Accueil. Cycle de Shaedra, Tome 6: Comme le vent

16 Orties bleues

Je gardai le silence pendant une demi-heure entière, en essayant de penser à une solution pour sortir de là. Dans la cage, nous n’avions qu’un sol de pierre où nous étendre. Il n’y avait ni eau, ni nourriture, et il ne se trouvait aucun geôlier visible pour que nous puissions directement rejeter la faute sur quelqu’un.

Lorsque je me rendis compte que j’avais perdu les deux lettres des Ombreux, je me sentis terriblement mal. Syu essaya inutilement de me consoler et, finalement, il me proposa de m’apporter Frundis pour qu’il me chante une mélodie tranquillisante, mais comment pouvais-je me tranquilliser si je venais de me fourrer dans un pétrin qui allait probablement courroucer tous les Ombreux d’Aefna ?

“Je me souviens qu’une fois tu m’as dit qu’il ne fallait pas généraliser”, observa Syu.

“Je ne généralise pas”, répliquai-je. “Mais, de toutes façons, tu as raison, cela ne fait rien si les Ombreux sont furieux contre moi, puisque les chasseurs de démons nous gardent bien à l’abri.”

Je laissai échapper un soupir de désespoir et Spaw s’étira, sortant de ses méditations.

— Je suis à court d’idées —déclarai-je.

— Si au moins quelqu’un venait nous voir —soupira Spaw—. Mais on dirait qu’après tant d’efforts pour nous mettre en cage, ils nous ont oubliés. Si nous avions quelque chose pour ouvrir ces serrures…

Je fronçai les sourcils et, aussitôt, je plongeai la main dans une des poches internes de ma tunique. Les trois pierres étaient là. Au moins, je n’avais pas perdu les Triplées, me dis-je, soulagée. Mais les Triplées ne me serviraient pas à ouvrir une cage.

Je me levai, je sortis mes griffes et j’essayai d’en introduire une dans la serrure… mais le trou était trop petit.

— Un instant, j’ai cru que nous allions sortir de là —regretta Spaw.

— Tout ne s’obtient pas en un clin d’œil —fis-je observer.

M’écartant des barreaux, je recommençai à réfléchir un moment. Alors, une idée me traversa l’esprit, mais je me sentis tout de suite coupable.

“Syu. Tu crois que Frundis pourrait ouvrir la cage avec un de ses pétales ? Ils ressemblent beaucoup à des clés.”

Le singe haussa les épaules.

“Essayons”, dit-il, et il passa entre les barreaux pour traîner avec difficulté Frundis jusqu’à la cage.

— Tu as eu une idée ! —s’écria Spaw, en se rapprochant des barreaux, avec espoir—. Comme ce singe est intelligent !

— C’est un gawalt —répliquai-je, avec un sourire en coin.

Je saisis Frundis et, aussitôt, une musique douce de piano m’envahit. Il semblait être à moitié endormi.

“Frundis ?”

“Hum ? Oh, Shaedra, laisse-moi un moment, s’il te plaît. J’essaie de me tranquilliser. Si tu me parles de la bataille avec ces misérables, je vais éclater”, m’assura-t-il, faisant apparemment un terrible effort pour se contrôler. Pendant qu’il parlait, la musique s’était accélérée, laissant la place au grincement précipité d’un violon.

Je fis une moue et je palpai les pétales de l’extrémité supérieure. Je caressai le pétale bleu et Frundis se détendit aussitôt.

“Pourquoi tant de caresses à un moment si critique ?”, demanda-t-il, méfiant.

“Je ne veux pas te voir éclater”, répliquai-je, amusée. “Et en plus, je voudrais te proposer une idée qui m’est venue. Tes pétales sont durs comme le métal. Ils pourraient ouvrir la serrure de la cage.”

Frundis poussa un cri d’indignation.

“Mes pétales ne servent pas à ça ! Ouvrir des serrures… mais qui peut avoir une idée pareille ? C’est la chose la plus absurde et la plus insultante que j’ai entendue de toute ma vie.”

Syu et moi, nous échangeâmes un regard.

“Lui aussi, il généralise”, remarqua Syu.

