Accueil. Zangsa : le cultivateur chamane

58 L’honneur d’un Tang

— « Par la Vertu Céleste ! L’Œil Renversé cacherait le Chaudron de l’Alchimiste Astral à Osha ?! Et ce serait avec ça que ces démons fabriquent des pilules pour enrager les bêtes ? Par tous les dieux ! Et tu dis qu’Irahayami et Zangsa sont partis d’ici ce midi ? Maître Zéligar… ! »

Ak-Baé ne finit pas son exclamation. Il venait de se rappeler tout ce qu’il devait à ces maîtres de l’Académie Céleste. Il était, certes, venu en tant qu’instructeur, mais, en un an, il avait l’impression d’avoir appris de ces gens bien plus de choses qu’il n’en avait enseigné aux étudiants. Même si sa mission de retrouver les carnets volés de son clan était cruciale… il ne pouvait pas partir en coup de vent.

Assis à son bureau, Maître Zéligar hocha la tête comme pour lui-même.

— « Demain matin, pour ton dernier cours, donne une belle leçon à tes élèves, qu’ils s’en souviennent. »

Ak-Baé fut pris de court. À priori, ses cours ne se terminaient que la semaine suivante. Se pouvait-il que… ? Il ne put s’empêcher de sourire largement. Puis il se reprit et salua formellement.

— « Je n’oublierai pas cette faveur. »

— « Quelle faveur ? » Les yeux verts de Maître Zéligar pétillèrent. « Je ne sais pas jusqu’à quel point toute cette histoire d’alchimistes travaillant pour l’Œil Renversé depuis Osha est vraie, mais… si tu découvres qu’il y a un vrai danger, je compte sur toi pour m’en informer. »

Ak-Baé grimaça légèrement. Pourquoi avait-il l’impression que, si Zéligar le laissait partir, c’était en fait pour l’envoyer superviser ses deux anciens étudiants ? Il acquiesça cependant avec impatience.

— « Misha t’enverra des rapports, journaliers si possible. »

Misha était son oiseau messager et son compagnon de voyage qui le suivait depuis ses treize ans, depuis que ses parents le lui avaient offert afin de recevoir des informations régulières de leur fils. À ses dix-neuf ans, Misha avait évolué en passereau spirituel et volait, depuis, à une vitesse qui n’avait rien à envier à celle des pigeons voyageurs.

Maître Zéligar se leva, satisfait.

— « Évidemment, tu ne partiras pas avant qu’on fasse une fête en ton honneur en bonne et due forme. »

— « Oh… Ce n’est pas la peine… »

— « De nos jours, les jeunes préfèrent gambader dans la nature et cultiver tout seuls : peu sont ceux qui décident de devenir instructeurs. Alors, Maître Ak-Baé, une petite soirée pour féliciter un jeune ami qui a réussi à aider de nombreux étudiants au cours de cette année… ce n’est que justice. »

Ak-Baé se sentit rougir. Il se racla la gorge et remercia à mi-voix, embarrassé :

— « Je te remercie pour tout, Maître Zéligar. Mais, honnêtement, mon vrai désir n’est pas d’être instructeur. Pour tout te dire, je pense présenter prochainement ma démission à l’École de la Roue afin de me consacrer davantage à mon clan. »

Maître Zéligar sourit.

— « Je vois. J’espère alors que tu trouveras enfin un indice sur ces carnets volés. Après la mort de ton grand-père, ton clan a souffert bien des revers, mais, qui sait, avec la nouvelle génération, peut-être qu’il retrouvera son ancienne puissance et son ancienne vertu. »

Ak-Baé fut ému par ces paroles bienveillantes qui visaient peut-être même à l’encourager, lui, mais il répliqua néanmoins avec un sourire fier :

— « Son ancienne vertu ? Mon clan ne l’a jamais perdue. »

Pas tout à fait, en tout cas, même si certains Doyens du clan avaient tout fait pour la perdre, et cela pendant des années, à cause de leur arrogance et de leur aveuglement. Les choses avaient empiré dramatiquement quand le patriarche, son Premier Oncle, était tombé « malade » il y avait trois ans. Le Deuxième Oncle avait temporairement pris la relève et, pour l’instant, il arrivait à tenir tête aux Doyens… en essayant de ne pas trop les contrarier non plus. Enfin, ces deux dernières années, il y avait eu d’importants changements au sein du clan, et tout ça grâce à ces maudits démons cultivateurs qui avaient volé les carnets secrets : un tel vol avait blessé l’honneur des vieux membres, avait fait renaître leur ardeur essoufflée… et en avait insufflé aux jeunes Tang, jusque-là trop habitués au déclin et à la médiocrité. Si, parmi les Tang enquêtant secrètement sur ces carnets, Ak-Baé devenait le premier à les trouver… la position de patriarche ne serait plus un vain espoir. Non pas qu’il ait l’intention de s’interposer si le Deuxième Oncle voulait devenir le patriarche du clan, mais celui-ci avait bien fait comprendre à tous les Tang qu’il pensait laisser cette position entre les mains du jeune membre qui démontrerait être « le plus à même de rendre au clan son esprit authentique ». Ak-Baé, comme d’autres Tang, s’était senti inspiré par son discours et son défi. Après cinq années passées à instruire des enfants d’autres familles à l’École de la Roue dans la République d’Haotaheh, il s’était juré qu’il consacrerait dorénavant son énergie à protéger son clan et à lui rendre sa dignité. Et il n’y avait pas de meilleure position pour cela que celle de patriarche des Tang. Il serra un poing avec vigueur. Si l’un de ces cahiers volés renfermait vraiment, sous un sceau caché, les recettes pour cinq des Dix Poisons Ultimes de son clan, comme son père le soupçonnait, les récupérer était un premier pas décisif.

— « Ah, j’oubliais », fit alors Maître Zéligar.

Il contourna le bureau et déposa entre ses mains une enveloppe brune. Sous le regard interrogateur d’Ak-Baé, le maître du Pavillon Blanc sourit tout innocemment.

— « Mon jeune ami, pourrais-tu me faire une petite faveur de rien du tout ? »