Accueil. Les Pixies du Chaos, Tome 2: Le Réveil de Kala
Nous prîmes congé des villageois de Zif-Erdol tôt le matin, dès que Yéren eut décidé que le plus sûr était de transporter immédiatement “l’humain ex-dokohi” à Firassa. Rokuo, le maire du village, nous offrit un grand fromage en guise de remerciement et Yabéko de Dris nous donna une bénédiction jardique et assura qu’il ne manquerait pas de la donner également au Gourou du Feu tous les jours et qu’il lui demanderait même la permission de rénover le sanctuaire et de lui redonner vie. Avant même que nous partions, les villageois avaient commencé à fabriquer un plateau circulaire de bois massif bien épais pour boucher le puits puisque, manifestement, celui-ci ne portait pas si bonne chance.
— « Dis donc, au fait, » fis-je, alors que nous nous mettions en marche derrière la carriole qui transportait Yéren et l’ex-dokohi inconscient, « tu ne nous as toujours pas expliqué comment tu t’es retrouvé mêlé à cette histoire. »
Je m’adressais au jeune gnome arrogant aux taches de rousseurs qui, dès le matin, avait poussé les hauts cris parce que nous l’avions étendu sur une paillasse. Pour se venger un peu, Yabéko lui avait donné du pain dur au petit déjeuner.
Xarif avançait d’un pas raide, de mauvaise humeur.
— « Ce n’était pas ma faute, » lança-t-il. « Et je n’ai pas envie de vous expliquer. Je veux seulement que ce type me rende ce qu’il m’a volé hier quand il a utilisé son truc de magie avec moi. »
Il indiquait Livon du menton. Celui-ci marchait devant, la tête basse. Son humeur ne s’était pas améliorée ; cependant, d’après Yanika, ce n’était plus tant de la tristesse qu’il ressentait, mais plutôt de la rage contre les dokohis. J’arquai un sourcil, mais ce fut Sirih qui intervint d’un ton sec :
— « Les Ragasakis, nous ne volons pas. Que ce soit bien clair, morveux. »
— « Comment oses-tu… ? »
— « Tout au plus, il a pu oublier accidentellement de permuter un objet que tu avais, » le coupai-je calmement. « Quand il ne porte pas sa cape, il a plus de difficulté à tout conserver. Alors, s’il t’a ‘volé’ quelque chose, tu as probablement reçu autre chose à la place. »
— « Oui, une facture du Parat ! Une maudite boutique de repas rapide. Je l’ai jetée dans un fossé, » cracha Xarif. « Moi, ce que je veux, c’est un papier à moi qui m’appartient. »
— « Passons la redondance, » soupirai-je. « Livon. Tu as ce papier ? »
Livon tourna vers Xarif et moi un regard éteint. Il secoua la tête sans beaucoup d’intérêt.
— « J’ai les mains attachées, comment vais-je savoir ? Cherche-le, toi. »
Xarif fronça les sourcils.
— « Il est hors de question que je mette la main dans la poche d’un aventurier. On dit qu’elles sont pleines de punaises de lit. »
“Mais quel malappris !” s’indigna Myriah.
— « Crois-tu tout ce qu’on raconte ? » répliqua Sirih. « Cherche-le si ça t’intéresse tant. »
Le gnome lui lança un regard froncé, jeta un coup d’œil autour de lui comme pour essayer de découvrir qui était celui qui parlait par bréjique et demanda :
— « Quelqu’un a-t-il un gant ? »
Personne ne lui répondit. Finalement, il se décida à risquer sa main dans les poches de Livon, et j’en déduisis que ledit papier devait réellement être important. Après avoir examiné soigneusement les deux poches des pantalons, il foudroya le permutateur.
