Accueil. Cycle de Shaedra, Tome 6: Comme le vent
Le mois de Planches s’écoula, Ruisseau arriva et mon anniversaire passa. Les jours étaient de plus en plus chauds et je continuais à nettoyer les sols et à suspendre le linge. Au total, dans le Sanctuaire, il y avait quatorze prêtresses, cinq Arsays de la Mort, huit porteurs, sept serviteurs et un jardinier et, parfois, quelque moine qui décidait de passer quelques jours, à méditer. Syu recouvra très rapidement une bonne santé et, lorsque Jisleya n’était pas dans les parages pour me contrôler, nous jouions, parlions et nous nous divertissions comme deux nérus. Fatiguée d’avoir à toujours m’incliner sur le sol, j’utilisai Frundis comme bâton pour passer la serpillère et sa musique joyeuse m’encourageait tandis que je parcourais les couloirs en fredonnant. Jisleya me surprit plusieurs fois à chanter et, un jour, elle se plaignit à Djawurs de mon comportement. J’avais l’impression qu’elle avait une dent contre moi depuis le premier jour. Heureusement, Djawurs ne l’écouta pas.
Noysha et Zalhi étaient les seules personnes avec qui je parlais vraiment, le soir, pendant le dîner. Elles préparaient le repas pour les prêtresses et la Fille-Dieu, puis nous mangions ensemble, avec Sakun, le jardinier et Liturmool, qui s’occupait de l’extérieur du Sanctuaire. Zalhi portait le repas aux trois autres servantes dans les appartements de la Fille-Dieu. Éleyha était l’une d’elles, et c’est à peine si je la croisais quelques fois, mais, lorsqu’elle me voyait, je percevais dans ses yeux une sorte de curiosité, qui s’atténua avec le temps quand elle s’aperçut que je ne lançais pas d’éclairs multicolores pour tuer des dragons.
Un jour où je suspendais les tuniques des prêtresses sous un soleil de mille démons, l’aide de chambre de la Fille-Dieu m’appela. Je terminai de suspendre une des tuniques, je ramassai Frundis, Syu grimpa sur mon épaule et nous nous approchâmes de l’édifice.
— Que se passe-t-il, Shaluin ? —demandai-je.
— La Fille-Dieu veut te voir.
La nouvelle me surprit et je me demandai aussitôt, pleine d’espoir, si l’exil de Lénissu et d’Aryès avait enfin pris fin.
— Maintenant ? —demandai-je, en jetant un coup d’œil à la panière à moitié pleine de linge restant à suspendre.
— C’est ce qu’elle a dit —répondit la caïte—. Va. Tu suspendras le linge plus tard.
Je suivis Shaluin à travers la longue véranda et, tandis qu’elle prenait le chemin des cuisines, je grimpai les escaliers vers les appartements privés de la Fille-Dieu.
C’était la première fois que j’allais la voir depuis que je travaillais à garder son Sanctuaire impeccable. La porte de la chambre était ouverte et illuminée par la lumière du jour, mais, comme il ne soufflait pas un brin d’air, il faisait aussi chaud que dehors. J’entrai dans la chambre sans bruit. Je vis Lacmin et un autre Arsay de la Mort assis à une table, jouant tranquillement une partie d’Erlun.
En me voyant, ils se tournèrent tous deux vers moi, méfiants.
— Euh… Je cherche la Fille-Dieu —dis-je—. Apparemment, elle veut me parler.
Lacmin bougea une pièce avant de répondre :
— Passe, c’est cette porte.
Il signala une porte derrière eux et je m’approchai. Au passage, je jetai un coup d’œil sur le damier et je secouai la tête. Lacmin venait de faire une action téméraire.
Je frappai à la porte et j’entendis une voix qui me disait :
— Entre.
