Accueil. Zangsa : le cultivateur chamane
Apprendre, c’est souvent désapprendre.
Zimance, Fondateur de la Secte de la Balance
*
L’auberge qu’avait trouvée Ceyra n’appartenait pas, d’après les Mendiants, au Baron Étoilé mais au Clan des Ignobles, une sorte d’organisation qui regroupait des gens, petits commerçants, taverniers, artisans sans beaucoup de moyens mais désireux de fuir les griffes des grands propriétaires. C’était une auberge à l’ancienne mais propre et munie d’une source d’eau chaude qui alimentait deux thermes, un pour les hommes, un pour les femmes.
Je respirai la fragrance des arbres qui poussaient dans le jardin de l’auberge. Un pin, un cerisier en fleur, plus l’oranger des thermes… Quand nous étions sortis visiter le jardin, nous avions aperçu le vieux père de l’aubergiste en train de tailler avec soin un magnifique groseillier qui perdait déjà ses fleurs roses. Nous voyant à son tour, il s’était relevé en essuyant la sueur de son front et nous nous étions poliment salués.
— « Saviez-vous », avait-il dit alors, « que, pour tailler un groseillier à fleurs, on coupe en priorité ses branches les plus vieilles ? La nature est impitoyable. »
Il avait ri, son visage ridé rayonnant d’une sagesse peut-être aussi profonde que celle des plus vieux cultivateurs. J’avais aussitôt aimé cet endroit. Comme disait Maître Zéligar : l’amour de la terre rend l’âme fertile.
— « Hahaha ! Qu’est-ce qu’on est bien ici ! », rit Yo-hoa. Tout nu dans l’eau presque brûlante, il avait cependant gardé son bandeau noir à l’œillet rouge brodé du Mont-Céleste.
Assis dans l’eau chaude, contre un grand rocher, je me prélassai, sentant la somnolence peu à peu me gagner. Je demandai :
— « Yo-hoa. Tu ne disais pas que tu venais de visiter la Secte de la Balance ? Tu n’as pas eu le temps d’entrer dans leurs thermes ? »
— « Ah, si, bien sûr ! Mais voilà, on se lasse rarement de ce qui est bon », rit-il tranquillement.
Je souris largement.
— « Ça, c’est bien vrai. Et puis, ce n’est pas au Croc des Glaces que tu vas trouver des thermes comme ça. »
— « Hahaha ! Tu l’as dit ! Mais je voudrais quand même bien voir leur fort imprenable. Quand nous aurons trouvé cette lance, je continuerai mon Tour des Sectes et visiterai les Glaces. »
— « Pense à prendre un traîneau : la descente est sympa. »
— « Il n’y a que toi pour descendre le Croc en traîneau, Zangsa ! », répliqua la voix de Ceyra, derrière la palissade qui séparait les deux thermes. « Au fait, Pok ! Je t’ai laissé de nouveaux vêtements dans ta chambre. »
Pok leva légèrement la tête. Il était assis, les genoux repliés dans l’eau, près du bord, sous la branche d’un oranger dont la fragrance envahissait tous mes sens. Voyant que le garçon ne répondait pas, je lançai à l’adresse de Ceyra :
— « Pok ne t’entend pas, il s’est noyé ! »
— « J’ai entendu ! », répliqua Pok, exaspéré. « Mais je ne veux pas de ces vêtements. »
Son ton était catégorique. Yo-hoa souffla, étonné.
— « Pourquoi ça ? »
Pok haussa ses frêles épaules, où l’on devinait encore les traces de bleus.
— « J’aime pas les dettes. »
Les dettes ? Yo-hoa et moi échangeâmes un regard face à l’absurdité de son raisonnement, mais nous ne pûmes nous résoudre à en rire. Pok ajouta :
— « Et puis, l’argent, vous le sortez d’où, vous, les cultivateurs, pour payer tout ça ? Vous travaillez pas : vous méditez et vous vous entraînez toute la journée. Quand on y pense, c’est louche. »
Sa vision du monde de la cultivation était si clichée, même après quatre jours passés à nous accompagner… Non pas qu’elle soit si éloignée de la vérité que ça. J’eus une moue amusée. En tout cas, ce garçon ne mâchait pas ses mots. J’avouai :
— « Moi, personnellement, je n’ai plus un rond. C’est Ceyra qui a tout payé. » J’avais dépensé mes derniers sous et une partie de ceux d’Irami à acheter à manger pour mes deux pauvres victimes emprisonnées dans le Bois de Bambous.
