Accueil. Zangsa : le cultivateur chamane

6 La malédiction du mimosa

Je sentis aussitôt un flot d’énergie m’inonder de tristesse. Mon corps en fut secoué. Je me concentrai d’abord à bloquer ce ki chargé d’affliction avec mon propre ki. Cependant, je ne pouvais pas couper totalement le contact si je voulais analyser correctement le sceau.

— « Il pleure pas ! », chuchota une voix enfantine et surexcitée entre les gens qui regardaient la scène. « Comment ça se fait ? »

— « Tais-toi, Flouchon. »

— « J’ai entendu dire que les vrais chamanes peuvent commander les malédictions à leur guise », intervint quelqu’un d’autre. « Du coup, c’est peut-être pas un charlatan. »

J’étais content de l’entendre dire, mais, désolé, je ne commandais pas vraiment les malédictions à ma guise. D’ailleurs, sans mes savoirs combinés de cultivateur et de chamane, j’aurais eu du mal à trouver une méthode efficace pour me protéger de la malédiction de l’arbre.

Sous les yeux de plus en plus curieux de mes spectateurs, j’examinai le sceau. Il y en avait en fait deux. Un naturel et un artificiel.

Le sceau naturel, à l’extérieur, contenait un soupir ; c’est ainsi que les chamanes appelaient les entités spirituelles qui naissaient d’émotions fortes environnantes. Le nœud s’était naturellement formé à partir du chagrin de Xivia et de sa fille, un chagrin chargé de souvenirs qui s’enracinait autour du tronc pour ne pas disparaître… Sauf que ce soupir de chagrin était là depuis des décennies. C’était inhabituel. La plupart des soupirs s’effilochaient en l’espace de quelques heures, quelques jours ou quelques mois tout au plus. Ce nœud, pourtant, s’était stabilisé autour de l’arbre. Peut-être ne pouvait-il pas se défaire naturellement parce qu’il encerclait l’autre sceau ?

Le sceau artificiel était celui créé par le tigre pourpre qui avait attaqué Zaklan pour sceller son esprit. Je devinais les runes invisibles, gravées avec du ki pourpre : elles étaient différentes de celles que les runistes humains utilisaient de nos jours, mais, comme aurait dit Maître Ryol : « pour reconnaître une rune, ne regarde pas le glyphe : écoute le ki qui la fait vibrer ». Un runiste classique aurait eu du mal à saisir un tel conseil, inspiré des enseignements un brin chamaniques du Navigateur des Runes, mais c’était un conseil parfait pour un maître vaudou comme moi, habitué à percevoir les ondulations du ki. Or, les vibrations du ki dans cette formation m’étaient familières. Le sceau n’en était pas moins extrêmement complexe.

Avec une vive curiosité, je tâtonnai le cercle runique, des premières branches jusqu’aux racines de l’arbre. Une formation de runes capable de séparer un corps de son esprit et de sceller celui-ci… C’était la première fois que j’en rencontrais une. Et quelle élégance dans le tracé ! Et cette exquise précision… Hoho, mon père m’avait bien dit, une fois, que certaines bêtes pourpres des Hauts-Pics en savaient davantage sur les runes que n’importe quel humain. Enfin, connaissant Yelyeh, j’étais bien placé pour le savoir. Mais, tout compte fait, ne m’avait-elle pas dit, une fois, qu’elle tenait justement certaines techniques runiques des tigres des neiges ? À cette pensée, ma curiosité ne fit que s’intensifier.

J’aurais bien aimé pouvoir continuer à analyser le cercle runique, mais, avec tous ces spectateurs présents autour du mimosa, je pouvais difficilement oublier mon but initial.