La chambre de la Fille-Dieu était chargée de couleurs. Les murs étaient couverts de tapisseries et de tableaux, le dais était doré et les rideaux d’un vert sombre intense. Éleyha était assise sur le lit, une poupée entre ses bras. Lorsque j’entrai, elle anima sa poupée pour me saluer et je lui souris. La Fille-Dieu, assise à sa coiffeuse, me regardait, un verre à la main. Elle m’examina en silence, elle prit une gorgée et grimaça.
— Shaluin m’a dit de venir —dis-je, mal à l’aise.
— Oui. Apparemment —observa-t-elle avec lenteur—, cela fait plus d’un mois que tu nettoies les sols.
Son air moqueur me blessa profondément. Il me vint à l’esprit une réplique mordante, mais je la gardai pour moi et j’inspirai profondément pour me calmer.
— Je suppose que cela a dû te faire du bien —poursuivit-elle. Lorsqu’il ne s’agissait pas d’une visite officielle, elle semblait n’avoir aucun problème pour parler à la première personne—. Les pagodistes, vous êtes en général très orgueilleux.
“À elle, cela lui ferait beaucoup de bien de nettoyer les sols”, dis-je à Syu, en grognant et en retenant difficilement ma rage.
La Fille-Dieu sourit en voyant mon expression. Elle finit de boire son verre et elle le posa sur la table.
— J’ai des nouvelles de tes amis —dit-elle enfin, et je levai des yeux intenses vers elle, dans l’attente—. Ils ont été exilés pour dix ans. Et j’ai pu réduire la peine de moitié. Maintenant tu dois tenir ta promesse.
Blême de stupéfaction, je la fixai avec la sensation de me noyer lentement.
— J’ai pensé que tu as lavé suffisamment de sols. Tu es une pagodiste. Je crois que tu es capable de faire plus que cela.
— Cinq ans ? —exclamai-je, en l’interrompant.
La Fille-Dieu fronça les sourcils, mécontente de ma réaction.
— Un accord est un accord. Cinq ans sont moins que dix —observa-t-elle patiemment—. Tu me seras utile. Éleyha, conduis-la à sa nouvelle chambre.
En état de choc, je suivis la petite elfe noire sans protester.
“Cinq ans, Syu !”, me lamentai-je.
Le singe remuait la queue, pensif.
“Ce sont beaucoup d’années”, admit-il. “Mais pour le moment tu dois reconnaître que, ce mois, nous avons vécu plus tranquillement que jamais. Il n’y a eu ni enlèvements, ni arrestations, ni démons.”
“Oui”, admis-je, en souriant devant l’optimisme de Syu. Mais aussitôt mon visage s’assombrit. “Mais Lénissu et Aryès ne vivent peut-être pas du tout aussi bien. Je continue à penser que nous aurions dû organiser un sauvetage et laisser de côté la voie légale.”
Je me rappelai que, dans la lettre que m’avait envoyée le maître Dinyu en réponse à la mienne, celui-ci me disait que mon sacrifice était admirable, quoiqu’il déplore de devoir perdre une élève. Et il me demandait de continuer dans cette voie tant qu’elle me semblerait supportable. Déria et Dolgy Vranc m’avaient envoyé une lettre d’Ato en me disant que j’aurais dû leur raconter ce qu’il m’arrivait, et ils m’avaient assuré qu’ils reviendraient bientôt à Aefna pour me sauver. Je n’avais pas réussi à leur faire comprendre que je n’avais pas trouvé une meilleure solution pour aider Lénissu et Aryès.
Éleyha s’arrêta pour ouvrir une porte au fond du couloir.
— Voici ta chambre —me déclara-t-elle avec un grand sourire. Sa timidité semblait s’être évanouie.
— Merci, Éleyha —lui dis-je—. Comment s’appelle ta poupée ? —lui demandai-je, curieuse.
La poupée était assez délavée et elle semblait être la préférée de la fillette.
