Accueil. Cycle de Shaedra, Tome 6: Comme le vent

4 Le délai

Je ne dormis pas une journée entière, mais suffisamment pour une jeune terniane comme moi. Je dînai avec les autres kals, je dormis de nouveau et je ne me réveillai qu’à quatre heures du matin. Pensant subitement que Kwayat m’avait peut-être attendue, je me vêtis rapidement et je sortis, sans bruit, de ma petite chambre.

La nuit était silencieuse et l’air, chaud. Apparemment, les beaux jours arrivaient plus précocement à Aefna qu’à Ato. À mi-chemin, j’eus l’étrange impression que quelqu’un me guettait, et je continuai à avancer, effrayée, sans savoir quoi faire. Je n’osais pas me retourner pour voir qui c’était. Et, entretemps, j’étais assaillie par des questions qui ralentissaient de plus en plus mon rythme. Je ne pouvais arriver chez Kwayat ainsi, épiée par un inconnu. Et s’il s’agissait d’un kal ? Ou d’un démon ? Peut-être était-ce juste mon imagination ? S’il s’agissait d’un bandit, il m’aurait déjà attaquée, raisonnai-je. L’espace d’un instant, je regrettai de ne pas avoir emmené Frundis qui, outre ses dons de compositeur, était un bon bâton de combat. J’essayai de me convaincre que j’étais une bonne har-kariste, élève du maître Dinyu : je pouvais me défendre. Je tournai le coin de la rue et je me fondis dans l’obscurité avec les ombres harmoniques. Pour terminer de dérouter mon poursuivant, je m’agrippai au mur, je grimpai avec discrétion et je me juchai sur un arbre, près du portail. C’était une chance qu’il y ait un jardin, pensai-je, en scrutant la rue.

Les bruits de pas s’arrêtèrent, mais je ne vis personne dans la rue. Lorsque je crus que le danger était enfin passé, une silhouette apparut sous la lumière des lampadaires. Ses yeux m’observaient fixement.

Épouvantée, je me rendis compte que non seulement le sortilège harmonique avait cessé de fonctionner, mais, en plus, par quelque défaut de ma Sréda, je m’étais transformée en démon. Et maintenant, la Sréda, déchaînée comme une mer démontée, vibrait furieusement.

Je reculai précipitamment sur la branche, la respiration accélérée. J’avais vu une femme vêtue de noir qui me regardait, immobile comme une statue, sous la lumière, pour que je la voie bien.

— Eh —murmura une voix—. Descends de là et suis-moi.

Je baissai les yeux et j’aperçus, dans l’obscurité, une forme avec une cape verte. C’était Spaw. Sans plus réfléchir, je me laissai glisser jusqu’au sol et je le suivis en courant, en jetant de temps en temps des coups d’œil en arrière, convaincue que la femme en noir nous suivrait.

Nous grimpâmes sur un toit bas et nous redescendîmes dans une autre rue assez éloignée, mais nous continuâmes à courir cependant. Spaw ne s’arrêta que lorsque nous arrivâmes à un parc des faubourgs de la ville.

Finalement, il se tourna vers moi, il me contempla un moment et s’adossa contre un arbre, méditatif.

— Qui était cette femme ? —haletai-je.

— Tu ne sais pas contrôler la Sréda —observa-t-il sans me répondre—. Tu devrais reprendre ta forme saïjit.

J’écarquillai les yeux et je constatai qu’effectivement, j’étais toujours transformée en démon. Je réadoptai ma forme de terniane, en rougissant.

— Je… je regrette. Je ne sais pas ce qui m’est arrivé. Je me suis transformée sans m’en rendre compte et cette femme m’a vue —fis-je, désespérée.

— Hum. Cela peut être un problème. Il vaudra mieux que tu évites de la recroiser.

— Mais qui était-ce ? —insistai-je.

— Je ne peux pas le savoir avec certitude… peut-être était-ce un démon. Ou peut-être tout le contraire. Enfin, ne te tourmente pas avec ça. Kwayat m’a donné un message pour toi.

J’arquai un sourcil, alarmée.

— Un message ? Cela veut dire… qu’il est parti ?

— Oui, il était pressé —répliqua-t-il—. Comment savoir ce que fait cet homme.

