Accueil. Zangsa : le cultivateur chamane

104 Au Bon Cassoulet

Il se trouva que Lianli n’était pas venue à cette taverne par hasard mais pour rencontrer l’Alliance via le Clan des Ignobles et lui faire part d’une nouvelle importante. Comme nous montions les escaliers qui menaient au premier étage de la taverne, j’aperçus Séliel et Liuk et levai une main pour les saluer joyeusement.

— « Lieliel ! Yeux-de-Poisson ! »

Lianli pouffa à mes côtés.

— « C’est quoi, ces surnoms, Zangsa ? Ce sont tes amis ? »

— « Amis ? Clairement pas », grommela Séliel, attrapant sa jarre de vin avant que je ne la lui chipe.

— « Pingre », lui dis-je.

Lianli observa notre manège avec amusement.

— « Le titre de “Sage Ivrogne” n’est pas injustifié, hein ? »

— « C’est moins majestueux que l’Impératrice des Poisons, c’est sûr », répliquai-je.

— « Héhé… » Elle sourit, l’air clairement fière de son titre. « Au fait, tu ne m’as pas présenté ce bel ami qui nous suit », me murmura-t-elle à l’oreille. Elle voulait parler d’Irami.

— « Le blond, c’est Arvian, un vieux collègue chamane que j’ai retrouvé récemment. »

— « Et le beau gars ? », insista Lianli sans même baisser la voix.

Je me frottai le cou avec un sourire affecté.

— « Hoho. Tu veux parler de moi ? »

Lianli me foudroya du regard. Irami se présenta alors formellement :

— « Je me nomme Irahayami Namgath, l’Épée Filante Qui Danse. »

Je posai un poing contre son bras en ajoutant :

— « C’est le leader de notre groupe de quêteurs et mon ami le plus cher de l’Académie Céleste. »

— « Oho ? », fit Lianli. « Namgath, c’est un célèbre clan d’archivistes, n’est-ce pas ? Content de faire ta connaissance. »

Elle n’avait jamais entendu parler de l’Épée Filante Qui Danse ? Bon, ce n’était peut-être pas si étrange, pour quelqu’un qui venait de la Faction Parallèle : elle n’était sûrement pas bien au courant des nouveautés dans le Murim ni des noms des jeunes talents qui s’étaient démarqués lors des festivals de l’Académie Céleste.

— « Mais revenons-en aux affaires : j’ai réservé une salle privée pour parler tranquillement. Si vous voulez bien me suivre », dit-elle à l’adresse de Ronce et de Silensanse. Tous les deux échangèrent un regard, l’air de se demander s’ils n’étaient pas en train de gaspiller leur temps. « Ah, évidemment, tu es invité, Zangsa, avec tes amis. Ce que je vais dire n’est pas vraiment un secret. »

Je haussai les sourcils, intrigué, et nous la suivîmes tous à l’intérieur de la salle réservée. Je n’apprenais qu’alors que le Bon Cassoulet faisait partie du Clan des Ignobles : c’était grâce à eux que Lianli s’était mise en contact avec l’Alliance. Elle avait envoyé un message. Et ce message… avait réussi à rassembler l’ancien patriarche du Clan Souriant et la capitaine de l’Escouade de l’Ombre.

— « Alors ? », dit Ronce assis en bout de table, faisant face à Lianli. « Le message disait qu’une seule cultivatrice de la Secte du Poison est arrivée à éliminer la source de ces pilules orange. Est-ce vrai ? »

J’agrandis les yeux. Quoi ? Lianli enleva sa capuche et déclara avec clarté :

— « C’est vrai. Le cerveau de cette opération était un homme dont l’ancien patriarche du Clan Souriant a sûrement déjà entendu parler. Dokminore, l’un des Dix Grands Commandants de l’Œil Renversé, plus communément connu comme le Docteur Céleste et l’Héritier de l’Alchimiste Astral. »

J’entendis un hoquet de surprise. Séliel ? Le mercenaire du désert semblait sous le choc. Dokminore, me répétai-je, me creusant les méninges. Cela me disait quelque chose.

— « Le capitaine Youta, sur l’Île Azurée », me chuchota Ayaïpa auprès de moi. « Quand il a parlé de Zom, il a mentionné le nom de Dokminore. Ce Dokminore aurait dit que son pouvoir de Sang-Immortel dépassait toutes les bornes. Tu crois que Lianli parle de la même personne ? », s’enquit-elle.