— Maman —me répondit-elle, enthousiaste. Et je pâlis en comprenant que probablement la fillette avait perdu sa mère depuis longtemps et que sa poupée était devenue une sorte de substitut muet.
— Oh ! Eh bien, enchantée de te connaître —dis-je à la poupée et je croisai les yeux verts de l’elfe noire—. Dis-moi, tu es toujours avec la Fille-Dieu, normalement ?
— Oui.
— Qu’est-ce que tu crois qu’elle va me demander de faire, maintenant ? —demandai-je, en entrant dans la chambre.
— Beaucoup de choses —répondit-elle gaiement—. Elle dit que tu feras n’importe quoi pour elle pour sauver tes amis —ajouta-t-elle, sur un ton enfantin.
Je sentis un rictus à la commissure des lèvres et je recomposai mon expression tout en jetant un coup d’œil dans ma chambre. Finalement, je me tournai vers la fillette.
— J’espère te voir plus souvent maintenant —lui dis-je amicalement.
Éleyha sourit et s’éloigna dans le couloir, en murmurant des paroles à sa poupée. La chambre était petite, mais elle avait deux grandes fenêtres et un lit confortable. Elle n’avait rien à voir avec ma cellule et sa lucarne où j’avais dormi jusqu’alors.
“Bien”, dis-je, assise sur le lit. “Et maintenant ?”
J’entendis des notes de piano et je baissai les yeux vers le bâton.
“Quoi ?”, l’encourageai-je.
“Même si ça ne te plaît pas, la fillette a raison”, me dit Frundis. “Tu dépends de la Fille-Dieu pour qu’elle réduise la condamnation. À moins que nous allions directement à Kaendra les libérer. Je pourrais t’aider.”
Je soufflai, amusée, en me souvenant de la dernière fois où Frundis avait voulu m’aider avec ses harmonies. Le hobbit Hawrius des Léopards avait tourné de l’œil en voyant le monstre des ténèbres qui avait filé à toute vitesse dans la rue.
“Laisse tomber. Je crois qu’il y a trop de gardes à Kaendra pour tous les affronter. On dit que Kaendra est la ville la plus dangereuse de tout Ajensoldra. Entre les gardes et les monstres, nous finirions soit en prison soit dévorés. Bien sûr, normalement même le monstre le plus stupide ne dévorerait pas un bâton en bois”, ajoutai-je.
“Ce n’est pas pour rien que je me suis changé en bâton”, exulta Frundis.
Syu et moi échangeâmes un regard amusé.
“Notre ami bâton est assez bon pour se vanter”, commenta le gawalt. J’approuvai de la tête, tandis que Frundis soupirait patiemment.
— Bon —dis-je, en me levant au bout d’un moment—. Nous allons finir de suspendre le linge.
En sortant de la chambre, je me rendis compte que ma phrase, pour quelqu’un qui n’était pas au courant, aurait pu paraître assez curieuse. Assurément, les gens ne pourraient pas comprendre qu’un singe gawalt puisse m’aider dans une tâche domestique.
* * *
La première mission que me demanda d’accomplir la Fille-Dieu fut d’ordonner sa bibliothèque particulière. Elle n’aimait pas la classification de Djawurs et elle souhaitait que j’ordonne les livres par thématique. Sa bibliothèque consistait en une grande étagère qui couvrait un mur entier et je dus utiliser l’échelle pour atteindre les rayons du haut. J’eus assez de mal à classer les livres, car beaucoup traitaient de religion ou de politique, et je n’étais pas une experte en la matière. Cependant, il y avait aussi des romans assez récents et des contes traditionnels. Je passai cinq jours à tout ordonner et lorsque j’annonçai à la Fille-Dieu que j’avais terminé, elle ne se montra pas satisfaite et je dus changer de place certains livres en suivant ses indications.