Un instant, je pensai que Kwayat avait dû retourner auprès de Naura, la dragonne. Je l’avais vu si enthousiaste lorsqu’il s’en était occupé…

— Quel est le message ? —m’enquis-je.

Spaw s’écarta de l’arbre et s’approcha de moi lentement à tel point que j’eus envie de reculer, mais je me retins. Ses yeux étaient noirs comme l’obscurité de la nuit.

— Il a dit : “Méfie-toi de tout le monde. Surtout des Communautaires. Je reviendrai” —chuchota-t-il à mon oreille—. Telles sont ses paroles. Et celles-ci, ce sont les miennes —dit-il, en sortant un objet de sa poche—. C’est un cadeau.

Son visage était si proche du mien que j’entendais sa respiration comme si cela avait été la mienne. Étourdie, je baissai les yeux vers l’objet et, aussitôt, je fronçai les sourcils.

— Un collier ?

— Le plus joli de tout Ajensoldra —acquiesça-t-il, en souriant et en ouvrant le collier.

— C’est une magara —dis-je, en examinant son expression avec attention.

Spaw acquiesça avec sincérité.

— Oui. Elle renferme un sortilège de protection.

— De protection ? Que fait-elle exactement ?

— S’il t’arrive quelque malheur, elle te protègera, aie confiance en moi.

Je le regardai fixement.

— D’où le sors-tu ?

Spaw sourit, impatient.

— Lorsque d’autres t’offrent un cadeau, te disent-ils d’où il provient ?

— Je ne te connais pas.

— Moi, si. C’est suffisant pour que je puisse t’offrir quelque chose, tu ne crois pas ?

— Comment savais-tu que j’étais dans cet arbre ? —lui demandai-je, méfiante—. Comment savais-tu qu’on me poursuivait ?

— Je ne veux pas te mentir, Shaedra. Je veux seulement que tu saches que tu peux avoir confiance en moi. Tu veux que je te le mette ? —demanda-t-il, en soulevant le collier.

— La dernière fois qu’on m’a donné un collier, je l’ai perdu —l’avertis-je.

— Celui-là, tu ne le perdras pas —dit-il en souriant—. Il a trop de valeur.

— L’autre aussi avait de la valeur —murmurai-je, un peu honteuse, en me souvenant du shuamir que m’avait donné le maître Helith.

Spaw passa ses bras autour de moi et je le regardai, les yeux plissés.

— Tu te méfies toujours autant ? —demanda-t-il, en me passant doucement le collier autour du cou, tandis que je me retenais de bondir et de grimper à un arbre.

Avec une certaine résignation, je relevai mes cheveux et je le laissai attacher les deux bouts du collier. Sa proximité et sa douceur me troublaient plus que je ne l’aurais cru.

— Il te va bien.

Je fis une moue et je lui lançai un regard sceptique. Je ne comprenais pas encore comment j’avais bien pu permettre à Spaw de m’attacher une magara autour du cou. Pensais-je vraiment qu’elle allait me protéger de tous les problèmes que j’avais ? Ou était-ce que je commençais à ressentir les mêmes faiblesses que Laya pour les har-karistes qu’elle combattait ? Si Syu avait été là, il se serait esclaffé.

— Kwayat m’a dit de me méfier des gens —dis-je, en examinant le collier. Il se composait de trois chaînes, faites d’or blanc, à ce qu’il me sembla.

— Si tu te méfies de tout le monde, personne ne pourra t’aider quand tu en auras besoin —répliqua-t-il—. Et maintenant, tu devrais rentrer. Le jour va bientôt se lever.

J’acquiesçai, je reculai de quelques pas et je me raclai la gorge.

— Hum… Merci, Spaw.

Le démon sourit largement, l’air satisfait.

— À bientôt.

Dès que je fus de nouveau couchée dans ma chambre, je repassai mentalement notre conversation pendant un bon moment. Spaw était trop séducteur, me dis-je, avec une moue têtue. C’était un démon, je ne devais pas l’oublier. Il était apparu soudainement, et il avait tout l’air de m’avoir suivie. C’était plus que suspect. Et j’avais la sensation que ses actes étaient calculés. Je portai la main au collier et je tentai d’examiner les énergies qui vibraient en lui. On percevait l’énergie essenciatique et l’énergie orique. Le tracé était inextricable. Un instant, je pensai que je pourrais le porter à Dol pour qu’il l’identifie. Mais je rejetai aussitôt cette option. Le collier était probablement une magara créée par des démons. Si Dolgy Vranc s’en rendait compte, je préférais ne pas imaginer ce qui pourrait arriver.

