Accueil. Zangsa : le cultivateur chamane

2 Le sauvage du désert

Ce guerrier aux yeux célestes
Va, un désert dans le cœur
Et un démon dans le sang.

Le Raconteur Impertinent

*

— « … Naharaya … »

Le cœur de Séliel manqua un battement. Un instant, son adversaire fut sur le point de l’embrocher avec son sabre. Il réagit instinctivement, esquiva et plongea sa dague au niveau de la gorge. Le garde s’effondra dans le sable du désert.

Non. Non. Non !

Éclaboussé de sang, il fit plusieurs pas en arrière en pleine échauffourée, les yeux braqués sur le carrosse assiégé par les bandits de la Harde. Là, le visage voilé de la fine toile des mariées, se trouvait une jeune femme aux longs cheveux turquoise.

— « Naharaya », souffla-t-il, frappé d’incrédulité.

Ils avaient grandi ensemble, dans les bas-fonds de la Cité du Soleil. Mais alors que Séliel avait passé son enfance à payer les dettes de feu ses parents à la Harde, Naharaya l’avait passée à souffrir de sa propre beauté, qui s’annonçait déjà dans son visage d’enfant. Séliel avait tâché par tous les moyens de la préserver de la vie qui lui était réservée dans les bas-fonds. Mais que pouvait faire un jeune esclave de la Harde pour sauver qui que ce soit ? Un jour, elle avait pris la décision de s’engager dans la vie religieuse. Séliel ne l’avait plus revue qu’en de rares occasions. Mais la voilà… la voilà qui était assise dans un carrosse princier, portant les atours des jeunes mariées !

Elle était plus belle que jamais.

Séliel mit deux doigts dans sa bouche et siffla. Il ignora la question d’un bandit auprès de lui et prêta attention aux sabots de son cheval. Dès qu’il les entendit, il s’élança vers le carrosse, donna un coup de poing à l’un des gardes qui restaient sur pied et cria :

— « Naharaya ! C’est moi ! Sors du carrosse tout de suite ! »

La jeune femme écarquilla les yeux.

— « Sé… Séliel ? »

Séliel ouvrit la porte à la volée et fut reçu par la dague de la servante. Il évita de justesse d’avoir le cœur transpercé, mais la lame le griffa quand même au bras. D’un geste vif de bandit expérimenté, il attrapa le poignet de la servante, le tordit, puis tira. Elle tomba sur le sable tête la première. Séliel monta dans le carrosse.

— « Naharaya ! Tu dois fuir ! »

La jeune femme était pétrifiée d’horreur. Séliel la prit par la taille et, dès que Leroux passa au galop près du carrosse, il sauta.

— « Oh, le bâtard, qu’est-ce que tu fous ! »

Ce qu’il faisait ? Il sauvait la personne qui lui était la plus chère au monde, tiens !

— « Vas-y, Leroux ! »

Le cheval enjamba le corps d’un garde et s’élança dans le désert.

On n’entendait que le bruit des sabots. Naharaya ne disait rien. Séliel avait bien trop de questions pour en choisir une. Les idées se bousculaient dans sa tête, si bien qu’ils arrivèrent aux portes de la Cité du Soleil sans qu’ils aient échangé un seul mot. Il mit pied à terre et aida Naharaya à en faire autant. Puis, d’une voix qui se voulait naturelle, il demanda :

— « Alors ? C’est qui, le veinard ? »

Naharaya était encore sous le choc. Elle secoua la tête.

— « Tyna. »

Séliel fit une grimace d’incompréhension. Tyna ? C’était un nom de fille, ça.

— « Tyna ! », répéta-t-elle, se tournant vers le désert.

— « Oh. C’est la rousse à la dague ? Ta servante ? »

Naharaya était clairement inquiète pour elle. Séliel eut un soupir énervé. Il rattrapa les courroies de son cheval et regrimpa en disant :

— « Ça me casse vraiment les pieds, cette histoire. Je vais essayer de voir si elle est encore vivante. Rentre vite chez toi. Hya ! »

— « Séliel ! », l’appela-t-elle alors.

Il se retourna et la vit, là, debout, si belle, les yeux emplis de larmes.

— « Merci ! Ne meurs pas ! »

Séliel sentit un gros pincement au cœur. Après toutes ces années, elle tenait suffisamment à lui pour lui dire : ne meurs pas. Tout bien considéré, c’était plutôt déprimant. Il eut un sourire en coin.

