Accueil. Zangsa : le cultivateur chamane
Je n’avais aucune façon d’être sûr qu’il s’agissait effectivement du Chaudron Astral, mais, en tout cas, ce chaudron possédait une grande quantité d’énergie intrinsèque. C’était assurément une relique. Je pus le confirmer, car le cercle runique était lié au chaudron : une simple petite excursion de perception suffit pour que j’en aie le cœur net. Je n’osai pas explorer davantage de peur que le Contremaître Luna ne me surprenne. Je me contentai donc bien vite d’examiner les runes de ma boucle, essayant de comprendre quel était le véritable objectif de tout ce cercle.
C’était un cercle comme je n’en avais jamais vu : on y avait mélangé les runes vaudou et les runes conventionnelles. L’énergie était le fuel qui partait vers le chaudron ; le sang et l’eau étaient ses vecteurs. Et ce n’était pas n’importe quelle eau, remarquai-je. C’était de l’eau salée. De l’eau de mer.
Cela me rappela un épisode, à l’Académie Céleste. Alors que je m’étais lancé dans le projet d’écrire un manuel chamanique pour Maître Ryol, celui-ci m’avait raconté qu’un cultivateur du siècle passé, le Docteur Divin de Saint-Monjin, avait démontré qu’il était possible de remplacer le sang par de l’eau de mer diluée pour sauver des patients très malades, souffrant de graves hémorragies. Enthousiasmé par cette découverte, j’avais fait venir de l’eau de mer de Sielsira dans les Mers des Eaux d’Ébène et je m’étais plongé dans une série de tests pour voir si elle pourrait me servir pour réaliser certaines techniques vaudou qui, à priori, requerraient toujours du sang pour les mener à bien. Les résultats avaient été mauvais. J’avais quand même réussi à régénérer mon sang plus vite grâce à l’eau de mer, une pratique qui m’aurait, certes, été utile, si j’avais vécu sur la côte, mais… Enfin, j’en avais conclu que le sang, contrairement à l’eau de mer, renfermait quelque chose d’essentiel pour que les arts chamaniques fonctionnent.
D’où ma surprise. L’énergie de ce cercle runique fluait à travers un mélange d’eau de mer et de sang. Elle ne s’écoulait toutefois pas aussi vite qu’elle l’aurait fait dans un sillon empli de sang uniquement. Était-ce fait exprès ? Ou bien le mélange n’était-il utilisé maintenant que parce qu’il s’agissait d’un entraînement ?
Mais un entraînement pour quoi faire ? Ce n’était certainement pas pour concocter un remède anti-démon afin de sauver le monde d’un Démon Dément inexistant…
La combinaison des motifs était ésotérique. En tant que chamane, je reconnus toutes les runes vaudou présentes, et, en tant qu’apprenti de Maître Ryol, je repérai clairement de nombreuses suites de runes conventionnelles. Cependant, pour comprendre la combinaison du tout… il allait me falloir du temps et une liberté de mouvement que, pour l’instant, je n’avais pas.
Le Contremaître Luna nous demanda de scander une litanie. Tout comme pour les techniques chamaniques avec du papier vaudou, l’efficacité de ces cantiques se basait sur le lien émotionnel créé entre le chamane, la représentation mentale des mots, et la cible — dans ce cas, le cercle runique. L’incantation principale disait ainsi :
Folle nature ! Tempère ta colère !
Pour l’amour du peuple innocent,
Que le pouvoir de l’Empire
Brûle dans nos cœurs et nos mains,
Brise la maladie,
Chasse le démon !
Je jetai un regard vers mes voisins. Certains avaient l’air de prendre ces vers à cœur et scandaient en y mettant tout leur enthousiasme. Que leur avait-on donc promis ? Rien que l’offre de travailler pour le gouvernement en avait certainement alléché plus d’un… Erf. Quand je pensais que Riva ne m’avait encore rien promis et que j’étais déjà en train de travailler pour lui… Où était ce maudit oncle ? Je préférais presque avoir ce vieux démon sous mes yeux plutôt que ce « contremaître » qui avait essayé de me tuer l’année passée.
