Accueil. Cycle de Shaedra, Tome 6: Comme le vent

7 Obscurité

Il nous fut complètement impossible de parler avec Tilon Gelih. Le célèbre guitariste était un petit nobliau vaniteux qui, dans sa confortable demeure, ne recevait que des adultes et des connaisseurs. Ses fidèles serviteurs suivaient ses consignes à la lettre ; ils nous regardèrent tous les quatre d’un mauvais œil, en nous disant que leur maître n’avait pas de temps à perdre et qu’il était très occupé, mais que l’on nous remerciait de notre admiration pour un musicien si éminent… Frundis déblatéra contre lui durant tout le chemin du retour. Salkysso semblait un peu déçu.

— Nous devrions avoir dit que nous étions des pagodistes —commenta-t-il—. Peut-être que cela les aurait impressionnés.

— Je crois qu’ils ont dû s’en douter —intervint Kajert—. Shaedra et Galgarrios portaient la tunique de har-kar avec la feuille de chêne.

— Ce Tilon peut bien me supplier, jamais de ma vie je ne reviendrai chez lui —répliquai-je—. Ce ne sont pas des façons de traiter les gens ! Et même si je voulais, Frundis m’en empêcherait —ajoutai-je, et je réprimai un sourire en entendant la véhémente diatribe injurieuse dans laquelle s’était lancé le bâton depuis déjà un bon moment.

Sans être encore habitués à ce que je parle du bâton comme d’une personne, Salkysso et Kajert échangèrent des regards songeurs et, en arrivant à la Pagode des Vents, ils me dirent au revoir, l’air méditatif. Galgarrios et moi, nous nous acheminâmes vers la bibliothèque d’Aefna, lui, pour m’accompagner et, moi, pour rendre le livre sur les comportements à suivre en présence de personnalités importantes. J’avais oublié au moins la moitié de ce que j’avais lu, mais, de toutes façons, je trouvais que j’avais déjà fait suffisamment d’efforts dans ce domaine.

Je passai le reste de l’après-midi à me promener dans Aefna et, pour la première fois, je m’intéressai aux bavardages des gens. Mais nul ne parlait des trois personnes qui avaient été arrêtées la veille. Après tout, ce n’était aucun événement qui puisse paraître extraordinaire, surtout en pleine époque de Tournoi. Les gens se préoccupaient des fêtes, des gains et d’autres sujets sans aucun rapport avec quelque voleur ou prisonnier. Syu, de son côté, ne parvint pas non plus à obtenir davantage d’informations. Et Frundis, après avoir adopté son ton de détective et nous avoir donné mille conseils, nous dit que la meilleure solution pour s’informer, était d’aller directement au quartier général.

Mais je n’étais pas assez folle pour me présenter en ce lieu et annoncer au geôlier : “Bonjour, je suis la nièce de ce ternian, et amie de celui-là et je souhaiterais savoir où sont les clés des cellules.” Je secouai la tête tout en m’imaginant face à un énorme elfe noir qui ressemblait de plus en plus à Brinsals, ce garde imposant d’Ato dont le caractère m’avait toujours inspiré un certain mépris.

L’attente fut insupportable. Aucune nouvelle ne me parvenait. Ni de la Fille-Dieu, ni de Srakhi, ni de Kwayat ou Spaw. Et je passais mon temps à observer distraitement des épreuves et encore des épreuves, n’ayant plus à participer à aucune. Le Tournoi touchait à sa fin et il restait deux jours pour la remise des prix. S’ensuivrait un jour de fête appelé le Jour Noir, où l’on invitait les commerçants à baisser les prix de leurs produits pour encourager ceux qui se préparaient à partir à acheter et dépenser leurs derniers kétales. Les détails, ce fut Déria qui me les expliqua lorsque, finalement, j’allai les voir, après plusieurs jours sans nouvelles d’eux.