Non. Si j’avais décidé d’accorder ma confiance à Spaw, je devais assumer les conséquences de mes actes. S’il s’avérait que j’avais agi stupidement, je me promis alors que je laisserais Syu et Frundis me sermonner pendant un jour entier.

* * *

— Reine Bleue et suite de Couronnes —annonça Salkysso, triomphant.

Les autres, nous protestâmes, déçus. C’était la troisième fois que l’elfe noir gagnait et certains commençaient à s’irriter. Surtout Yori.

— Ce n’est pas juste —disait celui-ci, en soufflant—. Tu as dû tricher, je suis sûr que j’avais vu passer la Reine Bleue. Donne-moi le tas de cartes pour que je cherche, Ozwil.

— Mauvaises langues ! —se moqua Salkysso—. Je n’ai jamais triché de ma vie. C’est de l’habileté, c’est tout.

“Moi, personnellement, je ne l’ai pas vu tricher”, me dit Syu, assis sur mon épaule. Comme amateur de cartes, il avait suivi la dernière partie d’arao avec intérêt.

“Moi non plus”, assurai-je ; pourtant j’observai Yori avec curiosité, pour voir s’il trouvait la Reine Bleue.

L’ilsère, après avoir vérifié les cartes jouées, secoua négativement la tête, exaspéré.

— Ce n’est pas possible. Je demande la revanche.

— Bah, moi, je laisse tomber —intervint Laya, en quittant la table.

Ozwil, Avend et elle se levèrent, nous laissant seuls.

— Moi, je vais faire un tour —dis-je alors—. Bonne revanche.

— Tout compte fait, une défaite de plus ne peut pas lui faire de mal —commenta Salkysso, en contemplant Yori, un petit sourire moqueur aux lèvres.

“Moi, je reste”, dit Syu, en sautant sur la table et en s’asseyant entre les deux adversaires. “Je parie une banane que Salkysso va gagner.”

“Entendu”, répliquai-je. “Je ne reviendrai probablement pas avant une heure. Aryès et moi, nous avons rendez-vous à l’Eauclaire.”

“Bonne promenade”, me répondit-il, distrait.

Yori avait déjà commencé à distribuer les cartes et Syu suivait leurs mouvements avec vivacité. Je sortis du réfectoire de la Grande Pagode en souriant. Ce matin-là, les maîtres nous avaient laissés tranquilles. Ils nous avaient invités à aller voir les différentes épreuves, mais nous avions préféré jouer aux cartes un moment. J’allai chercher Frundis et je le trouvai en train de se plaindre d’être abandonné.

“Comment peux-tu croire que je serais capable de t’abandonner, Frundis ?”, lui répliquai-je, surprise, en voyant qu’il avait vraiment l’air de parler sérieusement. “Tu es un excellent ami. Et le meilleur compositeur au monde. Je te porterai jusqu’à ce que tu te lasses de moi”, lui promis-je. Le bâton s’anima tant qu’il commença à donner un concert à plusieurs voix et je ne sais combien d’instruments.

Je passai un bon moment à chercher la fontaine qui portait le nom d’Eauclaire. Finalement, il s’avéra qu’elle se trouvait sur l’Anneau, au nord du Sanctuaire, comme me l’avait indiqué Aryès, mais aucun nom n’était inscrit. Par contre, la taverne qui se situait juste en face portait un écriteau avec l’inscription : « La fontaine d’Eauclaire ».

Je m’étais vêtue avec la tunique de har-kar, parce que celle-ci, contrairement à l’autre, avait un col qui dissimulait mon collier. Comme je n’avais trouvé aucune histoire pour justifier la présence de cette chaîne, j’avais préféré la cacher pour l’instant. J’entendis les cloches du Temple qui sonnaient douze heures. Assise sur le bord de la fontaine, je sentis se poser sur moi les yeux admiratifs des enfants. Une apprentie de la Pagode d’Ato !, devaient-ils penser. Je leur souris et je me levai. Je commençai à sentir le soleil taper fort, je traversai la place et je m’assis à l’ombre d’un arbre, sur un muret de pierre. Je regardai autour de moi. Les gens sortaient des épreuves du Tournoi ou de leur travail et les tavernes s’emplissaient. Je commençais à m’impatienter. Où était donc Aryès ?

