Accueil. Cycle de Shaedra, Tome 10: La Perdition des Fées

6 La Crypte des Colibris

Je m’arrêtai net et je me tournai vers Ga.

— Tu as dit… que tu ne sais pas où nous sommes ? —soufflai-je, incrédule, en abrianais.

Ga fit non de la tête et je la vis partir examiner les différents chemins possibles. Nous parcourions depuis plusieurs heures d’innombrables grottes au plafond bas couvert de stalactites, sans avoir la moindre connaissance de la zone, et voilà que notre guide s’était elle aussi perdue !

— Génial —soupira Drakvian—. Et maintenant, qu’est-ce que nous faisons ? Nous rebroussons chemin ?

— Quoi ? Pas question —protesta Iharath—. De toutes façons, je doute que nous soyons capables de retrouver le chemin que nous avons pris. Moi, en tout cas, j’en serais incapable.

La vampire lui adressa un sourire blanc.

— Oui, je sais que le sens de l’orientation et toi… —Le semi-elfe lui jeta un regard noir et elle laissa échapper un petit rire moqueur.

“Des problèmes ?”, demanda Frundis, se désintéressant un instant de sa composition. Lorsque je lui expliquai que nous ignorions où nous nous trouvions, un son méditatif de trompette retentit. “C’est un problème”, admit-il. “Je me rappelle que quelqu’un m’a dit un jour que, dans la vie, nous ne savons jamais où nous sommes, mais, tant que nous sommes là où nous sommes, il y a toujours de l’espoir.”

Je roulai les yeux, amusée, et l’écoutai reprendre sa clique instrumentale. Confortablement assis sur mon épaule, Syu s’agita, nerveux.

“L’espoir, c’est bien beau, mais j’ai la mauvaise impression que nous nous enfonçons de plus en plus dans les profondeurs”, commenta-t-il, m’arrachant une grimace inquiète. Nous nous étions arrêtés au croisement de plusieurs grottes et la saïnal flairait l’air, probablement à la recherche de quelque indice qui puisse la guider.

— Il a dû y avoir quelque éboulement —raisonna-t-elle enfin, en s’approchant de moi—. Je ne m’en suis pas rendu compte et nous avons un peu dévié de notre voie, mais je crois que nous ne sommes pas loin des Tunnels Blancs. —Indécise, elle marqua une pause avant d’ajouter— : Suivez-moi.

Je lançai un regard encourageant à mes compagnons.

— En avant —les pressai-je. Galgarrios s’était assis sur une pierre couverte de mousse pendant que Ga inspectait les alentours, mais, en m’entendant, il se releva agilement ; sans un mot, il écarta ses mèches blondes de son visage, empoigna son bâton plus fermement et suivit la saïnal sans se plaindre.

Nous avions à peine repris notre marche quand Wujiri fit remarquer :

— Ce jeune caïte m’impressionne de plus en plus. C’est un véritable garde d’Ato. —Il marqua une pause—. Au fait, la prochaine fois que nous nous arrêterons, nous devrions en profiter pour manger, vous ne croyez pas ?

Je m’esclaffai tout bas.

— Ça serait vraiment bien, oui —approuvai-je avec désinvolture—. Il ne nous manque que les galettes de Narsia.

Wujiri fit une moue, légèrement nostalgique.

— Oui. Malheureusement, un voyage sans Narsia n’a pas le même charme.

— Elle s’est encore arrêtée —indiqua Iharath, en parlant de Ga. De fait, la saïnal, immobile, tournait la tête de tous côtés, cherchant son chemin dans ce dédale de grottes. Cependant, avant que nous la rattrapions, elle se mit de nouveau en marche ; nous avançâmes encore une heure au milieu des plantes et des roches avant que Ga ne se tourne vers moi, l’expression réjouie.

— Ça y est. Nous avons retrouvé une zone que je connais. Les Tunnels Blancs sont juste derrière cette grande roche en forme de tortue. À partir de là, je ne crois pas pouvoir me perdre. J’ai parcouru la zone plus d’une fois, mais, en général, je l’évite.

Je communiquai à tous la bonne nouvelle et nous nous empressâmes de rejoindre la tortue. Je compris vite pourquoi on appelait cette zone les Tunnels Blancs : la pierre avait une couleur blanchâtre et, quoique la lumière soit ténue, celle-ci se réverbérait sur les parois.

— Incroyable —fit Wujiri, impressionné—. C’est… du marbre de Lisia ?

J’arquai un sourcil, étonnée. En principe, le marbre de Lisia ne se trouvait que dans les Hautes-Terres. C’est d’ailleurs pour ça qu’il était si cher.

— Si nous nous orientons —réfléchit le garde—, il est possible que nous nous trouvions sous l’Insaride.

Comme il me jetait un regard interrogatif, je haussai les épaules.

— C’est bien possible. D’après Kaarnis, ces tunnels conduisent aux Extrades.

Wujiri fronça les sourcils.

— Mais il y a du magma sous les terres de l’Insaride. Il y a des puits qui explosent et il en sort des fumées noires ardentes. On a toujours cru qu’en dessous, il y avait un lac de lave. Pas des tunnels en marbre de Lisia —murmura-t-il.

