Accueil. Les Pixies du Chaos, Tome 1: Les Ragasakis
Les adieux, le jour suivant, furent amicaux. Les Atarah avaient pris Yéren et le Prince Ancien pour leurs sauveurs, et le grand-père Dalorio, enfin rétabli, nous avait promis que son peuple n’oublierait jamais la faveur reçue. Il offrit à Orih un pendentif en argent, relique de son peuple, afin que celle-ci leur pardonne à tous, y compris aux Aïeuls déjà défunts. La mirole avait voulu refuser, en disant qu’elle leur avait déjà pardonné, que le véritable coupable de tout avait été Farog, mais Dalorio était un vieux têtu et il parvint à la convaincre en lui disant :
— « Cette relique, c’est ton grand-père qui l’a rapportée au village. Il avait le même esprit aventurier que ta mère. Peut-être que tu ne t’en souviens pas, il est mort quand tu étais très jeune, mais je sais qu’il aurait souhaité qu’elle te revienne. Tant que tu la porteras, l’esprit de ton grand-père et celui de tes êtres chers te protègeront. Ton peuple, ou ce qui en reste, a décidé de servir le Prince Ancien le temps qu’il restera dans ce cratère. Les Atarah, nous sommes des montagnards ignorants du monde moderne. Nous fuyons les autres saïjits peut-être même plus que le Prince Ancien… Alors, quand je te vois entourée de jeunes aventuriers, je comprends que la vie d’un Atarah n’est pas faite pour toi. Continue à suivre ta propre voie, Orih Hissa. Et continue à avoir confiance en toi. »
Tout se termina par un adieu humide et exagéré qui déconcerta même Yanika. Nous arrivions devant le passage qui conduisait hors du grand cratère quand je vis Orih baisser les yeux sur son nouveau pendentif et je souris intérieurement. Au moins, les problèmes de son passé s’étaient résolus positivement, bien que non sans larmes.
— « Le Prince Ancien vous souhaite un bon retour, » dit Limbel, s’arrêtant.
Waïspo et lui nous avaient raccompagnés jusqu’à la sortie. Je dis à ce dernier :
— « Au fait. Si tu aimes Le dragon s’est trompé de proie, je te recommande les autres livres de Sirigasa Moa. »
Le vampire aux lunettes arqua les sourcils, surpris, et sourit.
— « Je les ai déjà tous lus jusqu’au dernier et plusieurs fois. Je suis un grand fan de Moa. »
Un vampire fan d’une écrivain de Donaportella… Avait-on déjà vu cela. Amusé, je souris largement. Livon agita énergiquement la main.
— « Heureux de vous avoir connus ! »
Les commissures des lèvres de Limbel se courbèrent légèrement.
— « Pareillement. »
C’était la première fois que je le voyais sourire sans avoir l’air menaçant.
Nous traversâmes le tunnel et, bientôt, nous avancions à travers la forêt, suivant Mérek. Nous avions déjà dit à celui-ci qu’à l’aller, nous avions marqué notre chemin, mais le mirol avait insisté pour nous accompagner jusqu’à Skabra, disant qu’il trouverait peut-être la piste de Rakbo. Quoi qu’il en soit, Orih avait l’air de se réjouir de sa compagnie.
La suivante à ouvrir la marche derrière Mérek et Orih était Naylah. Après son évanouissement de la veille, la guerrière avait voulu à tout prix écouter les paroles du Prince Ancien malgré son trouble, elle avait même parlé plus longuement avec lui en privé et avait passé une nuit au sommeil agité. Cependant, elle ne semblait pas encore comprendre ce qui lui arrivait ; ou du moins, elle ne nous en avait rien dit. Yéren, malgré ses connaissances en endarsie, était aussi perplexe que nous. Néanmoins, notre préoccupation s’atténua au fur et à mesure que nous la voyions guider le groupe avec son habituelle énergie.
Quand nous arrivâmes à la fameuse rivière où Livon avait permuté avec moi pour s’épargner la traversée, nous nous assurâmes que le permutateur passait en premier. Il fut un peu blessé par notre manque de confiance, mais il retrouva aussitôt toute sa bonne humeur quand, peu après, nous fîmes une pause au bord de la rivière pour manger les derniers friands de Kali. Finalement, avec l’aide des Atarah, nous les avions tous mangés. Qui l’aurait cru.
Nous ramassions nos sacs et allions nous remettre en marche après une agréable sieste —moi-même, je commençais à m’habituer à l’inéluctable sieste des Firassiens—, quand Sanaytay leva soudain la tête et dit avec une étrange sérénité :
— « Nous sommes encerclés. » Nous la regardâmes, saisis, tandis qu’elle ajoutait, concentrée : « Je crois qu’ils sont dix… Non. Douze. »
Douze, me répétai-je, les sourcils froncés. Je scrutai la lisière des bois. Des bandits, peut-être ?