Déria et Dolgy Vranc avaient été très occupés ces derniers jours avec leurs affaires. Dolgy Vranc avait inventé un nouveau jouet et il avait conclu des accords pour obtenir du bois meilleur marché pour réaliser sa première vente importante à Aefna. Déria était très enthousiaste et tous deux désiraient ardemment qu’arrive le Jour Noir quoiqu’ils craignent de ne pas avoir suffisamment de temps pour fabriquer tous les objets qu’ils voulaient. Je leur assurai que j’aurais mille fois préféré les aider à fabriquer des jouets que de devoir regarder défiler tous les candidats l’un après l’autre et assister à toutes les épreuves de combat d’épée, de duel de transformation, de courses et autres épreuves qui, avec le temps, commençaient à me peser. Déria en profita pour s’excuser de ne pas être venue me voir combattre autant de fois qu’elle l’aurait voulu. Je comprenais parfaitement qu’elle soit davantage fascinée par la fabrication de jouets et par la construction de son commerce que par quelques duels de har-kar dans un salon d’Aefna. Et en les voyant si occupés, l’idée ne me vint pas de leur raconter quoi que ce soit sur Lénissu et Aryès. Je ne voulais pas les déranger avec mes préoccupations.

Le jour suivant était le second Gui du mois de Planches. Ce jour-là, nous apprîmes tous que le maître Dinyu avait répondu à Jaslu Rieyni, le maître qui l’avait défié. Mais son message, apparemment, n’avait pas satisfait Jaslu, qui l’avait traité publiquement de lâche, se comportant comme un enfant contrarié.

— La seule chose qu’il prétend, c’est de s’attirer plus de disciples —grogna le maître Tuan, qui avait été invité par le maître Kioldin à dîner à la Grande Pagode.

Ils étaient en train de passer devant notre table et nous entendîmes parfaitement la conversation.

— Ce qu’il prétend, c’est son problème —répliqua le maître Dinyu—. Nous ne devrions pas y accorder d’importance. Parlons d’autre chose.

— Le problème vient du fait que cet homme qui se dit maître n’a pas le titre de maître de pagode —intervint le maître Djilar, une expression de complète désapprobation sur le visage—. Vous faites bien de ne pas accepter le défi, maître Dinyu. Ce serait comme accepter d’entrer dans son jeu.

— Nous sommes d’accord là-dessus —répondit le maître Aynorin.

Je me tournai légèrement pour voir la réaction du bélarque et je perçus l’esquisse d’un sourire.

— Si vous continuez à me donner raison, je vais peut-être bien finir par vous contredire et par accepter le défi de Jaslu.

Ils s’esclaffèrent et ils s’assirent plus loin, à une table à part. Tous les kals, nous avions suivi l’échange et beaucoup se mirent à commenter avec animation l’affaire. Sotkins était rouge d’émotion et défendait le maître Dinyu, tandis qu’Arléo se complaisait à la faire enrager, et quand il voyait que la bélarque commençait à hausser un peu trop le ton, il lâchait un commentaire flatteur et poétique.

— Tes yeux sont deux gemmes qui s’illuminent quand tu te fâches —lui dit-il à un moment, avec un grand sérieux.

Sa phrase provoqua l’hilarité de ses amis et Sotkins lui jeta un regard chargé d’irritation, convaincue qu’il se moquait d’elle et, comme, d’habitude, elle trouvait toujours des répliques assez mordantes, je fus surprise qu’elle n’en trouve aucune à ce moment et qu’elle décide de se lever sans un mot et de sortir du réfectoire, blême de colère.

Arléo demeura figé, l’air étonné de sa réaction, tandis que ses amis lançaient toutes sortes de railleries.

— Sotkins ! —l’appela Arléo, en fronçant les sourcils et il se leva pour la suivre—. Attends, je ne comprends pas pourquoi tu te mets dans cet état, tu n’aimes pas la poésie ?

Les autres s’esclaffèrent de plus belle, Arléo leur adressa un sourire hésitant.

— Je vais la calmer —leur dit-il.

Arléo me semblait plus sympathique que la plupart de ses amis. Lorsqu’il agissait, il n’avait pas l’air d’avoir de mauvaises intentions. Il était simplement d’un naturel blagueur. Mais comme ses amis avaient si peu de goût et riaient de tout, Arléo avait fini par ne pas faire la différence entre les moqueries innocentes et les moqueries plus caustiques. Dans le cas présent, cependant, je considérai que Sotkins s’était montrée d’une susceptibilité excessive.