Iharath examina la roche avec la curiosité d’un explorateur. Alors, je m’assis sur la tortue et je demandai timidement :

— Et ce sac de provisions ?

J’avais une faim vorace. Le sac contenait du pain de voyage, des outres d’eau, de la confiture de baies et, bien sûr, quelques zooyas juteux. Nous mangeâmes en nous rationnant raisonnablement et, quand Wujiri rangea tout dans le sac, je dus tirer Syu par la queue pour qu’il ne prenne pas un autre zooya.

“Avec modération”, lui rappelai-je.

Syu soupira, mais il joignit les mains calmement et acquiesça.

“D’accord”, concéda-t-il. “Mais il a intérêt à bien garder les vivres”, ajouta-t-il, les yeux rivés sur Wujiri, qui remettait le sac sur son dos.

Nous reprîmes la marche et nous pénétrâmes dans les Tunnels Blancs. La galerie était dégagée, sans végétation, et la lumière qui régnait nous suffisait amplement pour avancer. La saïnal ouvrait le chemin et je vis avec curiosité que les ombres de son corps se rétractaient par intermittence, comme si elles luttaient contre la lumière.

Le voyage fut monotone et fatigant. Galgarrios, totalement remis, finit par jeter son bâton, le sac de provisions se vida peu à peu, les zooyas se terminèrent et Drakvian commença à marmonner tout bas qu’il n’y avait pas le moindre lapin dans les parages pour apaiser sa soif de sang. Je ne sais combien de temps nous restâmes dans ces tunnels. Ils tournaient, bifurquaient et, parfois, nous parcourions un même couloir pendant des heures entières. Nous dormîmes plusieurs fois, mais c’est à peine si je pus fermer l’œil. Je commençais déjà à me dire que ces Tunnels Blancs n’avaient pas de fin et que nous allions mourir d’inanition, quand Ga indiqua un petit défaut sur le marbre et déclara :

— Nous sommes arrivés.

Je m’approchai et j’examinai la fissure dans la pierre blanche, intriguée.

— Il y a… un passage secret, là ?

Ga acquiesça, elle introduisit ses longues griffes noires dans la fente et tira. Le silence du tunnel fut rompu par un bref fracas qui nous fit tous tressaillir. Comment savoir si un peuple d’orcs ne vivait pas tout près… Alors, je vis avec étonnement que la roche s’ouvrait, comme une porte camouflée. Derrière, se tenait un étroit passage plongé dans les ténèbres.

— À partir de là, il n’y a qu’un chemin possible et il n’y a pas de dangers —assura la saïnal.

Je m’empressai de le communiquer aux autres ; Iharath esquissa un sourire.

— Ça, c’est une bonne nouvelle —affirma-t-il. Il leva une main et invoqua une sphère de lumière—. Espérons que nous arriverons bientôt à la Superficie. En avant.

D’un pas ferme, il s’enfonça dans le passage. Drakvian n’hésita pas une seconde avant de l’imiter.

— Bon… —fit Wujiri, en se raclant la gorge, appréhensif—. Allons-y.

Galgarrios m’adressa un sourire encourageant et nous pénétrâmes dans le tunnel secret. Nous attendîmes une minute que Ga referme la porte derrière nous et la sphère d’Iharath devint alors notre unique source de lumière. Le silence était encore plus complet que dans les Tunnels Blancs. Je sentis que l’on me tirait les cheveux et je sus que Syu s’était mis à me faire des tresses, mal à l’aise face à la nouvelle situation. Frundis, dans mon dos, avait affirmé en se réveillant que son œuvre magistrale était presque terminée et de petits morceaux prometteurs de sa symphonie résonnaient à présent. Tout d’abord, nous avançâmes avec précaution, mais nous accélérâmes peu à peu le rythme. Le terrain plat se mit bientôt à monter et mon moral avec lui : nous nous approchions de la Superficie ! Et de Kyissé, ajoutai-je, sentant mon cœur bondir.

Bientôt, nous commençâmes à souffler face à cette côte qui semblait ne jamais vouloir se terminer. Parfois elle tournait, s’escarpait puis s’adoucissait, se rétrécissait puis s’élargissait.

— C’est… mortel —haleta Iharath, ouvrant la marche.

Nous fîmes une pause quelques instants. Le sol rocheux s’était peu à peu couvert de terre, remarquai-je. Alors, Drakvian pencha la tête de côté.

— Vous entendez ce que j’entends ? —demanda-t-elle.

Je tendis l’oreille et je perçus un murmure lointain.

— Un ruisseau ? —hasarda Galgarrios.

D’un accord tacite, nous avançâmes d’un pas rapide malgré notre fatigue. Depuis combien d’heures marchions-nous ?, me demandai-je, exténuée.

À peine quelques mètres plus loin, la lumière d’Iharath sembla subitement être absorbée par une autre lumière. Une lumière ténue et rougeoyante. À cet instant, je sentis un léger courant d’air. Cela ne pouvait signifier qu’une chose…

— Démons —murmura le semi-elfe, ébloui.

