Accueil. Moi, Mor-eldal, Tome 1: Le voleur nécromant
On était si bien et si confortablement installés dans cet arbre que nous dormîmes comme des ours lébrins et, quand j’ouvris les yeux et vis le ciel bien clair, je m’assurai qu’il nous restait encore du temps avant midi, avant de refermer les yeux et de paresser en écoutant le chant des oiseaux. Pour la première fois depuis bien des réveils, je me sentais plein d’énergie. Cette mine de salbronix ne nous affectait peut-être pas autant que les saïjits normaux, mais tant lutter contre son énergie affaiblissait malgré tout nos forces. Là, par contre, allongé à l’abri dans le vieil arbre, un profond bien-être m’envahissait.
Au bout d’un moment, je poussai doucement les pieds de Manras et me laissai glisser hors de notre nid. Je descendis au pied de l’arbre et m’employai à chercher le déjeuner sans trop m’éloigner. Je trouvai quelque insecte que je reconnus et l’avalai en le mâchant énergiquement, je tombai sur ce qui me sembla être une laitue, mais au cas où, je n’y touchai pas. Je finis par trouver trois gros escargots, je les mis dans ma poche et les rapportai au pied de l’arbre, où je me mis à chanter :
Taratata taratata !
Âmes bénies, réveillez-vous
Le soleil est déjà debout,
Le soleil est déjà debout !
Avec quelques cris de plus et quelques exclamations, je les encourageai à descendre de l’arbre et je leur tendis à chacun un escargot.
— « Bon appétit ! »
Les yeux écarquillés, tous deux me regardèrent manger mon propre escargot, et Manras lança un :
— « Beurk, moi, je mange pas ça, Débrouillard. »
Je lui adressai un regard moqueur et lui dis :
— « Grippe-clous. » Et, avec un air d’empereur, je me tournai vers ce qui me semblait être le nord-ouest et avançai en clamant : « Retournons dans la ville, on a rendez-vous avec le Chat Noir ! »
Quand, un moment après, je jetai un coup d’œil en arrière, je pus voir que Manras et Dil mâchaient leur escargot sans avoir l’air dégoûté. Et je souris largement.
Ce jour-là, le ciel était bleu et radieux, et une brise chaude agita des mèches de cheveux devant mes yeux quand nous arrivâmes à la lisière de la forêt. Je soufflai en écartant mes cheveux et m’écriai :
— « Le dernier arrivé au Pont de Lune est un bavosseux ! »
Il restait une bonne trotte jusque là-bas et, malgré un départ en flèche et des piques provocatrices, au bout d’un moment, nous modérâmes l’allure ; mais, une fois engagés entre les maisons qui bordaient le Chemin Blanc, nous aperçûmes le pont et ses deux tourelles élancées et nous nous mîmes à courir comme des endiablés. Nous arrivâmes presque tous les trois en même temps. Presque, parce que j’arrivai avant. Je leur adressai un sourire, hors d’haleine.
— « Ah ! Désolé, shours ! »
Une voix de baryton me répondit :
— « Écartez-vous, les gosses, je passe ! »
Nous nous écartâmes promptement du milieu du pont et laissâmes passer un vieil homme avec une charrette pleine de sacs. L’un d’eux était à moitié ouvert et je pus voir qu’il contenait des pommes. Je soupirai et pensai : si seulement il y avait des pommiers à la Crypte.
Nous passâmes devant des gardes qui surveillaient le pont sans que ceux-ci nous jettent plus qu’un simple coup d’œil, et nous fîmes le reste du trajet jusqu’au Parc du Soir en suivant la promenade le long du fleuve, nous arrêtant chaque fois que nous voyions quelque chose d’intéressant et jetant de temps à autre des regards appréhensifs alentour, comme si nous craignions que, soudain, des Ojisaires nous attaquent, en plein jour, armés de leurs arbalètes et accompagnés de leurs chiens. Nous arrivâmes au parc sains et saufs.
J’ignorais quelle heure il était et, pour le savoir, nous nous dirigeâmes d’abord vers le petit temple qui se trouvait près du parc. Quand nous entrâmes et traversâmes la salle pleine de bancs, le prêtre, un humain svelte, jeune et aux yeux très vifs, nous regarda, le visage ému de compassion, et il répondit à ma question :
— « Il est presque midi. Attends, mon enfant, » ajouta-t-il. Il me regardait, moi. « Ce matin, une dame charitable est venue m’apporter des vêtements usagés. Si tu attends un peu, je pourrai peut-être te donner quelque chose. »
La perspective d’arriver en retard au rendez-vous me dérangeait, mais qui aurait pu refuser une aussi généreuse proposition ? J’acquiesçai, souriant.
