Accueil. Zangsa : le cultivateur chamane
Trois esprits, trois univers :
Les plaines où l’un sommeille,
L’ouragan où l’un se perd,
Et l’œil, au centre, qui veille.
Le Raconteur Impertinent
*
Quand nous arrivâmes au sommet, plusieurs Lancières nous barrèrent le passage et, à leur regard fougueux, je crus que nous allions finir empalés après avoir survécu au Dieu du Croc, quand Ceyra intervint en s’écriant :
— « Zangsa ! Irahayami ! Vous voilà enfin ! » La rousse se faufila entre ses consœurs avec un grand sourire. « Vous arrivez à temps ! Le Serpent Aux Cent Piques va prendre la Lance des Glaces ! L’authentique ! Regardez ça ! »
Elle nous prit chacun par un bras, qu’elle tira afin que nous nous hissions sur un rocher pour mieux voir. Au-delà d’une bonne centaine de Lancières rassemblées là, se tenait une des cultivatrices les plus réputées de la Secte des Glaces, Zabay, le Serpent Aux Cent Piques — ses longs cheveux verts tressés rappelaient un vrai serpent. Face à elle, plantée dans la roche même, se trouvait une lance flamboyante de grandes flammes bleues. La légendaire Lance des Glaces.
Ce n’est qu’alors que je compris la réaction de Biya quand je lui avais demandé si elles avaient déjà emporté la lance dans la forteresse… Elles n’avaient pas pu, car apparemment personne, jusque-là, n’avait réussi ne serait-ce qu’à toucher la relique.
Les Lancières retenaient leur souffle. Le Serpent Aux Cent Piques tendit une main, s’approchant de plus en plus des flammes. Elle toucha le feu glacé et nous entendîmes tous un bruit de glace se solidifiant. Elle s’approcha, s’approcha… Quelques centimètres à peine la séparaient du manche de la lance quand elle retira tout d’un coup sa main. Celle-ci était devenue d’un bleu cramoisi. La Lancière l’agita tout en se retournant vers ses consœurs avec un petit sourire d’excuse.
— « Le feu glacé est plus froid que je ne l’imaginais. »
Malgré son échec, ses yeux brillaient d’émotion d’avoir pu toucher les très légendaires flammes de feu glacé. Les autres Lancières soufflèrent, ahuries.
— « Quand je pense que même le Serpent Aux Cent Piques n’a pas pu toucher la lance… », fit Ceyra, ébahie.
Je m’accroupis sur le rocher et balayai les spectateurs du regard. On aurait dit que le Serpent Aux Cent Piques n’était pas la seule à avoir tenté sa chance ce matin. D’autres Lancières se succédèrent pour toucher la lance, mais aucune n’arriva à s’approcher autant que le Serpent Aux Cent Piques. Pourtant, à les voir, ce n’étaient pas des disciples, loin de là : sept des Dix Grandes Lances de la secte étaient présentes. Une soudaine rumeur s’éleva alors qu’un Lancier de petite taille mais aux longs bras s’avançait.
— « C’est Menzoul l’Archelance ! », nous dit Ceyra, la voix vibrante d’excitation. « Cet homme est capable de lancer une lance et d’atteindre une cible à cinquante mètres. Je l’ai vu, de mes yeux vu. Mais il n’est pas vraiment connu pour son contrôle de la Glace. Je ne pense pas qu’il puisse faire mieux que Zabay. »
— « Il a l’air d’avoir eu une idée », commenta Irami.
En effet, l’Archelance avait changé la pointe de ses deux lances par un crochet. Protégeant ses deux armes avec du ki glacé, il les plongea dans les flammes bleues, vers la Lance des Glaces, l’air de vouloir accrocher la relique… Aussi vite qu’un feu brûle un cheveu, les flammes bleues glacèrent ses armes et les firent éclater en mille morceaux, comme s’il s’était agi d’une fragile coupe en verre. L’Archelance ne cacha pas sa consternation.
— « C’était des lances en acier elfique », souffla une Lancière, non loin. « Incroyable. »
— « C’est donc ça, le feu glacé », murmura une autre, émerveillée.
Ceyra se retourna vers nous, l’air émue.