Nous nous précipitâmes tous près du semi-elfe et je demeurai le souffle coupé. Devant nous, le tunnel se terminait brusquement et débouchait sur une sorte de jardin illuminé uniquement par une lumière rouge qui provenait d’en haut… du ciel nocturne. La Bougie, compris-je. Par ailleurs, le jardin, garni d’arbustes, de fleurs et de sources, se situait au fond d’un abîme entouré d’une muraille rocheuse de peut-être cent mètres de haut. La vue était impressionnante.

— C’est la Superficie, ça ? —souffla Drakvian, le regard levé sur l’énorme précipice.

Je me tournai vers Ga et je me rendis compte que la saïnal avait avancé d’un pas et levait maintenant une main. Du jardin, se détacha une forme encore plus sombre que la nuit. Aüro, compris-je, appréhensive. Mes compagnons devaient aussi l’avoir vu, car je remarquai leur mouvement de recul. Syu se réfugia sous mes tresses, agité.

“Cet endroit est plein d’énergies”, se plaignit-il.

Il l’était, en effet. Toutefois, contrairement à la Tour du Sorcier de Dathrun, dans ce jardin, l’énergie était stable, quoiqu’incroyablement dense.

Le saïnal émit une série de grognements dans une langue inconnue et Ga lui répondit, en nous signalant d’un geste vague ; Aüro secoua alors la tête et croisa les bras, l’air contrarié.

— Cet Aüro ne semble pas très accueillant —susurra Wujiri entre ses dents.

Ga s’agitait, inquiète, face aux paroles incompréhensibles d’Aüro.

— Devinez quoi —nous chuchota Drakvian avec un sourire sinistre—. Ils sont en train de se demander si nous serions meilleurs bouillis ou rôtis.

Nous soufflâmes et nous observâmes les deux saïnals avec appréhension. Kyissé devait être là, pensai-je, en scrutant les ténèbres. J’espérais presque la voir sortir de quelque buisson, avec sa robe blanche, courant vers moi et criant : « Shaeta ! ». Je souris tendrement et je pris une inspiration, brusquement décidée. Je ne pouvais attendre davantage en sachant que j’étais si près… J’étais sur le point de faire un pas en avant et d’esquiver Aüro s’il le fallait quand des claquements dans mon esprit me retinrent tout à coup.

“Shaedra, comment vas-tu ?”

“Zaïx”, soufflai-je sans quitter Aüro des yeux. “Je vais… très bien. Et Spaw ?”

“Apparemment, il est hors de danger. Il est dans les Extrades.”

J’inspirai profondément, fortement soulagée. C’est alors seulement que je me rendis compte combien je m’étais préoccupée pour lui durant ces derniers jours.

“Et toi ?”, s’enquit Zaïx. “Tu as quitté Kaarnis, n’est-ce pas ? Spaw et ton oncle te cherchent.”

J’acquiesçai mentalement.

“Oui. Nous venons de sortir des Tunnels Blancs par un passage secret qui monte plus ou moins jusqu’à la Superficie.” Je marquai une pause avant d’ajouter : “Je suis au fond d’un abîme avec des compagnons et nous sommes à un pas de trouver Kyissé.”

— Ils ont pris une décision —chuchota alors Drakvian.

Ga venait de se tourner vers nous.

— Il te dit de l’accompagner toute seule, Shaedra. Apparemment, il te connaît et il te fait confiance.

J’écarquillai les yeux.

— Il me connaît ? —murmurai-je, incrédule. Comment un saïnal perdu au fin fond d’un abîme pouvait-il me connaître ?

“Dans un abîme ?”, s’étonna en même temps le Démon Enchaîné. Lentement, je fis quelques pas en avant, tandis que Zaïx, méditatif, poursuivait : “Hum… Les Tunnels Blancs sont sous les Extrades, n’est-ce pas ? C’est une bonne nouvelle. Spaw ne tardera pas à te trouver. Et quand il le fera, tu viendras sans plus attendre auprès de moi pour te cacher : tu ne voulais pas dire adieu au monde saïjit et le hasard a décidé pour toi, ma fille. Et, au fait, évite tout contact avec les autres Communautés pour le moment. J’ignore comment ils ont pris ton petit spectacle et je ne voudrais pas qu’ils s’intéressent trop à toi, hum ? Alors, tu me promets que tu viendras directement à… ? Aïe !”, s’exclama-t-il soudain.

“Que se passe-t-il ?”, m’alarmai-je, en m’arrêtant.

“Rien… C’est Sakuni… elle dit que j’abuse de mes énergies”, marmonna-t-il, contrarié. “Alors, tu me le promets… ?”

Il siffla et le contact bréjique se coupa. Je réprimai un sourire en imaginant Sakuni et Zaïx en train de discuter et de grogner. Et pourtant, comme l’avait bien dit Spaw un jour, Sakuni était la bonté et la patience personnifiées.

— Shaedra ?

