Accueil. Zangsa : le cultivateur chamane

68 Grâce à une plume

Si l’or est l’air du Monde Céleste
Ne devrait-il être plus modeste ?

Sonju, Fondateur de la Secte des Nuages

*

“Ah… les odeurs…”, fit Sonju, sur un ton rêveur. “Savez-vous, à une époque, mes disciples et moi avons fait des expériences pour essayer de m’aider à les capter, mais nos essais ne menaient à rien. Finalement, je leur ai demandé de désister.”

Nous nous étions installés à la table d’une taverne, auprès d’une fenêtre du premier étage, et je regardais passer les gens sur l’Avenue Marchande. Aux paroles du vieux cultivateur, je penchai la tête pour lui jeter un coup d’œil. Il avait dissimulé son image, qu’il reflétait toujours sur la Corne des Nuages quand nous étions seuls. Malgré sa promesse de ne pas quitter le Mont-d’Or avant d’entrer dans son pavillon et malgré son désir de consulter plus à fond les manuels runistes des Gu-Lian, il n’avait pas résisté à la tentation de nous suivre — ou plutôt de dire à Irami : prends-moi avec toi.

“Alors… Tu nous vois et nous entends, mais tu ne sens pas les odeurs ?”, demandai-je. “Cela veut dire… qu’en huit-cents ans, tu n’as rien senti ? Même à l’intérieur de la corne ? L’herbe de ta colline, la terre et l’arbre… Ils n’ont pas d’odeur ?”

“Je ne sens rien”, affirma Sonju. “Mais va demander à n’importe quel autre humain vieux de huit siècles s’il sent quelque chose. Tu ne trouveras que des os.”

Il disait vrai… En tout cas, même Irami avait eu du mal à capter l’odeur qu’Ayaïpa et moi avions pourtant tout de suite sentie en arrivant à Osha.

Assis en face de moi, mon ami buvait sa soupe, l’air aussi serein que d’habitude. Lovée sous la table, bien à l’ombre, Ayaïpa picorait une assiette de lentilles.

Pas une goutte de vent ne soufflait ce jour-là et, dans la taverne et dans la rue, on entendait un bruit constant d’éventails de bambous. J’avais oublié la chaleur humide suffocante des jours d’été à Osha. Mais cela ne tuait pas mon appétit : je m’attaquai à ma deuxième patte de lapin tout en observant distraitement les passants à travers la fenêtre et en songeant : quinze pièces de bronze, pour deux pattes de lapin, quand même… La viande, à Osha, était apparemment devenue un luxe. À ce que le tavernier m’avait expliqué, de nombreux animaux d’élevage de la région avaient dû être exorcisés à cause du Démon Dément, ce fameux skaligus drakus furens ; seuls les gros éleveurs pouvaient se permettre les chausses anti-démon pour toutes leurs bêtes, avait-il ajouté avec une moue. Du coup, les prix avaient augmenté.

— « Cela pourrait être dû à une intoxication », dit soudain Irami, rompant son long mutisme.

Je haussai un sourcil, perdu, puis… Oh… Il voulait parler de l’odeur ? J’aurais pourtant juré qu’il était en train de penser à son Art Profond des Nuages… Il poursuivit :

— « Tu sais bien ce que disait Maître Sinshi : quand le corps se sent mal, il le manifeste par divers moyens. »

Maître Sinshi était la guérisseuse que j’avais moi-même escortée avec Békap jusqu’à l’Académie Céleste pendant ma deuxième année d’études. Elle ne nous avait enseigné que pendant deux ans, mais sa manière de voir la vie, la santé et le mal-être m’avait profondément marqué et m’avait aidé à mieux comprendre mes propres arts vaudou.

— « Mm », acquiesçai-je. « Un malade sent le malade. Mais ces gens ont l’air d’être en pleine forme. »

Irami fronça les sourcils. Cette histoire semblait le turlupiner. Je haussai les épaules et laissai tomber l’os rongé dans mon assiette en ajoutant par voie mentale :

“J’ai l’impression que l’histoire des alchimistes va nous prendre du temps, alors… Si on se partageait la tâche ? Tu enquêtes sur les mesures anti-démon et sur ce qui s’est passé à Osha cette année ; moi, je m’occupe de chercher les alchimistes. Qu’en dis-tu, Irami ?”