Yo-hoa acquiesça en souriant.
— « Ça arrive de se retrouver sans rien, bien sûr. Mais enfin, on n’utilise pas ou très peu l’argent entre nous, alors, forcément, on en a souvent assez quand on a besoin de voyager de par le monde. »
Sans surprise, son explication confondit Pok encore plus. J’intervins :
— « Ce qu’il veut dire, c’est qu’un cultivateur manque rarement d’argent, car il en utilise rarement. »
— « Ça veut rien dire, ça », souffla Pok. « Vous vous moquez de moi ? »
— « Pas du tout ! », assura Yo-hoa, surpris. « En tout cas, tu peux sans honte accepter ces vêtements sans rien devoir à Ceyra. Le seul vrai cadeau est celui qui n’attend rien en retour. »
— « Tout à fait ! », approuva Ceyra derrière la palissade. « Alors prends ces vêtements, à moins que tu veuilles que je te glace les oreilles ! »
Je renchéris :
— « Ou à moins que tu veuilles entrer dans la Secte des Mendiants. Ils aiment bien s’habiller en haillons. Montre aux autres la misère pour qu’ils n’oublient pas la pitié, disent-ils. »
Pok ne répondit pas mais, de retour dans la chambre, il enfila la tunique, de couleur brune, et le pantalon.
* * *
Après dîner, l’auberge se plongea peu à peu dans le silence. Assis sur le toit du bâtiment, sous le croissant de lune, Yo-hoa et moi partagions une jarre d’infusion d’œillet céleste. C’était la boisson préférée de Yo-hoa ; alors, évidemment, il n’était pas parti du Mont-Céleste sans en emporter un gros bocal empli de pétales secs.
L’auberge se situait sur le bord du vieux cratère, sur la partie élevée qui encerclait la cité, et, depuis là, nous pouvions voir la marée de toits et les lanternes qui illuminaient les grandes avenues. M’allongeant sur les tuiles, je humai les parfums du jardin de l’auberge. Je me demandai si Irami avait découvert quelque chose d’intéressant sur la Secte des Nuages…
Alors, mon flair perçut l’odeur de Pok. Le garçon quittait l’auberge en catimini.
À peine une heure plus tôt, nous avions laissé Pok dans la chambre avec Benod. Le moine dormait depuis longtemps : il avait passé la fin d’après-midi à aider le vieil homme de l’auberge à tailler les groseilliers et avait ensuite partagé une tasse de thé avec lui avant de se retirer au lit à l’heure où les renards commencent tout juste à penser à chasser. Il n’avait sûrement même pas entendu Pok s’en aller.
Je croisai une jambe sur l’autre en soupirant intérieurement. Yo-hoa allait être déçu, mais la décision ne lui revenait pas.
— « Zangsa », fit alors Yo-hoa, rompant le calme silence. « Que penses-tu de Pok ? »
Je haussai légèrement les sourcils.
— « Pourquoi cette question ? », fis-je. Avait-il remarqué l’escapade de Pok ou parlait-il de lui par simple coïncidence ?
Yo-hoa sirota sa tasse, les yeux tournés vers la cité nocturne.
— « Ce n’est pas mon imagination. Le garçon porte une blessure au cœur bien plus profonde que celle que je portais dans mon enfance. Hier, il m’a raconté un peu sa vie jusque-là. Il passait ses journées à alimenter et à soigner les bêtes et dormait sur le sol en pierre entre les cages. Une vie d’esclave. »
Il y eut un silence.
— « S’il boite, c’est parce qu’un jour, quand il n’avait que six ans, un des dompteurs lui a tranché le tendon pour qu’il ne puisse pas s’échapper. » Yo-hoa leva les yeux vers les étoiles. « Ce monde est empli de cruautés. Alors », sourit-il, se tournant vers moi, « je lui ai promis de lui montrer la beauté de ce monde. Je voudrais bien voir cette blessure se cicatriser un jour. »
Mon cœur se serra à ces mots. Yo-hoa était prompt à faire des promesses, mais, à son honneur, il les tenait toujours. Je me rassis sur le toit en disant :
— « Il est parti. »
Yo-hoa cligna des yeux.