En tout cas, parmi la vingtaine de chamanes présents, il y avait une grande variété de profils : certains avaient la soixantaine, d’autres un âge moyen, et d’autres encore, étaient jeunes, peut-être même plus que moi pour l’un d’entre eux au moins : celui qui avait l’air d’avoir le plus de mal à suivre. Deux des jeunes portaient des colliers pourpres qui me rappelèrent immédiatement celui de Riva. Étaient-ce des démons chamanes ? Des apprentis de Riva ? Ou des apprentis de ce Contremaître Luna ?
Nous avions bien répété ces ennuyeux vers une vingtaine de fois quand je perçus soudain une énergie parcourir tout le cercle runique avec rapidité, pas à travers l’eau, mais, je le compris bien vite, à travers un fil métallique que je ne remarquai qu’alors et qui était planté tout au long des sillons du tracé. Ce qui fluait… était de l’énergie pourpre. Elle se mit à briller de plus en plus intensément au fur et à mesure qu’elle approchait du centre, puis le chaudron vibra et étincela un bref moment, laissant une volute de fumée dorée s’élever.
Mes confrères chamanes contemplaient tous le phénomène avec satisfaction et soulagement : apparemment, l’entraînement s’était bien passé.
Entraînement ?, me répétai-je, sceptique. Cela ressemblait pourtant davantage à une véritable expérience. Et ce n’était pas tout : il y avait plusieurs autres détails qui me laissaient perplexe. La plupart des chamanes présents n’étaient pas des démons chamanes : j’avais perçu l’énergie du sang de mes voisins : celle-ci était clairement du ki doré. Alors, comment se faisait-il que, soudain, tout se soit transformé en énergie pourpre ? Les runes avaient-elles complètement inversé le vortex de cette énergie ? En tout cas, le chaudron n’y était pour rien : l’énergie était déjà pourpre quand elle l’avait atteint. Et puis, le deuxième phénomène que je ne m’expliquais pas…
La volute s’échappant du chaudron avait beau être de couleur dorée, l’énergie qui sortait n’était pas du ki doré, mais du ki orange — cette énergie qui, d’habitude, n’existait jamais dans la nature… ce ki explosif utilisé dans les pilules capables de déséquilibrer le système énergétique entier d’une bête, de détruire sa conscience et de la faire « évoluer » à une vitesse surnaturelle en malmenant son corps jusqu’à une mort prématurée.
— « C’est bon pour aujourd’hui ! », lança le Contremaître Luna. « Allez dîner puis au lit : la date du vrai rituel approche. Reprenez des forces. Je ne veux pas vous voir entrer dans cette salle les yeux bouffis et le ventre creux. »
Certains sourirent. Je me levai et, réprimant mon envie de m’approcher du chaudron pour lui jeter un coup d’œil, je sortis du cercle avec les autres chamanes. Le Contremaître Luna n’avait pas spécialement l’air d’attendre ma présentation formelle : il était très occupé à parler avec les deux jeunes aux colliers pourpres. Je haussai les épaules et suivis mes collègues d’incantation hors de la salle.
Je m’attendais à les voir monter les escaliers, vers la cantine, mais je me trompais : dans un couloir contigu, le couloir des dortoirs, des plateaux remplis de nourriture avaient soigneusement été déposés devant chaque porte. Chacun de nous avait une chambre, constatai-je. Cette grotte, aux si nombreuses pièces, avait tout l’air d’avoir été occupée par le passé.
Alors que les chamanes disparaissaient chacun dans sa chambre en souhaitant bonne nuit à tout le monde, Zom sortit d’une pièce et me dit, concis :
— « Le garde a accepté de mettre deux lits dans la chambre. »
— « Hoho, tu ne voulais pas dormir tout seul, mon disciple ? Tu as peur des grottes ? », blaguai-je.
— « Oui », rétorqua-t-il soudain à mon étonnement. Oh ? Il avait vraiment peur des grottes ?
Je posai un poing sur sa tête en assurant :
— « Je serai là si le plafond nous tombe sur la tête. »
— « Hum… », fit alors une voix hésitante.
Un jeune aux cheveux couleur paille s’attardait devant sa porte, juste en face de la mienne. Il avait l’air de vouloir parler. Comme il ne poursuivait pas, je le saluai aimablement d’un geste de la main.
— « Travaillons dur demain aussi. Bonne nuit. »
Le jeune chamane hocha la tête, l’air gêné.