— « C’est très aimable à vous. »
Le prêtre alluma un cierge, le posa devant l’autel des Ancêtres et fit un signe de dévotion avant de s’éloigner et de disparaître par une petite porte. Je regardai les cierges avec une moue songeuse. Un de ces cierges valait sûrement plus de dix clous… Le prêtre réapparut presque aussitôt portant dans ses mains une chemise assez blanche et une vieille casquette à la visière trouée. Comme je tendais les bras, prêt à prendre mon cadeau et à remercier, il retint son geste.
— « En échange, n’oublie pas de prononcer une prière aux ancêtres du Temple de la Fervente. C’est ainsi que s’appelle mon temple. »
Je souris et portai solennellement mon poing sur ma poitrine.
— « Pas de problème, je vais dire une prière. Merci, m’sieu le prêtre, » ajoutai-je, comme il me donnait la chemise. Je la mis et coiffai la casquette en disant : « Bénie soit la générosité du prêtre du Temple de la Fervente et que ses ancêtres et ceux de la Fervente le gardent longtemps. Paix et vertu. Ça va comme ça ? » m’enquis-je.
Le prêtre s’esclaffa, amusé.
— « Ça ira. Allez, sortez et laissez les ancêtres veiller sur cet endroit sacré. Et qu’ils veillent sur vous aussi, petits. Rappelez-vous que toute âme, aussi humble qu’elle soit, est veillée par les Esprits de nos ancêtres, tant qu’elle leur témoigne du respect. »
Manras et moi acquiesçâmes et je captai le regard troublé que le prêtre jeta à Dil. Je fronçai les sourcils. Ce prêtre ne croyait tout de même pas, lui aussi, que les « diablotins » comme Dil puissent être des créatures malignes, n’est-ce pas ? Bouah. Je préférai ne pas lui demander. Nous sortîmes rapidement du temple et revînmes au Parc du Soir juste quand le clocher du Grand Temple sonnait midi. Nous nous installâmes sur un banc de pierre, sur la place centrale. Le problème avec ce parc, c’était qu’il était si grand qu’il était difficile de savoir où Yerris espérait nous trouver. Et le bon côté, c’était que le Chat Noir, précisément parce qu’il était d’un noir de jais, se remarquait facilement. Nous le verrions de loin. J’étais en train de passer une main curieuse sur ma chemise neuve, constatant que, bien qu’usée, elle était de bonne qualité, quand Manras me tira par la manche.
— « Débrouillard ! C’est lui, non ? »
Je levai les yeux et le vis. Il ne venait pas seul : il était accompagné de Slaryn, de la Devineresse et de la Taupe. Je souris et, en voyant que ceux-ci venaient aussi de nous apercevoir, je ne pris pas la peine de me lever et leur adressai un salut de la main.
— « Ayô, shours, » dirent Sla et Yerris en même temps quand ils nous rejoignirent.
— « Ayô, ayô ! » leur répliquai-je. Et je me levai enfin, content de les voir tous les quatre. « Comment vous avez fait pour vous retrouver ? »
Yerris se racla la gorge et Slaryn sourit.
— « Disons que votre escapade a donné de quoi parler dans le quartier des Chats. Yerris et moi, on avait accordé de se retrouver à… un endroit et, dès que j’ai appris ce qui s’était passé, j’y suis allée, et le Chat Noir était là, attendant que la princesse le tire d’affaire. » Le Chat Noir roula les yeux, et l’elfe noire avoua : « En réalité, j’ai pas pu faire grand-chose. Vos compagnons se sont dispersés dans tout le Labyrinthe. La Devineresse et la Taupe étaient sur la Place Laine. »
Je fis une moue et dis :
— « Cet endroit, c’est pas un bon refuge. »
Je me rappelais bien que les Ojisaires m’y avaient attrapé avec une extrême facilité.
— « Non, c’est pas un bon refuge, » concéda Sla. « C’est pour ça qu’on en a trouvé un autre. Même si Yerris n’est pas très convaincu. »
Celui-ci afficha une mine d’excuse.
— « C’est que se réfugier dans le Labyrinthe pour fuir des démons qui vivent précisément dans le Labyrinthe, ça ne m’enchante pas spécialement. »
— « C’est pas toi qui disais que le Labyrinthe était un endroit plein de merveilles ? » se moqua la Daguenoire.
— « Et il l’est. Mais pas en ce moment, » fit Yerris en se raclant la gorge. Et il fit un geste ample. « Ça ne fait rien, on n’a rien de mieux pour l’instant. En tout cas, les Ojisaires sont la risée du Labyrinthe et ils sont plus furieux qu’un chat avec de l’eau jusqu’au cou. T’as des nouvelles du Prêtre ? » demanda-t-il.
Je fis non de la tête, m’assombrissant.
— « Non. Je pensais aller voir maintenant comment il va. Où est ce refuge ? »
— « Hé, hé, » intervint la Devineresse avec un petit sourire. « Pour savoir où il est, soit il faut être devin soit quelqu’un doit te montrer le chemin. »
Je penchai la tête de côté, curieux.