— « Quoi ? »
— « Il y a quelques minutes, il est sorti de l’auberge et il est parti. »
— « Qui ? »
— « Le gamin. »
Yo-hoa renversa son infusion d’œillet céleste et répéta en se levant d’un bond :
— « Quoi ?! Mais pourquoi ? »
— « Je ne suis pas devin. Tu vas le rattraper ? »
— « Évidemment ! As-tu oublié que des démons sont à ses trousses ? »
C’était vrai. Mais à quoi bon le tuer à présent qu’il avait été interrogé par les Moines d’Amabiyah ? Enfin, l’Œil Renversé était plein de démons rancuniers et assoiffés de sang, alors, on ne savait jamais…
Je descendis du toit sur les talons d’un Yo-hoa empressé. Nous traversâmes le jardin et quittâmes l’auberge.
Je m’attendais à rattraper Pok plutôt rapidement, mais je me trompai : une fois entrés dans les ruelles de la ville, suivre quelqu’un à la trace n’était pas tâche facile. Heureusement, j’avais mon flair.
Nous parcourûmes un bazar encore bondé et je faillis perdre l’odeur de Pok. Puis nous arrivâmes à l’entrée d’une rue gardée par trois gaillards. Au-delà, on pouvait voir des femmes richement habillées accrochées aux bras d’hommes ou cherchant des clients. C’était le Quartier Rouge. S’en rendant compte, Yo-hoa eut un mouvement de recul. Les trois gardiens nous regardèrent et notre apparence parut leur plaire, car l’un d’eux nous fit signe d’entrer.
— « Passez une bonne soirée, les jeunes ! »
Pok était indubitablement à l’intérieur du quartier. Je murmurai à Yo-hoa, amusé :
— « Le Mont-Céleste est si isolé qu’il est peut-être allé faire ses adieux à la vie mondaine ? »
— « J’en doute fort. »
Sa réplique catégorique m’arracha un sourire. Yo-hoa s’était bien attaché à ce garçon, en ces quelques jours.
En tout cas, je doutais aussi que Pok soit allé au Quartier Rouge pour une raison si banale. De plus, d’après mon flair, il n’était pas passé par l’entrée principale mais par un trou du mur qui encerclait le quartier : nous le trouvâmes peu après nous être excusés auprès des gardiens et avoir passé notre chemin. Je m’arrêtai, saisi, pour regarder ce trou caché derrière un grand oranger.
— « Qu’y a-t-il ? », demanda Yo-hoa.
— « Ah… J’ai comme l’impression que je suis déjà passé par là. Oui, pour une escapade en ville… »
Yo-hoa me dévisagea.
— « Je pensais que ton village d’enfance était perdu dans les montagnes… Tu viens de ce Quartier Rouge ? »
Je secouai la tête, amusé.
— « Non. Mais je suis passé par ce quartier avec mon grand-père, il y a… dix ans. Oui. Ça fait déjà dix ans. »
— « Avec ton grand-père ? », toussota Yo-hoa.
Ah, mince. Yo-hoa ignorait que mon grand-père était maître vaudou. Enfin, je n’avais nulle raison de le lui cacher. Alors, tandis que nous nous insinuions dans l’enceinte du Quartier Rouge par l’étroit passage, je lui dis :
— « Nous y sommes allés pour défaire une malédiction. Mon grand-père était un chamane. »
— « Un chamane ? »
— « Un vrai. Ses compétences en matière de nœuds énergétiques n’avaient rien à envier à celles de la Secte des Esprits. »
— « Il est mort ? »
— « Depuis maintenant neuf ans », répondis-je, avançant d’un pas léger dans la ruelle qui longeait le mur. « Enfin bon, c’est un an plus tôt que nous avons entendu l’histoire de la Pagode Hantée du Quartier Rouge. La reine du quartier offrait une nuit passée avec elle et vingt pièces d’or à qui serait capable de tuer le démon qui tourmentait avec d’horribles cauchemars toutes les filles et les clients qui dormaient dans la Pagode des Dahlias », racontai-je.