Je lui souris, content d’avoir à mes côtés une poule à la mémoire aussi excellente.

— « Vraisemblablement », lui confirmai-je à mi-voix. Je jetai un regard en biais vers Séliel, me demandant pour quelle raison un bandit du désert connaîtrait un homme aussi estimé que Dokminore.

Lianli poursuivit :

— « Mon maître et moi avons réussi à lui tendre une embuscade alors qu’il se rendait dans une des demeures principales où se fabriquaient les pilules… et où cette ordure conduisait des expériences pour créer des chimères. » Dont les Démons de Sang, faits à partir d’enfants nés avec la constitution du Chien Sanglant Enragé, compris-je avec un frisson. L’œil découvert de Lianli luisit comme un rubis. « Pour des raisons personnelles, j’ai éliminé le démon moi-même. Mon maître, lui, s’est chargé de détruire le laboratoire : des chimères, des morts-vivants, des parasites-démons aux rares propriétés… il y avait un peu de tout, là-dedans. Et, surtout, nous avons pu recueillir d’importantes informations concernant l’Œil Renversé, dont quelques-uns de leurs projets. Je suis ici au nom de la Secte du Poison pour proposer à l’Alliance de négocier. »

Il y eut un silence. J’étais ahuri. Le Suprême du Poison et Lianli avaient détruit la base d’un des Commandants de l’Œil Renversé, à eux deux ? Un tel endroit devait pourtant avoir été scrupuleusement gardé. Finalement… peut-être que son titre d’Impératrice des Poisons n’était pas si mal choisi que ça ?

Captant le regard de Ronce, je me levai et m’inclinai respectueusement.

— « Félicitations, Lianli, pour cet exploit. Tu as toute mon approbation et celle des bêtes-démons. Mais, à présent, ceci est une conversation entre l’Alliance et la Secte du Poison. Tu me pardonneras si je vous laisse pendant les négociations. »

— « Tu ne fais pas partie de l’Alliance ? », s’étonna Lianli comme Irami, Séliel et Liuk se levaient à leur tour.

— « Je suis un cultivateur quêteur chamane sans emploi, rien de plus », répondis-je.

Ma réplique arracha un sourire à Lianli.

— « Pourquoi cela ne me surprend pas ? Soit », dit-elle, hochant la tête, « on se voit après. »

— « Sans faute », acceptai-je.

De retour à la partie publique de la taverne, nous nous installâmes à une table de six places qui venait de se libérer. J’en profitai pour commander une jarre de vin et demander à Liuk la raison pour laquelle le Prince Rajeyl était venu à Osha, avec la Suprême qui plus est. Liuk grimaça. Le jeune prince jeta un regard à Irami, qui leva sa main droite et me montra un anneau argenté.

— « Rajeyl a insisté pour m’offrir cette relique des Nuages. »

Un anneau ?

“Houhouhou”, me dit soudain la voix de Sonju depuis la Corne des Nuages. “C’est la Bague de l’Eau, une relique qu’a fabriquée un de mes disciples, l’Artisan des Nuages. Ça aide à stabiliser le ki interne. Avec ça, je vais pouvoir intensifier l’entraînement de mon dernier disciple. Héhéhé…”

Sans pouvoir entendre le petit rire malicieux du vieux Fondateur des Nuages, Séliel maugréa :

— « Ce prince nous a fait suer à grosses gouttes froides pour infiltrer le Palais du Couchant où il résidait avant. Et si on n’avait dû voler que l’anneau, encore, ç’aurait été du gâteau. Mais il voulait aussi qu’on déterre un gros miroir dans les jardins du palais. Si Mofafi ne nous avait pas aidés, on aurait eu du mal à voyager avec jusqu’au Croc. »

Mofafi ? Je repensai à la carrure et au caractère de la mère de Ceyra et demandai, étonné :

— « Elle n’a pas détruit le miroir en chemin ? »

— « Elle a failli », soupira Liuk. « Enfin bon, avec la bague et ce miroir, Irahayami a retrouvé deux reliques perdues au prix inestimable. »

— « Ho ? Le miroir est aussi une relique des Nuages ? »