— « Ça, c’est une bonne chose. »
— « Yerris te le montrera, » décida Sla. « Moi, je dois aller… négocier. »
Je l’observai, le visage intrigué ; Yerris et elle échangèrent un regard et j’écarquillai les yeux, stupéfait, croyant comprendre.
— « Négocier avec les Ojisaires ? Pour libérer l’alchimiste ? »
— « Non, non, non, » fit Slaryn en riant. « Négocier avec notre kap. Attention à ce que tu dis, » ajouta-t-elle dans un murmure que la Taupe, la Devineresse et mes camaros entendirent sans nul doute.
Je ravalai mes mots et, comme je vis Slaryn reculer d’un pas comme pour s’en aller déjà, je m’écriai :
— « Je viens avec toi ! »
Slaryn s’arrêta net.
— « Quoi ? Non, shour. Tu ne peux pas… C’est ridicule. Toi, il te connaît à peine. Tu ne me seras d’aucune aide. »
— « J’y vais pas pour négocier, » assurai-je. « Il me doit vingt dorés, c’est tout. »
Et j’avais l’intention de payer les soins de Rogan avec ces siatos, ajoutai-je mentalement. Les deux Daguenoires me regardèrent avec des têtes encore plus surprises que les autres.
— « Vingt dorés, » murmura Yerris, incrédule. « Bouffres, qu’est-ce que t’as fait, shour ? »
Je haussai les épaules.
— « Un truc. » Je souris en les voyant positivement impressionnés et fis : « Alors, ch’peux aller avec toi, Sla ? »
Slaryn acquiesça, pensive, et Yerris se racla la gorge.
— « Je regrette, mais je m’occupe pas de moutards, shour, j’ai des choses à faire. Et les laisser seuls au refuge, ça me dit rien… »
— « Eh, moutard, ta mère ! Tu te prends pour qui ? » l’interrompit Manras, indigné. « On n’a pas besoin que tu t’occupes de nous. On ira vendre des journaux et gagner notre pain. »
J’acquiesçai, inquiet.
— « Ça court, mais ne vous éloignez pas des mouches et, s’il y a un Ojisaire ou n’importe quel isturbié qui s’en prend à vous, vous vous mettez à crier comme des scafougnés. »
— « Naturel, » répliqua le petit elfe noir.
Il était plus sûr, de toute façon, de déambuler dans les quartiers de Riskel ou de Tarmil que de s’enfoncer dans le Labyrinthe sans une bonne bande pour se protéger. Je leur dis au revoir, leur donnant rendez-vous sur le perron du Capitole à six heures et, laissant Yerris, la Devineresse et la Taupe, je m’éloignai avec Slaryn dans le parc. Nous sortîmes de celui-ci et grimpâmes les rues de Tarmil d’un bon pas. Nous traversions déjà l’Avenue quand je lui demandai :
— « Tu vas demander à Korther de nous aider ? »
Slaryn marchait à grandes enjambées. Par prudence probablement, elle avait dissimulé sa longue chevelure rouge sous un joli voile orange.
— « Le problème, c’est qu’avec Korther, on ne ‘demande’ pas, on négocie. Quand je suis allée le voir avant-hier, il n’avait pas l’air très disposé à bouger le petit doigt pour nous aider. Il a dit qu’il y penserait… » Elle souffla avec sarcasme. « En tout cas, Korther n’est pas de ceux qui agissent précipitamment. Alors, heureusement que ton ami vous a tirés d’affaire. »
— « Hum, oui… Mais, sans l’alchimiste, on ne tiendra pas plus de deux lunes, » lui rappelai-je.
Slaryn grimaça.
— « On trouvera une solution. D’une manière ou d’une autre. »
Je voulus la croire, et nous ne parlâmes plus durant le reste du trajet. Pour ne pas avoir à traverser le quartier des Chats, Sla nous fit faire un détour en passant par Atuerzo et en descendant par les escaliers de la Vieille Muraille, pour atterrir presque directement dans la rue du Foyer. Elle se glissa dans l’impasse et, après m’avoir jeté un coup d’œil, elle frappa à la porte de telle façon qu’on aurait dit un mot de passe. La porte s’ouvrit un peu et le visage très pâle d’un humain brun et relativement jeune apparut. Je ne le connaissais pas.
— « Ayô, Abéryl, » dit Sla.
— « Et celui-ci ? » s’enquit le dénommé Abéryl.
— « C’est un sari, » répondit calmement l’elfe noire.