— « Où l’as-tu mis ? »
Livon n’était pas d’humeur à le supporter, il l’ignora et reprit la marche. Xarif grogna durant une demi-heure au moins avant que je ne lui dise :
— « Je sais peut-être où il est. Mais, si tu veux le savoir, tu vas devoir nous raconter un peu ce qui s’est passé, comment les dokohis ont fait pour vous capturer et vous tromper, Orih et toi. »
— « Si cette idiote de mirole ne s’ét… ! »
Je le saisis par sa chevelure rousse, en ajoutant :
— « Et pas d’insultes. »
Je crois que, plus que mon regard, ce fut celui de Livon qui le calma, et Xarif décida enfin de nous faire un récit de ce qui s’était passé, concis et en grande partie crédible :
— « Quand je suis allé à la Maison Rouge, c’était pour jouer une somme d’argent. Au lieu de toucher au début, j’ai doublé mon pari, j’ai gagné et j’ai emporté un papier qui attestait mon numéro. Je devais aller toucher mon argent le soir, mais vous m’en avez empêché et, quand je me suis rendu compte que vous m’aviez volé le papier, vous étiez déjà loin. J’ai réussi à me libérer de la corde de père et j’ai cherché votre confrérie de chasseurs à la noix. Je suis tombé sur un quat’z’yeux qui m’a dit d’attendre le retour d’une aventurière, qui allait partir vous chercher dans un village perdu, alors, j’ai attendu. » Sa grimace de contrariété était de plus en plus prononcée. « Mais je ne m’imaginais pas que nous allions faire le chemin à pied. Cette folle voulait même courir. Finalement, elle s’est mise en colère contre moi et elle a fait tout un scandale sur la voie publique. Un type avec sa charrette nous a demandé où nous allions et nous a proposé de nous emmener. Comme la nuit tombait déjà, nous avons accepté. Il avait l’air d’un type assez normal. »
— « Comment était-il ? »
Le gnome indiqua d’un geste de son menton pointu la carriole de Yéren qui avait déjà pris une bonne avance sur nous.
— « C’était celui-là. »
— « Le barbu ? » demanda Sirih.
— « Mm, » confirma Xarif. « Sauf qu’il portait des lunettes de soleil. Il a dit qu’il était laitier à Zif-Erdol. »
— « Et tu as vu beaucoup de laitiers avec des lunettes de soleil, toi ? » souffla Sirih.
— « Ne m’interromps pas ! À Trasta, porter des lunettes de soleil est à la mode. J’ai pensé que c’était pour ça. » Son regard s’envenima face à l’éclat de rire de Sirih, mais il poursuivit avec une patience inattendue : « Cet humain nous a alors invités à boire un verre de lait. Moi, j’ai tout de suite senti qu’il y avait quelque chose dedans. »
— « Bien sûr, » répliquai-je, sceptique. « Et vous vous êtes endormis. »
Xarif acquiesça, ralentissant le pas.
— « La dernière chose dont je me souvienne avant de m’endormir, ce sont ses yeux. Ils étaient aussi blancs que le lait que nous avions bu. »
— « Des dokohis, » expliqua Sirih. « Ils sont moitié spectres, moitié saïjits. »
— « Ça, je le sais déjà, » répliqua Xarif sur un ton mordant. « Moi, ce que je veux maintenant, c’est récupérer mon papier. Vos problèmes, je m’en contrefiche. Tu me l’as promis, » me rappela-t-il.
J’acquiesçai.
— « Exact. Ton papier est probablement dans les poches du barbu, vu que Livon a permuté avec lui. Tu peux courir pour essayer de le rattraper, ou tu peux continuer à marcher tranquillement avec nous. »
Après une hésitation, Xarif jeta un coup d’œil à ses sandales et décida de rester avec nous. Visiblement, courir n’était pas une chose qui le réjouissait.
— « Je croyais que les gnomes couraient vite, » laissa échapper Sirih, moqueuse.
— « Ferme-la, Daercienne, » s’emporta Xarif.
— « Et ton père ? » m’enquis-je pour apaiser les esprits. « Crois-tu qu’il aura de nouveau mis ta tête à prix ? »
— « Encore en quête de kétales, parasite ? » grogna le gnome.
— « Non, » assurai-je. « En réalité, ça ne m’intéresse pas. »
Xarif cligna des yeux. Et il marcha un moment, en silence.