— « Apparemment », acquiesça Irami. « Ce serait le Miroir des Ondes, un artéfact fabriqué peu avant l’époque du Spadassin des Nuages. D’après Rajeyl, si un cultivateur place sa main dessus en exécutant la Voix du Reflet, le miroir montre, une à une, les Neuf Formes de l’Art Profond des Nuages. »

C’était, en effet, une relique précieuse, surtout pour un cultivateur qui vivait à une époque où la Secte des Nuages n’existait plus. Sauf que…

“Humph. Nul besoin de ce miroir, mon garçon”, dit Sonju. “Si jamais tu regardes dedans et apprends les Huitième et Neuvième Formes avant que je ne t’en donne la permission, je te déshérite. Entendu ?”

Il était sérieux. Logiquement, Irami n’allait pas le trahir : un tel miroir était certes incroyablement précieux, mais pas autant qu’avoir à sa disposition le Fondateur de la Secte des Nuages en personne, même si ce n’était que son esprit et qu’il était scellé dans une corne de dragon. Et puis, même si Irami avait accepté la Bague de l’Eau, la gratitude de Rajeyl le gênait certainement : ne lui avait-il pas déjà dit qu’il n’avait aucune intention de recréer la Secte des Nuages ?

Liuk posa son gobelet vide en disant :

— « Alors, la dette est payée, je pense ? »

Je le regardai, surpris.

— « La dette ? Oh », fis-je, croyant comprendre. Il voulait parler de la faveur que Rajeyl me devait pour lui avoir sauvé la vie en enlevant son sceau ? Je fis une moue d’insatisfaction. « Le miroir et la bague sont pour Irami, ils ne sont pas pour moi. Personne n’a rien donné au pauvre bienfaiteur que je suis. »

Liuk m’adressa une grimace mémorable.

— « Tu as pourtant dit que tu n’avais besoin de rien. Enfin bon », ajouta-t-il, se penchant et fouillant dans son sac, « voilà un petit cadeau de la part de Son Altesse, recommandé par Ceyra. »

Je pris la jarre qu’il me tendait, les yeux écarquillés. Le papier collé dessus disait : « Liqueur de cassis +++ ». Je débouchai la jarre et humai l’intérieur. Puis je la rebouchai, l’eau à la bouche, le cœur battant. Par tous les diables, où donc Son Altesse avait-elle trouvé une liqueur pareille ? L’énergie spirituelle était débordante, même plus que celle de la myrtille céleste de la Sage Campagnarde. Une seule gorgée valait bien un mois passé à méditer pour accumuler du ki interne. La jarre contenait au moins deux litres. Or, que ce soit de par ma constitution ou ma nature hybride, je m’étais découvert un talent certain pour absorber l’énergie des produits fermentés. C’était comme si Liuk avait mis entre mes mains un élixir de qualité supérieure.

Merci, Ceyra, de me connaître si bien : que la Fortune d’Amabiyah te sourie, priai-je avec fougue. Puis je relevai la tête, vis Liuk et Séliel, qui attendaient ma réaction, et je dis :

— « Son Altesse devrait devenir empereur. »

Séliel réprima mal son rire, et Liuk soupira :

— « Pour une fois, on est d’accord, même si pas pour les mêmes raisons. »

“Hum-hum, on dirait que cette eau-de-vie est excellente ?”, intervint le dragon divin, alléché. Naganaga regardait fixement la jarre. Mes instincts de renard protecteur s’éveillèrent d’un coup.

“N’y pense même pas, Shiawkoun.”

— « Au fait », dis-je après avoir soigneusement attaché la jarre à ma ceinture. Je me rassis à la table, face à Séliel. « Tu connaissais déjà Dokminore ? »

L’ex-bandit du désert se troubla. Il fit claquer sa langue.

— « Tu es perceptif. »

— « Je suis un chamane. »

— « Ce n’est pas si important que ça », dit-il en haussant les épaules. « En fait, c’est la première fois que j’entends parler de ce Dokminore. Ce qui m’a frappé, c’est que ce soit l’Héritier de l’Alchimiste Astral. Honnêtement, quand tu m’as dit que je vienne au Bon Cassoulet si les alchimistes m’intéressaient, j’avais déjà l’intention de venir ici, indépendamment du bellâtre. Mes parents étaient alchimistes et étaient originaires de cette région. Du coup, ça m’a intrigué. »

Liuk semblait entendre tout cela pour la première fois aussi. Installée sur la table, Ayaïpa pencha la tête de côté.