Accroupi auprès de l’arbre, je réfléchis. Vu la nature impitoyable qui se devinait dans la vibration runique, l’attaquant avait sincèrement détesté Zaklan. Si ce tigre runiste ne l’avait pas tué directement, c’était probablement parce qu’il craignait de perdre dans un combat tête à tête. Son objectif avait donc probablement été celui de piéger l’esprit de Zaklan pour l’empêcher de retourner dans son corps avant que ce dernier disparaisse. Son plan avait réussi. Mais pourquoi, après tout ce temps, le sceau runique était-il toujours en place ? L’esprit de Zaklan… était-il sain et sauf au sein du sceau ? C’était peu probable, mais, sinon, pourquoi les runes ne s’étaient-elles pas effacées ? Le sceau runique et le nœud naturel qui l’entourait se protégeaient-ils mutuellement de quelque façon ? Il restait à découvrir ce que ces runes renfermaient vraiment.

Il y avait trois possibilités : ou bien l’esprit de Zaklan était mort à l’intérieur, ne laissant qu’un simple nœud d’énergie bloquée ; ou bien, comme pour le sceau externe, un soupir émotionnel s’était formé dans le nœud. Cependant, même derrière le sceau naturel extérieur formé de ki doré, l’énergie pourpre vibrait avec puissance. Je n’avais jamais perçu de soupirs si puissants et doutais qu’il en existe. Ce qui me menait à la troisième possibilité : et si le nœud scellait encore Zaklan ? Rien que d’y songer, cela me donnait des frissons, mais la possibilité ne me semblait pas si invraisemblable. Toutefois, penser qu’à l’intérieur de cet arbre pouvait se trouver un tigre des neiges, une créature que même les bêtes pourpres des Montagnes Perdues tenaient pour quasiment légendaire… Après plus de soixante-dix ans, était-ce seulement possible ? Je ne pouvais le découvrir qu’en enlevant d’abord le nœud naturel qui recouvrait le sceau artificiel.

Très délicatement, je parcourus les motifs du nœud naturel. Ils étaient foisonnants et intriqués. Une véritable œuvre d’art dont seul l’ordre chaotique de la nature était capable. Je compris que j’allais devoir prendre mon mal en patience pour la défaire.

— « Zangsa… »

Je me retournai. Irami était choqué. Il était rare de le voir si chamboulé. Mais pourquoi donc… ? Ce n’est qu’alors que je me rendis compte que je pleurais. J’avais été si absorbé dans mes pensées que j’avais cessé de bloquer l’énergie du soupir qui tentait à chaque instant de m’envahir : sa tristesse me secouait tout entier. Et zut… J’essayai de sourire à Irami et ne parvins qu’à lui adresser une vilaine grimace.

— « I-Irami, j-je vais bien », sanglotai-je. Je reniflai, me relevai et marchai vers lui en hoquetant : « Est-ce que tu p-peux me prêter ton épée et ton b-badge de l’Académie ? »

Sans même me demander pour quoi je les voulais, il me les prêta sur-le-champ.

— « Merrrci… »

Son épée, Nuage, lui avait été offerte par le professeur Zéligar, qui la tenait de son maître, qui, à son tour, l’avait héritée de son maître… L’histoire de cette relique remontait à trois siècles, à l’époque du Danseur de Pluie de Pétales, qui avait juré de veiller sur l’épée de son grand ami, le célèbre Spadassin des Nuages : les livres d’Histoire du Murim racontaient que ce dernier était capable de créer des nuages et même des orages par le simple maniement de son épée.

Quant au badge qu’Irami me prêta, il s’agissait d’un simple insigne circulaire en bois. On en donnait un à tous les anciens étudiants. Et sa particularité, c’est que le bois dans lequel il était taillé provenait des branches de l’Arbre Vertueux de l’Académie Céleste.