Celui-ci hocha la tête, satisfait.

“Faisons ça.”

J’allais me lever quand je me souvins…

— « Ah, Irami », dis-je à voix haute. « Ton bracelet. Je lui ai rajouté une… comment dire… une fonction. Si tu y infuses du ki, je saurais que tu veux me voir d’urgence. »

Irami jeta un coup d’œil à son bracelet, fait avec du poil de grande licorne spirituelle, et demanda par voie mentale :

“Comment savoir si, toi, tu es en danger ?”

“Euh… Si ça arrive, je peux t’envoyer un signal. Ton bracelet vibrerait. Mais ça ne te dirait pas où je suis.” Comme il s’assombrissait, je lui fis remarquer en blaguant : “C’est toi qui n’as pas voulu apprendre mes arts vaudou. Le cancre n’a pas le droit de se plaindre.”

Je disais ça, mais je savais qu’Irami avait consacré bien trop de son temps libre à apprendre l’Art Profond des Nuages pendant ses années d’étude pour pouvoir en consacrer aux arts vaudou, si différents du sien.

“Mais, puisque je peux faire vibrer le bracelet plusieurs fois de suite”, ajoutai-je, songeur, “il y aurait quand même moyen de créer un langage simple. Il faudrait peut-être que je retrafique ton bracelet… Je vais y réfléchir.”

Irami acquiesça et, peu après, nous sortîmes de la taverne. Tout en marchant, je demandai :

— « Au fait, Irami, tu ne saurais pas où se trouve la branche des Mendiants, à Osha ? »

— « Je ne sais même pas s’il y en a une. »

— « Une ville sans Mendiants ? Impossible », assurai-je. « Ce serait la honte de leur Secte. Bah, je la trouverai bien si je cherche, je suppose. Et toi, tu penses aller où ? »

— « À la Guilde du Commerce. Un de mes cousins éloignés y travaille comme archiviste. »

— « Hoho ? Vraiment ? Un Namgath ? Ta famille d’érudits est partout. »

Même dans une des villes les plus isolées de l’Empire, complétai-je. Enfin, cela ne voulait pas dire que ce cousin savait quelque chose sur les sujets précis sur lesquels nous enquêtions.

Quand nous arrivâmes devant le Grand Pont, je dis :

— « Ah. Au fait, Irami, la Guilde du Commerce, c’est par là-bas. »

Je signalai le sud, la direction opposée à celle que nous avions prise. Irami me regarda avec un brin d’agacement puis me tourna le dos en disant :

— « Je vais acheter une carte. »

— « Hé », souris-je, le regardant s’éloigner, mes bras croisés.

Je le vis s’arrêter soudain, me regarder à nouveau et revenir vers moi à grandes enjambées.

— « Zangsa ! Où est Ayaïpa ? »

Je pâlis brusquement. Quoi ? Elle n’était pas sur mon épaule. Elle en était descendue pendant notre repas. Et mince. Nous étions sortis de la taverne sans la poule ?

Je me mis à courir vers la taverne que nous venions de quitter il y avait moins de dix minutes. Elle s’était sûrement endormie, me dis-je. Rien de grave ne pouvait être survenu en si peu de temps…

Il s’avéra que la grosse poule rouge n’était plus dans la taverne.

J’appelai Ayaïpa à grands cris, sans réponse. Me priant de baisser le ton, le fils du tavernier me dit qu’un homme était reparti il y a peu avec un gros sac qui lui avait semblé suspect.

— « Ce voleur ! », m’écriai-je, indigné. « Il avait quelle tête ? »

— « Euh… », fit le fils du tavernier, essayant de se rappeler. « Il avait l’air d’un marchand. Il était à peu près de ta taille, la quarantaine… Un peu enveloppé. Avec une tunique jaune ourlée de vert. Je me rappelle parce qu’il est parti sans même terminer son verre. »

— « Il mangeait à quelle table ? », demanda Irami. Dès que le jeune homme la lui désigna, il posa la question suivante : « Le verre qu’il n’a pas bu… est-il encore plein ? »

— « Euh… Je ne crois pas, messire, il doit être reparti dans les cuisines… Mais je peux aller vérifier, si c’est important… »

Irami hocha la tête. Voulait-il utiliser sa Voix du Reflet dans un verre ? Bon, je l’avais déjà vu faire ça dans tout type de récipients, dans des flaques et même essayer avec des gouttes d’eau — enfin, ça, il n’y arrivait pas bien encore.

