Accueil. Zangsa : le cultivateur chamane
Miroir que l’histoire,
Déformée d’arts et de silences !
Le Raconteur Impertinent
*
Le clan des Namgath se trouvait non loin du village de Sanderoi — appelé ainsi car, d’après Irami, leurs habitants étaient tous autrefois de petits nobles exempts d’impôts. Depuis l’instauration de la Démocratie Impériale, ce n’était plus du tout le cas et les Sanderoyens avaient l’obligation de payer leur allégeance à l’Empire comme tous les autres citoyens. Égalité, avait clamé le peuple, séduit par le beau slogan. Et voilà qu’au lieu d’imiter celui qui vivait plus libre, on posait à celui-ci les mêmes chaînes au nom de la justice.
Je quittai la route impériale, bondée d’étals et de tavernes, et pris une route moins fréquentée qui me mena bientôt hors du village. Au-delà d’un vaste champ d’arbres fruitiers, sur une petite colline, se dressait la Maison Namgath, un complexe d’édifices, dont le principal n’avait rien à envier au Palais des Moyong. Tout près, se démarquait une tour pagode bleue : c’était la Tour des Archives, la bibliothèque des Namgath et le trésor du clan. On disait que tous les savoirs y étaient gardés, mais même cette tour n’avait pas réchappé aux flammes de certaines guerres passées et je devinais qu’un passionné d’Histoire comme Maître Karhaï ne serait que peu intéressé par ce lieu aux livres si soigneusement sélectionnés.
C’était la troisième fois que je passais par la maison d’enfance d’Irami. Enfin, je ne gardais, de ma première visite, que peu de souvenirs du lieu en soi, tellement celle-ci avait mis mes nerfs à l’épreuve. J’avais quatorze ans à l’époque. Déguisé, usurpant le nom de mon grand-père pour gagner ma vie en tant que chamane, j’avais accepté la tâche de guérir le deuxième fils des Namgath — Irami — d’une maladie apparemment incurable. À vrai dire, dès que j’avais compris que j’avais affaire au célèbre clan des Namgath, j’avais voulu refuser l’offre de sa mère, mais celle-ci était si désespérée que j’avais fini par accepter d’examiner son fils. J’avais sérieusement cru signer mon arrêt de mort quand le patriarche du clan, informé de ma présence, avait voulu me jeter en prison pour charlatanisme — car quel clan respecté de l’Empire recourait à de vulgaires chamanes ? Je m’étais alors jeté à ses pieds et avais juré sur ma vie d’apporter des résultats. La Bonne Fortune d’Amabiyah m’avait souri et j’avais découvert que le problème était stupidement bien plus simple que ce qu’avaient cru tous les médecins passés avant moi. Tout ce que j’avais eu à faire, ç’avait été de retirer un livre d’énergie corrompue placé sur son écritoire. L’état d’Irami s’était amélioré en l’espace d’une heure. Arguant que mes arts étaient secrets, j’étais reparti le jour même sans rien expliquer, une bourse bien remplie à la ceinture, l’étrange livre caché dans mon baluchon. Le soir, j’avais fait un feu avec sans même l’ouvrir. Comme disait sagement mon grand-père : “Si ça mord ton voisin, ça peut te mordre aussi”. J’ignorais pourquoi Irami avait eu un livre si sinistre dans sa chambre — l’avait-il pris de la Tour des Archives ? Il faudrait qu’un jour je lui demande. En tout cas, j’avais compris une chose : si je voulais garder ma tête sur mes épaules, j’avais intérêt à ne plus jamais travailler pour un clan réputé de l’Empire. Ça payait bien, mais ça pouvait t’envoyer en prison d’un revers de main.
Ma deuxième visite au clan des Namgath avait eu lieu bien plus récemment, deux ans plus tôt, pendant mon Tour des Sectes. Ma prochaine étape était la Secte des Esprits, dans la Province du Soir, alors, bien évidemment, j’en avais profité pour aller découvrir les environs de la maison d’enfance d’Irami. Seulement, un petit cueilleur de pommes m’avait vu voler un fruit.
Je fis un petit détour entre les arbres fruitiers et, à l’image d’un merle chanteur sur les hautes branches d’un cerisier, je volai quelques cerises tout en me remémorant la scène…
* * *
— « Oh ! »
Je sursautai. Un petit enfant aux cheveux en bataille me désignait du doigt.