— « Vous avez vu ça ? Et dire que Melluga arrivait à manier cette lance ! »
L’émotion balayait le sommet du Croc. Je compris que ce jour-là allait longtemps rester dans la mémoire des Lancières. Après tout, le feu glacé, qu’elles pensaient à jamais perdu, se dressait sous leurs yeux, bien réel, accompagné de la lance de leur Fondatrice. Il restait à savoir si cet effet était voulu ou pas par la première fomentatrice de cet événement… Cependant, Yelyeh n’était naturellement nulle part en vue. Elle était peut-être même partie depuis longtemps.
Les Lancières s’étaient mises à tester des formations runiques pour calmer le feu glacé de la Lance des Glaces et, allongé sur mon manteau, j’étais en train de somnoler quand Ceyra proposa :
— « Vous avez faim ? J’ai chassé deux lapins ce matin, dans la forêt. »
— « J’ai une faim de démon ! », répliquai-je.
Je dévorai ma part tout en pensant : le Dieu du Croc a sa souris volée, le renard pourpre, lui, a un lapin !
Tout en mâchant, Irami gardait son regard rivé sur la Lance des Glaces. Ceyra me demanda :
— « Il n’est pas davantage dans les nuages que d’habitude ? »
— « Toi aussi, tu as cette impression. C’est peut-être parce qu’on est plus près des nuages, ici, au sommet du Croc. »
— « C’est logique », pouffa Ceyra. Elle se mit à ronger un os puis désigna soudain quelque chose derrière moi en disant : « Oh ! Y’a Yo-hoa qui arrive. Vous l’aviez laissé en arrière ? »
Tandis que le jeune disciple du Mont-Céleste sortait de la lisière de la Forêt de Glace et approchait, je relatai vite fait à Ceyra l’incident des Zalnes et de la Démon des Toiles.
— « Cette fichue démon », grogna Ceyra. « Que son âme se réincarne en pierre. »
Ç’aurait été bien beau.
— « Au fait, ta mère ne va pas essayer de prendre la Lance ? », demandai-je.
— « Quand je le lui ai demandé, elle m’a dit qu’elle préférait sa hallebarde. Je la comprends, mais, quand même, la Lance des Glaces ! Hé, hé, hé… »
Ceyra se mit à regarder la relique de sa secte avec un sourire admiratif. Je roulai les yeux et me tournai vers Yo-hoa alors que celui-ci, nous rejoignant, lançait avec un énorme sourire :
— « Mais quelle merveille ! Une lance pareille, il n’y a pas de doute, c’est la Lance des Glaces, n’est-ce pas ? Hahaha ! Je n’en reviens pas ! Cette relique ! Et ce feu glacé ! C’est un peu comme si Melluga était revenue parmi les vivants ! »
— « N’exagérons rien », souffla Ceyra, amusée.
— « Séliel a fait la grasse matinée ? », demandai-je.
— « Haha, non ! », assura Yo-hoa. « Il s’est levé tôt le matin et lui et moi avons monté le Croc comme des chevreuils. Il avait l’air pressé, mais je n’ai pas bien compris pourquoi. Quelque chose à voir avec des yeux de poisson. »
— « Yeux-de-Poisson, c’est Liuk. Il l’appelle comme ça », expliquai-je.
Yo-hoa rit sous le coup de la surprise.
— « Ah bon ! Je n’avais pas compris ! Je me disais bien que des poissons, dans la neige, il n’y en a pas des masses, hahaha ! Que je suis bête ! Mais, tu sais, maintenant que tu le dis, je comprends tout : d’après les Lancières qui gardaient l’entrée de la Forêt de Glace, Liuk était passé par là puis il était redescendu et avait pris le chemin de la Forteresse des Glaces. Du coup, Séliel est parti le rejoindre. Il a dit : “Et breink, la vie de bandit, c’était plus tranquille”. Ça m’a fait rire, mais, après coup, je me dis qu’il a bien un air de bandit, quelque part. »
Au moins, il n’avait pas un si mauvais esprit d’analyse. Je secouai la tête.
— « Le groupe de Mofafi a vu passer Liuk ? Il ne boitait pas ? »
— « Euh… Non. En tout cas, elles n’en ont rien dit. Pourquoi ? Liuk est blessé ? », s’inquiéta-t-il.
— « Hmm, rien de grave », fis-je. C’était toutefois étrange : le slime qui accompagnait l’Ogre du Jeu n’avait pas pu guérir complètement la cheville du prince. « Et l’officier impérial et ses hommes ? Ils étaient toujours là-bas ? »
— « Non, il n’y avait que les Lancières. »
Au moins Liuk n’était pas tombé nez à nez avec l’officier impérial. Enfin, de toute façon, je doutais que celui-ci puisse le reconnaître : un fonctionnaire comme lui n’avait probablement jamais vu un prince de sa vie.