— « Et en descendant la rivière, il y a quelqu’un ? » demanda Naylah.
Sanaytay acquiesça.
— « Ils sont trois, » murmura-t-elle. « Ils viennent de s’arrêter. »
Cela en faisait donc neuf dans les autres directions.
— « Bien, » dit Naylah, agitant ostensiblement sa lance. « Ne perdez pas votre calme et faisons comme si nous ne savions rien. Continuons. »
Nous reprîmes la marche en longeant la rivière. Yanika avançait près de moi, avec une aura relativement tranquille. Était-ce parce qu’elle pensait qu’ils ne nous attaqueraient pas ? Percevait-elle quelque chose ? Ou était-ce parce qu’elle espérait qu’en si bonne compagnie, il ne nous arriverait rien ?
Nous ne marchâmes même pas deux minutes avant que Mérek, un peu pâle, s’arrête et dise :
— « Un peu plus loin, la rivière fait un coude. Si nous coupons… »
Il ne termina pas sa phrase, mais tous, nous comprîmes : si nous coupions à travers bois, les types qui nous poursuivaient pourraient nous tendre une embuscade de tous côtés. Mais longer la rivière avait aussi certains inconvénients : ils pourraient nous acculer contre l’eau.
Livon laissa échapper un son guttural méditatif et, tout d’un coup, il leva une main vers la forêt et lança joyeusement :
— « Bonjour ! Nous sommes des aventuriers. Qui êtes-vous ? »
Son initiative nous laissa tous interdits. Face au regard froncé que lui jeta Naylah, le permutateur prit un air innocent.
— « Ils pourraient déjà nous avoir attaqués, mais ils ne l’ont pas fait, » raisonna-t-il. « Peut-être qu’ils n’ont pas de mauvaises intentions. »
Nous entendîmes un bruit de branches brisées et je scrutai les fourrés, aux aguets ; alors, je les vis apparaître. Ils étaient vêtus de tuniques noires et d’amples pantalons de couleur mauve. Presque tous portaient des bâtons, et j’eus du mal à croire qu’ils n’aient pas de mauvaises intentions ; cependant, dès qu’ils apparurent, Aruss s’exclama :
— « Frères ? »
Je regardai le Gourou du Feu, surpris. Frères ?
— « Grand Gourou ! » dirent plusieurs désordonnément.
— « Frères… Nature Sacrée ! Que se passe-t-il ? » dit Aruss, subitement nerveux. « Que faites-vous avec ces bâtons ? Je… Vous n’allez quand même pas… ? »
Un instant, je me rappelai ce qu’avait dit Naylah à Skabra. Se pouvait-il que les Protecteurs Jardiques eux-mêmes souhaitent se débarrasser d’Aruss ? Jusqu’à présent, ils n’avaient rien fait, mais… pourquoi avaient-ils des expressions aussi altérées ?
Un Protecteur Jardique encapuchonné dévoila alors son visage et baissa son bâton, l’air incertain.
— « Peut-être que nous nous sommes trompés. Confrères ! Calmez-vous, » ordonna-t-il. Et il s’approcha de nous. C’était un elfocane, grand, les cheveux châtain clair et le visage allongé. Son regard se centra irrésistiblement sur Aruss. « Grand Gourou. C’est toi, mon garçon… L’Essence soit louée, tu es sain et sauf. »
Nous prenant tous par surprise, il lui donna une forte accolade. Aruss s’empourpra.
— « Némin. Désolé… Désolé de t’avoir autant inquiété. Je vous dois des excuses. Je n’aurais pas dû… »
— « Que faites-vous ici ? » l’interrompit Rozzy. « Je croyais que vous aviez confié la recherche aux Ragasakis. »
Nous autres, nous acquiesçâmes, révélant notre identité. Némin se tourna vers l’elfe jardique et secoua la tête.
— « Rozzy, mon garçon… Nous avons entendu de terribles nouvelles, » expliqua-t-il. Il indiqua Mérek. « Un mirol sauvage habillé comme celui-ci a été surpris à Skabra en train d’essayer d’enlever un guérisseur en plein jour. Il a été arrêté et interrogé. Selon les rumeurs, il aurait parlé d’un groupe de saïjits qui avait été enlevé par des vampires enragés. Nous avons tout de suite pensé à toi… Nous ne pouvions pas rester sans rien faire. »
Rakbo avait donc été capturé et interrogé. En chemin, les histoires s’étaient un peu embrouillées, mais je supposai que le gouverneur devait avoir une version plus exacte de la situation.
— « Rakbo… » murmura Mérek, l’expression alarmée.