La voix de Ga me rappela à la réalité. Au milieu des ténèbres rougeoyantes de la nuit, ses yeux me scrutaient, inquiets.

— Il y a un problème ?

Je fis non de la tête.

— Non. Où est Kyissé ? —demandai-je, anxieuse.

Nous nous étions éloignées de mes compagnons et, en m’approchant d’Aüro, je pus le détailler avec plus de précision. Il était plus petit que Ga et, sur sa tête, poussaient deux petites cornes qui se confondaient presque avec les ombres qui l’enveloppaient.

— Elle est là, au fond du jardin —répondit Aüro.

La tête du saïnal se rapprocha légèrement. Ses yeux laiteux reflétaient à présent plus de tranquillité.

— Tu es Shaedra ? —me demanda-t-il.

— C’est moi —affirmai-je.

Aüro dut remarquer mon impatience parce qu’il se redressa aussitôt et me fit signe de le suivre. Il s’avança sur un étroit sentier bordé d’arbrisseaux et je jetai un coup d’œil à mes compagnons. Je devinai sans peine leur inquiétude.

— Ils attendront ici jusqu’à ce que le jour se lève —informa Aüro, en s’arrêtant—. Je n’ai pas confiance en eux. Ga m’a donné sa parole d’honneur qu’ils ne bougeraient pas d’ici.

Je fis un signe à mes amis pour qu’ils restent là où ils étaient, je pris congé de Ga d’un geste de la tête et je m’empressai de suivre le saïnal.

— Et pourquoi me fais-tu confiance à moi ? Tu ne me connais pas. Enfin, tu ne devrais pas me connaître —rectifiai-je, troublée.

“Peut-être qu’il s’agit de quelque devin”, plaisanta Frundis tandis que nous avancions.

“Bien sûr”, fis-je, goguenarde. “Nous sommes dans un Cycle du Bruit. Il a dû avoir quelque rêve prémonitoire… C’est évident. Ou alors, il a peut-être avalé une spiartea de soleil.”

Aüro avança encore de quelques pas avant de répondre :

— Je ne te connais pas. Mais je sais que tu as sauvé la fillette.

Les arbustes cédèrent soudain la place à un petit pré vert et, adossée à la roche, dissimulée sous un haut chêne au feuillage épais, se trouvait une maison. Un instant, il me sembla qu’elle disparaissait camouflée par la paroi rocheuse mais, tout de suite après, je la vis apparaître de nouveau clairement. Elle était petite, avec des murs d’argile, et une lumière brillait à l’intérieur.

Je secouai la tête, réfléchissant un moment à ce que m’avait dit Aüro. Visiblement, il était au courant de ce qui était arrivé à Kyissé dans les Souterrains.

Soudain, alors que nous arrivions presque, une exclamation provenant de la maison résonna. La porte s’ouvrit et le seuil s’éclaira. Dans l’encadrure, apparut une fillette aux cheveux aussi bleus que le plumage des païskos. J’inclinai la tête de côté, incrédule.

— Kyissé ? —soufflai-je, en faisant un pas hésitant en avant.

— Sha-e-dra —articula-t-elle en s’appliquant à prononcer correctement mon nom.

Elle se précipita vers moi et un rayon de la Bougie illumina ses yeux dorés. Il n’y avait pas de doute, me dis-je. C’était Kyissé.

“Qu’est-ce qu’ils ont fait à ses cheveux ?”, demanda Syu, en clignant des yeux, se posant exactement la même question que moi. Cependant, qu’elle ait les cheveux noirs ou bleus, c’était toujours la même. Aussi, cessant de me préoccuper d’un détail aussi minime, je serrai la petite entre mes bras. La sentir enfin saine et sauve et aussi vive que d’habitude m’emplit d’un soulagement indescriptible.

— Les dieux soient loués —murmurai-je. Je m’écartai et je vis qu’elle arborait un grand sourire.

— Shaedra, mes grands-parents sont à l’intérieur ! —s’écria-t-elle joyeusement en tisekwa—. Tu veux les voir ?

Elle m’indiquait la porte. Là, venait d’apparaître le visage d’un homme âgé qui m’observait d’un air affable. La lumière d’une bougie illuminait ses traits pâles et ridés d’humain. Ce devait être sans nul doute le légendaire Sib Euselys, déduisis-je.

— Je n’attendais pas une surprise comme celle-ci —prononça-t-il en abrianais d’une voix posée—. On m’a beaucoup parlé de toi, Shaedra. Sois la bienvenue dans notre humble demeure.

J’ouvris la bouche et me redressai lentement.

— Merci —répondis-je avec sincérité—. Tu es Sib Euselys, n’est-ce pas ?

— En effet.

— Et… tu es le grand-père de Kyissé ?

Sib sourit et tout son visage s’agrémenta de rides radieuses.

— Je le suis de tout cœur —acquiesça-t-il—. Mais entre donc, s’il te plaît, et assieds-toi avec nous. Yarim était en train de m’apprendre à jouer à un jeu qui s’appelle… —il fronça les sourcils—. Je ne me souviens déjà plus du nom…

— Le kiengo ! —s’écria la fillette en riant et elle me prit la main pour me tirer vers l’intérieur.