J’acquiesçai et j’essayai de réunir mon courage pour convaincre Frundis. Après tout, celui-ci ne s’était pas montré si délicat lorsqu’il s’était agi de répartir des coups de bâtons aux chasseurs de démons…

— Que se passe-t-il ? —demanda Spaw, ignorant que j’étais en pleine conversation.

— C’est… C’est Frundis qui ne veut pas nous aider —expliquai-je, distraite.

“Comment ça, qui a dit que je ne voulais pas vous aider ?”, protesta le bâton. “Il y a une différence notable entre aider et se sacrifier. C’est comme si je te demandais de mettre la tête dans la serrure pour ouvrir la porte, en la faisant tourner. Mes pétales sont mes pétales”, déclara-t-il sur un ton ferme.

J’acquiesçai, résignée.

“Je comprends. N’y pense plus, Frundis”, m’excusai-je.

— Cela ne fait rien —dis-je à Spaw—. Nous trouverons une autre solution.

— Soyons optimistes —approuva-t-il, mais il ne semblait pas avoir beaucoup d’espoir.

Alors, nous nous mîmes à partager toutes les possibilités qui nous passaient par la tête. Spaw donna plusieurs coups de pied contre la serrure de la cage. Moi, j’essayai d’invoquer une lame de métal, tout en sachant depuis le début que ce serait un échec retentissant et, au lieu de créer les bonnes énergies, j’utilisai les harmonies. C’était frustrant, mais il m’était de plus en plus difficile de ne pas libérer d’harmonies à chaque sortilège que je lançai. L’unique énergie qui échappait à la règle, c’était la brulique.

J’observai les barreaux, pensive. Je pouvais toujours essayer de desserrer les barreaux avec un sortilège de désintégration.

— Laisse tomber —me conseilla Spaw, en devinant que je prétendais lancer un autre sortilège—. Tu finiras par te faire mal.

Je fis une moue têtue, je saisis un barreau à deux mains et je me concentrai. J’étais en pleine génération d’énergie brulique, lorsque j’entendis un fort grincement métallique et je restai bouche bée, en regardant le barreau.

— C’est moi qui ai fait ça ? —m’émerveillai-je.

— Je crois que non —dit Spaw, en s’approchant des barreaux pour fixer les escaliers, la mine grave—. Quelqu’un vient.

Syu se cacha aussitôt derrière mes cheveux et je m’assis sur la pierre, les jambes croisées, en tentant de stabiliser mes énergies.

— Si on te demande quelque chose —chuchota Spaw—, ne dis rien.

— Ne t’inquiète pas —souris-je—. C’est moi qui vais poser les questions.

Spaw esquissa un sourire et il se contenta de me jeter un regard m’invitant à la prudence. Comme si je ne savais pas être prudente !, m’indignai-je.

Petit à petit, deux bottes rouges apparurent, un pantalon noir, une tunique blanche bien soignée et un visage d’elfe noir qui portait entre les mains une plaque de bois avec des feuilles et un sac. En arrivant aux dernières marches, l’elfe s’arrêta ; il nous contempla avec curiosité et appréhension, comme s’il se demandait si les cages le protègeraient de l’attaque éventuelle d’un démon furieux. Mais quel cercle de saïjits pouvait bien avoir l’idée de se soucier de ce que faisaient les démons ?, me demandai-je, abasourdie.

— Bonjour —dis-je, avec calme—. Je serais heureuse de te laisser franchir le seuil de mon humble demeure, mais malheureusement je n’ai pas la clé.

J’entendis le soupir de Spaw, tandis que j’adressais à l’elfe appréhensif un demi-sourire qui se transforma peu à peu en un rictus.

— Qui es-tu ? —demandai-je.

L’elfe noir, ayant sans doute considéré que nous ne sortirions pas de nos cages, laissa son matériel sur la dernière marche et avança d’un pas vers nous, en gardant une distance exagérée.

— Moi, avant, j’aimerais savoir pourquoi nous sommes ici —intervint Spaw avec toute l’amabilité du monde.

Je remarquai que Syu, caché sous ma cape, était nerveux et qu’il s’était mis à me tresser les cheveux. Frundis, pour une fois, semblait être attentif à la scène et il ne jouait que quelques cordes de luth.