À cet instant, des voix de victoire retentirent : quelques Lancières runistes avaient créé une barrière protectrice sur un gant et le Serpent Aux Cent Piques avait réussi à toucher la lance… mais le gant tomba vite en lambeaux et la cultivatrice retira vite sa main en criant de douleur. On se précipita autour d’elle. Ceyra revint vers nous en annonçant, soulagée :
— « Ce n’est rien ! Mais c’est bien parce que son niveau de cultivation est élevé. Elle aurait pu perdre quelques doigts. »
— « Serpent dans le pot-au-feu ne fait pas long feu », dis-je, jouant sur les mots.
— « Zangsa », me reprit Ceyra, choquée.
— « Désolé. C’est sorti comme ça. Mais Zabay va bien, c’est ce qui compte. »
— « Maître Karhaï me disait souvent, quand j’étais petit », intervint Yo-hoa : « qui se chauffe au feu, doit savoir qu’il brûle. »
— « Tu jettes de l’huile sur le feu, Yo-hoa », le prévins-je.
— « Non, non », protesta le Dauphin Rieur. « Je veux dire : peut-être que cette lance ne peut être touchée que par un cultivateur qui sait comment la manier. C’est une relique. Peut-être qu’elle a même hérité un peu de l’âme de Melluga et… Aïe. »
De son pied, Ceyra lui avait écrasé la botte.
— « La bêtise court comme le feu. Idiots. »
Je ris. Alors, soudainement, Irami dit :
— « On dirait que la lance a absorbé du ki. Elle est à peine visible à présent. On n’y voit que du feu. »
Je le regardai, battant des paupières. Avait-il contribué à mes jeux de mots exprès ou était-ce involontaire ? En tout cas, il disait vrai : le feu glacé avait l’air légèrement plus intense et c’était tout juste si l’on distinguait le manche de l’arme.
Irami se leva.
— « Puis-je m’approcher ? »
Je m’étranglai avec ma salive.
— « Tu es sérieux ? »
Mais comme Irami avait effectivement l’air sérieux, Ceyra proposa d’aller demander aux Grandes Lances. Celles-ci étaient d’accord pour le laisser s’approcher jusqu’à un mètre. Au-delà, ç’aurait été dangereux pour un non-pratiquant des techniques de Glace. Je fis une moue.
“Irami. C’est une idée de Sonju ?”
Après tout, le Fondateur des Nuages s’intéressait clairement à tout ce qui sortait de l’ordinaire : une dragonne-démon, un Dieu du Croc, et pourquoi pas une relique…
“Non”, assura mon ami. “Je veux juste voir quelle est la différence entre la glace divine de ce renard des neiges et le feu glacé de la lance. J’ai l’impression que cela m’aidera à comprendre davantage l’Art des Nuages.”
Oh. Était-ce pour cela qu’il était resté si songeur toute la journée ?
Alors qu’Irami s’arrêtait devant la lance et prenait son temps pour déchiffrer je ne sais quel mystère qui tournait dans sa tête, je jetai un coup d’œil au soleil. Il ne fallait pas que je tarde à sortir de là si je ne voulais pas provoquer davantage le Dieu du Croc.
Alors, la brise tourna légèrement et je la sentis. Je tournai la tête vers un gros rocher derrière moi. Je ne pouvais rien voir et sa présence était bien dissimulée, mais je sentais son odeur.
“Yelyeh ?”
“Zangsa. Qu’est-ce que tu fais ici ?”
Je reposai mon regard sur la Lance des Glaces pour ne pas trahir la dragonne invisible et, ravalant mon bonheur de la revoir, je dis :
“Yelyeh. Il y a quelque chose que je ne comprends pas.”
“Ça ne m’étonne pas, petit renard. De quoi s’agit-il ?”
Alors, je citai :
“Que reposent mille pièces d’or sur le sommet du Petit Croc et qu’étincellent cent lances sous le feu de la pleine lune : la Douce Tourmente reviendra aux descendants des Glaces.” Détournant les yeux d’une Lancière qui avait failli se glacer la main en s’aventurant trop loin dans les flammes, je levai mon regard vers le ciel bleu et conclus : “C’est le message que tu as laissé dans la boîte du Canyon des Brumes.”