— Yarim ? —soufflai-je—. C’est… son véritable nom ?

Sib acquiesça et alors un bruit derrière lui le fit s’écarter légèrement. Au milieu des ombres du couloir, sortit une silhouette svelte aux cheveux blancs. Était-ce Nawmiria Klanez ? Elle se précipita vers la porte et la lumière illumina tout son visage. À sa vue, je demeurai sidérée. Ce n’était pas Nawmiria. C’était…

— Aryès ?

Le kadaelfe était aussi ébahi que moi. Comme dans un rêve, nous fîmes tous deux un pas en avant.

“Syu, Frundis, c’est lui !”, exclamai-je, sentant mon cœur s’affoler.

Quelques secondes après, nous nous embrassions, riant et pleurant comme deux nérus. Durant un instant, le monde extérieur cessa d’exister.

— Dieux —souffla Aryès, la voix tremblante—. J’avais cru que jamais… Shaedra —murmura-t-il.

Sans prévenir, il me lâcha. Atterrée, je sentis que son corps se vidait de son énergie et je le soutins comme je pus. C’est alors seulement que je remarquai que sa peau bleutée était très pâle et anormalement froide. Je fus subitement prise de panique.

— Que diables… ? —fis-je, livide.

Le visage de Sib s’était assombri.

— Aüro, s’il te plaît, emmène-le de nouveau dans la chambre —lui demanda-t-il.

Le saïnal s’approcha et, malgré mon regard méfiant, il souleva le kadaelfe inconscient de ses deux bras et entra dans la maison. Aryès portait une simple tunique de laine brune.

— Ne t’inquiète pas, il est simplement inconscient —assura le vieil homme depuis la porte—. Entre et je te raconterai tout.

— Et le capitaine Calbaderca ? Et Kitari et Kaota ? —m’enquis-je, agitée.

— Entre et je te raconterai tout —répéta-t-il sereinement.

J’inspirai profondément pour me calmer. Aryès, par quelque étrange miracle, était parvenu à la demeure des Klanez. Et, visiblement, il lui arrivait quelque chose de grave. Je me tournai vers Kyissé et lui tendis la main. Le sourire encourageant qu’elle m’adressa me redonna un peu de courage. Nous entrâmes et le vieux Sib Euselys ferma la porte derrière lui ; il me guida dans une pièce où se trouvaient des coussins finement brodés autour d’une table basse avec un jeu de cartes d’Ajensoldra éparpillées.

Nous nous assîmes et, avant que le vieil homme ne parle, je m’enquis :

— Que lui est-il arrivé ? Il est malade ?

Sib fronça les sourcils tout en secouant la tête.

— Ce n’est pas réellement une maladie. Il a abusé de ses énergies. Il est très faible —expliqua-t-il avec gravité, tandis que je le regardais fixement, pâle comme la mort—. Cela fait peut-être trois semaines qu’il est ici parmi nous. Les premiers jours, il ne prononçait pas un mot. J’étais convaincu qu’il était devenu apathique pour toujours, mais Nawmiria m’a assuré qu’il ne l’était pas complètement. Et incroyablement, avec le temps, il est sorti de son apathie la plus profonde et il s’est mis à prononcer des paroles décousues. À un moment, il a mentionné une fillette aux yeux dorés… —Un éclat intense passa dans son regard—. En l’entendant, j’ai facilement compris que le jeune kadaelfe ne pouvait être que l’un des Sauveurs qui avaient trouvé ma petite Yarim. Le mois dernier, j’ai appris grâce à un ami, un orc, que Yarim était toujours en vie. Rencontrer l’un de ses Sauveurs alors que j’étais sur le point de partir chercher ma petite fille était vraiment inattendu… —Un léger sourire se dessina sur son pâle visage, mais il reprit vite son sérieux—. Apparemment, Aryès nous cherchait. Il nous a trouvés, mais cela lui a coûté cher. Il continue à délirer et il semble que quelque chose ronge sa conscience. Il dort à peine parce qu’il dit qu’il a peur de tomber. —Il baissa les yeux sur un coussin avant d’avouer— : Avant cette nuit, il n’avait jamais montré autant de lucidité. —Il leva la tête et ajouta avec douceur— : Il parlait constamment de toi.

Chaque mot qu’il prononçait me faisait l’effet d’un coup de marteau. Rien que d’imaginer Aryès plongé dans un tel état d’apathie, je sentis les larmes brouiller ma vue. Assis près de moi sur un coussin, Syu ouvrait grand les yeux, sans voix. Je fis un effort pour me remettre et je demandai :

— Que s’est-il passé pour qu’il abuse à ce point de ses énergies ?

— Il est tombé.

Ce n’était pas Sib Euselys qui avait parlé. Je me retournai vivement et je croisai des yeux identiques à ceux de Kyissé. Malgré son âge, Nawmiria Klanez était d’une beauté envoûtante. Sa chevelure ruisselait en une cascade blanche et vaporeuse jusqu’à sa taille. Elle ressemblait presque à un fantôme et, en même temps, sa présence était si nette qu’il me fut impossible de la quitter des yeux lorsqu’elle vint s’asseoir sur un coussin, près de la fenêtre. Rendue muette un instant, je réagis enfin.