Quant à moi, je n’examinai même pas la table : s’il y avait des cheveux ou des ongles, quelque part, ça aurait pu appartenir à n’importe quel autre client ayant mangé au même endroit un peu plus tôt.

— « Irami. S’il vient de partir, il ne doit pas être bien loin. Je vais le retrouver, t’inquiète : mon honneur de maître est en jeu. Alors, toi, va voir ton cousin. À tout à l’heure ! »

Sans plus attendre, je m’élançai vers la porte en me maudissant intérieurement : pourquoi n’avais-je pas songé à garder une plume d’Ayaïpa ? Et zut. Comment aurais-je imaginé qu’un jour, moi, un renard, serais capable de perdre une poule ? Je crus voir planer sur moi le visage ridé de la Sage Campagnarde, me dardant de ses yeux pleins de reproche… Inconsciemment, j’accélérai.

Heureusement, je réussis à pister mon apprentie sans trop de mal. Vers la droite. Je me mis à courir, quittai la rue pleine de gens et m’engageai dans une ruelle… Je freinai tout d’un coup. Que… ?

Là, à l’entrée de la ruelle, un enfant en guenilles venait de ramasser une plume rouge. Je rebroussai chemin jusqu’à lui.

— « Gamin ! Est-ce que tu as vu quelqu’un passer avec un gros sac ou une poule rouge ? »

Le gamin fit une grimace.

— « Ça dépend. »

Je le foudroyai du regard puis lui mis une pièce d’or dans la main. Cela le laissa sans voix.

— « Puisque tu ne réponds pas, donne-moi cette plume », dis-je, m’en emparant. Je la reniflai. C’était effectivement une plume d’Ayaïpa. Cela me réjouit et m’inquiéta à la fois. Ayaïpa m’avait dit qu’elle ne perdait jamais ses plumes… Ce bâtard allait le payer cher s’il avait fait du mal à mon apprentie !

Plantant des aiguilles vaudou dans la terre battue de la ruelle, je réalisai une technique de localisation en l’espace de quelques respirations.

— « Ouah… », fit le gamin, qui s’était penché au-dessus de mon épaule.

L’ignorant, je partis dans la direction que désignait la plume. Cela me fit traverser plusieurs rues avant de repérer le voleur. Dès qu’il entra dans une ruelle déserte, je le rattrapai et lui donnai un coup sur la nuque. Il s’effondra et je le retins pour qu’il n’écrase pas Ayaïpa, dont le bec dépassait par un trou dans le sac qu’il portait.

— « Ayaïpa ! », m’écriai-je, effaré. Je la sortis promptement du sac et la pris dans mes bras.

Elle respirait encore. Elle semblait s’être tout simplement évanouie après s’être démenée dans le sac. Je lâchai un souffle de soulagement. Puis, la posant doucement sur le sol, je fermai mon poing, flamboyant de ki pourpre. Cette fripouille qui avait osé…

Une voix dit alors :

— « Tu vas le tuer pour une poule ? »

Je tournai la tête. Envahi par la colère, je n’avais pas fait attention au gamin en guenilles qui m’avait suivi. Trois dépenaillés l’avaient rejoint, dont celui qui avait parlé : un vieil homme barbu aux yeux clairs avec un chapeau en paille presque aussi troué que sa tunique. Un seul regard me suffit pour comprendre que cet homme était un cultivateur. Hé. Et dire que j’avais trouvé les Mendiants si vite…

— « Qui es-tu ? », ajouta-t-il.