— « Tu ne vas pas me ramener chez mon père ? »
— « Ça ne m’intéresse pas, je te dis. Fais ce que tu voudras. Mais je te préviens : si tu continues à mépriser systématiquement les inconnus, tu finiras par te retrouver seul comme un ours. »
Ceci, étonnamment, le calma et le laissa méditatif durant le reste du trajet. Quand nous arrivâmes à Firassa, nous passâmes par la maison de Yéren, à cause du fameux papier, mais aussi pour nous assurer que l’ex-dokohi était toujours inconscient et inoffensif. Sans le collier, théoriquement, il n’était plus contrôlé par un spectre, mais nous ignorions quelle sorte de saïjit c’était. Cela pouvait être un bandit, un assassin… ou un honnête berger de chèvres. Nous ne savions pas non plus s’il était Souterrien ou de la Superficie, mais ce que nous savions, c’était qu’en tant que dokohi, il travaillait depuis un bon bout de temps à la Superficie pour ses congénères. Je me demandai combien de saïjits étaient réellement passés par ce Puits du Néant.
— « Ce n’est pas possible ! » s’exclama Xarif.
J’entendis la voix de protestation de Yéren, demandant silence depuis la chambre. Le gnome apparut sur le seuil de la maison du guérisseur, rouge de contrariété.
— « Eh bien, il ne l’a pas ! Pourquoi ne l’a-t-il pas ? » me lança-t-il, accusateur.
Je fronçai les sourcils. S’il ne l’avait pas, alors… Soudain, je m’aperçus qu’il y avait quelque chose d’autre dans ma poche en plus du diamant de Kron. Il y avait un papier. Ou plutôt, il y avait eu un papier. Parce que durant le voyage je l’avais émietté sans même y penser… jusqu’à le réduire en poussière. Je rougis légèrement.
— « Ben… Mince. Ça alors. Dis-moi… Et dans cette Maison Rouge, ce n’est pas suffisant si tu te présentes tout simplement ? Ils ont sûrement noté ton nom et ils reconnaîtront sûrement ta tête… »
— « Cette maison de paris ne fonctionne pas avec des noms et des têtes, elle fonctionne avec des billets ! » me cria le gnome. « Je suis très en colère ! »
— « Je le vois bien, » toussotai-je. Et il le serait davantage s’il apprenait la vérité… Les permutations de Livon pouvaient parfois être assez ennuyeuses. Je fis claquer ma langue. « Combien d’argent as-tu perdu ? »
— « Dix-mille ! » croassa le garçon. « Dix-mille kétales ! Une quantité dont tu ne pourrais même pas rêver. Avec ça, je voulais rendre ce que j’avais pris à mon père, et je voulais l’envoyer se faire cuire des crapauds dans le fleuve. Avec les dix-mille, j’aurais été libre ! »
— « Eh bien… je suis désolé, » dis-je avec sincérité.
— « Ça n’en restera pas là, » affirma-t-il rageusement. « Je vous ferai payer, toi et l’autre kadaelfe. Vous me devez dix-mille. »
— « Si nous les avions touchés, sans aucun doute, » admis-je. « Mais ce n’est pas le cas. Le papier s’est perdu. Ce sont des choses qui arrivent. »
Nous nous éloignâmes, prenant le chemin de la confrérie. Le gnome protesta jusqu’au bout de la rue, où il s’arrêta, silencieux, pour nous contempler.
— « Il est très triste, » dit Yanika. « Nous ne pouvons pas l’aider ? » Je soupirai, et elle ajouta : « Tu te sens coupable. »
C’était vrai, bien que ce ne soit pas exactement pour ça… Je secouai la tête.
