Accueil. Zangsa : le cultivateur chamane

25 De fuite en fuite

C’est en pressant le pas
Que l’on arrive toujours trop tard.

Perzontes

*

La pluie tambourinait sur le toit de la véranda longeant le Jardin Blanc. Le vent avait soufflé toute la nuit et les fleurs blanches du pommier jonchaient le sol.

— « Le jour suivant, toute la cour était dessinée avec des marelles colorées. Et, en trois jours, le petit avait maîtrisé le mouvement. Alors que cela faisait un mois que je bataillais pour lui faire comprendre les pas ! »

— « Haha ! Comme quoi, chaque élève a sa façon de faire ! »

Assis face à face, Irami et moi échangeâmes un coup d’œil. Cela faisait déjà trois jours de suite que Maître Zéligar et Maître Ryol s’invitaient à boire le thé sur la véranda, devant la chambre d’Irami. Le premier, ça se comprenait : il venait voir comment se portait son cher disciple. Quant au deuxième, il disait s’inquiéter de ce chamane qui m’attaquait de ses arts vaudou… mais, tout ce temps, je n’avais reçu aucune attaque. À croire que le chamane avait perdu le bracelet.

Enfin, à présent, les deux professeurs parlaient d’un jeune instructeur, un certain Ak-Baé, surnommé le Scribe-Follet, venu de la République de Haotaheh observer les cours dispensés à l’Académie Céleste pour soi-disant apprendre les bonnes pratiques d’enseignement. Maître Zéligar et Maître Ryol en étaient arrivés à la conclusion que l’École de la Roue, d’où il venait, n’approuvait pas son inventivité. Pourtant, eux, semblaient plutôt séduits par cet Ak-Baé, malgré sa manie de ne pas demander d’autorisation avant d’agir. Maître Zéligar me jeta un regard perçant et avoua :

— « Ak-Baé me fait penser à toi, Zangsa, et sur bien des aspects. »

Je le regardai, prudent. Pourquoi ce ton menaçant sous-jacent ?

— « Euh… Tu y vas un peu fort, Maître Zéligar : je n’ai jamais gribouillé toute la cour d’entraînement, moi », protestai-je.

— « Certes. Tu préférais y planter des fraises. »

— « Sur les bords », me défendis-je. Cette année-là, les fraises que j’avais plantées s’étaient si bien nourries du ki des étudiants alentour qu’elles étaient devenues des fraises spirituelles. J’ajoutai, croisant mes bras : « Tu les as toi-même goûtées. »

Sans le nier, Maître Zéligar répliqua :

— « J’ai par contre failli ne pas goûter aux grandes baies célestes spirituelles. »

J’écarquillai les yeux et me tournai vers Irami, qui eut l’air gêné quand il expliqua par voie mentale :

“Il m’a vu manger la quatrième baie hier soir. Désolé, Zangsa.”

“Ne me dis pas qu’il t’a pris la dernière baie qui te restait ? Ce voleur !”

“Je la lui ai donnée”, assura Irami.

“Ce voleur !”, répétai-je cependant.

Je dardai sur Zéligar un regard noir. Celui-ci me le rendit, de ses yeux aussi verts que les nénufars — j’avais écrit une poésie sur eux, une fois. Habillé de sa longue tunique bleue bien soignée, avec ses longs cheveux bruns grisonnants attachés en une couette basse et cet air de secrétaire au port sévère, Maître Zéligar avait rarement besoin de paroles pour faire des remontrances. Pourtant, il ajouta :

— « Yo-hoa m’a tout raconté mais a accidentellement oublié le “grande” devant le mot “baie”. Et hier soir, quand j’allais souhaiter bonne nuit à Irami, que vois-je ? Une belle grande baie bleue regorgeant de ki ! »

Je me levai en protestant :

— « Tu as osé t’emparer d’un cadeau que j’ai fait à ton disciple blessé ? Je suis choqué ! La gourmandise te perdra, Maître Zéligar ! »

— « Tu oses me parler de gourmandise alors que tu as dévoré tout un arbuste de baies quasiment légendaires ? », rétorqua Zéligar. « Te rends-tu seulement compte du gaspillage ? Une baie pareille a besoin de cinquante ans révolus pour arriver à maturité. Cinquante ans ! Une telle cueillette aurait dû se faire dans le plus grand des respects. »