— « L’Alchimiste Astral, tu le connais ? »

— « Il est mort il y a presque trois siècles, la poule », rétorqua Séliel.

— « Ah. Le Chaudron Astral est si vieux ? », siffla-t-elle soudain, levant un regard incrédule vers moi. « Il avait l’air en bon état, pourtant… »

— « Ayaïpa », la coupai-je, me couvrant le visage d’une main. Elle venait de révéler à tous que nous avions récemment vu le chaudron le plus célèbre des alchimistes, à priori perdu.

Séliel laissa tomber une main à plat sur la table, médusé.

— « Zangsa… Ne me dis pas que tu sais où se trouve le Chaudron Astral ? Il est ici, à Osha ? »

Il avait vraiment l’air de vouloir savoir. D’un geste nonchalant, je posai mon menton sur ma main.

— « Pourquoi ça t’intéresse tellement ? »

Le guerrier du désert fit à nouveau claquer sa langue.

— « Et breink », fit-il dans son dialecte. « Je vous explique. Mes parents, Azoul et Anha, étaient des disciples d’un alchimiste qui avait hérité les techniques de l’Alchimiste Astral. »

— « Tu rigoles ?! », s’écria Liuk.

— « Tais-toi, Yeux-de-Poisson », lui lançai-je.

Séliel sortit un bâton de réglisse de sa poche et le mâcha tout en reprenant :

— « Un jour, ce maître alchimiste a été trahi et tué par un de ses disciples. Mes parents ont dû s’enfuir et se sont cachés parmi les hors-la-loi de la Cité du Soleil. Je ne connais pas vraiment les détails, parce qu’ils sont morts peu d’années après ma naissance, je n’ai jamais su comment ni pourquoi. Gah », grommela-t-il en nous voyant suspendus à ses lèvres. « Ma vie est plus ennuyante qu’une bosse de chameau, je sais. Je raconte ça parce que, si le Chaudron Astral est réapparu dans cette affaire de pilules orange, c’est sûrement parce que le coupable derrière la mort du maître de mes parents, c’est ce Dokminore que vient de tuer l’Impératrice des Poisons. Je ne fais que deviner. »

Sa supposition était plausiblement vraie.

— « Mm… », dis-je, pensif et presque étonné, « tes parents s’appellent vraiment Azoul et Anha, alors. »

Il avait donné exactement ces noms pour ses papiers d’identité, au village de Loutre.

— « Pourquoi j’allais mentir sur ça ? », marmonna Séliel en mâchant son bâton de réglisse.

Il n’avait certes aucune raison de penser que celui qui avait tué le maître de ses parents et poursuivi ceux-ci allait s’en prendre à lui après plus de vingt ans.

— « Et moi qui croyais que tu n’étais qu’un bandit sans rien de spécial », se moqua Liuk.

Le prince reçut le bâton de réglisse sur la figure. Séliel se leva.

— « Bah, mes parents étaient peut-être des génies, mais, moi, j’en sais autant sur l’alchimie qu’un chasseur de scorpions : je suis un gueux du désert. Merci de me le rappeler, ô Yeux-de-Poisson », lança-t-il, se penchant sur la table pour le regarder dans les yeux. Puis il s’éloigna d’une démarche traînarde.

Assis à mes côtés, Liuk grommela :

— « De rien. »

Je roulai les yeux.

— « Vous vous chamaillez comme un vieux couple. »

Liuk m’envoya un regard noir, puis il quitta la table à son tour en disant :

— « Je vais voir en bas si Son Altesse est revenue. »

— « Vas-y, vas-y », lui dis-je, agitant la main.

Naganaga finissait son ragoût. Elle tendit son assiette vide vers moi en disant :

— « Encore, s’il tô plaît, papa ? »

Fichtre, sa manière de quémander n’avait rien à envier à celle d’un Mendiant vétéran. Comme le deuxième plat arrivait, elle se mit à le mâcher consciencieusement mais sans pause. Son appétit était-il vraiment celui d’une enfant de quatre ans ? Ayaïpa gloussa :

— « Papa ? C’était donc ton œuf et pas celui d’Irami. »

Cette poule faisait exprès de me taper sur les nerfs, j’en étais sûr… Je trouvai un des rares biscuits glacés qui me restaient dans la petite boîte que m’avait offerte Biya et je le donnai à Ayaïpa pour la faire taire un moment.