L’épée, tout comme le badge, possédait une grande quantité de ki. Les attrapant, je plantai la première dans la terre à quelques pas du mimosa et plaçai le badge d’Irami avec le mien du côté opposé. Puis, formant un triangle avec ces deux piliers runiques et moi-même, je me postai aussi à quelques pas de l’arbre, avant de demander, les joues baignées de larmes :

— « Excusez-moi, tout le monde, mais il va falloir que vous reculiez ! »

On obtempéra de suite. Tous observaient mes agissements avec curiosité, certains avec plus de suspicion que d’autres. Avant tout, il me fallait neutraliser ce ki de chagrin qui m’affectait encore : j’allais difficilement pouvoir mener à bien mon plan pour rompre le sceau naturel si je continuais à pleurer comme ça…

Je fermai un moment les yeux et fis circuler mon ki interne tel que Yelyeh et Maître Zéligar m’avaient appris. Enfin, je calmai ma respiration. J’étais prêt.

Je lançai une de mes aiguilles vaudou contre l’écorce, au centre du cercle runique, et activai celui-ci. Immédiatement, une lueur dorée se dessina entre l’épée, les badges et moi.

Pour une simple formation runique, j’aurais pu utiliser comme piliers externes de simples aiguilles ou du papier vaudou. Cependant, vu ce que je m’apprêtais à faire, j’allais avoir besoin de contrôler une quantité de ki considérable et, face à cette énergie, de tels piliers auraient eu vite fait de s’envoler ou de saturer et de bloquer le flux. D’où l’épée et les badges : le ki doré pouvait fluer à travers ces objets spéciaux comme de l’eau sur un lit d’argile. Et, aussi, le ki naturel qu’ils possédaient allait certainement m’aider à la tâche : de par ma nature hybride, ma quantité de ki doré dans le corps avait toujours été très faible. Pas autant que celle de mon frère Shuyeh, pour qui elle était quasiment inexistante, mais, puisque je ne pouvais pas révéler mon ki pourpre « démoniaque », je ne pouvais, en somme, qu’utiliser des techniques qui ne requéraient que très peu d’énergie, comme manipuler les liens de ki, ou activer une formation vaudou.

Mon objectif était d’absorber le ki du sceau naturel en le canalisant vers moi puis de le centrifuger au sein de mon cercle dans le but de rompre la stabilité du nœud en créant un tourbillon énergétique : la meilleure solution, contre les nœuds naturels, était de contrer le chaos avec un autre chaos. De plus, cette technique n’était pas très efficace contre les sceaux artificiels, alors je ne risquais pas d’enlever malencontreusement les runes ayant piégé Zaklan.

Plus j’envoyais le ki absorbé sur le cercle, plus celui-ci brillait : à tel point que sa lumière dorée devint probablement même visible aux yeux des villageois non-cultivateurs qui regardaient la scène. Quand la quantité fut suffisante, j’accélérai la circulation et une brise se leva. Puis celle-ci se transforma en rafales et les branches du mimosa oscillèrent, des feuilles et des fleurs s’envolèrent, et je me demandais s’il me fallait centrifuger encore plus fort quand j’entendis un grondement venant de l’aiguille vaudou plantée dans le tronc et liée au cercle.

“Tu penses me décoiffer et me laisser sans fleurs, maudit renard ?”

La puissance de ces paroles résonnant dans mon esprit me frappa de plein fouet. Du choc, je serais tombé à genoux si je n’avais pas déjà été habitué à l’aura de Yelyeh, qui était encore plus puissante que celle d’un tigre des neiges.

Je rompis le rythme du ki et mon cercle vaudou se brisa. D’un pas vif, je m’approchai et tendis une main vers le mimosa. Le nœud naturel s’était défait et son ki, longtemps enchaîné par le chagrin, s’était enfin libéré dans l’air et dans la terre, revenant à son état primaire. Autour de cet arbre, il ne restait plus que le sceau runique qui scellait l’esprit de Zaklan. Via la technique de la Voix du Ki, je connectai mon esprit à l’arbre et demandai :

“Zaklan ? Ô tigre des neiges, tu es vivant ?”

“Plus pour longtemps”, répondit-il avec calme. “Ma vie s’éteindra bientôt et ce vieil arbre mourra avec moi. Mais je te remercie d’avoir brisé la malédiction qui m’entourait. J’ai perdu le compte des humains et animaux qui se sont effondrés en pleurs en me touchant. Enfin, la malédiction serait partie toute seule avec le temps.”