— Oui, pourquoi nous a-t-on enfermés ici ? —interrogeai-je—. Êtes-vous des ravisseurs ? Parce que, dans ce cas, je ne vois pas pourquoi vous vous êtes donné la peine de prendre en otage deux jeunes pauvres comme nous.

— Qui t’a dit que j’étais pauvre ? —répliqua Spaw.

J’arquai un sourcil.

— Tu ne l’es pas ?

Le démon grogna.

— Boh, je suis sûr que nos ravisseurs ne savent même pas qui nous sommes.

L’elfe noir, qui nous écoutait, ne disait pas un mot. Il continuait à nous regarder comme si nous étions des êtres qui, malgré leur comportement normal, cachaient sans doute une terrible monstruosité intérieure. Alors, il fit demi-tour et il s’assit sur une marche, il prit une feuille et un crayon, il mit des lunettes et commença à gribouiller quelque chose.

— Tu ne vas rien nous dire, n’est-ce pas ? —lui demandai-je, avec un certain désespoir.

— Peut-être qu’il est muet —suggéra Spaw.

— Au moins, on ne dirait pas un criminel —dis-je. À cet instant, l’elfe leva la tête vers nous. Ses yeux rouges nous détaillèrent comme un paysage exotique et revinrent se poser sur sa feuille.

Il passa ainsi un bon moment à lever la tête, à nous examiner et à écrire sur ses papiers.

— J’ai l’impression d’être un oiseau de Kunkubria —commenta Spaw.

— Peut-on savoir ce que tu écris ? —m’enquis-je, inquiète—. Cela a l’air très intéressant. —Nous gardâmes le silence un moment puis, finalement, je perdis patience—. Cela ne te dérange pas d’être face à deux prisonniers encagés qui ne savent pas pourquoi ils sont là ? Tu pourrais nous aider, ou nous parler, au moins. Ce serait la moindre des choses.

À ce moment, cependant, l’elfe noir ramassa ses affaires, se leva et s’en alla.

— Etska te châtiera ! —le menaçai-je, alors qu’il disparaissait dans les escaliers.

Spaw laissa échapper un petit rire.

— La Fille-Dieu semble t’avoir transmis la veine érionique —commenta-t-il.

Je roulai les yeux.

— C’était pour voir s’il y réfléchissait à deux fois. Certains ne savent pas faire le bien s’ils n’ont pas de dieux pour leur montrer le chemin —lui expliquai-je.

Spaw, un demi-sourire sur les lèvres, secoua la tête.

— Au moins, on ne dirait pas qu’ils pensent se débarrasser de nous. Pour le moment —ajouta-t-il.

Je ne sais pas combien de temps s’écoula avant que nous n’entendions un grincement métallique et un bruit de bottes sur la pierre. Des heures entières. Je pus à peine dormir et, comme nous nous étions résignés à rester dans nos cages tant que nous n’avions pas une meilleure idée, Spaw et moi, nous nous occupâmes à partager des histoires. Il me raconta un bon nombre de récits étranges que je n’avais jamais entendus et, lorsque je lui demandai d’où il était, il haussa les épaules.

— Je ne suis pas d’Ajensoldra. C’est ton tour de me raconter une histoire.

Me lançant dans une de mes spécialités, je lui racontai une légende très connue à Ato et j’enchaînai avec d’autres que je tenais de la taverne ou des chansons de Frundis.

Je terminai par avoir la voix enrouée et Spaw me demanda de garder un peu de voix pour jeter des malédictions à nos geôliers. Le bâton gloussa.

“Tu devrais utiliser les harmonies, elles n’éraillent pas les cordes vocales”, me conseilla-t-il.

“Je ne sais pas parler avec les harmonies”, lui répliquai-je, en caressant son pétale rouge. “Et si tu nous chantais une chanson ?”

La terre du soleil !”, suggéra Syu, en grimpant sur mon épaule.

“Si tu insistes…”, soupira Frundis, dissimulant le plaisir que lui donnait tant d’enthousiasme.

Et pendant que je m’appuyais sur le sol froid, Frundis se fit une joie de nous montrer toutes ses habiletés de musicien et de chanteur. La nuit devait avoir pris fin depuis un bon moment quand trois saïjits descendirent. Avant de les voir, je commençai à entendre leurs voix.