Ses yeux jetaient des éclairs. Cinquante ans, quand même… Je dois dire que j’ignorais qu’elles étaient si rares que ça. Je me réfugiai derrière le vieux Ryol en protestant :

— « N’importe quelle bête passant par là aurait dévoré toutes les baies. »

— « Dois-je présumer que toi et Yo-hoa vous conduisez comme des bêtes ? »

— « Allons, allons », intervint Maître Ryol en lissant sa longue barbe blanche, assis face à Zéligar. « Les garçons avaient faim. Les anciens sages ne disent-ils pas : quand tu as faim, mange ; une fois repu, tu pourras t’atteler à des tâches plus profondes. »

Je passai mes bras autour de son cou.

— « Maître ! Tu me comprends ! »

— « Hoho. Affreusement bien. Tu ne m’appelles maître que quand ça te chante. »

Zéligar était sur le point de contrer l’argument de Maître Ryol quand la porte de la chambre d’Irami s’ouvrit à la volée et Yo-hoa apparut en s’écriant :

— « Zangsa ! C’est terrible ! »

— « Et voilà le deuxième gobeur de baies suprêmes », souffla Zéligar.

Alors, Yo-hoa aperçut les deux maîtres et se reprit en saluant poliment, puis il répéta :

— « Zangsa… »

Ça avait l’air urgent. Je m’empressai de quitter la véranda d’un pas léger en disant :

— « Je vous laisse à vos tasses de thé. Mais laissez quand même Irami se reposer un peu, hein. Le temps d’un blessé est précieux. »

Prenant Yo-hoa par les épaules, je le fis sortir de la chambre en écoutant Zéligar grogner :

— « Impertinent. Le temps d’une baie aussi. Cinquante ans. »

“Elles étaient délicieuses”, lui dis-je par voie mentale.

“Je sais”, répliqua-t-il.

Je roulai les yeux en refermant la porte. Maître Zéligar n’était pas vraiment en colère. Il était seulement dépité de l’usage primitif que Yo-hoa et moi avions fait des baies. Je me demandais si, d’ailleurs, il avait fait les mêmes remontrances au Dauphin Rieur quand celui-ci, s’arrêtant dans le couloir, dit, l’expression très embêtée :

— « Zangsa… C’est Bwi. Il dit qu’il va quitter l’Empire ! »

Je clignai des yeux.

— « Quoi ? »

* * *

Alors que nous traversions le Jardin des Mares qui menait au pavillon réservé aux visiteurs passagers, je hochai la tête.

— « Je vois. En résumé… »

Je m’arrêtai pour regarder, à travers la pluie battante, une grenouille attraper un insecte égaré. Elle croassa et disparut entre les joncs. Un parapluie en bambou à la main, je soupirai. Après une gaffe de Yo-hoa mentionnant la vieille Belda, Bwi avait appris qu’il l’avait espionné à Shinziyah et qu’il avait assisté à sa conversation imaginaire. Qui sait s’il se sentait honteux, trahi ou dégoûté, en tout cas il s’était fâché et avait déclaré qu’il ne partirait pas au Mont-Céleste, qu’il irait à l’École de la Roue en tant que disciple de l’instructeur Ak-Baé. Entendre à nouveau le nom de ce cultivateur me chiffonnait un peu.

— « En résumé, j’ai perdu sa confiance », s’attrista Yo-hoa. « Ce dont ce garçon avait tant besoin, et je lui ai failli… »

Il était rare de voir le Dauphin Rieur si abattu. De son parapluie incliné, des filets d’eau s’écoulaient, détrempant son uniforme noir du Mont-Céleste. Je tendis un bras et lui tapotai l’épaule.

— « Yo-hoa. Je ne crois pas que tu aies perdu sa confiance. C’est plutôt lui qui a perdu la sienne. »

Je poursuivis mon chemin vers la véranda qui entourait l’édifice principal. Yo-hoa me suivit, confus.