— « Cette rumeur est fausse, » dit alors Aruss d’une voix claire. « Je n’ai pas été enlevé. Je suis simplement allé rendre visite à un grand sage dans les montagnes. Je ne pensais pas que je mettrais aussi longtemps à rentrer. Pardon de ne pas vous avoir avertis, frères. »
Il n’avait pas été enlevé, disait-il ? Lui aussi aimait déformer la réalité, visiblement. Quoi qu’il en soit, sa réponse fit oublier aux jardiques l’histoire des vampires, Némin nous présenta ses excuses pour avoir douté de nous et nous reprîmes la marche tous ensemble vers Skabra.
— « Un grand sage, dis-tu, Grand Gourou ? » dit Némin, curieux.
— « Oui, » sourit Aruss. La présence de ses confrères l’avait mis encore de meilleure humeur. « Cela peut paraître étrange, mais je suis convaincu que, si je n’étais pas allé le voir maintenant, notre confrérie aurait souffert un grand dommage. Tu te souviens, Némin, que je t’ai dit il y a quelques semaines que je ne comprenais toujours pas mon Essence ? Toi, tu as dit que c’était parce qu’étant gourou, mon Essence se fondait avec toutes les Essences et devenait plus difficile à comprendre. »
Livon et moi marchions derrière eux et nous échangeâmes un regard perplexe. Némin acquiesça.
— « Je m’en souviens. »
Aruss joignit ses mains derrière lui et leva un regard serein vers le ciel, laissant le vent dégager son front de ses mèches de feu.
— « Je crois que, maintenant, je l’ai comprise. Grâce aux paroles de ce sage, mais aussi grâce à ce que tu m’as dit un jour, Némin. Notre être a toujours raison d’être parce que c’est une pièce dans l’immense puzzle qu’est le monde. C’est ce que tu as dit. Et j’ai pensé que cette pièce, comme dans un puzzle, a besoin d’être entourée d’autres pièces qui la complètent pour arriver à exister véritablement. Alors… j’ai compris que, tous, nous étions des pièces indispensables. Même moi. Même notre confrérie. »
Némin sourit. Huh… Je roulai les yeux, amusé. Mar-haï, je ne savais pas si son image avait beaucoup de sens, mais, en tout cas, quoi qu’il ait compris, il était clair qu’Aruss était décidé à devenir un grand leader de sa confrérie.
— « C’est vrai, » murmura soudain Livon sur un ton pensif. Je lui jetai un regard en coin, surpris. « Le puzzle, » expliqua-t-il. « Les pièces ont des formes différentes, comme les gens, mais chacune a sa propre position. Comme dans le cube à chiffres. C’est pour ça que je n’arrive jamais à m’enthousiasmer avec ces jeux : leurs permutations ne servent qu’à arriver à un point déjà défini. C’est un monde fermé. »
Il s’absorba dans ses pensées. Je souris intérieurement et, croisant le regard amusé de Yanika, je lui murmurai :
— « À chaque fou sa marotte. »
Notre rythme ralentit notablement après que les jardiques s’unirent à nous, et nous arrivâmes à Skabra assez tard, quand le soleil s’inclinait déjà sur les montagnes de l’ouest. Sur la place de l’entrée, près de la fontaine dorée, Aruss s’arrêta pour nous dire :
— « Ragasakis. Je voudrais vous donner votre récompense tout de suite, mais notre base est à Firassa et je n’ai pas ici plus d’argent que celui que j’ai donné pour les thermes. Dès demain, je pense rentrer à Firassa et présenter mes excuses au conseil des guildes, particulièrement aux Bambouistes en raison du malentendu occasionné. Ce serait bien sûr un plaisir de voyager avec vous, mais… je viens de me rappeler que j’avais réservé un refuge entier pour mes frères, repas inclus, jusqu’à après-demain. S’il vous plaît, comme remerciement personnel, profitez-en autant que vous voulez, j’en serai honoré. »
Orih étouffa une exclamation. Nous accueillîmes la nouvelle avec joie, certains plus exagérément que d’autres. Une main sur la hanche et l’autre sur sa lance, Naylah sourit et dit :
— « Ce sera avec plaisir. »
Son ton courtois et posé ne trompa aucun de nous. Après tout, à l’aller, elle avait été la première à entrer aux thermes.
Le chemin jusqu’au refuge fut joyeux. Les rues étaient encore bondées de gens, les boutiques exhibaient leurs articles et les étrangers regardaient tout, achetaient des statuettes de la Jouvencelle, des savons spéciaux, des draps de bain… Sans surprises, presque tout était lié à l’hygiène du corps et de l’âme.
Le refuge où nous conduisit Aruss se situait dans la partie centrale de Skabra. Sans être trop fastueux, il était confortable : il comprenait un jardin luxuriant, plusieurs thermes et une maison de bambou avec une véranda.
— « On dirait un rêve ! » s’écria Orih et elle atterrit d’un saut sur la véranda en riant. « Moi aussi, je veux être Gourou du Feu ! »
L’intéressé sourit et s’inclina.