J’avais l’impression que la Fille-Dieu voulait mettre mes nerfs à l’épreuve. Je n’avais jamais ressenti aussi clairement l’autorité d’une personne et j’avais beaucoup de mal à la supporter. Malgré cela, la Fille-Dieu avait un cœur beaucoup plus tendre que Jisleya. La Hyène, comme l’avaient surnommée ses servantes, était une véritable sorcière. Les apparents privilèges que m’accordait la Fille-Dieu la dérangeaient à tel point que, chaque fois qu’elle me croisait, elle feignait de ne pas me voir ou me regardait fixement et m’adressait une phrase désagréable. Elle était encore pire que Marelta ou Yeysa, parce qu’elle n’était pas aussi intelligente que Marelta pour se rendre compte de son comportement ridicule, ni aussi bête que Yeysa pour se contenter de quelque simple métaphore enfantine. Inexplicablement, ma présence l’irritait, même si je ne lui avais rien fait.
Souvent, la nuit, Syu, Frundis et moi, nous profitions de la nouvelle chambre pour sortir par la fenêtre et aller dans le bois jouir d’un peu de liberté et d’intimité. C’était l’unique moment où je me transformais en démon en toute tranquillité. Comme le bois était peuplé de buissons dangereux et épineux, au début, nous n’osions pas courir et nous préférions grimper dans les arbres. Cependant, avec le temps, nous commençâmes à connaître la zone et à nous déplacer avec moins d’appréhension. Craignant pour Syu, je lui répétai plusieurs fois de ne goûter aucune baie inconnue et le singe me répliqua qu’il n’avait pas l’esprit suicidaire.
“Non, mais parfois tu es très gourmand et tu es téméraire”, lui répliquai-je, affectueusement.
Pour placer correctement Frundis dans mon dos, je fabriquai une sorte de ceinture avec des lanières qui fixaient le bâton de façon à ce qu’il ne me gêne pas dans mes mouvements. Les courses nocturnes me permirent de retrouver mon agilité en un rien de temps.
La première semaine de la Gorgone, la Fille-Dieu me fit appeler et, lorsque j’allai la voir, elle m’expliqua qu’elle devait aller au Temple d’Aefna pour assister à une importante cérémonie religieuse.
— Le Fils-Dieu y sera, avec tous ses prêtres, et le Daïlorilh, aussi.
— Très bien —dis-je, sans savoir au juste ce que j’avais à voir dans tout cela. Plus d’une fois la Fille-Dieu s’était rendue au Temple et au Palais Royal le mois passé et elle n’avait jamais jugé nécessaire de me prévenir.
— Tu viendras avec moi —m’expliqua-t-elle alors—. Je veux que tu avertisses une personne que je désire lui parler.
— De qui s’agit-il ? —demandai-je.
— De Sirseroth Ashar.
J’ouvris des yeux exorbités, doublement surprise. La Fille-Dieu faisait sans doute allusion au celmiste bréjiste du Palais Royal qui avait gagné une couronne pendant le Tournoi. Mais ce qui me surprenait le plus, c’était que la Fille-Dieu ait des relations avec les Ashar. Devinant mes pensées, la pâle jeune fille sourit.
— Je suppose que tu sauras le reconnaître —dit-elle—. Cherche-le dans le Temple, il y sera. Et quand tu l’auras ramené près de moi, va acheter des citrons et retourne au Sanctuaire.
— Des citrons ? —répétai-je, déconcertée.
— Tout juste. Je veux que tu sois dans la cour d’entrée dans une heure. Ah, et n’emmène ni le singe ni le bâton. Ils te donnent un air ridicule.
Sans un mot de plus, elle rentra dans sa chambre et elle me laissa, les sourcils froncés, face à deux Arsays de la Mort. Je ne savais pas pourquoi, mais j’avais l’impression que j’allais regretter le seau d’eau et les sols du Sanctuaire.