— « Qu’est-ce tu veux dire, la sienne ? »

Enfin à l’abri de la pluie, je repliai mon parapluie et le laissai dans un bac avec d’autres, puis répondis :

— « Le mieux, c’est de lui demander. Je te suis. »

Yo-hoa me guida à l’intérieur et frappa doucement à une porte. Personne ne répondit. Il frappa à nouveau un peu plus fort. Silence. Puis il dit :

— « Bwi. Tu es là ? »

Il ne voulait pas répondre ? J’approchai mon nez des fentes et perçus l’odeur bien récente de Bwi. J’étais presque sûr qu’il était à l’intérieur. Alors, une voix lança depuis l’intérieur :

— « Vous vous trompez de porte, insolents ! Je dors ! »

Je m’arrêtai net. C’était la voix de Karhaï, le directeur de l’Académie, lointain parent du Suprême des Deux-Pôles, époux de la sœur du Suprême du Mont-Céleste, instructeur de littérature et de maîtrise du ki et… maître personnel de Yo-hoa. Ce dernier s’était redressé et il s’écria d’instinct :

— « Pardon, Maître ! »

— « Incroyable », soufflai-je. Et je fis coulisser la porte en lançant joyeusement : « Bonjour, Bwi ! »

Le gamin était en train d’enjamber l’encadrement de la petite fenêtre de la chambre — sauf qu’il avait du mal, avec sa jambe boiteuse. Sous son regard frustré de nous voir le prendre ainsi en fuite, je traversai la petite pièce en m’écriant :

— « Tu as un don, Bwi ! Un don ! » D’un bond, je m’assis à califourchon de l’autre côté de la fenêtre tout en le louant : « Tu imites la voix de Maître Karhaï mieux que moi, qui le connais depuis huit ans. Et tu as même trompé Yo-hoa, qui est un de ses disciples ! Fabuleux. »

Bwi dévisagea mon visage souriant. Il souffla de côté.

— « Tu te moques de moi ? »

— « Hé. » Je croisai mes bras. « Non. Penser que je me moque de toi pour ça est plus ridicule que de faire parler des morts. »

Les yeux rouge sang de Bwi étincelèrent de fureur.

— « Toi aussi, tu m’as espionné ? », cracha-t-il. Au-delà de sa colère, sa honte et sa peur étaient latentes.

Je haussai les épaules.

— « Remercie-moi. J’ai aidé Yo-hoa à neutraliser trois gaillards qui te suivaient pour te donner en pâture à un tigre-démon au joli nom de Sarry. Tu es un gamin chanceux. N’est-ce pas, Yo-hoa ? »

Le jeune cultivateur était resté sur le pas de la porte, l’air timide, mais il hocha la tête et finit d’entrer, refermant la porte derrière lui tandis qu’il renchérissait :

— « Tout à fait ! J’ai aussi assommé deux autres goujats en noir sur le retour. Je ne voulais que te protéger », insista-t-il.

Bwi était ahuri. Et je ne l’étais pas moins.

— « Il y en avait deux autres ? Et habillés en noir ? » Des sbires de l’Œil Renversé ? Je soufflai : « Tu ne m’en avais rien dit. »

Yo-hoa cligna des yeux.

— « Ah… Héhé… J’avais oublié et je viens de m’en souvenir », reconnut-il avec un rire gêné. J’avais du mal à imaginer comment il avait pu oublier une chose pareille. C’était comme s’il s’était débarrassé de deux mouches gênantes. Le Dauphin Rieur n’était assurément plus le jeune étudiant maladif d’il y avait deux ans. Maintenant que j’y pensais, je ne l’avais encore jamais vraiment vu combattre depuis qu’il s’était remis de son blocage de ki.

En tout cas, si ces sbires avaient été envoyés pour Bwi, qui sait si pour le capturer ou le tuer… cela voulait dire que le garçon les dérangeait plus qu’un simple petit témoin. Avait-il vu ou entendu quelque chose de compromettant sans que peut-être lui-même en soit conscient ?

Le garçon était resté muet. Comme je m’y attendais, Yo-hoa ne lui avait pas tout raconté et sa noble idée de le protéger avait été interprétée par l’esprit du gamin comme un grossier « espionnage ».

Je jetai un coup d’œil à la grande cour intérieure, où menait la fenêtre sur laquelle nous étions assis. La pluie tambourinait contre les dalles. Le bruit n’était cependant rien en comparaison avec le Cascadeur. Je pliai une jambe, posai un coude sur le genou, puis mon menton sur le bras, et regardai Bwi.