— « Voleur ! »
Ma pomme croquée dans ma main, assis contre le tronc du pommier, je regardai à gauche puis à droite :
— « Un voleur ? Où ça ? »
— « Toi ! Ces pommiers ne sont pas à toi ! »
— « Ah… Il y avait un gros ver dans la pomme. La pomme était donc à lui ? »
— « Tu n’es pas un gros ver. C’est différent. »
— « Je ne suis pas un gros ver », répétai-je. « Et pourquoi ça ? Je me sens ver. Ce n’est pas parce que je suis encore plus gros que le gros ver de la pomme que je ne vais pas pouvoir être un ver. Il y a des vers de toutes les tailles. Mon garçon, as-tu jamais vu un onychophore spirituel ? » L’enfant secoua la tête pour dire non. « Son corps est cinq fois plus gros que le tronc de ce pommier et trois fois plus long. Si tu en vois un, pars vite en courant : ils attaquent en projetant de la bave pour immobiliser leur proie. Mais enfin, une fois lavé et bien cuit, un onychophore spirituel est délicieux. »
— « Tu en as mangé ?! », s’horrifia l’enfant.
— « J’en ai mangé plus d’une fois, mais pas aussi gros. »
L’enfant n’avait pas plus de cinq ans et avait l’air d’avoir complètement oublié la pomme que j’avais volée. Il y repenserait certainement plus tard et comprendrait qu’un adulte changeait de sujet quand ça l’arrangeait.
Entretemps, je lui parlai de créatures spirituelles bien réelles que j’avais eu l’occasion de croiser pendant mon Tour des Sectes. L’enfant buvait mes paroles. Il se mit alors à me poser des questions bizarres pour quelqu’un de son âge : et, Onychophore, me disait-il, combien pèse un taureau des neiges ? Quelle est l’espérance de vie d’une araglace ? À quelle distance un renard-démon peut-il sentir une proie ?
— « Euh… Ça dépend du vent, de la température, de la faim que j’ai… qu’a le renard », me corrigeai-je en réprimant une grimace.
— « Bon. Et les papillons ? »
— « Quoi, les papillons ? »
— « Pourquoi est-ce qu’ils ne sortent qu’au printemps ? »
— « Tous ne sortent pas qu’au printemps. Les papillons-lunes sortent en automne. »
— « C’est faux ! Les papillons sortent au printemps. »
— « D’accord, pour la plupart. C’est compliqué, un papillon. D’abord, il sort de l’œuf, puis il devient une chenille, puis il se transforme en chrysalide, puis en papillon. »
— « Ça, je le sais. Mais pourquoi ils ont tant de couleurs ? Pourquoi ils sont tous si différents ? Pourquoi ça ne se passe pas comme ça pour les lapins, les renards ou les merles ? Tu le sais, toi ? »
Je m’imaginai un renard avec les couleurs criardes et l’ornementation compliquée des papillons… et je pouffai.
— « Non. Aucune idée », avouai-je. « Mais un renard avec des couleurs de papillon finirait rapidement entre les griffes d’un aigle. »
— « Je vois », dit l’enfant sur un ton songeur. « Les aigles mangent des renards… ? »
Je jetai mon trognon, levai la main, cueillis une deuxième pomme et la lui tendis :
— « Voilà pourquoi la nature est faite ainsi : si elle a faim, elle mange ce qui est facile à manger ; si elle n’a pas faim, elle se prélasse à l’ombre d’un pommier. »
— « Tu as encore volé. »
Je lui avais pourtant offert la pomme, mais la lueur accusatrice dans ses yeux me fit me sentir coupable. L’enfant ajouta :
— « Si tout le monde faisait comme toi, il n’y aurait que des voleurs. »
Qu’un enfant de cinq ans me fasse la leçon me mit mal à l’aise. Alors, inopinément, une pomme se détacha de l’arbre et lui tomba sur la tête. Il grommela de douleur. Je craignis qu’il ne se mette à brailler, mais non : les larmes aux yeux, il pinça les lèvres en se redressant et se massa la tête en silence. Je ne pus m’empêcher de dire :
— « La nature a parlé. »
Tapotant gentiment la tête de l’enfant de mes doigts, je me mis à chantonner comme le faisait ma mère :
Oh, le bobo, qu’il fait maaal !
Mais regarde : un ange passe.
Il danse, danse où ça fait mal.