— Mais… où est-il tombé ?

La nixe adopta une expression affligée quand elle répondit.

— Il est tombé dans l’abîme.

Je soufflai et je serrai les dents. Impossible, pensai-je. Cet abîme mesurait plus de cent mètres ! Comment diables Aryès avait-il réussi à y descendre sans se transformer en esprit ? Et comment avait-il fait pour se jeter dans cet abîme ? Je passai une main sur mon front, agitée.

— Mais… je croyais qu’il était dans les Hautes-Terres —murmurai-je.

Je me tus. Oui, Aryès était allé dans les Hautes-Terres, mais, si je calculais le temps que sa lettre avait mis à parvenir à Ato et que j’y ajoutais le temps qui s’était écoulé depuis, il pouvait parfaitement avoir erré plusieurs semaines dans les Extrades en compagnie du capitaine Calbaderca, de Kitari et Kaota, et être tombé dans ce gouffre pour quelque raison. Je secouai la tête nerveusement.

— C’est incroyable qu’il ait pu survivre à une telle chute.

— Il a utilisé ses arts et a freiné la chute —expliqua Nawmiria—. Mais les courants d’énergies de la Crypte ont dû affecter son sortilège. L’abus d’énergie se paie très cher. —Ses yeux dorés étaient si intenses qu’un instant, je sentis mon agitation s’apaiser.

En tout cas, si Aryès avait été capable de descendre ce précipice, il n’avait rien à envier à un expert Talvenir. Mais… que se passerait-il si Aryès ne se remettait pas de son apathisme ? Et s’il se rétablissait tout en gardant une empreinte indélébile ? Il avait déjà subi plus d’un apathisme, en particulier celui qui lui avait laissé les cheveux blancs et les yeux hypersensibles à la lumière. D’après ce qu’il avait raconté, il avait mis deux semaines à se remettre de sa crise. Et maintenant, trois semaines s’étaient écoulées et il était encore apathique…

“Shaedra”, gémit Syu. “Tu m’inquiètes sérieusement. Tu crois vraiment qu’il ne va pas guérir ?”

Rien que d’y penser, mon cœur se glaçait.

“Il guérira, Syu. Je n’ai jamais dit qu’il ne guérirait pas.”

Je sentis une main douce prendre la mienne et je me rendis compte que nous étions silencieux depuis plusieurs minutes. Kyissé me regardait en souriant.

— La gwinalia le sauvera —dit-elle.

Je la regardai sans comprendre et, alors, je me souvins de cette fameuse gwinalia, la fleur bleutée de la chance que m’avait offerte Kyissé dans les Souterrains. La fleur avait survécu à maintes péripéties. Mais pas à toutes. J’ignorais où je l’avais perdue et, à ce moment, l’affirmation de Kyissé ne fit que me saper le moral au lieu de me le remonter. Bon, au moins Kyissé allait bien et Ga ne s’était pas trompée en disant que la fillette avait retrouvé son foyer.

— Elle le sauvera —répétai-je, en faisant un sourire forcé—. Bien sûr. —Je me mordis la lèvre et je recomposai mon expression—. Dis-moi, Kyissé, pourquoi as-tu les cheveux bleus ?

La fillette haussa les épaules.

— Les cheveux noirs n’étaient qu’une illusion. C’est que… mes parents m’avaient dit de colorer mes cheveux en noir pour passer inaperçue. Et c’est ce que j’ai fait.

Je clignai des paupières, incrédule.

— Durant toutes ces années ?

Kyissé acquiesça, l’expression innocente. Je soufflai. Était-il possible de maintenir constamment un sortilège d’harmonie ? Le bruit d’une harpe me parvint.

“Bien sûr que c’est possible”, déclara Frundis. “Mais, pour cela, il faut être un bâton.”

“Ou avoir du sang de nixe”, ajoutai-je.

J’inspirai profondément et je remarquai que Sib aussi bien que Nawmiria m’examinaient avec attention.

— Aüro m’a dit que plusieurs personnes t’ont accompagnée jusqu’ici —dit la nixe—. S’ils promettent de ne dévoiler notre emplacement à personne, nous leur ouvrirons notre porte avec plaisir.

— Naw —murmura Sib, lui glissant un regard éloquent. Il me scruta de nouveau et demanda— : Combien sont-ils ?

— Eh bien… Iharath, Drakvian, Wujiri, Galgarrios et Ga. Cinq.

— Cinq —répéta le vieil homme—. Ils sont tous saïjits ?

Je grimaçai en entendant sa question.

— Non. Ga est une saïnal. —Sib acquiesça—. Et Drakvian est une vampire.

La nixe sursauta.

— Une vampire ? Aüro ne m’en avait rien dit.

— Et que fait une vampire en compagnie de proies potentielles ? —demanda Sib Euselys avec une évidente curiosité.

Je me raclai la gorge.