— « Nous ne pouvons pas faire grand-chose pour lui. Ce n’est pas de l’argent dont a besoin ce garçon : il a plutôt besoin d’une leçon d’humilité. »
* * *
Le moral des Ragasakis était bas. Je pouvais sentir le stress dans l’air autour de la table basse de la confrérie à laquelle nous nous étions tous assis. Je le sentais presque aussi clairement que devait le sentir Yanika. Bien que celle-ci ait l’air de s’appliquer à réduire son aura pour ne pas empirer les choses. Elle avait envie d’être avec eux et, en même temps, elle voulait les laisser seuls pour ne pas les rendre plus lugubres qu’ils ne l’étaient déjà, devinai-je.
Après avoir appris les détails, Naylah serrait Astéra plus fermement que d’habitude sans s’en séparer. Loy était particulièrement affecté. Tout compte fait, Orih avait été pour lui comme une petite sœur sauvage qu’il avait consolée, grondée, instruite de mille choses… Le secrétaire des Ragasakis était pâle et bouleversé. Il s’était effondré sur un coussin et n’en avait pas bougé. La vieille Shimaba posa sur la table une théière pleine d’eau chaude et d’herbes aromatiques et, pendant que je me chargeais de servir des tasses dans l’espoir de rompre le silence de glace qui s’était emparé de l’atmosphère, la vieille femme riva son regard vif sur le collier du permutateur.
— « Pouah ! Même le pire des enfers ne nous prendrait pas Livon. Rien ne pourrait te changer, mon garçon, tu seras toujours notre permutateur risque-tout, » lui lança-t-elle, tapotant sa chevelure bleue. Et elle se redressa en disant : « Ragasakis : à présent, nous avons des raisons personnelles d’en finir avec ces dokohis. Nous interrogerons cet ex-dokohi dès qu’il se réveillera et nous l’obligerons à nous révéler l’endroit où ils ont emmené Orih. »
— « Je ne crois pas qu’il nous le dise, » murmura Naylah.
Shimaba la fixa un instant du regard, l’air de réfléchir, puis elle fronça les sourcils.
— « Sans doute pas. »
— « Il ne dira rien, » répéta Naylah, « parce qu’il ne se souviendra de rien. Et s’il s’en souvient… ce sera peut-être dans quelques années. Ça a l’air de fonctionner comme ça. Le spectre crée sa propre cellule à l’intérieur de l’esprit, il la protège… et ses barrières sont si fortes qu’elles ne laissent pas filtrer les souvenirs. »
— « C’est une possibilité, » concédai-je.
— « Non, » répliqua Naylah. « Ce n’est pas une possibilité : c’est la réalité. »
Ses yeux dorés se posèrent sur le collier de Livon, sur le visage de Livon, sur nos visages à tous… et elle serra Astéra plus fortement encore.
— « Je suis désolée de ne pas vous l’avoir dit avant mais… » murmura-t-elle, « moi-même, j’ai été une dokohi. »
Son assertion sembla paralyser le temps.
Nous la regardâmes tous bouche bée. Bon, pas tous. Shimaba avait l’air de déjà le savoir. Donc, Zélif devait être au courant elle aussi. Loy se montrait seulement à moitié surpris, comme si on lui avait confirmé quelque chose qu’il soupçonnait déjà même si la seule idée le choquait. Moi, j’avais déjà imaginé que Naylah avait eu affaire aux dokohis, mais savoir qu’elle avait été l’un d’eux me fit l’effet d’une douche froide.
— « Tu étais… une dokohi ? » souffla Livon. La nouvelle l’avait tiré de son mutisme inhabituel. « Toi… Nayou ? »
Ses yeux brillèrent de stupéfaction. Je fronçai les sourcils.
— « La guerre de Liireth s’est achevée il y a plus de trente ans. Comment se fait-il que tu sois… »
Naylah acquiesça doucement.