Tacada !
Et souffle fort pour que ça passe.
Afooou !
Et voilà que tout guérit.
Le bobo ? Il est parti !
L’enfant cligna des yeux et me regarda, bouche bée.
— « Un… un magicien ? »
Je souris et lui retendis la pomme que j’avais cueillie. Il l’accepta sans un mot. Je ramassai alors la pomme tombée, et je m’en allais déjà quand je l’entendis croquer dans la sienne. J’en fis autant avec la mienne.
* * *
Je me remémorais encore la scène quand, m’étant présenté à l’entrée gardée de la Maison Namgath, je vis apparaître un homme dans la trentaine, portant une ample robe bleue avec la coupe des érudits impériaux ; il était accompagné d’un enfant de peut-être sept ans, vêtu non moins formellement. Dès qu’il me vit, cependant, l’enfant abandonna son port si sérieux et, me désignant du doigt, s’écria :
— « C’est… C’est l’onychophore magicien ! »
Je battis des paupières, incrédule. L’enfant de deux ans plus tôt, vêtu d’un simple pantalon, au teint hâlé par le soleil et aux cheveux en bataille… C’était le neveu d’Irami ? Cela me surprit, bien sûr, mais ce qui me frappa le plus fut sa ressemblance. Ses longs cils, ses traits fins et cette aura posée qu’il avait eue avant de me reconnaître… On aurait dit un Irami en miniature.
— « Que racontes-tu, Hetmoun ? », s’étonna le frère aîné d’Irami d’un ton sévère.
— « Père, c’est le voleur de pommes ! Mais… c’est vraiment toi, l’ami de mon oncle ? », demanda-t-il.
Je souris et saluai Simalohan Namgath et son fils à la manière du Murim. L’air grave, Simalohan salua d’un bref signe de tête.
— « Bien le bonjour. Mon frère m’a dit que tu passerais certainement par ici. Il t’a présenté comme un ami. »
À son ton, il avait presque l’air de penser : c’est bien la première fois que j’entends mon jeune frère parler d’un ami… Comme je souriais, amusé, et hochais la tête, il ajouta :
— « Irahayami est parti à l’aube au point de rencontre de ces bandits. La rançon devait être livrée demain matin. Mon frère est donc parti très en avance et tout seul avec l’intention d’étudier le terrain. Selon lui, il n’aurait besoin de l’aide de personne, mais, puisqu’il t’a présenté comme un ami, voici une copie de la carte avec l’endroit du rendez-vous. »
Je pris la carte et y jetai un coup d’œil. Les bandits avaient choisi un endroit isolé pour recevoir la rançon, en pleine Forêt des Cristaux, sur les rives du Fleuve Central.
— « Merci, grand frère. Mais, si Irami n’a pas besoin d’aide, je ferais peut-être mieux d’aller plutôt acheter une jarre de vin à Sanderoi. »
— « Hein ? », souffla le petit Hetmoun, ahuri.
J’esquissai un sourire face à l’expression presque immuable de Simalohan : il avait froncé légèrement les sourcils. Devinant peut-être mon petit jeu, il me tourna le dos en répliquant :
— « Fais ce que bon te semble. Si mon frère cherche les ennuis, c’est à lui de corriger ses erreurs. »
— « Il n’a pourtant fait aucun faux pas », dis-je sur un ton plus grave.
— « … Tant mieux si tu le penses. »
Il le dit sur un ton moins sec. Puis Simalohan Namgath s’éloigna vers le bâtiment principal. Je haussai les épaules.
— « Je le pense. » Et je saluai l’enfant en disant : « Un plaisir de te revoir, Hetmoun. Merci pour les cerises. »
Hetmoun ouvrit grand les yeux puis, comme je partais, il me courut après jusqu’au portail en criant :
— « Onychophore ! Tu ne vas vraiment pas aider mon oncle ? »
Je me retournai, amusé.
— « Ton oncle n’a pas besoin de mon aide. Mais j’irai le voir taillader ces bandits pendant que je bois mon vin, t’inquiète. C’est ce que font les amis. »
— « … C’est pas vrai. »
Le regard de reproche qu’il me lança me rappela tellement Irami qu’un instant, je me paralysai. Hé. Ce petit s’inquiétait sincèrement pour son oncle… peut-être parce qu’au fond, son père, aussi rigide soit-il, s’inquiétait également. Je le rassurai :
— « Je lui prêterai main-forte s’il en a besoin. »
Les yeux de Hetmoun s’illuminèrent.