— Eh bien. Drakvian est une amie. Elle a grandi parmi les saïjits. —Au dernier moment, je décidai qu’il valait mieux ne pas trop parler et éviter de mentionner Marévor Helith—. Et en plus, elle aussi, elle a sauvé Kyissé. La petite la connaît. Elle ne vous fera aucun mal. —Je me mordis la lèvre et je promenai un regard distrait sur la pièce—. Si je peux me permettre de poser une question, depuis quand vivez-vous dans cet… euh… endroit ?

Sib arqua un sourcil.

— Dans la Crypte des Colibris ? Depuis quatre ans à peine. C’est un bel endroit. Je vais inviter tes compagnons personnellement —déclara-t-il, en se levant—. Ce n’est pas la peine que tu m’accompagnes —il sourit en voyant que j’allais me lever moi aussi—. Il vaudra mieux que tu te reposes, après tant de voyage.

Une telle confiance et une telle amabilité me déconcertaient un peu.

— Je voudrais voir Aryès —déclarai-je.

Sib acquiesça.

— Il est inconscient, jeune terniane. Il ne se réveillera probablement pas avant plusieurs heures.

— Je sais —répliquai-je—. Mais je voudrais le voir.

Une étrange lueur passa dans les yeux de Sib.

— Oui, je comprends.

Kyissé ne me lâcha pas la main et je ne lâchai pas la sienne. Syu grimpa sur mon épaule et nous sortîmes de la salle à manger. La maison n’était pas très grande, elle n’avait que trois pièces, et je me demandai comment diables Sib prétendait loger tous mes amis. Nous contournâmes un panier rempli d’oignons et Sib ouvrit doucement une porte. La chambre était dans l’obscurité complète. L’humain se tourna vers moi et me tendit la bougie ; puis il se pencha pour murmurer quelques mots à Kyissé, il la prit par la main et l’emmena avec lui au-dehors. Après une hésitation, Syu bondit sur le sol.

“Je n’aime pas les apathismes”, s’excusa-t-il, embarrassé. “Je vais voir les autres.”

J’acquiesçai et je fermai la porte derrière moi. Aryès avait un sommeil agité et murmurait en dormant. Après l’avoir observé quelques instants, je jetai un coup d’œil autour de moi. Le mobilier était presque inexistant : il n’y avait que deux corbeilles et plusieurs coussins abandonnés dans un coin. Je posai Frundis contre le mur et la bougie sur le sol avant de m’agenouiller auprès d’Aryès, allongé sur une paillasse.

— Non… —gémissait-il. Il agita la tête, comme s’il luttait contre quelque chose.

J’avalai ma salive et je lui pris la main. Elle était froide. Et sa joue et son front aussi. Je me souvins de la jeune elfocane de Ténap et du vieux Jenbralios d’Ato. Tous deux avaient souffert une crise apathique dont ils ne s’étaient jamais remis. Mais Aryès se remettrait. Parce que, s’il ne le faisait pas, je ne savais pas comment j’allais pouvoir supporter une réalité aussi horrible. Je fermai les yeux un instant, puis je m’allongeai auprès de lui et posai ma tête contre sa poitrine. Son cœur battait rapidement.

— Aryès… Tu m’as tellement manqué… —murmurai-je et je séchai mes larmes pour ne pas mouiller sa tunique.

Peu à peu, les battements de son cœur s’apaisèrent et sa respiration se fit plus régulière. Que diables pouvait-il lui être arrivé avant de tomber dans la Crypte des Colibris ?, me demandai-je. Où étaient le capitaine Calbaderca et ses Épées Noires ? Sib et Nawmiria ne m’avaient rien expliqué. Peut-être ne savaient-ils rien.

Je soupirai dans la chambre silencieuse. Quand les choses semblaient enfin s’arranger, tout s’altérait de nouveau. Kyissé avait récupéré ses grands-parents, mais, moi, j’avais anéanti ma vie de saïjit… et celle de Spaw. Aryès était dans un état auquel je préférais ne pas trop penser et, pourtant, il était toujours en vie et je ne pouvais nier que, malgré toute mon inquiétude, je me sentais heureuse d’être à ses côtés. “Tant que nous sommes là où nous sommes, il y a toujours de l’espoir”, avait dit Frundis. J’esquissai un faible sourire.

La fatigue finit par s’emparer de moi et je plongeai dans un sommeil tranquille où une fillette aux cheveux bleus dessinait des visages inconnus sur le sable d’une plage. À un moment, un des dessins s’anima prenant les traits de Marévor Helith et celui-ci m’adressa un sourire squelettique. Je me réveillai brusquement quand je sentis une main froide caresser ma joue. J’ouvris les yeux, à moitié endormie. Une faible lumière s’infiltrait par les fentes des volets et les yeux bleus d’Aryès brillaient.

— Aryès ! —murmurai-je. J’allais lui demander comment il allait, mais ses lèvres étouffèrent mes paroles. Une sensation de joie parcourut tout mon corps. Se pouvait-il qu’Aryès se soit rétabli ? Le kadaelfe brisa le contact et me sourit. Je poussai un soupir de soulagement—. Comment te sens-tu ?

