ont attaqué le Hall des Soins, sache qu’ils cherchaient de vieux documents avec le sceau du Gouvernement. »
Je lançai un coup d’œil éloquent vers Armizel, qui montait en selle, tenant toujours fermement sa mallette contre son corps. Suivant mon regard, Azaï évalua immédiatement la valeur de ces documents qui mettaient en danger le Hall des Soins et la petite princesse de la Ligue. La possibilité que ce soit des gens du Gouvernement Impérial qui aient ordonné d’attaquer le Hall des Soins ne le démonta pas. Il prit une bouffée d’air et vociféra :
— « Arrêtez-moi cet idiot ! » Et, comme ses collègues et lui se ruaient sur le cheval, il me lança : « La Ligue te revaudra ça ! »
— « Hé. J’espère bien. »
— « Attention, Zangsa », me prévint Borbo, faisant un pas pour se mettre à l’ombre de mon parapluie. « À Osha, on les appelle la Ligue Malchance. »
— « Eh bien, leur chance va peut-être tourner », répliquai-je, amusé. « Le sais-tu ? Le nom de cet Ignoble, Amagaré, dérive de amabi ho gare. Porter la bonne fortune. N’est-ce pas là une belle étymologie ? »
— « Tu viens de l’inventer », m’accusa Borbo.
Je m’esclaffai. Finalement, les Ignobles de la Ligue Marchande réussirent à s’emparer de la mallette, mais, affolé, le cheval partit au galop et Armizel, criant à l’assassinat, convaincu qu’on voulait le tuer, chevaucha sans essayer de contrôler sa monture. Si cet idiot courait réellement voir le Prince Zorén… son épouse allait peut-être pouvoir mettre le sitchif orange et noir des veuves plus tôt que prévu. Enfin, songeai-je : elle allait probablement bien vite trouver du réconfort du côté de Zahou. Cet aventurier avait certes sellé le cheval d’Armizel, mais il n’avait pas bougé un doigt pour le défendre ou lui rendre sa mallette, et il ne fit pas non plus mine de le suivre, plus occupé à aider les blessés à gagner le hall pour y être soignés. Se rendait-il compte qu’il laissait son maître galoper vers le danger ? Peut-être. Sûrement. Armizel des Zobels n’avait donc pas seulement réussi à se faire haïr des Jardins… Sa propre famille et ses domestiques ne s’inquiétaient que peu de lui. Pourtant, même un tyran pouvait être aimé de ses proches. Armizel devait être un tyran bien maladroit.
Voyant que tout le monde était très occupé, je quittai le Hall des Soins avec Borbo. Nous franchîmes le portail et aperçûmes les corps inertes des loups-démons enragés, plus loin, dans l’avenue. Les Mendiants qui les avaient tués étaient partis depuis longtemps. On entendait toujours des cris et des grondements lointains vers le nord. La bataille rageait encore.
J’étais en train de chercher une manière délicate de dire à Borbo de rentrer à la Branche des Mendiants quand une voix enfantine nous interpela :
— « Monsieur le chamane ! Monsieur le chamane ! »
Borbo et moi nous retournâmes, surpris. C’était la fillette blonde des Zobels. La petite approcha et me tendit un objet.
— « Merci ! De la part de ma maman », dit-elle. À peine eus-je accepté son cadeau qu’elle repartit en courant.
J’examinai l’objet. C’était une plaque en bois de hêtre, bellement ciselée, avec le symbole de huit chaînons formant un cercle.
— « T’es un veinard », lança Borbo.
— « Hoho. Tu es jaloux ? », me moquai-je. Je gardai le cadeau dans une poche puis, en toute honnêteté, je lui demandai : « Cette plaque veut-elle dire quelque chose de spécial ? »
Borbo me dévisagea puis souffla incrédule.
— « Tu es sérieux ? Le Clan des Ignobles ne donne ce genre de plaque qu’à des individus considérés comme de grands amis ou des bienfaiteurs ! Lyne des Alunes vient de te faire le meilleur cadeau qu’un Ignoble peut faire. Vous apprenez quoi, à l’Académie Céleste ? »
— « À refuser les cadeaux trop généreux », répliquai-je, méditatif, ressortant la plaque.
Exaspéré, Borbo me força à fourrer à nouveau le cadeau dans ma poche en protestant :
— « Tu rigoles ? Une aumône ne se rend jamais. »
— « C’est plus qu’une aumône, selon tes dires », souris-je. « Mais qu’importe. Un cadeau empli de gratitude est toujours un beau cadeau. Que ce soit une fleur fanée ou un palais en or. Mais, j’avoue, j’aurais préféré une bouteille d’eau-de-vie. »
— « Le Vieux Duc a raison : tu devrais te faire Mendiant. »
— « Hoho. Si je me faisais Mendiant, tu devrais en redevenir un, toi aussi, puisque tu es mon disciple. Traître de maître, me dirais-tu. »
— « … »
Je me tournai vers le gamin, surpris de son silence. Borbo fit une moue.
— « Bah. Tu ne ferais pas un bon Mendiant, de toute façon : un renard, ça se prélasse sur l’herbe, et pas sur la terre battue des rues. Et tu ne pourrais pas apprendre l’attaque du Pas de l’Ivrogne, puisque tu n’arrives jamais à être saoul. Bah », répéta-t-il en s’élançant soudain dans l’avenue. « Je vais dire à ma mère que tout est terminé au Hall des Soins ! Te fais pas tuer par les bêtes-démons, môssieur le chamane ! »
Je roulai les yeux et vis le gamin foncer vers le Grand Pont. Il disparut dans la foule qui se pressait pour traverser le pont et fuir le danger. Je me dis que, finalement, mon disciple était peut-être en train de se rendre compte qu’il y avait bien de la fierté à être Mendiant.