Sans demander d’autres explications, Abéryl ouvrit grand la porte. Nous entrâmes. La dernière fois que j’étais venu là, j’avais à peine remarqué l’intérieur. Cette fois-ci, je pus le voir avec plus de tranquillité. Il y avait une table avec des chaises, un fauteuil, une cheminée éteinte et, au-dessus de celle-ci, un tableau qui représentait la rue d’un village. Bien que Korther ne puisse logiquement pas manquer d’argent, cette pièce n’était pas luxueuse, en tout cas pas comme la chambre de Miroki Fal.
— « Où est Korther ? » demanda Slaryn.
— « Il ne va pas tarder, » répondit Abéryl. Il frappa quelques petits coups à l’unique porte intérieure qu’il y avait, s’assit à la table et continua à faire ce qu’apparemment il faisait avant que nous arrivions : introduire un petit tas de poudre grise dans un flacon.
— « Tu sais ce que c’est, la satranine ? »
Il me le demandait à moi, peut-être parce que, poussé par la curiosité, je m’étais approché de la table pour mieux voir ce qu’il faisait. J’acquiesçai.
— « Yalet m’a dit que c’était un sédatif. »
Abéryl esquissa un sourire sans découvrir ses dents.
— « Hmm. Un sédatif fort qui peut endormir une personne si elle le respire de près. »
Je reculai d’un pas, prudent.
— « Fichtre. Et tu l’utilises souvent ? »
Abéryl haussa les épaules, amusé.
— « Parfois. Par exemple, quand tu travailles la nuit, tu fais respirer ça au propriétaire et tu as toute la maison pour toi durant plusieurs heures. »
Cela m’impressionna, et je m’imaginai soudain comment, courant avec ce flacon d’Ojisaire en Ojisaire, je les laissais tous endormis et je réussissais à sortir l’alchimiste de leur territoire et à sauver tous mes compagnons… La scène, quoique très probablement irréalisable, m’arracha un sourire vengeur.
Soudain, la porte intérieure s’ouvrit et Korther apparut. L’elfocane m’examina rapidement de ses yeux reptiliens de diable avant de se fixer sur Slaryn et de soupirer patiemment.
— « Bonjour, les jeunes. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? »
— « Tu le sais très bien, Korther, » dit Sla d’un ton sec. « Ma mère va t’essoriller quand elle sortira de taule et qu’elle apprendra que tu as laissé sa fille enfermée dans une mine de salbronix, exploitée par les Ojisaires. Que diront les autres kaps Daguenoires quand ils sauront que tu laisses tes saris aux mains des criminels sans rien faire ? Que diront-ils quand ils sauront que tu n’as rien fait pour empêcher qu’on les traite comme des cobayes et qu’on expérimente sur eux une mutation ? Que diront nos confrères quand ils sauront que tes saris sont revenus en rampant devant les Ojisaires pour leur demander de la sokwata parce que tu as refusé de les aider ? »
Je demeurai stupéfait. Chaque question était formulée avec une irritation croissante. Sans paraître très surpris, Korther leva des mains apaisantes.
— « Calme-toi, ma chérie. Tu n’arriveras à rien en te mettant en colère ni en rejetant la faute sur moi de ce que t’ont fait les Ojisaires. Tu as raison : comme kap, je me compromets à donner un coup de main aux jeunes de la confrérie. Mais je ne me compromets pas à aider des imprudents qui se mettent à épier les Ojisaires pour sauver un traître. Je te l’ai expliqué bien clairement la dernière fois. »
— « Yerris n’est pas un traître ! » grogna Slaryn.
— « Il l’a été. Je ne dis pas qu’il l’ait été de gaieté de cœur. Mais il a été et il est toujours un traître. »
Les yeux de Slaryn étincelèrent.
— « Donne-lui au moins une chance, Korther. Lui, il voulait être un Daguenoire. Moi, non. Et tu le renies, lui, et pas moi. Ce n’est pas juste. »
— « La vie est injuste, ma chérie. Et, moi, je ne pardonne pas facilement. »
— « Si je meurs, c’est ma mère qui ne te le pardonnera pas, » répliqua Slaryn.
Korther secoua la tête, en soupirant.
— « Et cela me ferait de la peine, je te l’assure. » Il s’avança, les mains dans les poches. « Écoute, Slaryn, la situation n’a pas l’air si désespérée. Hier, tu as dit à Alvon que vous aviez de la sokwata pour deux lunes, n’est-ce pas ? »
— « Pour… un peu plus, » avoua Slaryn. « Les Ojisaires en ont repris quelques-uns, je sais pas combien. On n’a pas encore retrouvé tous les sokwatas qui ont réussi à s’enfuir. »
Le kap acquiesça, méditatif, tandis que je pâlissais. Alors, nous ne nous étions pas tous échappés ? Bouffres…
— « Bien. Fantastique, » dit Korther. « Alors, peut-être que vous avez de quoi pour trois ou même quatre lunes, n’est-ce pas ? »
Slaryn fit une moue sarcastique.