— Ce doit être de la télékinésie —disait l’un.

— Ne dis pas d’absurdités —lui répliquait un autre—. Et maintenant, silence.

Près d’un elfe noir inconnu, apparurent l’elfe de la terre qui m’avait suivie depuis un mois et le ternian qui avait voulu m’atteindre en grimpant aux arbres.

— Bien heureuse journée —fit l’elfe noir, en s’approchant des cages sans crainte apparente.

Il portait une tunique verte de bonne toile, avec des pompons et des ornements divers. Il était jeune, il ne devait pas avoir plus de trente ans, et il nous adressa un sourire tout à fait cordial.

— Ne me regardez pas avec cet air de méfiance —poursuivit-il—. Je suis seulement venu vous apporter à boire. Voici.

Il sortit une bouteille et le ternian sortit deux verres.

— Et nous sommes venus aussi vous poser quelques questions —ajouta l’elfe noir, tout en versant le contenu de la bouteille dans les verres.

— C’est moi qui commence, si cela ne vous dérange pas —dit Spaw, avec un calme absolu—. Peut-on savoir qui vous êtes ?

— Vos bienfaiteurs. Et maintenant, buvez, je suppose que vous devez être assoiffés.

— Pourquoi nous poursuiviez-vous ? —insista Spaw.

— Je crains que vous n’ayez pas l’esprit très clair —répliqua l’elfe noir, en souriant—. Vous vous trompez si vous pensez que nous avons de mauvaises intentions.

Et en disant cela, il tendit le verre à Spaw, qui l’observa, impassible.

— Je crois que je n’ai pas soif.

L’elfe noir s’esclaffa et le ternian et l’elfe de la terre échangèrent des sourires qui ne m’inspirèrent pas une grande confiance. Prétendaient-ils nous empoisonner ou quelque chose du style ?

— Jeune démon —sourit l’elfe noir, et je tressaillis, très pâle, en entendant ses mots—, tu es ici en cage, pour ton bien. Nous sommes ici pour t’aider. Je te le proposerai donc une autre fois —dit-il, en tendant le verre à travers les barreaux—. As-tu soif ?

Spaw le regarda fixement, puis, avec beaucoup de précaution, il tendit la main et prit le verre. J’écarquillai les yeux.

— Moi à ta place, je ne le boirais pas —intervins-je—. Les personnes bienveillantes ne mettent pas les autres en cage en prétextant que ce sont des démons et des monstres.

Spaw m’adressa un grand sourire.

— Pas possiiible ! —répliqua-t-il, ironique.

— Toi —m’apostropha l’elfe noir, en s’approchant de ma cage—, comment as-tu réussi à récupérer ce bâton sans sortir de cette cage ?

Je haussai un sourcil.

— Qui t’a dit que je n’étais pas sortie de la cage ?

L’elfe noir fronça les sourcils et vérifia que la porte était bien fermée.

— Seuls les celmistes très puissants sont capables de faire cela —murmura l’elfe de la terre.

— Ou les démons —ajouta le ternian, en me regardant dans les yeux.

Je poussai un soupir.

— Faire quoi ?

L’elfe de la terre croisa les bras.

— Tu connais la science de la télékinésie.

Décidément, quelque chose ne tournait pas rond dans la tête de ces trois jeunes saïjits.

— La… télékinésie ? —répétai-je, hallucinée.

— Le bâton est bien arrivé jusqu’à toi d’une façon ou d’une autre —raisonna l’elfe noir, en me tendant le second verre.

— Qu’est-ce que c’est que ce liquide ? —demandai-je, méfiante.

L’elfe noir haussa un sourcil, mais ce fut Spaw qui répondit :

— Du sirop d’orties bleues.

— Tu l’as goûté ? —m’alarmai-je.

Spaw sourit.

— Je ne pense pas y goûter.

L’elfe noir nous regarda tour à tour. Son expression reflétait une intense réflexion.

— Nous le savions —prononça-t-il alors, en posant le verre sur le sol, près des barreaux—. Vous êtes donc réellement des démons. Nous le vérifierons plus à fond. Nous vous laissons les verres. Et vous ne sortirez pas d’ici, avant de mourir de soif ou de nous dire la vérité. Allons —dit-il à ses compagnons—, nous sommes restés ici trop longtemps, on va se demander où nous sommes passés.