— « J’ai hérité le collier de ma mère. Elle était une dokohi de la guerre. Je ne me rappelle pas bien ce qui s’est passé, j’étais très jeune et le collier semble avoir même effacé des souvenirs antérieurs. Je suppose que ma mère est morte et que c’est pour cela qu’on m’a mis son collier. Je ne me rappelle pas non plus comment, ni où, ni qui. Je sais seulement… que je n’étais pas seule. Et je me souviens d’un nom. D’un seul. Le nom d’un homme qui, je crois, a pris soin de moi, m’a éduquée et m’a sauvé la vie plus d’une fois. » Elle frissonna légèrement quand elle prononça : « Kan. »
— « Kan, » répéta Sirih, altérée. « C’était un dokohi ? »
— « Il l’était. Et il l’est peut-être encore. » Naylah déglutit et secoua doucement la tête face à nos regards rivés sur elle. Ses longues mèches argentées tombaient en cascade autour d’elle, assombrissant ses yeux dorés. « Mes souvenirs sont encore très nébuleux. Pendant très longtemps, j’ai cru que ces souvenirs n’étaient que des hallucinations. Je les ai racontés à Zélif et à Shimaba. Elles ne voulaient pas m’inquiéter et ne m’ont rien dit alors. Mais, dans le cratère, avec les vampires… vous vous rappelez ? »
— « Bien sûr que je me rappelle, tu t’es évanouie, » dit Livon, anxieux. « Tu nous as fait une peur bleue. »
Naylah lui adressa l’ombre d’un sourire coupable.
— « Je sais. Pardon de vous avoir inquiétés. J’ai du mal… à parler de ça. »
— « Tu n’as pas à nous en parler, » assura Livon.
— « Je n’ai pas grand-chose à ajouter non plus, » avoua la lancière. « C’est frustrant… mais je n’arrive pas à me rappeler davantage. Si seulement je pouvais en découvrir plus sur mon passé… Je ne me souviens même pas du jour où j’ai été sauvée. Shimaba m’a raconté que c’est Néfikel qui m’a trouvée. Je portais déjà Astéra. C’est pourquoi je ne sais même pas d’où je sors cette lance. Les dokohis me l’ont sûrement donnée… à moins que je ne l’aie volée aux saïjits. » Son front se plissa. « Shimaba dit qu’elle ne sait rien de plus mais… si je portais une lance, même si je n’avais que treize ans à l’époque… c’est sûrement parce que je m’en servais. Il est même possible que… »
Elle baissa les yeux vers ses mains comme si elle les voyait soudain teintées de sang innocent. Il y eut un lourd silence. L’aura de Yanika était taciturne. Les autres se taisaient, choqués.
— « Néfikel, le troisième fondateur des Ragasakis ? » demandai-je alors. « Celui qui a disparu ? »
Naylah acquiesça.
— « Par quelque moyen, il a réussi à m’enlever le collier. Je ne sais pas comment. C’était peut-être un des aventuriers qui l’accompagnaient. Zélif dit qu’elle ne sait pas qui ils étaient. Peut-être un destructeur. »
Un très bon alors, pensai-je. La lancière inspira profondément.
— « Je ne sais pas ce que j’ai fait quand j’étais une dokohi, j’ignore même si j’ai tué ou non, et c’est ce qui me frustre le plus : ne pas le savoir. Si seulement je pouvais me souvenir, cela nous aiderait sûrement. Mais, pour le moment, je peux juste vous dire que l’homme que vous avez laissé avec Yéren ne se rappellera rien quand il se réveillera. Il éprouvera uniquement un terrible vide et l’horrible sensation d’avoir fait quelque chose de mal. » Elle leva la tête et ses yeux dorés flamboyèrent. « Par Astéra, je le jure : je pourchasserai les dokohis, je tuerai Liireth s’il est encore en vie et je sauverai non seulement Orih, mais aussi tous les saïjits enfermés. Et si je ne peux pas les libérer en brisant les colliers… au moins, je m’assurerai qu’ils ne commettront pas d’autres crimes. » Elle posa un poing sur la table. « Je sauverai Kan. Je le libèrerai de ce collier maudit pour l’empêcher de commettre plus de crimes. »
Des crimes auxquels tu as peut-être participé quand tu étais dokohi, pensai-je. Mais je ne l’accusais pas. Je m’inquiétais davantage de la nervosité de plus en plus évidente de Jiyari. Je crus comprendre pourquoi. D’une façon ou d’une autre, il devait être arrivé à la même conclusion : que Liireth et Lotus étaient la même personne. Or, lui, tout compte fait, voulait ressusciter Lotus, pas le tuer. Il voulait sauver notre sauveur et revoir notre famille. Je libérai légèrement mon Datsu et ignorai le regard interrogateur de Yanika. Moi, j’étais du côté des Ragasakis, me dis-je. C’étaient mes amis. J’allais les aider. Cependant, je devais avant m’assurer que le Lotus du Masque Blanc était réellement Liireth, que Liireth était réellement un diable assassin. Parce que Kala ne le percevait pas ainsi.