— « Fantastique ? » répéta-t-elle. « Cela me semble tout sauf fantastique. Quatre lunes de vie, c’est une misère. Mais, de toute façon, les Ojisaires vont nous tuer avant parce que personne ne fait rien pour en finir avec cette bande, et encore moins Korther le Sans-cœur. »
— « Et voilà, encore une fois à m’accuser, » lui fit remarquer Korther patiemment. « Écoute, ma chérie, il y a à peine deux jours, le Fauve noir n’était qu’un moins que rien et, aujourd’hui, il fait carrément concurrence à Frashluc des Chats en personne. Sais-tu ce que nous sommes, nous, les Daguenoires, dans tout ça, Slaryn ? Des voleurs professionnels, un peu aventuriers, mercenaires… mais nous ne sommes pas des guerriers, ni des héros, ni des suicidaires. Tes amis ont eu une chance de mille démons en s’échappant. Maintenant, le Fauve Noir a sûrement recruté plus de gens. Il pourrait recruter une armée. S’il empochait vraiment quatre-vingt-dix perles de salbronix par jour, il doit être pourri d’argent. Ces perles, tu ne les vends pas pour moins de quinze siatos chacune, et peut-être même plus. »
Quinze siatos, pensai-je, en fronçant les sourcils. Et, lui, il ne m’avait donné que cinq siatos pour les cinq perles que je lui avais vendues en hiver. Il m’avait roulé.
— « Je crois que j’ai aussi oublié de te mentionner, » ajouta Korther, « que le Fauve Noir et moi, nous sommes parvenus à un accord d’entente mutuelle il y a quelque temps. Je lui ai payé une bonne somme et cette canaille a accepté de détruire certaine information. Information, d’ailleurs, que Yerris avait dérobée de mon bureau l’année dernière, ici, au Foyer. Il a lui-même avoué. C’était une négligence de ma part, je l’admets, mais ne me dis pas que ceci n’était pas une infâme trahison de la part de ce saint innocent qui semble t’avoir si bien conquise, ma chérie. »
Slaryn lui rendit un regard troublé et passa la main sur son front en murmurant un :
— « Esprits. »
Je m’armai de courage et intervins :
— « Korther. Yerris ne voulait pas vous trahir. Ces types l’ont obligé et… »
— « Ils l’ont éduqué pour ça, » me coupa Korther. « Ne te range pas de son côté, galopin. Tu as déjà assez de problèmes. Bon, voyons voir. Vous êtes venus ici pour me demander d’oublier mon accord avec le Fauve Noir et que je vous donne un coup de main pour capturer cet alchimiste parce que, si j’ai bien compris, il est votre unique salut. N’avez-vous pas pensé qu’on vous a peut-être fait croire que cette sokwata est une potion très difficile à fabriquer et qu’en réalité elle ne l’est pas tant que ça ? Qui sait, peut-être que la formule pour fabriquer la sokwata n’est pas si compliquée et qu’elle peut être reprise par un autre alchimiste, ou alors, » dit-il, « peut-être que toute cette histoire selon laquelle vous mourrez si vous ne prenez pas de sokwata, ils l’ont juste inventée pour vous effrayer. »
Slaryn émit un grognement chargé de sarcasme.
— « Oui bien sûr ! Yerris m’a raconté ce qui leur est arrivé quand les Ojisaires ont cessé de leur donner la sokwata : au bout d’une semaine, ils étaient presque mourants. »
— « Presque mourants, » releva Korther. « Peut-être qu’ils ont mis un poison dans le pain pour qu’ils tirent de fausses conclusions. Ou peut-être, qu’au bout d’un temps, ils se seraient désintoxiqués, démutés ou que sais-je. »
Slaryn feula :
— « Impossible : l’alchimiste lui-même a dit à Yerris que, sans sokwata, il mourrait. »
— « Yerris, » répéta Korther. Sous le regard foudroyant de l’elfe noire, il roula les yeux. « Je ne dis pas que ton histoire ne soit pas vraie, Slaryn : je dis seulement que, jusqu’à maintenant, nous n’avons aucune preuve de rien. »
— « C’est parce que tu ne m’écoutes pas, isturbié ! » s’écria Slaryn. Elle sembla sur le point d’ajouter quelque chose, lança un grognement exaspéré, eut un geste furieux, fit volte-face, ouvrit la porte et partit en la faisant claquer derrière elle.
Je clignai des yeux, éberlué, et, un instant, je fus tenté de la suivre, mais je me souvins alors de mes vingt siatos.
— « Mères des Lumières, » soupira Korther, s’asseyant dans son fauteuil.
— « Étrange affaire, hein ? » fit Abéryl, s’appuyant sur le dossier de sa chaise.
— « Ça, tu l’as dit, Ab. Tu l’as dit, » murmura Korther.