Ils firent demi-tour et s’en furent, nous laissant seuls et stupéfaits. Avant de monter les escaliers, l’elfe noir posa la bouteille à moitié vide sur le sol, dans l’espoir peut-être de vérifier de nouveau mes capacités de télékinésie.

— Ils prétendent donc nous tuer ? —fis-je, atterrée.

Spaw s’assit sur le sol, en poussant un soupir.

— On dirait bien.

— Bon, au moins, nous avons le choix —relativisai-je.

Le démon me regarda, sans comprendre.

— Le choix ?

— Mourir de soif ou mourir empoisonné. Qu’est-ce qui te semble le mieux ?

“Arrête de parler de choses aussi macabres”, protesta Frundis.

“Laisse-moi penser… qui a inventé la note macabre, il y a peu ?”, répliquai-je, en roulant les yeux. “Tu as failli me faire mourir de peur.” Le bâton mâchonna quelque chose d’inintelligible.

— Bon… —fit Spaw, en considérant le verre, l’air pensif—. Vu comme ça, effectivement, c’est un choix difficile… Quoique, laisse-moi te dire quelque chose, Shaedra.

— Quoi ?

— Ceci est du sirop d’orties bleues. Selon certaines légendes, il s’agit d’une boisson qui purifie l’âme et expulse tout le mal au-dehors. Tu sais ce que je crois ? —Je fis non de la tête—. Que ces fous essaient de tuer le démon qui est en nous pour nous sauver.

Je restai bouche bée, à le regarder.

— Le démon qui est en nous ? —répétai-je.

— C’est une façon de parler. Certains saïjits pensent que les démons, nous sommes un peu comme des esprits malins qui s’infiltrent à l’intérieur des personnes innocentes.

Je pris un air songeur. Il était vrai que la plupart des contes qui parlaient des démons, à Ato, donnaient une image du démon plus proche de cette définition que de la simple explication selon laquelle, par accident, une partie existante de tout être vivant, appelée Sréda, se réveillait.

— Et tu es sûr que ce sirop ne peut rien nous faire ? —demandai-je—. Parfois, les légendes disent des vérités.

Spaw esquissa un sourire amusé.

— Il est possible que tu te transformes en un grand monstre à trois têtes avec des cornes et des crocs de vampire, mais ne te tracasse pas, nous allons sortir d’ici —déclara-t-il.

— Oh. Bien sûr —marmonnai-je—. Je propose que nous buvions le sirop. Si nous nous transformons réellement en monstres, je suppose que nous serons assez forts pour détruire la cage, qu’en penses-tu ?

— C’est une idée extraordinaire —me félicita Spaw, moqueur—. Mais je te conseille de ne pas toucher à ce sirop. Nous ne savons pas s’il contient d’autres choses.

— Ne t’inquiète pas, je ne le boirai pas —répliquai-je—. Que proposes-tu ?

Spaw s’approcha des barreaux et me parla à voix basse.

— La prochaine fois qu’ils viendront, nous ferons les morts. Ils ouvriront la cage, ils nous sortiront de là et, alors, nous prendrons la fuite.

“Cette idée me plaît”, intervint Syu, en agitant la queue.

Spaw et moi, nous sourîmes. Nous avions enfin un plan. J’étais en pleine réflexion, lorsque, soudain, j’entendis le souffle de Spaw.

— Démons ! —haleta-t-il entre ses dents.

— Que se passe-t-il ? —demandai-je, étonnée.

Il y eut un silence.

— Rien. Il ne se passe absolument rien —prononça-t-il.

Je fronçai les sourcils en voyant qu’il me cachait quelque chose. Que lui était-il arrivé ? À partir de là, Spaw se montra plus réservé et, lorsque je lui demandai où nous pouvions cacher le sirop pour qu’ils croient que nous l’avions bu, il secoua la tête, pensif. Il semblait avoir oublié que ce n’était pas le meilleur moment pour méditer.

Quand la porte s’ouvrit de nouveau, je sentis mon sang se glacer, comme si j’avais réellement cessé de vivre.