— « Bonne nuit. »
J’allai refermer la porte de ma chambre derrière moi quand le jeune chamane aux cheveux couleur paille, ayant jeté un coup d’œil à droite et à gauche dans le couloir, s’avança et lança :
— « Tu es Zangsa ? »
Je le détaillai du regard, étonné. Si mes souvenirs étaient bons, je ne m’étais pas présenté dans la salle du chaudron. Comment cet homme pouvait-il alors connaître mon nom ?
De plus en plus intrigué, je hochai la tête. Alors, le visage du chamane s’illumina.
— « Ça alors ! C’est bien toi ! »
Il avait même l’air de bien me connaître… Comme il semblait ne pas vouloir attirer l’attention et ne se présentait pas à moi, je lui proposai :
— « Entre et parlons pendant qu’on mange. »
Il acquiesça aussitôt. Quelques instants plus tard, nous étions tous les quatre dans la petite chambre, devant nos plateaux emplis de nourriture. Je m’étais assis sur la paillasse, avec Zom et Ayaïpa. Au lieu de s’installer sur le lit, plus confortable, mon invité mystérieux s’assit à même le sol rocheux. Il avait pourtant l’air d’avoir mal aux genoux, peut-être d’être resté agenouillé tant d’heures sur le cercle runique à suivre les ordres du Contremaître Luna.
— « Dès que tu es entré dans la salle, j’ai eu comme une intuition », dit-il, avant que je ne rompe le silence. « Mais j’ai mis un moment à comprendre. Honnêtement, je te croyais mort. Ça faisait longtemps ! »
Il était content de me retrouver. Et, quelque part en moi, entre mes liens émotifs, j’étais content aussi, preuve que nous nous connaissions effectivement, mais… ça devait faire en effet beaucoup de temps. Nous nous étions croisés probablement lors de mes voyages avec Grand-père Naravoul… À moins qu’il ne soit quelque enfant d’Osha ayant joué avec moi à la bataballe. Ou alors…
— « Ah… Tu ne me reconnais pas », devina-t-il, sans s’offusquer. « Je suis Arvian. Le dernier disciple de Rabiyamoun. »
Je le dévisageai. Comme une vague qui déferle, mes souvenirs de lui surgirent enfin dans mon esprit.
À seulement deux reprises en cinq ans, mon grand-père avait dû se séparer de moi, d’abord, à mes douze ans, pour assister à une réunion tenue par des Chaînons-Chamanes de la Vallée, puis à mes treize ans, pour participer au Tournoi Chamanique auquel il avait été invité pour servir de juge. Et, à ces deux occasions, Naravoul m’avait laissé aux bons soins d’un vieil ami à lui, le chamane Rabiyamoun, qui habitait un village au nord-est de Shiang, dans la Vallée des Papillons, entre les Collines des Décharnés et les Montagnes d’Argile.
C’était un bel endroit, peuplé de champs, de nids d’oiseaux, de souris et de beaux levers et couchers de soleil. Rabiyamoun, Moumoun pour les amis, était un chamane retiré qui consacrait plus de temps à son jardin et à ses poules qu’aux Liens de l’Univers. Et son disciple, Arvian, avait le même âge que moi. En tout, j’étais bien resté trois mois avec eux. Quelque temps après la mort de mon grand-père, j’avais songé à me réfugier chez Rabiyamoun, mais je m’étais déjà fait passer plusieurs fois pour Naravoul afin de gagner des clients et, à cette seule pensée… la gêne m’avait empêché de frapper à la porte.
Je m’écriai joyeusement :
— « Arvian ! C’est pas vrai ! Je mérite dix ans de jeûne pour ne pas t’avoir reconnu tout de suite ! Quelle belle surprise ! »
Comme je me levai, il en fit autant et nous nous donnâmes une accolade fraternelle.
— « Je vois que nous avons tous les deux continué les arts de nos maîtres », fit Arvian, ému.
— « Je suis devenu un fin chamane », me vantai-je. « Te rappelles-tu ce que je t’avais dit ? Quand on se reverra, je localiserai tout, même les puces du chien pouilleux du coin ! »
Un jour, Moumoun nous avait lancé le défi de localiser un os de lapin à l’aide de deux autres os de la même carcasse. J’avais perdu. Même avec mon flair de renard. Et c’est qu’Arvian possédait une sensibilité naturelle aux liens encore plus affinée que la mienne. Elle était, je pense, comparable à celles d’Alcace et de Yiyana Moyong.