— « Alors, comme ça, tu pars avec Ak-Baé ? »

Le garçon ne répondit pas. Il posa une main tremblante sur ses yeux, encore sous le choc. Il murmura :

— « Alors… Vous m’avez protégé ? »

— « Je ne t’ai suivi que pour ça ! », assura Yo-hoa, s’avançant encore.

— « Il dit vrai », ajoutai-je. « Moi, j’allais te laisser partir tout seul, mais Yo-hoa a voulu te suivre pour s’assurer que tu n’étais pas en danger, où que tu ailles. »

— « Crois-moi, je ne pensais pas t’espionner, Bwi, et, de toute façon, pour rien au monde je ne me moquerais de ce que j’y ai vu. »

— « De ce que tu as entendu, plutôt, Yo-hoa : tu as cru qu’il parlait vraiment avec la vieille Belda jusqu’à ce que je te détrompe le jour suivant. Et tu es retombé dans le piège juste à l’instant avec Maître Karhaï », lui fis-je remarquer en pouffant.

Alors, nous entendîmes un sanglot étouffé. Derrière sa main, Bwi pleurait. Zut. Était-ce parce que j’avais mentionné la vieille Belda ? Puis je compris que non quand il sanglota :

— « Désolé, Yo-hoa. Je t’ai dit des trucs horribles. Désolé… »

Les yeux brillants de larmes, le jeune cultivateur du Mont-Céleste passa une main sur les cheveux blancs en bataille de Bwi.

— « C’est moi qui suis désolé de ne pas avoir expliqué les choses correctement. »

Ça, tu l’as dit. Je souris puis me laissai glisser au-dehors et les laissai à leur réconciliation. Yo-hoa était peut-être devenu un maître du ki, mais il paniquait tout de suite quand un gamin lui disait qu’il le détestait et courait me demander de l’aide pour un rien. Je roulai les yeux puis me rappelai son expression figée quand il avait entendu la voix imitée de Karhaï et, déjà loin dans la cour, je pouffai doucement. J’allais devoir raconter ça à Irami. Mais avant ça…

* * *

Sous le grand préau du Pavillon Céleste, une vingtaine d’élèves de première année écoutaient les instructions du Scribe-Follet.

Ak-Baé avait les cheveux verts, une couleur pas si rare dans le sud et courante parmi les membres du clan des Tang. Il portait une toque grise sur la tête et un grand manteau orange ourlé de noir. Le bout de ses doigts était noirci, une caractéristique intrinsèque des Tang, qui passaient de longues heures à manipuler des poisons. Son visage était si jeune que je l’aurais pris pour un élève s’il n’avait pas été en train de donner des consignes pour réaliser les Pas Brisés, une technique de méditation en mouvement. À ma surprise, derrière lui, Benod imitait chacun de ses mouvements.

“Tu es devenu assistant ?”, lui demandai-je par voie mentale.

Sans même tourner la tête, Benod répondit calmement :

“Maître Vulnia m’a demandé de superviser ce jeune instructeur pendant qu’elle examine la boîte avec Ceyra.”

La boîte de la Lance des Glaces ? Les deux Lancières étaient encore en train de l’examiner ? Je n’avais pourtant pas l’impression que la boîte renferme tant de mystères que ça.

Je m’adossai à un pilier et observai Ak-Baé avec une moue curieuse. Pourquoi Maître Zéligar disait-il que nous nous ressemblions ? Nous ne nous ressemblions en rien en apparence, si ce n’est qu’il n’était pas beaucoup plus grand que moi. Et quelques minutes d’observation me suffirent à comprendre qu’il avait non seulement une patience bien plus développée que la mienne pour enseigner mais aussi une concentration qui lui permettait de repérer les erreurs que faisait chacun des élèves. Alors qu’un élève perdait l’équilibre et manquait s’affaler, il corrigea son faux pas avec une métaphore :

— « Ne jette pas la flèche avant de bander l’arc. Chaque chose en son temps. Les pas, effectués dans l’ordre, deviendront peu à peu naturels comme ton pinceau qui trace l’alphabet. On recommence. »

Ma moue s’accentua. Zéligar s’était moqué de moi : cet Ak-Baé était un parfait instructeur. Nous nous ressemblions comme une poule et un veau.