— « Vraiment ? Alors tu vas l’aider ! Mon père disait vrai : les cultivateurs, vous avez peut-être de bonnes intentions, mais vous êtes plus difficiles à interpréter que les Écritures Divines. »
Ses paroles m’amusèrent. Mais Simalohan Namgath pensait-il cela de tous les cultivateurs ou seulement de son jeune frère si expressif ? Après l’avoir vu, je me dis qu’il était peut-être plus dépassé par le caractère de son jeune frère que fâché avec lui.
Avec cette pensée positive, je levai une main et m’éloignai enfin pour de bon. Hetmoun s’égosilla :
— « Ah, au fait ! Voleur de cerises ! Si je te prends en train de voler des cerises, je t’enverrai en prison, magicien ou pas ! »
Je souris et répliquai :
— « Cette fois-ci, si une cerise te tombe sur la tête, tu ne pleureras pas, au moins, si ? »
Le petit érudit impérial devint cramoisi. Je chantonnai en descendant la route :
Quand nous mangerons autant de cerises
Que les rossignols et merles moqueurs,
Nous s’rons tous en fête.
Mais si elles nous tombent dessus par surprise
Et qu’elles réveillent nos peines et nos pleurs,
Dieux, les maux de tête !
* * *
Je n’allai pas au point de rendez-vous : j’allai acheter ma jarre de vin à Sanderoi puis retournai à la Maison Namgath, contournai le mur et suivis une odeur fétide qui m’avait interpelé cette après-midi et qui m’était désagréablement familière : elle était presque identique à celles des démons cultivateurs que j’avais croisés jusqu’à présent.
Je perdis la piste auprès de la petite rivière qui passait près du village mais la retrouvai un peu plus loin, alors que je m’enfonçais dans la Forêt des Cristaux.
La partie nord de la forêt était verdoyante mais clairsemée et plutôt ordinaire. Elle n’avait rien à voir avec la partie sud, qui regorgeait de ki, de bêtes spirituelles, de cristaux, d’herbes rares et d’étranges phénomènes.
Une fine bruine avait commencé à tomber. J’espérais qu’il ne se mettrait pas à pleuvoir à verse, car cela aurait pu estomper l’odeur et j’aurais perdu la piste. Heureusement, je finis par trouver ma proie. Elle parlait à deux autres personnes. Les trois portaient des habits noirs.
— « Mais c’tait qui ? Un cultivateur ? »
— « J’en sais rien, mais il est reparti. »
— « Sûr ? »
— « Sûr. »
— « Bon. Mettons-nous en route. Le temps qu’il fasse nuit, on sera arrivés. Puis on n’aura plus qu’à séquestrer un Namgath et on aura fait notre boulot. »
— « Ça fait quand même froid dans le dos, capitaine. Devoir séquestrer un archiviste, juste pour faire du chantage… »
— « Tais-toi. »
— « Mais, capitaine, on œuvre pour le bien de l’Empire, alors… »
— « Justement. Révise un peu l’Histoire. Imagine un peu que ces fous arrivent à refonder leur sanglante Secte des Nuages : c’est la sécurité de tout l’Empire qui est en jeu. »
— « La sécurité de tout l’Empire », répéta le premier, hébété par l’importance de ces mots. Puis il se réjouit : « En tout cas, avec ça, tu monteras sûrement d’un grade, capitaine. Tu seras un vrai capitaine ! »
— « Ce qui veut dire qu’on aura encore plus de boulot », soupira l’autre démon subordonné.
— « Fainéant. Allez, bougeons. Tu disais, alors, que le plus jeune s’appelle Hetmoun, c’est ça ? »
— « Oui… Mais le grand-père… »
— « On va pas traîner un vieux avec nous. L’enfant pensera que ce n’est qu’un jeu et il oubliera tout demain matin. Allez, pressons. »
Ils s’arrêtèrent comme un seul homme quand une mélodie stridente de flûte rompit le calme de la forêt. J’avais discrètement planté des aiguilles dans les arbres alentour pour créer une barrière. Un tourbillon de ki pourpre afflua dans les liens puis fusa vers le centre, vers les trois démons cultivateurs.