— « Je regrette que vous deviez partager l’endroit avec nous durant une nuit. »
— « Bah, bah ! Là où il y a de la place pour dix, il y a de la place pour vingt ! » répliqua joyeusement Orih.
J’éclatai de rire et Sirih se moqua :
— « Et là où il y a de la place pour cent, il y a de la place pour deux-cents, n’est-ce pas, Orih ? D’où sors-tu tes expressions ? »
Orih ne répondit pas : elle venait d’entrer dans le bâtiment pour y fureter comme chez elle et elle lança :
— « Regarde, Sirih, regarde ! Des tas de tableaux ! Toi, tu aimes les tableaux, n’est-ce pas ? Oh ! »
Nous l’entendîmes inspirer d’un coup en voyant… un chat. Le félin, aux poils longs et blancs, s’approcha sans crainte et l’expression d’Orih s’attendrit, ravie. Yanika s’avança. Généralement, ma sœur s’était toujours bien entendue avec les animaux domestiques et elle le démontra en faisant ronronner le chat blanc avant même de le caresser.
— « Comment s’appelle-t-il ? » demanda-t-elle, tandis qu’Orih tendait une main à son tour.
Aruss secoua la tête, amusé.
— « Je ne sais pas. À Skabra, il y a des tas de chats. Mais celui-ci, ce n’est pas la première fois que je le vois dans ce refuge. Il doit se sentir ici comme chez lui. S’il vous plaît, entrez et suivez son exemple, Ragasakis. »
Nous le remerciâmes et allâmes nous installer dans les chambres. Les filles Ragasakis ne tardèrent pas à disparaître avec ma sœur dans le bassin le plus grand, Yéren partit rendre visite à un ami à lui, guérisseur dans cette ville et, Livon et moi, nous finîmes par convaincre Mérek et Saoko de s’unir à nous dans un autre bain thermal. Si le mirol avait l’air absent et taciturne, Saoko, lui, abandonna son expression fermée dès qu’il entra dans l’eau chaude. Il ferma même les yeux et se détendit.
— « Dis donc, le Gourou du Feu a eu une sacrée bonne idée ! » se réjouit Livon.
— « Sacrément bonne, » approuvai-je.
J’expirai lentement, sentant la chaleur m’envelopper comme une cape. On entendait les voix distantes des filles Ragasakis, ainsi que la rumeur de la ville et le gargouillis constant de l’eau d’une fontaine proche. Un vent froid tourbillonnait au-dessus des vapeurs chaudes du bain, sans réussir à m’atteindre tout à fait. Je sentis toutes mes préoccupations et mes questions non résolues se diluer une à une : les dokohis, le Prince Ancien, mes sentiments indétectables… Et je me demandai si ma sérénité en cet instant aurait pu être plus grande si je n’avais pas eu de Datsu…
* * *
Souterrains, Île de Taey, an 5619 : Drey, 7 ans.
— « Mère, je suis rentré, » dis-je.
Je laissai mes petits gants de destructeur sur l’étagère et entrai dans le salon. La lumière rougeoyante des lanternes éclairait chaudement le tapis qui recouvrait le sol, mais les murs, vides, me paraissaient toujours aussi froids que d’habitude. Assise dans son fauteuil, Mériza Arunaeh peignait doucement la chevelure noire d’Alissa. Alissa était ma petite cousine. Elle était plus jeune que Yanika de quelques mois seulement, mais elle était beaucoup moins bavarde que ma sœur.
— « Drey, » me dit Mère. « Ne t’en va pas. Viens et tiens-moi compagnie. »
Je ne protestai pas. Après avoir passé la journée à m’entraîner, j’étais trop exténué pour jouer de toute façon, et Yanika n’était pas là pour me faire oublier ma fatigue. Je m’avançai et m’assis dans un fauteuil proche, les observant.
— « Mère, » répétai-je après un silence. « Pourquoi Alissa n’a pas de Datsu ? »
Un éclat triste passa dans les yeux de Mère.
— « Parce que je ne peux pas encore le lui appliquer, mon fils. »
Je fronçai les sourcils. Et après un autre silence, je demandai :
— « Pourquoi Yanika ne peut pas venir sur l’île ? »
Une autre lueur de tristesse apparut dans les yeux de Mère.
— « Parce que son Datsu est différent. »
Je fronçai de nouveau les sourcils. Je voulais lui demander encore : pourquoi ? Et encore : pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Mais je savais que Mère s’exaltait facilement, rien qu’avec quelques mots de trop. Je contemplai son Datsu. Il n’était pas violet comme le mien mais bleuté. Presque aussi bleu que ses yeux. Des yeux qui me rappelaient toujours beaucoup ceux de Lustogan, sauf que ceux de Mère étaient plus vivants, plus doux, et plus instables.