Assis sur la même banquette que moi, appuyé contre le rebord de la fenêtre, Irami s’était assoupi malgré le tohu-bohu de la taverne. Avait-il seulement dormi, cette nuit ? Et pourtant, pas de signe de cernes : sa peau était aussi lisse et brillante que celle d’un nouveau-né. Le « beau gars », avait dit Lianli… À l’Académie Céleste, de nombreuses étudiantes tombaient sous son charme au premier coup d’œil — les séniors l’appelaient le célèbre « coup de nuage » —, mais, en fin de compte, rares étaient les filles qui savaient apprécier sa compagnie. L’Épée Filante Qui Danse était, pour beaucoup, un jeune talent qui était dévoué exclusivement à sa cultivation et qu’on n’admirait que de loin. Mais… quelque chose avait changé en lui depuis la dernière fois que je l’avais vu. Je fronçai les sourcils tout en le dévisageant. Qu’est-ce que cela pouvait bien être… ?

“Si tu as quelque espièglerie en tête, oublie-la tout de suite, Zangsa”, me prévint soudain Sonju depuis la Corne.

L’espace d’une seconde, j’aperçus le vieux cultivateur reflété sur la corne que portait Irami à la ceinture. Il était assis comme d’habitude sur sa colline d’herbe verte. Je haussai un sourcil.

“Ha. Une espièglerie ? Je n’ai pas que ça en tête, vieux maître. Non : je me demandais pourquoi Irami me semblait aujourd’hui moins… présent que d’habitude.”

Sonju eut un petit rire.

“Tu as remarqué ? Ce garçon est en train d’apprendre à contrôler son ki interne comme il faut. Ta perception est excellente : ses progrès sont loin d’être fameux pour l’instant.”

Je comprenais à présent mieux ce qui m’avait semblé étrange. Je répliquai :

“Complimente davantage ton disciple. Il contrôle déjà mieux son ki même quand il dort. Je parie qu’il n’a commencé son entraînement que depuis peu.”

“Depuis hier soir, pour être précis.”

“… ! Hum. Tu te rends compte que tu es un veinard, Sonju, d’avoir un génie comme ça pour disciple.”

“J’ai eu d’autres disciples talentueux. Mais je ne me plains pas”, avoua-t-il.

Hé. Il avait même l’air plutôt très satisfait, oui. Assis en face d’Irami, Arvian me fit savoir à mi-voix :

— « Il n’a pas fermé les yeux même quand nous étions à la Branche des Mendiants. Mais, à présent, on dirait que même un tremblement de terre ne pourrait pas le réveiller. »

J’esquissai un sourire et, m’étirant, je m’adossai contre le dossier de la banquette, les mains derrière la tête, en répondant :

— « Tu sais, Irami est capable de bloquer cent attaques avec les yeux bandés. »

— « Sérieusement ? »

— « Hé. » Je théâtralisai : « “Maître Bael, Maître Bael ! Est-ce vrai que tu peux bloquer cent attaques avec les yeux bandés ? C’est vrai, mes chers apprentis !, dit-il. Mais rien ne vaut une démonstration. Allez chercher cent bandeaux, bandez vos yeux, puis approchez un à un… N’y allez pas trop fort…” Hé. C’est une blague du Murim. Mais, pour Irami, ça ne l’est peut-être pas tant que ça », nuançai-je.

Les yeux d’Arvian s’illuminèrent.

— « Une blague du Murim ? », répéta-t-il.

— « Les Immortels blaguent plus que n’importe qui. Zouybo le Sage Farceur, du Mont-Céleste, est un comédien particulièrement en vogue. »

— « Oho ? Le Murim est plus fascinant que je ne le pensais. J’adore les blagues. Tu peux m’en raconter une autre ? »

Le jeune chamane était enthousiasmé. Je ne me fis pas prier. Irami dormait, Ayaïpa digérait son biscuit glacé, et Naganaga nous écoutait en mâchonnant le bâton de réglisse que Séliel avait jeté et qu’elle avait récupéré par terre. Je souris. Je pariai que l’Ogre du Jeu aurait bien voulu être assis à cette table, ne serait-ce que pour critiquer l’humour idiot des humains du Murim…