Une heure après, j’étais dans la cour, vêtue d’une large tunique blanche que m’avait apportée Éleyha. Syu était fâché avec la Fille-Dieu qui nous avait séparés et j’avais essayé de le tranquilliser, mais je n’avais pas réussi à le convaincre de rester au Sanctuaire.
“Personne ne me verra”, m’assura le singe.
Et de fait, même moi, je fus incapable de savoir où il était lorsque nous commençâmes tous à descendre la pente. À partir de l’Anneau, les gens rejoignirent petit à petit la procession pour l’accompagner jusqu’au Temple. Malgré la fête religieuse qui devait avoir lieu ce jour-là, je voyais clairement qu’Aefna était beaucoup plus vide que durant le Tournoi.
Pour la première fois, j’entrai dans le Temple, un énorme édifice de pierres sombres jouxtant le Palais Royal, aux pinacles élancés et aux sculptures impressionnantes.
“Ouah”, fit la voix de Syu dans ma tête.
Je promenai mon regard autour de moi, mais je ne vis le singe nulle part. Les porteurs emportèrent la litière de la Fille-Dieu à l’intérieur du Temple et ils commencèrent à monter les escaliers jusqu’aux loges supérieures, tandis que je restais en bas, hallucinée par la vue spectaculaire. La salle principale du Temple occupait presque tout, avec ses colonnes majestueuses, ses images religieuses et guerrières. Au bout d’un moment, je me mis à la recherche de Sirseroth Ashar. La salle était remplie de fidèles et j’avais du mal à circuler. J’étais presque sûre que Syu n’avait pas osé entrer au milieu d’une telle foule.
Je mis plus d’une demi-heure à trouver cet Ashar, mais finalement j’y parvins. Il avait les mêmes cheveux blonds que Suminaria et certains de ses traits ressemblaient beaucoup à ceux de la jeune tiyanne. Il portait une tunique noire et avait un aspect assez lugubre. Je me dirigeai vers lui et je me raclai la gorge.
— Sirseroth Ashar ? —demandai-je.
Le jeune tiyan tourna son visage pâle vers moi. Ses écailles rougeâtres brillèrent autour de ses yeux.
— Oui ? —Le ton de sa voix était plus doux que brusque et il me surprit.
— La Fille-Dieu voudrait vous parler —dis-je simplement.
— La Fille-Dieu ? —répéta Sirseroth, en fronçant les sourcils—. Que veut-elle ?
La question me prit au dépourvu. Je n’avais aucune idée de ce que voulait la Fille-Dieu. Je haussai les épaules.
— Je ne sais pas.
— Bien. J’y vais.
Apparemment, il attendait que je le guide auprès d’elle ; je traversai donc la salle au milieu de la foule et j’attendis qu’il me rattrape pour monter les escaliers. Comme je ne savais où s’était installée la Fille-Dieu, j’avançais en jetant des regards de tous les côtés jusqu’à ce que je la trouve.
— Elle est là —indiquai-je à Sirseroth—. Si vous voulez bien m’excuser, je vais acheter des citrons.
Sirseroth leva un sourcil, surpris, et sourit, illuminant son visage lugubre.
— Tu es servante de la Fille-Dieu ? —me demanda-t-il.
— Oui —soupirai-je.
— Cela ne semble pas te réjouir —dit-il en riant—. Dis-moi une chose, t’a-t-il semblé que la Fille-Dieu était de bonne humeur aujourd’hui ?
— Eh bien… Je ne sais pas. Elle est toujours un peu étrange.
— C’est une personne divine —observa le tiyan. Mais il ne semblait pas être pressé d’aller voir cette “personne divine”.
— Oui. —Je me raclai la gorge et je demandai, en l’observant attentivement— : Vous êtes un véritable Ashar ?
Sirseroth fit une moue et acquiesça.
— Tout à fait.
— Cela ne semble pas vous réjouir —fis-je, en riant, en reprenant ses propres mots—. Moi, j’ai connu une Ashar.