— « Mère, » dis-je d’une voix tranquille. Père m’avait dit de toujours lui parler d’une voix tranquille. « À quoi sert le Datsu ? »
Mère marqua un temps et, quand elle leva les yeux, je craignis un instant qu’elle aille perdre son calme. Mais alors, elle continua à peigner Alissa avec des gestes lents et répondit :
— « Le Datsu est un mesureur d’émotions. Et comme tout mesureur, il a un degré maximum, pour chaque émotion. » Ses yeux se posèrent sur une des lanternes rouges. Elle murmura : « Et c’est aussi davantage, fils. Le Datsu protège notre esprit. Il ne trahit jamais. »
À son regard troublé, je devinai que j’avais trop demandé. Si je lui faisais perdre les nerfs, Père se fâcherait. Je baissai les yeux sur mes mains, rougies et calleuses, et je demeurai immobile dans mon fauteuil, sans oser faire un seul geste.
* * *
Je serrai un poing sous l’eau. Pourquoi diables est-ce que je repensais à cette scène à un moment aussi paisible que celui-ci ? Mar-haï… Peut-être était-ce dû à ce fameux mesureur ; me voyant si tranquille dans le bain thermal, il essayait sans doute de m’équilibrer avec des souvenirs de mon enfance solitaire. Je les écartai, me concentrai à nouveau sur la chaleur de l’eau et ouvris les yeux vers le ciel. De longs nuages fins se teintaient d’or et de rouge sous le soleil couchant et j’étais en train de les contempler, émerveillé, quand je reçus tout à coup un jet d’eau. Livon et moi, nous nous regardâmes en même temps.
— « C’est toi qui as fait ça, Drey ? »
— « Mais qu’est-ce que tu dis ? C’est toi, Livon. »
— « Moi, je n’ai rien fait, » assura-t-il.
J’arquai les sourcils. Si lui n’avait rien fait et si Saoko et Mérek étaient de l’autre côté du bain, alors qui… ? Le mystère fut résolu quand la petite tête de Tchag apparut entre nous s’écriant avec un grand sourire :
— « Bouh ! »
Il se jeta sur le dos, ronronnant comme un chat, et commença à tourner comme un nuron, bien qu’en principe, dans les bains thermaux, de tels ébats ne soient pas permis. Et pendant qu’il jouait, une pensée me vint soudainement. À l’auberge de La Source, l’imp avait été se baigner avec Yanika et Naylah… c’était donc la première fois que je le voyais tout nu. Après la conversation que nous avions eue dans la demeure des vampires à propos du sexe de l’imp, ni Livon ni moi ne pûmes réprimer la tentation de regarder… et, quand nous le fîmes, nous étouffâmes difficilement notre stupéfaction.
— « Impossible… » murmurai-je.
Nous échangeâmes un regard ahuri. L’imp n’avait pas de sexe.
Barbotant, Tchag nous rejoignit en chantonnant et demanda, curieux :
— « Qu’est-ce qu’il se passe ? »
— « Mm ? Oh ! Rien, » sourit Livon. « Dis-moi, Tchag. Où as-tu appris à nager aussi bien ? »
Mar-haï. Livon s’était remis avec une facilité… Mais, moi, je ne parvenais pas à trouver un sens à cela. Si Tchag n’avait pas de sexe, alors… comment une espèce de créatures comme lui pouvait-elle exister dans les Souterrains ? Il devait être né déformé ou alors…
— « La sorcière Lul m’a appris ! » dit Tchag. Il secoua la tête et se fit plus sérieux. « Je ne sais pas. Je crois… que c’était elle. » Il s’interrompit, balança la tête et la releva subitement. Recouvrant sa bonne humeur, il nagea jusqu’aux rochers et grimpa en disant avec entrain : « J’ai entendu le gourou dire que nous allons dîner avec le gouverneur ! Je lui ai demandé s’il y aurait des friands, et il m’a dit qu’il n’y aurait pas de friands comme ceux de Kali, mais que ce serait sûrement un excellent dîner. »
Il rit rien que de se l’imaginer. Je roulai les yeux.
— « Glouton, » lui lançai-je.
L’imp agita ses jambes en riant.
— « Il y aura de la crème. Et du chocolat. Et des choux. Et des radis délicieux ! »
— « Moi, je n’aime pas les radis, » dis-je.
Tandis qu’il continuait à énumérer des noms d’aliments au hasard, je me rappelai que nous n’avions rien mangé depuis midi, et ses paroles me parurent de plus en plus cruelles.
— « Et des raisins, et du poisson, et des truites… » chantonnait Tchag.
Je donnai une tape sur l’eau pour l’éclabousser.
— « Ballot, va. Les truites, c’est du poisson. »
L’imp resta la bouche ouverte, souriant.