“Oui… dans vingt ou trente ans, peut-être. Xivia n’en a plus pour longtemps, elle non plus”, lui fis-je remarquer.

“Xivia…” Le tigre resta silencieux un instant puis dit : “Depuis quand Yelyeh sait que je suis ici ? Je sens sa présence en toi.”

Cela faisait presque un mois que je m’étais séparée d’elle dans la Province des Émeraudes et, pourtant, il sentait sa présence ? Ah. Peut-être était-ce dû aux boucles d’oreille que je portais et qu’elle m’avait offertes il y avait longtemps. J’esquissai un sourire.

“Yelyeh m’a dit un jour qu’elle me croquerait tout vivant si je disparaissais à jamais sans avertir, comme une certaine boule de neige. Je me demande si elle ne voulait pas parler de toi.”

Zaklan gronda.

“Elle n’a pas cherché vengeance, si ? Dis-lui de ne pas retourner aux Montagnes Perdues pour moi ! Si jamais elle retourne aux Hauts-Pics, sa vie serait en grave danger.”

J’eus un léger froncement de sourcils. Je m’étais souvent demandé pourquoi Yelyeh était la seule de son espèce à habiter les Plaines Centrales — elle n’avait jamais vraiment répondu à mes questions. Et à présent, Zaklan disait qu’elle pourrait être en « grave danger » si elle retournait dans sa terre natale ? Mais à cause de qui ? La zone des Hauts-Pics était la partie la plus au nord des Montagnes Perdues : gorgée de ki pourpre, c’était la demeure de nombreuses créatures puissantes, dont les tigres des neiges… et les dragons. Se pouvait-il que… ?

“Dis-lui de ne pas y aller !”, insista le tigre. “À moins qu’elle soit déjà…”

“Elle est toujours dans les Plaines”, le rassurai-je. “D’ailleurs, elle ne sait pas que tu es ici. C’est un pur hasard que je sois passé par ce village. Du coup, je lui dis, pour la vengeance, ou je me tais ?”

“Tu te tais”, rétorqua sèchement Zaklan. “Pas un mot, entendu ?”

“Hum. Pourtant, la connaissant, elle rirait bien de te voir transformé en mimosa. Mais tu sais”, ajoutai-je tout en récupérant mon aiguille vaudou plantée sur l’arbre, “j’ai entendu dire qu’elle a appris les arts runiques de ta tribu. Si tu lui demandais gentiment, elle trouverait sûrement une manière de te sceller quelque part ailleurs pour que ton esprit puisse continuer à vivre.”

L’esprit du tigre soupira.

“Sûrement. Mais ce n’est pas ce que je désire.”

“Tu préfères mourir ?”

“Ce n’est pas ça. Mais je préfère vivre aux côtés de Xivia. Et puis, séparer un esprit de son corps et le sceller, c’est très différent de sceller un esprit qui a déjà été scellé. Mon esprit est bien trop enraciné dans cet arbre. Même Yelyeh ne pourrait pas me sortir de là indemne. La plupart de mes souvenirs se dissiperaient comme de la fumée.”

Autrement dit, il préférait mourir auprès de sa bien-aimée que continuer à vivre sans se souvenir de qui il était. Je hochai la tête.

“Tu n’as donc pas l’intention de te venger.”

“… Aucune”, opina-t-il.

“Quand même, te sceller comme ça, juste parce que tu as partagé quelques connaissances runiques…”

“Tu ne connais pas toute l’histoire”, me coupa-t-il. “Ma tribu n’a jamais voulu me tuer. Certes, quand je l’ai trahie en divulguant certains de ses arts secrets, on m’a exilé pour me punir. Mais cela remonte à bien des siècles, juste avant la fameuse conquête des Plaines Centrales. À l’époque, je me fichais bien d’être exilé : j’étais un de ces jeunes pleins de fougue et convaincus que, si les bêtes spirituelles disparaissaient des plaines, ces terres ensoleillées s’empliraient à nouveau de ki pourpre et nous reviendraient de droit. Notre conquête nous semblait noble.”