Sirseroth haussa un sourcil, étonné.
— Qui était-ce ?
— Suminaria —répondis-je—. C’était une bonne amie.
Le blond semblait avoir oublié qu’il avait rendez-vous avec la Fille-Dieu.
— Suminaria —murmura-t-il—. Pourquoi dis-tu que c’était ton amie ? Comment l’as-tu connue ?
— À Ato. Je suis élève de la Pagode Bleue… Enfin, je l’étais avant d’entrer au service de la Fille-Dieu.
Sirseroth prit un air songeur et acquiesça.
— Je comprends. Bon, je vais voir ce que me veut la Fille-Dieu.
— Bonne chance —lui souhaitai-je.
Il paraissait plongé dans ses pensées et peu animé à bouger lorsque je le laissai pour redescendre les escaliers. Je sortis du Temple et je cherchai Syu.
“Syu, il n’est plus nécessaire que tu te caches, la Fille-Dieu est dans le Temple.”
Je n’entendis aucune réponse. Je marchai un peu dans la rue, en l’appelant et, brusquement, je sentis un poids sur mon épaule et je soufflai.
— Syu ! Tu es incorrigible. Un jour, tu vas me faire mourir de peur.
Le singe gawalt me tira la langue, rieur. Je me rendis sur la Place de Laya pour acheter des citrons, puis je passai par la Pagode, mais je n’osai pas entrer. La cérémonie du Temple devait encore durer plusieurs heures, je n’étais donc pas pressée. Je longeai le quartier général, puis j’allai à la cachette de Lénissu, je me faufilai par la trappe et je vis que personne ne semblait être passé par là depuis le départ de Lénissu et d’Aryès. Finalement, fatiguée de marcher, je me dirigeai vers le chemin qui montait au Sanctuaire, en passant par la forge, petit refuge des Communautaires.
Je chantais à Syu une de ses chansons favorites quand, soudain, j’entendis un bruit dans les fourrés. Je me tournai sur la gauche et je vis trois silhouettes noires se précipiter vers moi. Et sur ma droite, deux autres saïjits vêtus de noir essayaient de me traquer. L’un d’eux portait une corde. Je compris immédiatement que leurs intentions n’étaient pas bonnes.
“Saute et fuis !”, criai-je à Syu.
Je bondis et m’élançai dans la pente, le cœur battant à tout rompre.
— Au secours ! —criai-je à pleins poumons, atterrée. Voyant qu’ils me poursuivaient, je leur jetai le sac plein de citrons.
J’espérai que Syu saurait se débrouiller seul pour trouver une cachette. Tout en me demandant désespérément qui étaient ces fous vêtus de noir, je descendis la pente à tire d’aile, mais alors j’entendis le bruit d’une corde. Comprenant soudainement que la corde était une sorte de lasso, sans un regard en arrière, je me jetai sur la gauche, en réalisant une pirouette, et je pénétrai dans le bois. Dès que je pus, je grimpai à un arbre, sortant mes griffes et blessant à peine l’écorce, tellement j’allais vite. Les silhouettes entourèrent mon arbre. Je les entendis marmonner et pester contre moi et contre les arbustes et leurs piquants.
— Descends de là, nous ne te ferons pas de mal ! —grogna une voix.
Je réprimai un petit rire ironique. Pensaient-ils que j’allais les croire ? Combien de temps attendraient-ils, au pied de l’arbre ? Ils pouvaient attendre des heures ; s’ils ne bougeaient pas, moi non plus, je ne bougerais pas. Cependant, lorsque je vis l’une des silhouettes sortir ses griffes et commencer à grimper à l’arbre, je sentis le sang se glacer dans mes veines. Le ternian se rapprochait de moi beaucoup trop vite. Il me regarda et ses dents féroces apparurent sous son masque. Il prononça alors le mot qui finit de m’horrifier.
— Allons, petit démon, nous voulons seulement t’aider.