Son ton était hostile. Je compris pourquoi quand je regardai mon poing encore étincelant de ki pourpre. Et zut. Je m’étais laissé emporter. Je dissipai l’énergie et, saluant avec respect, frappant ma paume du poing, je répondis :

— « Je suis Zangsa, le Sage Ivrogne. Je salue les Mendiants d’Osha. Je vous cherchais. »

Le vieux Mendiant me dévisagea longuement avant de soupirer et de dire à ses compagnons :

— « Détendez-vous. Ce n’est pas un démon cultivateur. »

— « Impossible ! », souffla le gamin. « La couleur de ce ki… ! »

— « Je suis mieux informé que toi, Borbo, alors, tais-toi », rétorqua le vieux. Il ajouta pour moi sans trop d’enthousiasme : « Si tu veux parler au responsable de notre branche, je peux te servir de guide. »

Cet homme n’était donc pas le chef des Mendiants à Osha. Il ne s’était même pas présenté ni ne m’avait salué. Ces Mendiants et leurs manières…

Je secouai la tête et désignai du pouce le vaurien que j’avais assommé.

— « Merci, mais j’ai encore des comptes à régler avec cette saleté de voleur. Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas le tuer. Je vais juste l’interroger. »

Le vieux Mendiant arqua un sourcil puis haussa les épaules.

— « Si tu veux me contacter tout à l’heure, tu me trouveras auprès du Grand Pont. Allons-y, les gars. »

Les Mendiants partirent, non sans me jeter quelques derniers coups d’œil curieux. J’entendis le vieillard murmurer, un peu plus loin :

— « Borbo. Tiens-le à l’œil. »

Je fis une moue. Les Mendiants étaient tous des fureteurs. J’entendis alors un caquètement et :

— « C-Cousin ? »

Je m’accroupis aussitôt en voyant la poule se mettre sur ses pattes.

— « Ayaïpa ! Tu as mal quelque part ? »

— « Au cou… »

Et, disant cela, elle pencha la tête d’un côté puis de l’autre en faisant craquer ses os.

— « Ah, voilà qui est mieux ! Cousin ! Tu as vu ma plume ? Tu l’as ramassée ! Kéké, j’ai pensé que tu me retrouverais si je la laissais tomber. »

Je résistai à mon envie de l’étreindre dans mes bras tellement j’étais soulagé et je me contentai d’ébouriffer les plumes de sa tête.

— « Tu es maligne, cousine. C’est grâce à ça que je t’ai retrouvée. Et c’est ma faute de t’avoir oubliée dans la taverne », ajoutai-je, plus grave. Je frappai mes paumes l’une contre l’autre et inclinai la tête. « Désolée, Ayaïpa ! »

La poule me regarda, surprise, puis caqueta joyeusement :

— « Kokoko. Je sais déjà que tu as des trous de mémoires, cousin, c’est pas nouveau. Je me suis assoupie quand vous mangiez et, quand je me suis réveillée, je vous ai vus en train de sortir de la taverne. J’ai voulu vous suivre, mais… Hukhum », fit-elle, gênée. « Je me suis emmêlé les pattes dans les escaliers et je n’ai pas pu m’en empêcher, cousin : j’ai dit “zut, alors”. Je ne l’ai pas dit très fort, mais… » Elle jeta un coup d’œil à l’homme assommé. « Ce goujat était assis juste à côté et m’a entendue. On s’est dévisagés un instant, puis, tout d’un coup, il s’est jeté sur moi et m’a mise dans un sac ! Je lui ai demandé tout bas de me relâcher, mais il m’a dit : “Te relâcher ? Une poule comme toi ? Même le Deuxième Prince voudra t’acheter ! …” Et il a ri ! Alors, j’ai bataillé avec mon bec pour trouer le sac et j’ai jeté ma plume pour que tu me retrouves. Puis j’ai tourné de l’œil tellement ce goujat bringuebalait le sac… Cousin ! », soupira-t-elle. « Tu avais bien raison quand tu me disais de faire attention à ne pas parler devant les humains. Ce goujat a voulu me vendre ! »

Elle était choquée par cette simple idée. Je lui tapotai doucement la tête en lui révélant :

— « Les poules, chez les humains, ça s’achète et ça se vend. »

— « Je… Maîtresse me l’a bien dit, mais… »

Alors, je levai une main pour lui imposer silence : le « goujat » venait de se réveiller. Il battit des paupières, tourna la tête, vit la poule… et se précipita sur elle comme s’il s’était agi de quelque trésor.

Surpris par sa réaction, je faillis être plus lent que lui, mais j’arrivai à prendre Ayaïpa entre mes bras et protestai :

— « Voleur ! Si tu touches une seule de ses plumes… ! »

Je ne finis pas ma menace : à cet instant, des voix nous hélèrent. Je tournai la tête et je tiquai. Trois hommes en uniforme bleu et rouge… Des policiers ?