— « Je ne me souviens pas de ces mots », avoua Arvian, amusé. « Mais je me rappelle que tu bataillais tout le temps pour essayer de me surpasser. À cause de toi, je devais toujours travailler encore plus dur pour sauvegarder mon honneur. »
Travailler ? Certes, Arvian était un disciple appliqué, mais, enfant, du moins, il était même plus espiègle que moi, m’entraînant loin des leçons du maître et des tâches ménagères pour aller jouer à la rivière, grimpant aux arbres pour affoler les tourterelles et dérobant, par-ci par-là, quelques fruits à travers champs… Si j’avais appris des manières de sauvageon libre, c’était en partie à cause de lui.
— « Hoho, Arvian le cancre génie qui grimpait aux arbres se prendrait-il à présent pour un étudiant modèle ? », le taquinai-je. « C’est facile de réécrire le passé. »
— « Quand j’avais treize ans, je ne grimpais plus aux arbres », souffla Arvian.
— « Ben, moi, à vingt-trois ans, je grimpe encore aux arbres », lui dis-je. « Vois les ravages que tu peux causer. »
— « Tu grimpais mieux aux arbres que moi, je te fais remarquer. Et qui volait les œufs des oiseaux ? »
— « Hoho. Tu m’accuses ? »
— « Ils sont vraiment amis ? », souffla Zom à Ayaïpa.
La poule fit un geste d’ignorance avec ses ailes.
— « Kôk. Je ne sais pas. Mais Zangsa n’a-t-il pas dit, tout à l’heure : “Parfois, c’est mieux quand deux gamins se crient dessus et se tirent par les oreilles. C’est libérateur. Je le dis par expérience”. »
Était-elle en train de se moquer de moi ? Arvian la dévisagea.
— « La poule… a parlé ? »
Ayaïpa bleuit légèrement en s’en rendant compte, puis voulut rattraper son faux pas toute seule et caqueta :
— « Je suis sa bête chamanique, alors, évidemment, je parle ! »
— « Tu rigoles ? », fit Arvian, me regardant fixement. « Tu as aussi appris les arts de ventriloque ? »
— « Hum… non, Ayaïpa est vraiment… »
— « Un soupir ? », s’écria-t-il alors d’une voix étouffée. « Tu as enfermé un soupir vaudou dans une poule ?! »
— « Pas du tout ! », assurai-je, roulant les yeux. J’allai prendre Ayaïpa par les pattes et la montrai à Arvian de près. « Regarde-la bien. Ayaïpa est une vraie poule. Elle a la particularité de pouvoir parler, c’est tout. Je t’expliquerai les détails après, si tu veux, mais avant ça… » Je m’assombris. « Tu as dit que tu étais le dernier disciple de Rabiyamoun. Est-ce que ça veut dire que Moumoun… ? »
Arvian détourna enfin les yeux d’Ayaïpa. Il hocha la tête et une lueur de douleur passa dans ses yeux.
— « Maître Rabiyamoun est mort voilà déjà presque quatre ans. Mais ce n’est pas encore le temps des condoléances. »
Le ton de sa voix… et, surtout ses derniers mots, me firent froncer les sourcils. Et c’est que, lorsqu’on disait que ce n’était pas encore le temps des condoléances, c’est qu’il y avait encore à rendre paix à l’âme qui partait. Et cela…
— « Ne me dis pas que… il ne serait pas mort de mort naturelle ? », demandai-je, baissant la voix.
Arvian s’assit cette fois sur le lit et, le regard empli d’émotions, il répondit :
— « Un jour, Maître a été invité à servir de juge lors d’une épreuve chamanique organisée indépendamment de la Vallée. Il a refusé. Deux mois après, il a reçu la visite d’un chamane. Quatre semaines après, il est tombé malade. Il a commencé par avoir la peau toute rouge et de grandes fièvres, puis ses membres tremblaient, puis il n’a plus pu marcher, puis ses yeux sont devenus roses et gris. Cinq mois après, il est mort. »
Nous observâmes un silence choqué. À sa manière de tout raconter… son point de vue paraissait évident : le chamane qui l’avait invité à cette épreuve était allé chez son maître et avait provoqué sa maladie.
Quant à ses symptômes…
Le coude sur un genou, le pouce sous le menton, je réfléchis, le cœur de plus en plus glacé.