L’humain au teint pâle glissa le flacon de satranine dans sa poche et dit :
— « Je ne sais pas ce que tu en penses, mais, moi, l’idée de laisser trente gamins mourir à cause d’un alchimiste et d’un criminel ne me plaît pas beaucoup. Je sais que ça pourrait être risqué, mais… avoir un bon alchimiste dans notre confrérie, ça pourrait nous être très utile. »
Korther le regarda comme s’il était devenu fou. Il souffla et détourna les yeux, incrédule.
— « Toi et tes idées farfelues, Abéryl. Écoute, pour le moment, le Fauve Noir, la seule chose qu’il ait faite, à ce qu’on sait, c’est de capturer des gwaks et de les mettre dans une mine pour en tirer du salbronix, exactement comme le font les patrons des fabriques aux Canaux et, ceux-là, personne ne les arrête, non ? Bouah. Tu ne vas pas, toi aussi, me traiter de sans-cœur ? Est-ce que maintenant je vais devoir m’occuper des problèmes des gwaks des Chats ? Allons, Ab, voyons, je ne vais pas prendre une décision précipitée qui nous mette toute une bande criminelle à dos et nous fasse couler d’un coup. Là, nos confrères allaient assurément se payer ma tête et se tordre de rire. Et j’apparaîtrais dans l’histoire comme Korther le Bonasse, ce kap qui, pour tenter de sauver trente gwaks, dilapida sa fortune et finit tragiquement assassiné par un criminel qui, à peine trois jours plus tôt, savait tout juste ce qu’était une pièce d’or. Allons donc ! »
Il fit claquer sa langue avec dédain et je vis les commissures des lèvres d’Abéryl se relever de façon prononcée.
— « Tu es en train de t’énerver, Korther. »
— « M’énerver, moi ? Bah ! »
— « Qu’il est bon d’avoir la conscience tranquille quand on ferme les yeux le soir, prêt à débuter un nouveau jour, » prononça Abéryl sur un ton de sage.
Il rajusta le foulard bleuté devant son visage et se leva. Korther lui jeta un regard moqueur.
— « N’insiste pas, Ab. Ma conscience est très tranquille. J’ai mille affaires en tête, je fais ce que je peux. »
— « Frawa ne va pas te le pardonner, » commenta calmement Abéryl.
Korther leva les yeux au ciel.
— « Si Frawa cessait d’entrer et de sortir de prison et s’occupait un peu plus de sa fille, peut-être que celle-ci ne se serait pas retrouvée à sympathiser avec un traître et à préférer la rue à la Tanière. Mais, diables, maintenant que Rolg est parti, peut-être que tu te proposes, toi, pour héberger cette jeune chatte, » se moqua-t-il.
— « Mm. Trop fougueuse à mon goût, » dit Abéryl. Ses yeux bleus et très clairs souriaient. Ils se posèrent sur moi et, tressaillant en voyant qu’ils remarquaient soudain ma présence, j’adoptai l’air de celui qui entend sans écouter et attend patiemment que les adultes lui prêtent attention sans avoir la moindre intention d’être indiscret. « Le garçon, par contre, a l’air plus tranquille. Ce ne serait pas celui qui t’a aidé à voler la Wada, par hasard ? »
Korther sourit.
— « Lui-même. Qu’est-ce que tu veux, galopin ? »
Je le regardai avec espoir.
— « Eh ben… voilà. J’ai un ami blessé à l’Hôpital de la Passiflore. Et j’ai besoin d’argent pour payer les soins. »
— « Ah ! Tu viens réclamer les vingt siatos, n’est-ce pas ? » J’acquiesçai et Korther fouilla dans ses poches. « Tiens, voilà… sept siatos en pièces d’argent. Donne-leur ça. Et si ça ne suffit pas, je te donnerai plus. »
Je ne me plaignis pas, je souris et ramassai les pièces en disant :
— « Ça court. Merci. Dites, c’est vrai que Rolg a quitté la Tanière ? »
Korther grimaça et se racla la gorge.
— « Oui. Il est parti. »
Je m’assombris.
— « Mais où ? »
Korther m’adressa une moue mystérieuse, et ses yeux m’évaluèrent avec attention.
— « Les Esprits savent où. En son absence, souvenons-nous de lui comme d’un homme de cœur, hein ? »
Je pâlis mortellement.
— « Il est mort ? »
Je me rappelais très nettement la dernière fois où je l’avais vu, couvert de marques noires, avec des dents affilées et, bref, transformé en démon. Et si, en fait, il se trouvait ce jour-là en danger de mort et qu’il ait péri sans que je l’aide et… ? L’elfocane s’esclaffa tout bas.