— « Ah oui… ? Bon. Et du riz rouge, et des beignets, et du miel de kéréjat, » continua-t-il, tout enjoué. Il sauta à nouveau dans l’eau en disant : « Ça, c’est pour moi, n’est-ce pas Livon ? Le miel, c’est pour moi, hein, Livon ? »
— « Aâh… ? Ne sois pas égoïste, bout de saïjit ! » l’accusai-je alors que Livon se mettait à rire. Je le pris par un de ses bras gris et chétifs, arborant un sourire malicieux, et ajoutai : « Le miel, c’est moi qui le mangerai. Toi, tu peux garder les radis. »
Son expression déçue fut telle qu’un instant je regrettai presque mes paroles. Alors, l’imp retint sa respiration et se fit invisible. Attah… C’était si étrange d’agripper quelque chose d’invisible que je le lâchai. Aussitôt, je reçus une claque d’eau venant de ma gauche. Et une autre par derrière. Maudit… Je répliquai et, comme Livon se moquait de moi, je l’aspergeai lui aussi. Le permutateur s’esclaffa et, reculant, il leva un index :
— « Du calme ! Rien n’est meilleur que ce qui est partagé ! N’est-ce pas, Tchag ? »
Celui-ci apparut alors sur son épaule et je le pointai du doigt en soufflant.
— « Pff ! Tu crois qu’un glouton comme lui sait partager ? » dis-je. « Il a un estomac plus grand que celui d’un dragon. C’est un monstre ! »
En grande partie par ma faute, nous finîmes tous trois par chahuter et nous éclabousser d’eau et ce n’est que le grognement agacé de Saoko qui nous rappela les bonnes manières.
— « Pardon ! » regretta Livon. Il jeta un coup d’œil aux bains, surpris. « Où est passé Mérek ? »
C’est vrai, constatai-je, dégoulinant d’eau. Le mirol n’était plus dans le bassin.
— « Il est parti il y a un moment, » dit Saoko. « Et bah, cela ne m’étonne pas… Supporter trois gamins aussi agités, c’est pénible… »
— « Pardon, pardon, » répéta Livon avec un sourire d’excuse.
Nous décidâmes de sortir du bain, mais, bien sûr, cela força Saoko à sortir lui aussi. La nuit tombait déjà, de toute façon, et, si Tchag avait bien entendu, nous avions été invités à un dîner par le gouverneur. Pendant que nous nous habillions, je vis le regard de Livon se poser à plusieurs reprises sur le ceinturon chargé de couteaux de Saoko. Celui-ci le boucla, ajustant son cimeterre, et fronça les sourcils.
— « Qu’est-ce que tu regardes ? »
Livon avoua avec franchise :
— « Je n’avais jamais vu quelqu’un porter autant d’armes. Ça impressionne. »
Le drow ne lui rendit pas son sourire, mais Livon ne sembla pas s’en soucier. J’étais encore surpris par la facilité avec laquelle le permutateur acceptait le caractère de tout le monde.
Quand nous sortîmes sur la véranda, je vis le Gourou du Feu au fond de celle-ci. Il était accompagné d’autres personnes. L’une d’elles était l’assistant du gouverneur qui nous avait guidés la première fois ; une autre était le gouverneur en personne ; et la troisième que je remarquai était un jeune humain avec une longue tunique… Je m’arrêtai net au milieu du chemin, croisant son regard. Cette tunique… était identique à celles que portaient les moines du Temple du Vent.
Tandis que Jakoral, le gouverneur de Skabra, parlait avec le gourou jardique et que Livon s’unissait joyeusement à la conversation, je m’immobilisai un temps, pensif. Un moine du Temple du Vent à Skabra… Il était peu probable qu’il soit là par hasard. Le moine le confirma quand, sortant une lettre de sa poche, il s’éloigna du groupe et s’avança vers moi. Il s’arrêta au bas de la véranda.
— « Mahi. J’ai une lettre pour toi. »
J’acceptai l’enveloppe qu’il me tendait et quelque chose, dans ce geste, me sembla familier. Je plissai les yeux, observant le visage du moine… Et je compris.
— « Buz ! » dis-je.
Le moine toussota, s’empourprant.
— « Mon nom est Bluz, Mahi. Pas Buz. »
Je souris largement.
— « Je m’en souviens. »
C’était le jeune garçon qui m’avait remis la lettre de Mère le jour où j’avais été expulsé du temple. Il avait grandi, mais son visage avait encore des traits d’enfant. Il devait avoir maintenant dans les seize ans.
Je jetai un coup d’œil à l’enveloppe. Elle était fermée par le sceau bleu du Grand Moine. Le sceau authentique. Et elle m’était adressée. Je fronçai les sourcils. Pourquoi ce vieux grand-père m’envoyait quelque chose maintenant, après presque trois ans de silence ? Tout compte fait, il m’avait expulsé du Temple… Dannélah, pensai-je soudain. Se pouvait-il qu’on m’ait vu causer avec mon frère ? Ou pire encore… se pouvait-il qu’on l’ait capturé ?