— « Que se passe-t-il ici ? », exigea de savoir l’un d’eux.

Étrangement, le visage du voleur s’illumina. Il s’exclama :

— « Messieurs les officiers ! Cet homme a volé ma poule ! »

Je soufflai de surprise.

— « Quoi ? C’est ma poule, gros menteur ! »

— « Voleur ! Rendez-moi justice, je vous en conjure ! », réclama cette fripouille.

J’eus envie de lui arracher cette maudite langue. L’officier nous jeta un regard sévère, les bras croisés.

— « Qui est le vrai propriétaire de cette poule ? »

— « Moi », répondîmes-nous en même temps.

L’officier soupira.

— « Allons régler ça au poste. »

J’échangeai un regard avec Ayaïpa. Ce menteur savait pourtant qu’elle pouvait parler. Son mensonge allait vite être démonté si je demandais à la poule de dire qu’elle était avec moi…

— « Dix pièces d’or », me souffla alors la fripouille, tandis que nous suivions les policiers.

Je le foudroyai du regard, incrédule. Puis je repensai à ce qu’Ayaïpa m’avait raconté. Ce Deuxième Prince qu’il aurait mentionné… Pensait-il vraiment pouvoir lui vendre la poule ? Et pourquoi lui, expressément ? Se trouvait-il à Osha, par hasard ? Et puis… comment cet homme avait-il pu estimer la valeur d’une poule qui parle et calculer ma part ? Qui était-il, exactement ?

Les sourcils froncés, je ne daignai même pas répondre à ce voleur. Du coin de l’œil, j’aperçus Borbo, le gamin Mendiant, se grattant la tête, l’air de regarder ailleurs. Dans une rue plus fréquentée, je repérai Irami, qui me vit escorté par des policiers et demanda par voie mentale :

“Euh… Zangsa ?”

“Ça ne sera que pour deux ou trois ans de prison, Irami. Je plaisante”, ajoutai-je mentalement, amusé, en le voyant pâlir un peu. “Ayaïpa va bien. Je te raconte après.”

Seul son soupir me répondit.

Les trois officiers, le voleur, la poule et moi traversâmes le portail du poste de police et avançâmes dans la cour de l’enceinte. On nous fit attendre sous un soleil de plomb pendant un moment, puis, de l’édifice principal, sortit un grand homme roux, jeune, une épée attachée à sa ceinture, vêtu d’un uniforme rouge et gris impeccable.

— « Bonjour, messieurs. Quel est le problème ? », lança-t-il d’une voix forte.

Je l’observai quelques instants, mon regard s’arrêta sur sa marque de naissance, au niveau du cou, et, comme le voleur se jetait à genoux et expliquait déjà toute sa fausse version, je laissai échapper, frappé d’étonnement :

— « Aroulyoun ? »

Mon vieil ami d’enfance et compagnon de jeu à la bataballe fronça les sourcils tout en me détaillant du regard. Ne me reconnaissait-il pas ?

— « C’est moi, Zangsa, ton vieil ami ! », souris-je. « Tu ne te souviens pas de moi ? »

Une lueur de surprise traversa les yeux d’Aroulyoun… Mais l’officier de police se reprit vite et demanda sur un ton formel :

— « D’après cet homme, tu aurais volé la poule que tu tiens dans tes bras ? »

Je battis des paupières. C’était comme ça qu’il allait me saluer ? Je protestai :

— « Pas du tout ! C’est lui qui me l’a volée ! Je suis sorti de la taverne sans elle pendant un court moment, je suis revenu, et cet homme l’avait déjà mise dans un sac et était parti en courant ! Je ne suis pas un voleur, Aroulyoun ! »

Pendant que je parlais, Aroulyoun était allé s’asseoir dans un fauteuil qui trônait dans la cour, à l’ombre des arches de l’édifice principal. Il se racla la gorge et hocha calmement la tête.

— « Commençons le jugement. »

Je lâchai un long soupir. Il avait vraiment l’intention de continuer à se comporter comme un officier de police jusqu’à ce que l’affaire soit conclue…