“Yelyeh m’en a parlé”, fis-je. “Au bout du compte, vous êtes presque tous retournés aux Montagnes Perdues. Mais, alors, pourquoi ce tigre t’a-t-il scellé ?”

Zaklan hésita. Je pensais déjà qu’il allait me demander de m’occuper de mes oignons quand, calmement, il expliqua :

“Il y a un peu plus d’un siècle, j’ai involontairement causé une tragédie. Les yeux des tigres des neiges sont connus pour posséder une perception surnaturelle proche de la télépathie. Un dragon des Hauts-Pics féru d’alchimie recherchait une paire d’yeux pour ses expériences. J’ai failli tomber dans son piège, puis, sans me savoir suivi, je l’ai guidé à travers une barrière runique qui protégeait le repaire d’une famille de tigres des neiges. La plus jeune tigresse a été kidnappée à ma place et n’est jamais revenue. Et son père, mon meilleur ami… m’en veut à mort depuis.”

Je peinais à imaginer la scène, mais je comprenais à présent à peu près l’histoire derrière son triste sort. Il n’empêche que…

“Tu aurais pu dire à ton « meilleur ami » qu’il se trompait d’ennemi”, lui fis-je remarquer. Le coupable d’avoir tué sa fille, c’était clairement ce dragon détraqué.

“Certaines expériences effacent tout bon sens”, répliqua simplement Zaklan. “Et je ne suis pas complètement innocent non plus.”

Je secouai la tête. Si mon jeune frère Shuyeh était tombé entre les griffes d’un dragon à cause d’un ami qui l’avait, à son insu, mené jusqu’à notre tanière, comment me serais-je senti ? Je n’aurais pas tué le renard, mais je lui en aurais probablement irrémédiablement voulu… comme on en veut au destin et à la malchance.

Me rendant compte que les villageois s’agitaient, de plus en plus impatients, je tapotai le tronc puis me retournai vers Xivia, qui attendait, assise toute droite sur une chaise. Ne sachant utiliser la communication par voie mentale, elle n’allait pas pouvoir parler avec Zaklan, mais je voulais quand même lui donner la preuve qu’il était encore vivant, là, juste devant elle, et qu’il l’avait accompagnée pendant toutes ces années.

“Zaklan. Dis-moi un secret que tu ne partageais qu’avec Xivia.”

“Pourquoi ?” Puis il comprit, soupira, réfléchit et dit, embarrassé : “Elle a… un grain de beauté sur la fesse gauche.”

Je me raidis puis fis claquer ma langue, exaspéré.

“Tu n’en as pas de meilleur ? Tous les villageois sont présents.”

“Ah. C’est vrai. Alors…” Il se tut, perdu dans le passé. Ce vieux tigre avait-il des problèmes de mémoire ? J’allais laisser tomber et juste expliquer à Xivia et Lyne ce qui se passait, quand il dit : “Ma douce étoile de vie.”

Je roulai les yeux.

“Ça fera l’affaire.”

Je m’avançai vers Xivia et dis :

— « C’est fait. Ça tombe bien que tu sois assise, parce que tu vas être surprise. Zaklan est vivant. Il te dit : ma douce étoile de vie. »

Xivia porta lentement une main à sa bouche et s’écria :

— « Ah ! Ah ! »

Un instant, je craignis que la nouvelle ne la tue de joie. Puis, tremblante, elle se leva et s’approcha du tronc. Lyne me regarda, incrédule.