Je rompis le sceau et ouvris la lettre pour la lire.
« Cher Drey, » disait-il. « J’espère que tout va bien pour toi. On m’a informé qu’après trois ans à remplir des travaux de destructeur indépendant, tu es entré dans un groupe de chasseurs de récompenses de Firassa. Je dois avouer que j’ai du mal à le croire. Peut-être que ta famille n’est pas encore au courant, mais, pour ma part, j’aurais souhaité que tu aspires à un poste plus digne d’un ancien disciple du Temple du Vent. S’il te plaît, ne prends pas de décisions précipitées et souviens-toi qu’il faut toujours regarder vers l’avenir. Prends-le comme un conseil. »
De quoi te mêles-tu, grand-père ?, soufflai-je mentalement. Je continuai de lire avec agacement :
« Il y a quelque chose dont j’aimerais discuter en privé avec toi. Comme tu le sais peut-être, l’Ordre du Vent a dû affronter de graves problèmes depuis que Lustogan Arunaeh a volé l’Orbe : il nous a privés de notre meilleure défense, et, comme la sève des aléjiris, plus les rumeurs s’étendent plus elles sont corrosives. Jusqu’à présent, j’ai toujours essayé d’éviter un conflit ouvert entre ta famille et l’Ordre, mais ton père ne me rend pas les choses faciles. Il y a quelques mois, il a répondu à une de mes lettres, confirmant mes soupçons en me disant sans détours que Lustogan était passé sur l’île de Taey. Mais il n’a montré aucune intention de le livrer à l’Ordre et il n’a pas mentionné l’Orbe du Vent. Tu peux imaginer que certains moines se sentent insultés par son arrogance. Je me rappelle bien ce que tu m’as dit sur tes priorités en quittant mon temple ; cependant, tu dois comprendre qu’en tant que Grand Moine, mon Ordre passe avant les liens familiaux. Si tu sais quelque chose sur l’endroit où se trouve l’Orbe ou si, comme moi, tu souhaites prévenir un conflit qui serait, outre inutile, douloureux pour tout le monde, je te prie d’accepter mon invitation et de venir m’informer de tout ce que tu sais. »
Il prenait congé aimablement me demandant de détruire la lettre dès que je l’aurais lue. Je la relus rapidement. Mar-haï… D’une part, le Grand Moine disait clairement qu’il ne souhaitait pas me voir comme un ennemi et, d’autre part, il m’invitait à m’allier avec lui pour éviter un conflit. Je doutais qu’il espère réellement que j’irais lui rendre visite dans ces circonstances. Face aux coups d’œil curieux de Bluz, je lui adressai un sourcil arqué, je froissai le papier jusqu’à en faire une boule et, pensif, je le détruisis en morceaux si minuscules qu’ils tombèrent en poussière. Le jeune moine ouvrit grand les yeux et, voyant ma moue interrogatrice, il expliqua, admiratif :
— « Tu sais détruire des tissus ligneux. Mon maître ne m’a jamais appris une telle chose. Mais ça ne devrait pas me surprendre, venant de toi, Mahi. Dis-moi, » ajouta-t-il, l’expression pleine d’espoir. « Tu m’apprendras pendant le voyage ? Je sais que ce ne sera que quelques jours, mais si tu le fais… si tu le fais, je te promets que je ferai n’importe quoi pour toi. S’il te plaît ! » ajouta-t-il.
Je le regardai, stupéfait, tandis qu’il s’inclinait profondément. Saoko, appuyé à une colonne un peu plus loin, était demeuré aussi surpris que moi.
— « Le voyage ? » répétai-je.
Je le vis rougir.
— « Eh bien… J’ai entendu le Grand Moine dire qu’il voulait t’inviter à une réunion importante… »
— « Je ne vais pas y aller, » le coupai-je avec désinvolture, joignant les mains derrière ma tête.
— « Tu ne vas pas aller où, Drey ? » demanda une voix derrière moi.
C’était Orih, qui sortait sur la véranda, encore vêtue d’un peignoir de bain. Naylah, Yanika, Sanay et Sirih la suivaient. Personne n’aurait dit qu’elles avaient passé toute la journée à marcher : les thermes semblaient les avoir revigorées, toutes sentaient les plantes aromatiques… et Yanika avait mis la robe blanche qu’Orih lui avait achetée à Firassa. Face à ma mine surprise, Yanika sourit largement et tourna sur elle-même avec un tourbillon de satisfaction.
— « Elle me va bien, frère ? »
— « On dirait une fée sortie d’un conte, pas vrai ? » s’émut Orih, joignant ses mains.
Toutes les Ragasakis avaient l’air de partager son point de vue. Je soufflai de biais.