— « Un démon ? », répéta Yo-hoa, sceptique.
— « C’était en fait un nœud énergétique qui s’était formé naturellement », expliquai-je. « Mais, tu sais, les démons, c’est plus effrayant. Alors, mon grand-père et moi avons attendu que la queue de tueurs de démons, de charlatans et d’adulateurs de la reine se réduise, puis nous sommes allés la voir. Et mon grand-père lui a dit : “je me chargerais bien de ce démon pour cinquante pièces d’or. Quant à la nuit offerte, je m’en excuse, mais je ne voudrais pas que feu mon épouse m’envoie une malédiction depuis l’au-delà”. »
L’amusement et la curiosité de Yo-hoa étaient manifestes. Nous arrivions à un grand jardin parsemé d’étangs, de pavillons et de petits ponts. Quelques couples se promenaient là, perdus et distraits dans leur éphémère romantisme. Je suivis des yeux les mouvements d’un gros poisson rouge faiblement illuminé par les lanternes puis levai les yeux vers la belle maison pagode qui se dressait un peu plus loin, au-dessus des autres édifices du quartier.
— « Ah. La voilà. La Pagode des Dahlias. »
— « Tu dis, celle-là, là-bas ? C’est un bel édifice. »
J’acquiesçai.
— « La Pagode des Dahlias était pourtant la terreur de tout le Quartier Rouge il y a dix ans. »
Tandis que nous traversions le jardin, je relatai brièvement comment mon grand-père avait durement travaillé à défaire le nœud énergétique : il avait dû construire une formation runique autour de tout l’édifice puis repérer les nœuds les plus faciles à briser avant de défaire le gros nœud qui maintenait la malédiction en place. Il avait mis deux semaines à terminer, sans quasiment traîner pour profiter des banquets, et la reine l’avait récompensé avec cent pièces d’or.
— « Cent pièces d’or », répéta Yo-hoa. Il avait l’air d’avoir du mal à se les représenter.
— « Mon grand-père n’en croyait pas ses yeux », affirmai-je. Je me penchai pour humer le parfum d’un rosier en fleurs, puis je me redressai et ajoutai : « Malheureusement, des bandits nous ont tout pris à peine sortis de la ville. »
— « Ça alors ! Ils ont tout volé ? »
— « Je m’en souviens bien. Ils ont même brûlé les instruments vaudou de mon grand-père. »
— « Non ! »
— « Si. J’étais mort de rage. »
— « Toi, Zangsa ? », souffla Yo-hoa avec incrédulité.
Comment ne l’aurais-je pas été après avoir vu mon grand-père travailler aussi durement ? Je n’avais alors que treize ans et j’avais fondu en pleurs devant mon impuissance. Ma colère m’avait poussé à faire ma première poupée vaudou vraiment réussie mais, voilà, mon grand-père m’avait arrêté. “Tu n’es même pas sûr que ces cheveux appartiennent aux bandits”, m’avait-il dit. “Réjouissons-nous d’être encore vivants. On ne sacrifie pas la vie pour des pièces d’or. Si tu arrives au moins à comprendre ça, Zangsa, mon travail n’aura pas été vain”.
Il avait beau dire, mon grand-père venait de la très malfamée tribu des Chamanes des Cimes, réputée pour son esprit particulièrement vengeur. La nuit venue, sans m’avertir, il avait suivi la trace des cheveux et, s’étant assuré de leur provenance, avait maudit les voleurs. Je n’aurais probablement rien su si Naravoul ne m’avait pas réveillé en revenant à notre petit camp, se prenant les pieds dans un des pièges que nous avions posés au cas où. Il n’avait pourtant pas voulu me parler du sort des bandits et avait seulement dit : “Tch ! Si je pouvais retourner en arrière, je ne me serais pas donné la peine de défaire cette malédiction dans le Quartier Rouge !” Enfin, le connaissant, j’étais sûr qu’il avait laissé un souvenir indélébile à ces bandits.
De tout ceci, je ne dis rien à Yo-hoa et, quittant le jardin, je m’enfonçai dans une ruelle déserte et sortis quelque chose d’un des petits sacs attachés à ma ceinture.