“Aaah…”
“Tu avais oublié”, devinai-je.
“Et mince, oui. J’avais oublié les mille pièces d’or”, se tança la dragonne.
“Et le Petit Croc est devenu le sommet du Croc, et tu n’as attendu ni la pleine lune ni les cent lances”, complétai-je. “Tu as tout oublié, en somme.”
La dragonne claqua de la langue par voie mentale.
“Ne chipote pas. Ce message, je l’ai écrit il y a plus d’un siècle. J’ai le droit de changer d’avis. Et puis, j’ai rendu la lance et les Lancières sont contentes. Que demander de plus ? Elles devraient me mettre sur un piédestal !”
“Tu le réduirais vite en bouillie, ton piédestal.”
“Ha. C’est vrai. Figure-toi que je suis déçue. Je pensais que la Suprême des Glaces se grouillerait pour venir prendre la lance, mais non : elle envoie d’abord ses Grandes Lances se glacer les mains. Une Suprême des Glaces qui ne vient pas voir le feu glacé de plus près et ne quitte jamais sa forteresse n’aura dans l’âme que de la glace inerte et jamais de feu. Melluga se retournerait dans sa tombe si elle savait. Au fait”, ajouta-t-elle avec un petit rire satisfait, “hier soir, les flammes bleues ont dû être aperçues depuis très loin dans le ciel… peut-être même depuis les Hauts-Pics, tu ne crois pas ?”
Je pinçai mes lèvres, saisi. Les Hauts-Pics ? À l’entendre, on aurait dit que Yelyeh n’avait pas activé la Lance des Glaces et fait tout ce spectacle par simple goût artistique mais parce qu’elle avait voulu communiquer quelque chose aux dragons des Hauts-Pics des Montagnes Perdues… Mais n’était-elle pas justement en mauvais termes avec son clan ? Zaklan, le tigre des neiges scellé dans le mimosa, m’avait en tout cas laissé cette impression ; il était même allé jusqu’au point de m’avertir que Yelyeh encourrait un grave danger si elle avait l’idée de retourner à son berceau.
“Les Hauts-Pics, je ne sais pas”, avouai-je, “mais l’Œil Renversé a sûrement deviné que c’était toi, le dragon fantôme qui est apparu sur le Croc.”
“C’était un peu le but.” Ah bon ? La dragonne était amusée. “C’était une façon de leur dire : attention, si vous continuez à me déranger, je m’allie aux Grandes Sectes. D’ailleurs, Zangsa, j’ai une petite faveur à te demander.”
Je me redressai. Une faveur ? C’était bien la première fois que Yelyeh me demandait une faveur ! J’esquissai un sourire.
“Ça tombe bien, moi aussi.”
“Ho ?”
“En fait, j’ai à te parler de plein de trucs. Et je voudrais te présenter à Irami. Je lui ai parlé de toi.”
“Irami ? L’ami qui cultive l’Art des Nuages ?”
“C’est ça. C’est celui à la tunique blanche et bleue.”
“Celui qui vient de faire demi-tour… ? Ah !”, s’écria-t-elle soudain.
Je me raidis en comprenant que son sortilège d’invisibilité s’était défait un instant. J’eus la présence d’esprit de ne pas me retourner et demandai :
“Le coup de foudre ?”
“Zangsa ! C’est quoi, la corne qu’il porte à sa ceinture ? N’est-ce pas une corne de dragon ?!”
Ah. La corne. J’étais quelque peu rassuré. Posant une main désinvolte sur ma hanche, je répondis :
“Si. C’est une corne du Dragon Céleste. Le Fondateur des Nuages est scellé à l’intérieur. D’ailleurs, il voudrait te rencontrer.”
Il y eut un silence. Ce n’était pas courant de voir Yelyeh rester sans voix. Mais, après tout, elle avait admiré le légendaire Dragon Céleste depuis toute petite. Alors, elle lança :
“En voilà une surprise. Viens cette nuit à la Grande Falaise près de la Forteresse des Glaces. Il y a une grotte. Je laisserai une piste pour que tu puisses me trouver. Emmène Irami avec toi. Et la corne.”
“Entendu. Ah, j’oubliais : un vieux renard à trois queues m’a demandé de te dire qu’on allait avoir des problèmes si, toi et moi, nous ne quittions pas le sommet du Croc avant ce soir.”