Je n’avais aucune idée de l’effet qu’allait avoir mon attaque : j’avais seulement parié sur le fait qu’un démon cultivateur, ayant abandonné le ki doré et adopté le ki pourpre comme base pour faire fonctionner son corps, pouvait souffrir un déséquilibre énergétique plus facilement qu’un cultivateur normal. Et mon raisonnement fut correct : deux des trois hommes tombèrent à genoux et hurlèrent, ne sachant comment arrêter mon attaque toute simple. Le capitaine, cependant, réagit différemment : au lieu de résister au flux énergétique, il s’adapta aussitôt et commença à l’aspirer. En même temps, il me repéra, debout sur une branche, et empruntant l’arbalète que portait l’un de ses subordonnés, il s’apprêta à la charger avec un carreau… Et zut.
J’avais trois options : ou bien je dégainais l’épée, ou bien je continuais à parier sur ma barrière vaudou et usais l’énergie récemment renouvelée de mes boucles d’oreille… ou bien je courais à la Maison Namgath mettre la famille d’Irami en sûreté pour une nuit.
J’optai pour la deuxième option. Le volume de ma mélodie doubla d’intensité et, cette fois-ci, même le capitaine hurla. S’il avait seulement fait quelques pas de plus, il serait sorti de ma barrière et j’aurais été dans le pétrin… mais il n’avait pas l’air d’avoir compris qu’il était tombé dans une formation. Enfin, les trois démons tombèrent inconscients.
Le son de la flûte mourut. Je descendis de l’arbre et m’approchai avec circonspection. Je donnai un coup de pied au capitaine. Il ne broncha pas. Bon. D’un geste rapide, je bloquai leurs points de mobilité pour qu’ils ne puissent plus bouger même s’ils se réveillaient, puis, alors que le capitaine ouvrait les paupières, je cogitai tout haut :
— « Que faire ? Des kidnappeurs de petits enfants… C’est un crime capital qui est puni de mort par écartèlement. Mais je n’ai pas de chevaux pour tirer. Va pour la décapitation. Mon épée n’est pas bien aiguisée, mais qu’importe, j’ai toute la nuit pour finir. »
— « Ah », fit alors le capitaine, se rendant enfin compte qu’il avait été immobilisé et qu’il était à ma merci. Ne pouvant même pas tourner la tête pour voir ses camarades, il gronda : « Ozot, Marvini, réveillez-vous ! »
— « Inutile de les appeler », répliquai-je et je m’accroupis à ses côtés, l’épée au clair, en ajoutant : « Ils ne peuvent pas te répondre. »
Une lueur d’horreur passa dans les yeux du capitaine.
— « T’inquiète, ils sont vivants. Pour l’instant. »
Son soulagement n’était pas feint. Ces types n’étaient définitivement pas comme les démons suicidaires que j’avais affrontés jusqu’alors. Je soupirai.
— « Les gars. Vous n’êtes même pas de vrais démons et vous essayez de vous comporter comme tels. C’est navrant à voir. »
— « Qui es-tu ? », demanda le capitaine. « Que veux-tu ? »
— « Hmm. Ce que je veux ? Vos histoires. Racontez-moi vos histoires. »
Le capitaine me dévisagea, abasourdi. Puis il dut se rappeler quelque instruction, car il feula :
— « Plutôt mourir que de trahir l’Empire. »
J’esquissai un sourire.
— « Je crois pourtant servir l’Empire mieux que vous. Mais si vous ne voulez pas parler… »
Un éclair pourpre traversa ma lame. Le capitaine écarquilla les yeux.
— « Du ki-démon ! Mais qui… ? »
— « Un agent plus haut placé n’a aucune obligation de se présenter à trois traîtres diablotins. »
— « Traîtres… ? », répéta le capitaine. Sa peau transpirait profusément à présent.
— « Se laisser prendre si facilement… Vous n’avez pas honte ? »
Je dardai mes yeux dans les siens en faisant briller dans les miens des lueurs pourpres pour finir de l’impressionner. L’un des subordonnés, réveillé, souffla, atterré :
— « Capitaine… C’est un Grand Démon ! »
Était-ce là le nom de quelque grade élevé ? Le capitaine tremblait. Il bredouilla :
— « Gloire à l’Ombre Impériale ! Je mérite d’être puni pour ne pas avoir reconnu Votre Excellence ! Mais je vous jure que nous ne faisons qu’obéir aux ordres ! »
— « Oh ? Parlez-moi de ces ordres. »