— « Non. Ce vieil elfe est vivant et plus vivant que nous tous. Il a pris des vacances, c’est tout. Tout le monde a besoin de changer d’air de temps en temps. »
Je soupirai de soulagement et je le dévisageai alors fixement. Il est vivant et plus vivant que nous tous, me répétai-je. Mon maître nakrus n’avait-il pas dit que les démons vénéraient la Vie, convaincus qu’ils étaient plus vivants que les saïjits normaux ? Korther le savait. Il savait que Rolg était un démon. Qui sait, peut-être que Korther en était un, lui aussi, pensai-je en frémissant. Bon, tant qu’il ne découvrirait pas que j’avais une main de mort-vivant… J’inspirai et secouai la tête. L’idée du changement d’air me fit penser à Yal, et je demandai :
— « Et Yal ? Où est-ce qu’il habite maintenant ? »
— « Le ciel soit loué, Yal n’est pas encore rentré de Kitra, » m’informa Korther. « Il a été très occupé. De fait, il n’est même pas au courant de ton aventure dans la mine. Je n’ai pas voulu l’inquiéter. Il ne devrait pas tarder à rentrer. »
Je hochai la tête, songeur, et Korther me sourit.
— « Eh, galopin. Dis-moi, tu es conscient de tout ce que les Daguenoires ont fait pour toi, n’est-ce pas ? »
Plutôt de tout ce que Rolg et Yal avaient fait pour moi, rectifiai-je mentalement. Mais j’acquiesçai malgré tout, et Korther poursuivit :
— « Je comprends que tu aies essayé de sauver Yerris. Je ne t’accuse pas. Et il se peut même que tu aies raison et que Yerris soit simplement un pauvre gwak torturé et incompris. »
J’ouvris grand les yeux, empli d’espoir.
— « Alors, vous allez lui pardonner ? »
Korther fit une moue.
— « Euh… Disons que je ne me sens pas encore en état de lui pardonner, mais peut-être qu’un jour, s’il me prouve qu’il sait être loyal… Qui sait, la vie est pleine de surprises. » J’entendis Abéryl étouffer un souffle amusé tandis qu’il s’appuyait contre un mur. Korther reprit : « En tout cas, toi, tu es toujours un sari de la confrérie et, en tant que tel, tu vas me faire une petite faveur. S’il se passe quelque chose, par exemple si les Ojisaires capturent d’autres enfants ou… quoi que ce soit qui te semble important, tu viens ici et tu me le dis. Ces jours-ci, si je ne suis pas au Foyer, Abéryl y sera. Tu as compris ? »
Je haussai les épaules.
— « Rageusement. »
Korther sourit de nouveau et me tapota la joue.
— « Eh bien, va voir cet ami blessé et espérons qu’il se remettra. »
J’acquiesçai énergiquement, jetai un regard à l’humain pâle et leur dis à tous les deux :
— « Ayô. »
Je sortis de là et, je pensais déjà tant à Rogan et à l’hôpital que j’oubliai de faire un détour et passai en plein par la Place Grise des Chats. Quand j’entendis un fort « eh, petit ! », je sursautai, le cœur emballé, croyant voir des Ojisaires partout. Je vis alors le vieux Fiks assis sur un banc de pierre avec des compagnons et je laissai échapper un soupir de soulagement.
— « Cela faisait longtemps qu’on ne te voyait pas par ici, le barde, » me salua le vieil ouvrier.
Je souris et m’approchai.
— « Fiks, content de te voir, tu m’as fait une sacrée peur. Comment tu vas ? »
— « Eh ben, comme tu vois, en train de bavarder avec toute la bande, » répondit le vieil ouvrier tandis que ses compagnons continuaient à parler avec entrain. « Je te trouve très pâle, comme si tu n’avais pas vu le soleil pendant des lunes. Dis-moi, tu n’as pas fait quelque bêtise qui t’ait envoyé à l’Œillet, des fois ? »
Je soufflai en faisant un geste vague.
— « Penses-tu. Moi, les mouches, j’les connais pas. »
— « Oh ? Eh ben, c’est tant mieux, » fit Fiks en souriant, avec la tête de celui qui veut dire que, total, ce ne sont pas ses affaires. « De toute façon, je sais que t’es un bon gars ! »
Je lui rendis son sourire et, alors, j’aperçus, au-delà de Fiks, de l’autre côté de la place, des silhouettes familières. C’était mon doublet le Vif avec deux compères de sa bande. Et son regard de gwak attentif était posé sur moi. Bouffres. Soudain, j’eus parfaitement conscience des pièces de monnaie que j’avais dans ma poche, je les sentis en danger et je fis :
— « Bon ! Faut que j’y aille. Ayô, Fiks. »
Je fis volte-face, quittai la place à toutes jambes et grimpai une rue en direction d’Atuerzo. À un moment, je jetai un coup d’œil en arrière et, voyant que le Vif me suivait et rapidement, j’écarquillai les yeux, accélérai, et une crainte sourde m’envahit. On ne surnommait pas mon doublet « le Vif » pour rien : en quelques instants, il me rattrapa et me saisit par le bras.