Son sourire disparut, il s’allongea sur la paillasse et je le vis avaler sa salive avec difficulté.

— Shaedra —souffla-t-il—. Je crois… je crois que je perds la tête.

Sa réponse me ramena à la réalité : Aryès était trop pâle, même pour sa race, et tout indiquait que l’apathie continuait à le consumer.

— Tu ne perds pas la tête —répliquai-je, en essayant de donner à ma voix un ton convaincant—. Tu es en train de te rétablir. Tu as simplement abusé de tes énergies. Tu n’aurais pas dû descendre dans ce gouffre avec l’énergie orique.

Aryès inspira bruyamment et acquiesça, distrait.

— C’était une folie. J’aurais dû mourir —ses yeux s’agrandirent et il ajouta— : avec les autres.

Ses paroles me pétrifièrent.

— Le capitaine Calbaderca… est mort ?

Aryès cligna des paupières. Ses yeux s’étaient voilés.

— Des orcs nous ont attaqués. Nous avons couru. Et moi… je les ai abandonnés.

Un sanglot le secoua tout entier et il cacha son visage avec un bras.

— Je suis trop faible —murmura-t-il d’une voix tremblante et fatiguée—. S’il te plaît, tu ne devrais pas me voir comme ça.

Je secouai la tête, abasourdie. Que le capitaine Calbaderca, Ashli, Kaota et Kitari soient morts était inimaginable.

— Aryès —fis-je—. Tu les as vus mourir ?

Le kadaelfe écarta le bras de son visage. Celui-ci était déformé par la douleur, remarquai-je, épouvantée.

— Non —dit-il finalement—. Je ne les ai pas vus mourir. Mais ils n’avaient pas d’échappatoire. —Son visage perdit soudain toute expression. Il tourna la tête, me regarda et me sourit—. Shaedra —prononça-t-il—. C’est toi ?

Mes lèvres tremblèrent.

— Oui. C’est moi.

Aryès acquiesça tranquillement, puis il fronça alors les sourcils.

— Tout est très sombre. Nous sommes dans les Souterrains ?

— Non —expliquai-je doucement—. Nous sommes dans la Crypte des Colibris. L’abîme où tu es tombé il y a trois semaines. Dans les Extrades.

— Dans les Extrades ? Ça alors. —Il leva lentement une main vers moi et prit le collier que je portais autour du cou—. C’est un… joli collier —observa-t-il. Il semblait être pris de vertige—. C’est moi qui te l’ai offert ?

Je penchai la tête de côté, me demandant jusqu’où pourrait délirer Aryès. En réalité, pour le moment, il semblait aller assez bien : en sortant de Tauruith-jur, je m’étais jetée dans des divagations bien plus folles.

— Non —répondis-je—. C’est Lénissu qui me l’a donné. C’était le collier d’une Ombreuse.

— Mais toi, tu n’es pas une Ombreuse —répliqua-t-il faiblement.

J’esquissai un sourire. Ce n’était pas le meilleur moment pour lui expliquer toutes ces histoires.

— Repose-toi —lui dis-je. Je l’embrassai sur le front et je me redressai—. Et fais tout ton possible pour te remettre.

Aryès cligna des paupières et un éclair de lucidité passa de nouveau dans ses yeux.

— Shaedra. Cela faisait tellement longtemps… Je sais que je devrais te demander beaucoup de choses. Mais je suis si fatigué… —Il leva une main tremblante et je la lui pris, inquiète. Je l’entendis inspirer profondément— : Ne t’en va pas.

Sa voix vacillante et la panique dans ses yeux m’ébranlèrent profondément.

— Je ne m’en irai pas —lui promis-je.

Son regard se voila de nouveau de brume. Ses lèvres remuèrent et murmurèrent quelque chose sur des orcs ; il n’était ni tout à fait endormi, ni tout à fait éveillé. Je m’installai plus confortablement sur les coussins et je croisai les bras, enrageant d’être incapable d’aider Aryès. Quand, des heures plus tard, Drakvian vint avec un plateau garni, je n’avais pas bougé d’un pouce. La vampire arqua un sourcil après m’avoir détaillée du regard ; elle examina Aryès de loin, tandis que je tendais une main pour saisir une pomme.

— Il se remettra —dis-je avec fermeté—. Aryès se remet toujours.

La vampire m’adressa un sourire.

— Je le crois, moi aussi. Tu sais ? Iharath et Sib s’entendent à merveille depuis le début. Sib vient de sortir son épée Cobra pour la lui montrer, à lui et à Wujiri. C’est une relique —expliqua-t-elle—. Et Kyissé et Galgarrios sont avec Nawmiria dans le jardin. Peut-être que tu devrais sortir un peu —suggéra-t-elle.

Je fis non de la tête, obstinée.

— Je ne veux pas le laisser seul.

Drakvian leva les yeux au ciel.

— Comme tu voudras. Je peux te tenir compagnie ?

Je lui souris et acquiesçai avant de croquer dans ma pomme.