En observant les gens passer, je ne pouvais m’empêcher de chercher, en vain, la femme à l’habit noir qui m’avait tellement terrifiée cette nuit. Irritée de ne voir Aryès nulle part, j’entrai dans la taverne, en me disant qu’il était peut-être là, à m’attendre. Mais j’eus beau scruter les différentes tables, je ne le trouvai pas. Quelque chose me disait que ce n’était pas normal.

Je demandai un jus de fruits et j’achetai un casse-croûte succulent qui m’ôta un peu la déception d’avoir payé pas moins de cinq kétales pour un repas. J’achetai aussi une banane, pour le pari que j’avais fait avec Syu, le matin, et je la gardai dans ma poche. Puis, je sortis de la taverne et je partis à la recherche du refuge de Lénissu. Pourtant, je n’arrivai pas jusque là.

En fait, je commençais tout juste à arpenter l’Anneau lorsque j’entendis des cris et un fracas de bottes et de sabots. Je passai la tête entre les arbres qui bordaient le chemin de l’Anneau et je vis deux cavaliers montés poursuivant un homme qui avait l’air d’un vagabond. Ils lui lancèrent un lasso et l’immobilisèrent.

— Je suis innocent ! —criait le vagabond.

— Nous le tenons ! —clama l’un des cavaliers.

Ils firent faire volte-face à leurs chevaux et je m’empressai de les suivre, pour voir ce qu’il se passait. Un attroupement de curieux s’était déjà formé.

— Écartez-vous —rugit un garde qui, à l’insigne qu’il portait, devait être le capitaine.

— Voleurs ! —s’écria quelqu’un dans la foule.

D’autres se joignirent à son exclamation et le capitaine semblait sérieusement exaspéré.

— La Justice s’occupera de tout. Écartez-vous —répéta-t-il— et retournez à vos occupations.

— Ils en ont bien pour dix ans de travaux forcés, minimum —commenta quelqu’un près de moi.

— Il faut bien que quelqu’un travaille —répliqua son ami avec un grand sourire moqueur.

Comme les gens commençaient à se disperser et que la zone se dégageait, je pus voir trois personnes, la tête recouverte de sacs pour que l’on ne voie pas leur visage. J’allais me désintéresser du sujet lorsque, soudain, je reconnus les habits de deux d’entre eux et mon sang se glaça dans mes veines.

— Non —murmurai-je, atterrée.

— Allez, en route —dit le capitaine, stimulant son cheval.

Pétrifiée, je les observai partir par une rue transversale, me maudissant cent fois d’avoir proposé à Lénissu qu’Aryès reste avec lui. Les yeux rivés sur les chevaux qui s’éloignaient, je sentis, un moment, une certaine rage. Pourquoi Lénissu se fourrait toujours dans des embrouilles ? Qu’avait-il fait à présent ?

Sortant d’un état de paralysie, je commençai à courir avec la ferme intention de rattraper les gardes. Je les suivis et je les vis entrer au quartier général. Les pensées agitées, je retournai à la Grande Pagode et je réfléchis pendant plusieurs heures sans savoir quoi faire. Fatiguée d’être enfermée dans ma chambre, je sortis dans le jardin avec Frundis. Celui-ci n’avait su me donner aucun conseil et je me sentais totalement perdue. De quoi accusait-on Lénissu et Aryès ? Pourquoi un des spectateurs avait-il crié « voleurs » ? Qui était ce vagabond ? Mais la question qui me revenait sans cesse, c’était : comment pouvais-je les aider ?

En voyant le maître Dinyu et le maître Aynorin s’approcher dans l’allée du jardin, en parlant avec animation d’une épreuve du Tournoi, je recomposai mon expression et je me raclai la gorge.

— Bonjour.

— Bonjour, Shaedra —répondit le maître Aynorin—. Tu aurais dû venir à l’épreuve de déserrance. Yori et Marelta y étaient, et Suminaria aussi.

J’écarquillai les yeux de surprise.

— Suminaria ? —répétai-je—. Je croyais qu’elle était restée à Ato.