— « Eh, Débrouillard ! Pourquoi bouffres tu cours ? »
— « Lâche-moi ! » lui criai-je.
Le Vif arqua les sourcils.
— « Diables. Quelle mouche t’a piqué ? »
Je le foudroyai du regard et tirai pour me libérer. L’elfe roux me lâcha, affichant une expression pacifique.
— « Eh, doublet, tu me fais pas cette tête à cause des dorés que tu m’as donnés la dernière fois ? »
— « Ch’te les ai pas donnés : tu me les as volés, » grognai-je.
Je serrai les dents en voyant les deux compagnons du Vif nous rejoindre. Nous étions arrivés au niveau de la rue qui longeait les restes de la Vieille Muraille, juste à la frontière avec Atuerzo. Il y avait pas mal de passants, mais ils nous croisaient sans même nous jeter un coup d’œil. Je reculai, jetant un regard noir au Vif.
— « T’approche pas, isturbié. »
J’aperçus un éclat à la fois moqueur et exaspéré dans les yeux du Vif.
— « Je voulais juste te dire que ch’suis content que tu sois sorti en vie de l’enfer. Et maintenant, traite-moi d’isturbié une fois de plus et je te flanque une baffe, shour. »
Je haussai les épaules et, m’étant déjà éloigné d’un bon nombre de pas, je lui dis :
— « Démorjé ! »
Je lui tournai le dos et partis en courant. Heureusement pour moi, le Vif, cette fois, ne me poursuivit pas.
Quand j’arrivai à l’hôpital, je laissai mes sept siatos à un commis, je voulus voir Rogan et une jeune infirmière me conduisit jusqu’à une grande salle pleine de lits et de patients où elle me laissa chercher mon ami. J’errai entre les lits et, ne le voyant pas, l’espace d’un terrible moment, je pensai que je ne le trouverais pas. Mais alors, je le vis au fond, près de la fenêtre qui donnait sur une cour. Il était allongé, endormi et si pâle qu’il faisait peur. Je m’agenouillai près de lui et contemplai le bandage avant de tourner de nouveau mon regard vers son visage. Je lui touchai le front et me concentrai. À force d’insister, malgré la peau de sokwata qui le protégeait contre mes sortilèges, je réussis à trouver une brèche pour accélérer la transformation du morjas de ses os et le changer en jaïpu. Ce n’était pas beaucoup, mais cela aidait toujours un peu ou, du moins, c’est ce que disait mon maître nakrus. Quand j’eus presque entièrement consumé ma tige énergétique, je lui murmurai :
— « Prêtre, tu vas te remettre. Mes ancêtres me l’ont dit et, même si je les connais pas, ils se trompent pas. Mécréant celui qui me croit pas ! »
J’esquissai un sourire en m’apercevant qu’inconsciemment j’avais imité son ton exalté. Dans la salle, on entendait les murmures des infirmiers et les plaintes des patients éveillés. Après un silence, je me levai et me rendis compte que le garçon qui était dans le lit d’à côté me regardait, l’expression sarcastique. Je fronçai les sourcils, l’air de dire qu’est-ce tu regardes, toi ?, et alors qu’on aurait dit qu’il allait garder le silence, il lâcha :
— « Gwak. »
J’arquai les sourcils. Ce n’était pas la première fois que j’entendais prononcer ce mot comme une insulte, mais c’était la première fois qu’un gamin me le disait de cette façon, comme si, lui, parce qu’il avait des parents, il valait plus et, moi, parce que je n’en avais pas, j’étais un moins que rien. Eh ben, non monsieur. Plusieurs répliques me passèrent par la tête, certaines assez bonnes comme « nabot baise-clous » ou « p’tit dorloté », mais finalement je préférai ne pas faire de scandale, je me redressai et l’ignorai aussi dignement que je pus.
— « Prêtre, » dis-je à voix basse. « Désolé que la compagnie ne soit pas aussi bonne à l’hôpital qu’au puits. Mais tu vas voir comme tu te remets en un paix-et-vertu, et bientôt tu nous raconteras une de tes histoires et, moi, j’en ferai une chanson. » Je souris. « Je reviendrai demain et je t’apporterai une pomme. T’as dit que c’était le fruit que tu préférais. Ou peut-être une fleur. Ch’sais déjà laquelle. Une fleur-de-lune. Mon maître disait qu’elle était bonne pour tout. Sauf que… dans la vallée, y’en avait beaucoup, mais ici j’en ai vu aucune. T’inquiète pas, si je trouve pas, je t’apporterai autre chose, ça court ? »
Rogan, bien sûr, ne me répondit pas. Mais j’étais sûr qu’il m’avait entendu. Finalement, avec un soupir, je m’éloignai. Et je me retins de donner un coup de poing sur la jambe bandée du nabot baise-clous. Parce que, moi, j’étais un gwak honorable, et fier de l’être.