— « Tâche de vivre heureuse. Stupide Naharaya. »

Et il repartit au galop.

Quand il aperçut le carrosse, depuis le haut d’une dune, son cœur s’assombrit. Les gardes étaient tous morts et, tandis qu’on s’occupait à prendre tout ce qui avait de la valeur, un bandit retroussait les jupes de la femme rousse.

— « Cette ordure, je te jure. »

Il fit descendre Leroux à toute allure et lança un de ses couteaux, qui alla se planter dans la jambe du bandit. Celui-ci hurla.

— « Séliel, vaurien, t’es revenu pour qu’on te brûle vif ?! », s’écria un des bandits.

C’était le chef du petit groupe. Il portait une petite boîte entre ses mains — elle était probablement emplie de bijoux pour la jeune mariée.

Séliel sauta à terre, poussa le bandit blessé et souleva la rousse. Elle était sous le choc, mais elle était encore en vie. Il la hissa promptement sur son cheval et lui passa les rênes.

— « Leroux. Vas-y. »

Le cheval tourna la tête vers la rousse, puis regarda son maître avec surprise. Il devait partir avec cette cavalière inconnue ?

— « J’ai dit, vas-y ! »

Séliel frappa son flanc arrière et Leroux partit au galop. On essaya bien de l’arrêter, mais Séliel se chargea de s’interposer. Quand on finit par l’encercler, le cheval était déjà loin.

— « Bon, bon, mon garçon. Tu es prêt pour qu’on te donne en morceaux aux corbeaux ? »

Séliel eut un sourire féroce.

— « Chef. Tu ne vas quand même pas te cacher derrière tes chiens de garde ? Tu as peur de savoir que ton disciple t’a surpassé ? »

Les yeux du bandit s’enflammèrent d’amusement.

— « Tu l’auras voulu. Les gars, faites de la place. Vous allez voir ce qui arrive aux traîtres idiots qui se croient plus forts que leur maître. »

Ah, quel revers de situation ! Séliel n’aurait eu aucune chance de s’en sortir vivant s’il avait eu à lutter contre tous ses vieux camarades. Mais si c’était un duel, il y avait un espoir. Et plus que ça : la possibilité de se venger de cette crapule était bien trop alléchante. Quoi qu’il arrive, il ne regretterait pas d’avoir sauvé Naharaya.

De la gauche, il empoigna sa dague. De la droite, il se tint prêt à lancer un de ses couteaux. Face à lui, son chef avait quasiment la même posture. C’était, après tout, lui qui lui avait appris à se battre.

Au signal, ils attaquèrent aussi vite que l’éclair. Ce fut un duel de bandits : lancement de couteaux, coups de pied au sable, coups de dague, croche-pieds…

Quand le vieux bandit s’effondra, la respiration hachée, le corps couvert de blessures, Séliel grogna :

— « Relève-toi. »

Mais le chef n’en avait plus la force. Ses lèvres s’étirèrent et il commença à rire. Ce vieux fou. Quand il reprit son sérieux, il demanda :

— « Que vas-tu faire maintenant ? »

— « Partir. »

— « Où ça ? »

— « Qu’est-ce que j’en sais. Vers le nord. Là où il neige. »

— « La neige. Hah. Maintenant que je me souviens, tes parents venaient du nord. Vas-y, alors. Je te prête ma Sabline. »

— « Cette vieille jument ? Elle ne reviendra pas si tu me la prêtes. Donnez-moi plutôt toutes vos gourdes. »

— « Hah. Espèce de bandit. » Il leva la main. « Donnez-lui vos gourdes et laissez-le partir. Ah », ajouta-t-il, alors que Séliel chargeait l’eau. Il se releva et tint tête à son jeune disciple, bien qu’il fût plus petit que lui. « Si on revoit ta tête par ici, elle roulera aux pieds du Roi de la Harde. »

Séliel ne répondit pas. Il haussa ses épaules bien chargées et s’éloigna dans le désert, vers le nord.

Bien après, quand il fut tout à fait seul, il se retourna, pensa une dernière fois à Naharaya, puis, sans un mot, il continua.

Dans la bourrasque, un flocon poursuit
Dans la distance les rêves enfouis
Du passé.
Sans étoile, vagabond de vie,
Apparaît, dans son cœur blessé,
Un foyer.