— Eh bien, finalement, il semble qu’elle ne retournera pas à Ato, du moins pas cette année —répondit-il sur un ton léger.

Cette nouvelle me laissa pantoise. L’oncle Garvel avait peut-être terminé ses affaires à Ato et décidé de revenir à Aefna, pensai-je.

— Maintenant que j’y pense —ajouta le maître Aynorin—, tu devrais aller la voir, avec les autres. Elle sera sûrement ravie de vous voir.

En me souvenant de sa mauvaise humeur et de son étrange comportement, ces derniers mois, je doutais qu’elle soit « ravie », mais, comme avait dit Avend, peut-être se comportait-elle ainsi pour quelque bonne raison. Personnellement, j’aurais bien aimé lui rendre visite, mais je ne voulais pas sentir son regard accusateur. De toutes façons, j’avais des affaires plus urgentes. Comme, par exemple, sauver Lénissu et Aryès.

J’effectuai donc un salut et j’attendis que les maîtres disparaissent sur le chemin pour reprendre mes réflexions désespérées. Cependant, quelques secondes après, trois silhouettes surgirent de derrière un arbuste.

— Shaedra, qu’est-ce que tu fais ? —demanda Sotkins, en se mettant à courir—. Viens avec nous, vite, sinon tu vas rater ça.

Laya fit une moue, en la voyant partir en courant et elle m’expliqua :

— Le maître Dinyu va se battre en duel avec le maître Aylanku, d’Agrilia.

— Je suis sûr que notre maître va l’emporter —dit Zahg.

— Chut —dit soudain Sotkins, en se retournant—. Taisez-vous, sinon on va nous entendre. Suivons-les discrètement —insista-t-elle.

J’observai Laya et Zahg passer à côté de moi et suivre Sotkins en silence. Avec un soupir, je me dirigeai vers le réfectoire et je trouvai Salkysso et Yori qui jouaient encore aux cartes, mais, cette fois, ils faisaient une partie avec Syu. Naturellement, me dis-je, en roulant les yeux. Il n’avait pas pu résister.

— Eh, Shaedra ! —exclama Salkysso, avec un grand sourire, en se tournant sur sa chaise—. Vraiment, ton singe m’impressionne de plus en plus.

“J’ai gagné trois parties de suite”, commenta Syu, avec un air de suffisance. “Et…”, ajouta-t-il. Son sourire se changea en une moue de défaite. “Salkysso a perdu la première partie.”

Je gloussai.

— C’est un as pour jouer aux cartes —approuvai-je, sortant la banane de ma poche. Syu ouvrit de grands yeux avides mais sans espoir.

Tandis que j’épluchais lentement la banane, j’ajoutai :

— Mais c’est parce que c’est moi qui lui ai appris. —Le singe me montra ses dents—. Et parce qu’il a un régime formidable.

En souriant, je partageai la banane en deux, j’en donnai la moitié au singe et je mangeai l’autre moitié. Le singe gawalt me regarda, étonné, mais il se reprit aussitôt et dévora le fruit avec appétit.

Salkysso et Yori échangèrent des regards perplexes.

— On dirait qu’il comprend tout ce que tu lui dis —observa Yori, en observant le singe, ses dents pointues de mirol semi-découvertes.

— C’est possible —acquiesçai-je, en haussant les épaules—. Si cela ne vous dérange pas, je vous enlève votre joueur préféré.

“Hum, il s’est passé quelque chose, n’est-ce pas ?”, demanda le singe.

“Tu vas devoir m’aider, parce que nous avons de très gros problèmes”, lui avouai-je.

Syu s’ébroua et sauta sur mon épaule.

“Voyons si je devine. Le collier que t’a donné ce démon était un piège.”

“Cela n’a rien à voir avec Spaw”, soupirai-je. “Lénissu et Aryès ont été emprisonnés, et je ne sais pas quoi faire !, si ce n’est d’entrer en force pour qu’on m’enferme moi aussi.”

Tandis que nous sortions du réfectoire, Syu prit un air méditatif, il eut un mouvement soudain, comme s’il était arrivé à une conclusion, et il déclara :

“Décidément, tu as besoin de conseils. Parce que ton idée est mauvaise, désolé de te le dire. Tu as encore beaucoup à apprendre de moi.”