Le fait qu’Arvian ait baissé la voix… c’était sûrement parce qu’il pensait que ce chamane se trouvait justement sur cette île : mon vieil ami n’était pas venu ici pour sauver le monde avec un remède anti-démon mais pour se venger.
— « Tu veux dire que Maître Rabiyamoun aurait été empoisonné par ce chamane. »
Arvian hocha la tête.
— « Tu as fini par trouver le fameux chamane », poursuivis-je, « et c’est pourquoi tu es là. »
— « Exactement », dit Arvian.
— « Et qui est-ce ? »
Il me regarda, direct.
— « Tu le sais déjà. »
Je haussai un sourcil. Je le savais déjà ? Il poursuivit :
— « N’est-ce pas pour ça que tu es ici, toi aussi ? »
Je battis des paupières.
— « Moi… ? Jusqu’à présent, je n’avais pas de nouvelles de Moumoun. Pourquoi serais-je… ? »
Je m’interrompis alors qu’Arvian se levait d’un coup, confus.
— « Je… Je vois. Tu n’es pas au courant… Alors… Oublie tout. Je… »
Il se tourna vers la porte. Pensait-il partir de cette façon, ayant réveillé toute ma satanée curiosité ?
— « Dis-moi clairement », lui dis-je sur un ton grave. « Rassieds-toi, mon ami. Dis-moi clairement ce que tu veux dire par : tu n’es pas au courant. »
Arvian me regarda dans les yeux pendant quelques instants, puis se rassit et lança :
— « Maître me disait toujours : regarde la vérité en face. Et à te voir… il vaut mieux que je t’en parle. Alors, voilà… Avant de mourir, Maître m’a fait lire une vieille lettre qu’il avait reçue six ans plus tôt. Elle avait été écrite par ton grand-père, Naravoul. »
Six ans… Il y avait donc dix ans de cela, aujourd’hui… N’était-ce pas à cette époque que… ?
Sortant une petite flûte vaudou en bois de poirier, Arvian parvint à détacher une feuille enroulée cachée à l’intérieur. Il me la tendit et, sans un mot, je la pris et la dépliai soigneusement, le cœur battant la chamade. Cette écriture précise, un peu inclinée vers la droite, avec des symboles vieillis qui dataient de l’époque d’avant les réformes d’écriture sous l’Empire Démocratique… c’était bien celle de mon grand-père.
Ayaïpa atterrit au-dessus de mon épaule pour lire sans vergogne et Zom s’approcha à son tour. Bande de curieux… La lettre disait ainsi :
« Si je perds la vie avant de trouver l’antidote, mon ami, s’il te plaît, prends soin de mon petit-fils et, surtout, ne lui dis rien sur cette affaire. Je regrette un peu de l’avoir éduqué dans le monde du chamanisme. C’est à présent devenu un monde où la moralité s’efface et les pratiques démoniaques prennent le dessus… Je te prie, mon ami, de garder un œil vigilant et de rester sain et sauf. Je viendrai te rendre visite dès qu’il me sera possible. Que les Liens de l’Univers vous accompagnent, toi et ton disciple. Amitiés. Naravoul. »
Mes mains froissèrent légèrement le papier. J’étais sous le choc.
Naravoul avait été empoisonné.
Il le savait.
Et il ne m’en avait jamais rien dit.
Mais tout devenait plus logique. La brusque détérioration de sa santé, son impossibilité à réaliser les techniques vaudou les plus simples, et puis ses visites chez des herboristes pour, soi-disant, acheter du thé de grande qualité…
Tous les antidotes qu’il avait pu tester n’avaient pourtant servi à rien.
Je posai la lettre à plat, sur le sol rocheux, d’un geste plus brusque que je ne le voulais.
— « La lettre n’est pas en entier », fis-je alors d’une voix sifflante.
Arvian acquiesça.
— « Je sais… Je suis désolé. Il y avait deux feuilles. Sur le chemin vers Osha, à un moment, j’ai oublié que je les avais cachées dans ma flûte, j’ai voulu jouer une mélodie et… la première feuille est tombée dans une flaque. Elle n’était pas récupérable. Je suis vraiment désolé. »
Il avait l’air sincère. J’inspirai plusieurs fois avant de me calmer, puis je regardai Arvian et demandai :
— « Qui ? »