— « Mouais… Profites-en tant que c’est blanc ; tu auras tôt fait de ressembler à la fée noire du Bourbier. »
— « Pff ! » répliqua ma sœur en pointant ses lèvres. « Dis que je suis laide ! »
Je souris et l’attirai vers moi d’un bras blagueur.
— « Si je le disais, tu me traiterais de menteur. Je te connais bien. »
Yanika me répliqua par une moue joueuse tandis que les autres Ragasakis s’éloignaient vers l’endroit où le gouverneur, Livon et Aruss continuaient de parler. Elle se redressa et, comme si elle percevait quelque chose de bizarre, elle se tourna vers le Moine du Vent. Elle pencha la tête de côté.
— « Qui est-ce ? » demanda-t-elle.
L’expression de Bluz était froncée. Je soupirai.
— « Un apprenti du Vent. Tu as encore quelque chose à me dire ? »
— « Je ne suis pas apprenti, » répliqua Bluz sur un ton un peu froissé. « J’ai été ordonné le mois dernier. »
J’arquai un sourcil. Devenir Moine du Vent impliquait de passer certaines épreuves. Si Bluz les avait réussies à seize ans… eh bien, peut-être qu’il ne savait pas détruire du bois, mais il possédait une habileté certaine. Ainsi qu’une grande soif d’apprendre.
— « Félicitations, » dis-je avec sincérité.
— « Mm. » On le voyait à la fois content et offusqué. « Mahi… Comment peux-tu refuser l’invitation du Grand Moine ? »
Je sentis l’aura troublée de Yanika et, voulant couper court à la conversation, je déclarai :
— « Je regrette de ne rien pouvoir t’enseigner : je n’ai jamais été un bon maître. En plus, je suppose que tu dois le savoir, mais j’ai été expulsé du Temple et je n’ai pas l’intention de revenir : si tu ne veux pas avoir de problèmes, il vaut mieux pour toi que tu ne me fréquentes pas trop. » Je marquai un léger temps et ajoutai : « Le Grand Moine est une personne compréhensive et il possède une intelligence remarquable. Je suis sûr qu’il parviendra à pardonner mon absence… et à arranger ses problèmes sans moi. C’est tout. Merci pour la lettre et bon voyage de retour, Bluz. Yani, » ajoutai-je.
Je m’éloignai avec ma sœur sur la véranda. Après un silence, le moine laissa échapper, confus :
— « Pourquoi ? Pourquoi as-tu choisi cette confrérie de pacotille ? L’Ordre du Vent a infiniment plus de prestige et offre beaucoup plus de possibilités d’avenir. Pourquoi ? »
Je m’arrêtai, me souvenant d’une phrase du Grand Moine : “souviens-toi qu’il faut toujours regarder vers l’avenir”. Me tournant à moitié, je souris en répondant :
— « Moi, je ne cherche pas une possibilité d’avenir. J’ai déjà trouvé celle que je cherchais grâce à cette confrérie de pacotille… et je ne vais pas la changer. »
Je m’éloignai avec Yanika vers le groupe des Ragasakis. À ma surprise, le gouverneur et Aruss étaient déjà partis et les Ragasakis grognaient.
— « Tu nous as tous trompés ! » protestait Sirih, incrédule.
— « L’espoir altère les sens, » observa Livon. « Toi qui es harmoniste, tu devrais savoir ça, Sirih. Tchag a seulement entendu ce qu’il voulait entendre… »
— « Mais Aruss a dit que le gouverneur invitait à un dîner ! » se lamenta Tchag, assis sur le sol, affligé. « Je l’ai très bien entendu. »
— « Et tu as oublié la partie où il a dit qu’il invitait seulement la leader du groupe, » toussota Sirih. « Tu nous as fait passer pour des pique-assiettes effrontés. Mais… pourquoi as-tu refusé l’invitation du gouverneur, Nayou ? Tu aurais pu nous rapporter quelques restes. Ça, ce n’est pas du vol, non ? »
Sirih et ses idées pragmatiques… La lancière secoua doucement la tête, les bras croisés.
— « Je suis peut-être la leader de ce groupe, mais je n’aime pas avoir plus de privilèges que les autres. C’est quelque chose que je ne tolère pas, » affirma-t-elle. Elle nous sourit. « Allons dîner tous ensemble. La dernière fois que je suis venue ici, il y avait une taverne avec des spécialités de Labassara et ce jour-là… j’ai promis au propriétaire que je reviendrais pour goûter sa nouvelle recette. Une promesse est une promesse. Ne perdons pas de temps. »
Avec un tic nerveux, je fis remarquer :
— « Tu vas sortir en peignoir ? »
La première à s’esclaffer fut Orih, mais alors elle se rendit compte qu’elle aussi était en peignoir. Rougissant à peine, Naylah fit demi-tour pour rentrer au refuge et elle répéta avec fermeté :
— « Une promesse est une promesse. »