— « Qu’est-ce que c’est ? », demanda Yo-hoa, curieux.
— « Un cheveu de Pok. J’ai perdu son odeur. »
C’était peut-être à cause des fleurs parfumées du jardin. Yo-hoa s’accroupit à mes côtés, enthousiaste.
— « N’est-ce pas là une pratique vaudou ? C’est ton grand-père qui te l’a apprise ? »
— « Les chamanes de la Secte des Esprits le font aussi. »
— « Je sais ! », rit Yo-hoa. « Je sais aussi que tu es le premier disciple de Maître Ryol. »
Je tiquai. Maître Ryol était un professeur de l’Académie Céleste, un Doyen de la Secte des Esprits et un cultivateur runiste. Depuis des années, il s’autoproclamait mon maître alors que je ne l’avais jamais accepté comme tel. Certes, il m’avait appris l’Art Profond des Sceaux Spirituels, qu’il avait lui-même hérité de son maître, mais… Je roulai les yeux.
— « Certains vieux ont la tête dure. »
Je traçai un cercle sur le sol en terre battue et plaçai le cheveu blanc de Pok. J’utilisai normalement mon ki pourpre pour les techniques vaudou, mais, comme Yo-hoa n’était pas au courant de ma nature de mi-renard-démon mi-humain et que je ne voulais pas perdre plus de temps que ça à raconter ma vie, j’instillai du ki doré dans le cercle. Le cheveu s’agita et tourna comme une boussole. Son bout chargé de ki doré était la flèche. Elle s’arrêta enfin. Elle signalait le sud-ouest… Non. Elle me signalait, moi.
Prestement, je pris le cheveu, le reniflai, puis détournai les yeux d’embarras. Par simple manie, j’avais ramassé ce cheveu la nuit avant d’arriver au Temple d’Amabiyah. J’étais si convaincu qu’il appartenait au garçon albinos que je ne m’étais même pas imaginé qu’il pouvait s’agir d’un poil blanc de ma longue et belle queue de renard.
Je venais d’utiliser un de mes poils pour me retrouver. Y avait-il un sens plus profond à tout cela ? Je levai les yeux vers le ciel nocturne qui se couvrait de nuages et dis :
— « Parfois on se perd sans savoir qu’on s’est perdu. »
— « Tu dis ? », fit Yo-hoa, confondu.
Je redressai alors la tête et posai un index sur mes lèvres.
— « On vient. »
Nous nous trouvions dans la partie résidentielle du Quartier Rouge, où se trouvaient les familles et les vieilles générations. Là, les maisons en bois étaient de plain-pied, les ruelles, étroites et les murs, assez bas pour qu’un cultivateur puisse y grimper, ce que nous fîmes, nous réfugiant sur un toit. Depuis les ombres de notre cachette, nous aperçûmes trois hommes avançant à pas rapide par la ruelle d’à côté. Ils parlaient à voix haute.
— « Si tu l’as vu, pourquoi tu l’as pas arrêté, idiot ? »
— « J’étais pas sûr que ce soit lui. Il portait un grand foulard sur la tête et des habits propres. »
— « Haha ! Pok ? Des habits propres ? Si c’est vrai, non seulement il trahit mais en plus il se la coule douce, ce bâtard. »
— « Pourquoi tu dis qu’il trahit ? »
— « Pourquoi l’hippogriffe a pu s’échapper, d’après toi ? C’est clair comme de l’eau. Heureusement que le gamin est aussi idiot que vous deux. Il est sûrement allé voir la vieille Belda. Un idiot revient toujours à son berceau. Quand il s’échappait, c’est toujours là que je le retrouvais… Ça me donne de l’urticaire chaque fois que j’y pense. Il fera un bon petit-déjeuner pour Sarry. »
— « Haha ! Tu vas le donner au tigre ? Attends, tu disais pas que la viande d’un pestiféré, ça rend les bêtes malades ? »
— « Sarry peut même manger de la viande pourrie. C’est un tigre-démon. »
Yo-hoa était si choqué qu’il porta une main à son épée. Je le retins et murmurai :
— « Attendons voir où ils vont. »