“Pff. Dès qu’il a été nommé le Dieu du Croc, ce vieux renard spirituel s’est cru plus fort que moi.”
“L’est-il ?”, demandai-je, curieux.
Yelyeh grommela et répliqua sans répondre :
“Éduque un renard pour qu’il te pose des questions stupides. À cette nuit, Zangsa. N’oublie pas la corne.”
Elle coupa le lien de communication et partit. Je vis une Lancière tourner la tête, l’air d’avoir perçu quelque chose, mais, heureusement, elle n’alla pas chercher plus loin.
Quand Irami revint, Yo-hoa demanda :
— « Alors ? Tu as compris quelque chose ? »
Irami secoua la tête.
— « Certains mystères me dépassent. Mais qui veut saisir un nuage, saisira toujours le vide. Le temps viendra où je comprendrai. »
Sa certitude me fit sourire.
— « Il y a un temps pour tout », concédai-je. « Alors, maintenant, allons secouer nos méninges. Yo-hoa, viens. J’ai une petite astuce à te montrer. »
À la lisière de la forêt, je repérai un arbre tombé. Avec habileté, je découpai son écorce dure et résistante puis en fis une longue planche recourbée.
— « C’est fait ! Tu peux t’asseoir dessus. »
— « C’est un jeu de renards ? », demanda Yo-hoa, quelque peu perdu.
J’affichai un grand sourire et m’accroupis sur l’écorce, derrière lui, en disant :
— « Je ne sais pas, mais j’y jouais avec mon petit frère Shuyeh. Irami, tu viens ? Tu vas voir, c’est comme voler sur des nuages. »
Serein, Irami répliqua :
— « Allez-y, je vous rattrape. »
Je lui renvoyai un regard moqueur.
— « Tu penses pouvoir aller plus vite que nous ? Rêve toujours ! »
Et, donnant un coup de pied à la neige, je nous lançai, Yo-hoa et moi, sur la pente enneigée. Le Dauphin Rieur s’exclama, l’air content d’enfin comprendre :
— « Une luge ?! »
Nous prîmes de plus en plus de vitesse. Esquivant buissons et troncs, la luge volait littéralement au-dessus des ravins.
— « Hahaha ! C’est magnifique ! »
Vers la moitié du parcours, je croisai mes bras et dis :
— « Vas-y, Yo-hoa, je te laisse diriger ! »
— « Quoiiii ?! »
Il ne se débrouilla pas si mal. Nous terminâmes la course la tête la première dans la neige, pas très loin de la lisière, en aval. Les cheveux tout enneigés, Yo-hoa et moi nous regardâmes et éclatâmes de rire.
— « Haha, quelle descente ! »
À ce moment, à notre étonnement, Irami passa devant nous en glissant, debout sur une longue et fine tranche d’écorce. Un instant, je crus rêver. Puis je m’écriai :
— « Tricheur ! »
Je bondis sur mes pieds pour lui courir après. Bien sûr, je perdis la course.
Le soleil rougissait déjà le ciel et la neige. Irami freina en virant et s’arrêta avec élégance, hors de la forêt. Tandis que Yo-hoa nous rattrapait, il dit, l’air pensif :
— « Tu avais raison, Zangsa. La neige et les nuages ont des points simi… »
Il ne termina pas sa phrase et reçut ma boule de neige en pleine poitrine. Je me moquai :
— « Tu veux dire, la neige vole aussi ? »
Avant qu’Irami puisse réagir, depuis le groupe de Lancières en contrebas, Biya s’écria :
— « Les filles ! Une bataille de neige ! »
Ses consœurs s’animèrent aussitôt et nous vîmes fuser dans notre direction des dizaines de boules de neige. Sérieusement ?! Effectuant un pas de côté, je contournai Yo-hoa, qui arrivait, et me cachai derrière lui. Passée la surprise, Yo-hoa arriva à contrer presque toutes les attaques. C’est qu’il était doué, le Dauphin Rieur ! Quant à Irami… À cet instant, je le vis tomber à la renverse sous une grosse boule de neige. Je n’en crus pas mes yeux. Irami avait été terrassé par une boule de neige ? Puis, au grondement de Biya, je compris que la boule de neige avait été lancée par Mofafi. Incrédules, nous nous précipitâmes.
— « Irami ! »