— « Avant de nous centrer sur Liireth, » dis-je, « nous devrions nous centrer sur Zyro. C’est lui qui a dirigé les dokohis depuis la guerre. Si tu as fait quelque chose de mal, c’est sûrement lui qui te l’a ordonné. »
— « Mais c’est Liireth qui a créé les colliers, » argumenta sombrement Livon. « S’il revenait vraiment à la vie… il serait capable d’en fabriquer d’autres. »
Je ne pus répliquer à cela. Yanika soupira.
— « Nayou… Moi, je suis avec toi. Et je sais que mon frère pense pareil. Nous ne pensons pas que tu sois coupable, de même que, moi, je ne suis pas coupable si mon aura vous rend tous nerveux ou triste. Tu es même moins coupable parce que… tu ne pouvais même pas essayer de lutter pour reprendre le contrôle, n’est-ce pas ? Tu n’étais même pas une esclave de ce spectre… tu étais enfermée, en pause… Ce spectre t’a volé des années de vie. Mais maintenant tu es libre. Nous résoudrons ça tous ensemble. C’est comme ça qu’agissent les Ragasakis, non ? »
Son discours fut accueilli par des acquiescements et des confirmations de tous, par un soupir de Shimaba et des larmes de Naylah.
— « Merci, Yanika, » dit celle-ci, émue. L’aura de ma sœur s’emplit de soulagement et de satisfaction. La lancière retrouva une voix plus sereine quand elle commenta : « À mon avis, Kan devait connaître Zyro et son but de ressusciter Liireth. Ce n’était pas n’importe quel dokohi. Il avait du pouvoir et j’ai l’impression que je n’étais pas la seule à ses ordres. Si seulement nous pouvions le trouver, nous pourrions en tirer beaucoup de réponses. »
— « Mais, d’abord, nous allons chercher Orih, » affirma Livon.
— « D’abord, nous allons attendre que Zélif revienne, » intervint Shimaba. « D’après sa dernière lettre, elle ne va pas tarder à rentrer. »
C’était une bonne nouvelle, me réjouis-je. Je dis :
— « Bien. Mais, tout d’abord, Livon, je t’enlèverai ce collier. »
Celui-ci ouvrit grand les yeux.
— « Tu crois que tu peux y arriver ? »
“Bien sûr qu’il peut !” intervint Myriah, jubilante. “C’est un destructeur, n’est-ce pas ? Pourquoi ne l’as-tu pas fait plus tôt, tête de linotte ?”
— « Pour la même raison que je ne l’ai pas fait pour Tchag, » répliquai-je. « Parce que je ne veux pas que le fer noir perfore leur cou et détruise leur trachée. Mais je m’entraînerai. »
Mon affirmation généra des moues hésitantes.
— « Tu crois pouvoir y arriver ? » douta Loy.
— « Il pourra, » sourit Livon, me regardant avec confiance. « Je suis sûr qu’il pourra. »
Yanika acquiesça avec la même certitude et je souris. Ce n’était pas une question de pouvoir ou non : je devais le faire. C’est toujours ainsi que Lustogan me présentait les choses et c’est ainsi que je décidai de me présenter ma nouvelle tâche. Je me levai avec entrain.
— « Est-ce que vous connaissez un bon fournisseur de fer noir dans Firassa ? »
La vieille Shimaba leva un index.
— « Pour ça, je peux t’aider. »