Enfin bon, l’interaction avec ses élèves était tout ce qui m’intéressait : ceux-ci semblaient le respecter et l’écouter très attentivement. Si jamais Bwi partait quand même avec lui à l’École de la Roue, il n’y perdrait probablement pas son temps.

J’allais m’éloigner quand, laissant les élèves à leurs mouvements, Ak-Baé se rapprocha de moi, les bras derrière son dos. Mince. Je n’avais nulle intention de lui parler.

— « Excuse-moi, tu ne serais pas, par hasard, Irahayami ? »

Hoho. Qu’on me prenne pour mon cher ami m’amusa aussitôt. Je hochai gravement la tête.

— « Tu me connais ? »

Les yeux d’Ak-Baé, aussi verts que ses cheveux, luisirent. Le jeune instructeur inclina la tête en saluant respectueusement… puis hésita en me regardant à nouveau.

— « C’est vraiment toi, l’Épée Filante Qui Danse ? »

Je détournai le regard vers la pluie qui, à présent, s’était transformée en une fine bruine et je dis avec l’humilité propre à mon cher ami :

— « Un titre fort vaniteux. »

— « Mais, à ce qu’il paraît, bien mérité ! », répliqua Ak-Baé. Il fit un pas de côté pour se placer sous mon regard et montra un sourire confiant. « Je me présente. Je suis Ak-Baé Tang, de l’École de la Roue en Haotaheh. J’ai dispensé des cours à l’Académie pendant un an sous la supervision de professeurs aussi intéressants les uns que les autres. Je retournerai à mon École dans un mois. C’est pourquoi… Enfin, je vais peut-être demander une faveur trop grande, mais… nous ferais-tu l’honneur de nous montrer la Première Forme des Nuages ? »

Immédiatement, les élèves se tournèrent vers nous, enthousiastes à l’idée d’assister à la performance d’un ancien élève modèle de l’Académie, qui plus est le seul à maîtriser les mythiques arts des Nuages… Je cachai ma grimace derrière une main et me morigénai. J’imaginai Irami me disant : « Tu l’as bien cherché ». Depuis l’autre bout du préau, Benod m’envoyait une expression qui en disait autant. Je souris quand même et frappai ma paume de mon poing.

— « Je me présente. Je suis Zangsa. Enchanté et… désolé pour la plaisanterie ! »

Je m’en allai déjà à pas légers sous la pluie. Un élève s’écria :

— « Zangsa ! J’ai entendu parler de lui ! C’est le Sage Ivrogne ! »

— « Le Sage quoi ? », pouffa un autre.

— « Ah, oui, tu te souviens, Maître Ryol en parle comme d’un élève prodige. »

Oh ? Maître Ryol, désolé de t’avoir ignoré tant de fois ! songeai-je, tandis que je m’éloignais. La dernière phrase que j’entendis venait d’une voix féminine :

— « D’ailleurs, il rappelle un peu Maître Ryol. »

Cette réflexion me frappa comme une flèche. Qu’est-ce que ce vieux cultivateur qui disait toujours « hoho » en se lissant la barbe avait en commun avec moi ? Nous étions tous les deux férus de sceaux runiques et de barrières de ki, c’était tout.

J’arrivai de retour chez Irami, un peu vexé et bien content de voir que Maître Zéligar et Maître Ryol étaient déjà partis. Irami dormait, preuve que son corps lui demandait encore du repos pour sa blessure. Je sortis dans le Jardin Blanc. Il ne pleuvait plus et les rayons de soleil se frayaient un chemin entre les nuages. J’aperçus le bout d’un arc-en-ciel au-delà du mur et grimpai sur l’abricotier pour le voir se perdre dans la vallée boisée, en contrebas.

Je ne me rendis compte que je m’étais assoupi que lorsqu’à la nuit tombée, j’ouvris les yeux et aperçus un éclat métallique près de ma gorge. La voix d’Ak-Baé, comme sortie d’un rêve, me lança :

— « Tu n’es pas le Sage Ivrogne. Qui es-tu ? »