— « Est-ce vrai ? »

Je fis un pas vers elle et lui glissai à l’oreille le premier secret que m’avait donné Zaklan. Elle écarquilla les yeux. Puis elle se mit à pleurer. Les villageois digéraient la nouvelle à grands cris et allèrent toucher le mimosa pour s’assurer, qu’effectivement, la malédiction était partie. J’allai reprendre les badges et l’épée, passai à Irami ses affaires et dis, satisfait :

— « L’histoire ne se termine pas si mal, finalement. » Je touchai du pied l’une des racines de l’arbre et dis mentalement : “De rien, Zaklan. Fais pousser de belles fleurs pourpres.” Je rompis le contact avant qu’il n’ait le temps de me répondre plus qu’un grognement et je me tournai vers Irami. « On y va ? »

Irami acquiesça, et nous nous éloignions déjà, prenant la route vers Shinbi, quand Lyne nous appela, nous courant après avec sa canne.

— « Attendez, jeunes gens ! Je ne vous ai pas remerciés et je ne vous ai pas payés. Ce n’est pas grand-chose, mais… »

Alors qu’elle décrochait une petite bourse d’argent, les autres villageois la rattrapaient en présentant la leur.

— « Ce n’est pas beaucoup, mais entre tous, tenez. »

— « Cet arbre porte une si belle histoire ! Merci d’avoir enlevé la malédiction ! »

— « Je n’avais pas vu Xivia si contente depuis si longtemps ! », rit un vieil homme, les larmes aux yeux.

— « Silka sera la première à présenter son nouveau-né sous le mimosa ! »

— « Hein ? On va sérieusement reprendre cette tradition de ringards ? »

— « Dites ! Vous êtes vraiment des cultivateurs de l’Académie Céleste ? », demanda alors le premier enfant que nous avions rencontrés. « Elle existe vraiment ? »

Son père lui donna une taloche.

— « Sois pas trop curieux, Flouchon. »

Irami hocha cependant la tête.

— « Elle existe vraiment. »

— « Ouah, c’est vrai ? Moi aussi, je pourrai y aller, quand je serai plus grand ? »

— « Moi aussi, je veux y aller ! », fit l’enfant qui avait sauvé la peluche de Yala.

— « Idiots ! C’est pas demain la veille que vous saurez étudier les arts des Immortels ! », grogna le père de Flouchon.

Irami le contredit, concis :

— « La volonté et la vertu. Avec ça, vous êtes sûrs de devenir de grands cultivateurs. Sur ce. »

Il inclina la tête et continua son chemin. J’acceptai la bourse de Lyne et refusai celle des autres en disant :

— « En voyageant léger, on arrive plus loin. »

Frôlant intentionnellement les doigts de Lyne, je confirmai ce que me disait mon flair : je ne perçus aucune énergie pourpre. Et pourtant, c’était la fille d’une bête pourpre et d’une humaine comme moi. Peut-être que son ki pourpre inné était tout simplement très peu concentré, comme l’était mon ki doré — ou peut-être était-ce même un cas extrême, comme mon petit frère Shuyeh, qui n’avait pour ainsi dire pas de ki doré.

— « Sur ce », fis-je aussi, saluant poliment. Je tournai sur moi-même. « Attends-moi, Irami ! »

Je courus, le cœur léger, pour le rattraper. Puis je lançai un coup d’œil par-dessus mon épaule et, voyant les villageois lever leurs mains, je répondis de même avec un grand sourire. Nous perdîmes finalement de vue le village derrière une légère élévation.

— « Alors, Irami ? Tu recrutes pour l’Académie, maintenant ? », le taquinai-je.

— « Je n’ai fait que leur montrer un chemin. »

Un long chemin de vie que peu de gens considéraient et que les autorités impériales s’obstinaient à peindre comme impraticable, marginal ou démodé. J’esquissai un sourire.

— « Irami. Quand on voit des villages comme ça, ça redonne un peu d’espoir pour l’humanité, tu ne trouves pas ? »

Un village où même les bêtes-démons pouvaient devenir des amies… Hé. Je pariais même que Xivia avait deviné ma nature.

Irami acquiesça, et ses yeux sourirent de ce sourire intérieur que je connaissais si bien.