Lorsque je terminai de dîner, je décidai de faire un autre tour dans la rue du quartier général. Aussi, je saisis Frundis et, accompagnée de Syu, je sortis de la Pagode et je m’engageai dans les rues encore pleines de passants et illuminées par des lampes en forme de ballons. Je pris ensuite une rue déserte et je plaçai Frundis dans mon dos pour escalader l’édifice. Une fois juchée sur le toit en terrasse, je pus voir, non loin, le chemin qui entourait le quartier général.

“La nuit dernière, nous avons passé des heures à observer la même chose”, se plaignit Syu, en s’asseyant à côté de moi. “On va recommencer ?”

“Non”, dis-je. “Cette fois, je vais entrer.”

Syu s’effraya de ma détermination, mais, de toutes façons, mes tentatives furent vaines. Il était difficile d’être prudent et, en même temps, de passer outre les deux gardes de service, d’ouvrir la porte de fer, de voler les clés, de trouver les cellules où étaient Lénissu et Aryès et de fuir de là, ni vu ni connu. Je soupirai et, au bout de deux heures, je rejetai mon rêve si merveilleux et j’adoptai une attitude plus réaliste. Que faisais-je réveillée à une heure pareille, alors que Kwayat ne m’attendait pour aucune leçon et que l’on ne pouvait pas faire de courses aussi bien qu’à Ato ? Ce que j’avais de mieux à faire, c’était de garder mes forces pour le lendemain, pas parce que c’était le jour des prix, mais parce que la Fille-Dieu m’informerait de sa décision. Je ne pouvais oublier ses paroles : “Dans trois jours, tu auras ma réponse”, m’avait-elle déclaré. Je priai pour que la Fille-Dieu ne m’ait pas oubliée, parce que, sinon, l’unique espoir qui me restait était celui de croire que Lénissu avait tout sous contrôle et qu’il avait inventé l’arrestation avec ses amis les gardes.

Je me tenais sur l’édifice le plus proche du quartier général lorsque j’aperçus un mouvement qui retint mon attention. La Bougie et la Lune illuminaient le ciel et, malgré les nuages qui, de temps en temps, les dissimulaient, l’obscurité n’était pas idéale. Je me fondis dans les ombres harmoniques, en remarquant que des silhouettes avançaient sur le toit du quartier général. Je me rappelai que j’étais à Aefna et que, contrairement à Ato, dans la capitale, je n’étais pas la seule à avoir l’idée de me promener discrètement la nuit.

Syu et moi, nous les observâmes avec curiosité. Frundis se plongea dans un profond silence qui me surprit, car, chaque fois que la tension montait, il s’animait aussitôt. En remarquant mon étonnement, le bâton expliqua :

“Les silences sont parfois plus précieux qu’un concert de Kautis.”

Je haussai les épaules, et je profitai du silence harmonique pour me concentrer et améliorer mon sortilège de camouflage. Au total, il y avait trois personnes, deux de petite taille et une grande, mais je ne pus déterminer de quelle race ils étaient, car ils avaient de larges capuches rabattues sur le visage. Le plus grand marchait en tête. Celui qui le suivait glissa entre les deux toits unis du quartier général, mais le compagnon qui venait derrière lui le rattrapa par le bras. Ils s’arrêtèrent un moment, probablement pour commenter quelque chose.

Ni Syu ni moi n’osions presque respirer, même si une distance respectable nous séparait des trois encapuchonnés. Un instant, j’imaginai que l’un d’entre eux était Lénissu, mais aucun n’avait sa démarche caractéristique. Je me dis alors que c’étaient peut-être Wanli et ses compagnons… À moins que ce ne soient des inconnus qui allaient sauver un autre prisonnier, mais je doutais qu’il y en ait beaucoup au quartier général, car la plupart des condamnés étaient envoyés aux travaux forcés.

Je les vis descendre agilement du toit du quartier général et passer par-dessus le mur qui les séparait de la rue. C’est alors seulement qu’ils ôtèrent leurs capuches. Maintenant qu’ils étaient plus près, je pus voir que l’un d’entre eux portait un sac. Leurs visages, occultés par l’obscurité, étaient à peine visibles. Si je voulais savoir qui ils étaient, je devrais les suivre, me dis-je, effrayée.

Syu ne semblait pas s’opposer à cette idée et je me dis qu’il était de plus en plus téméraire, alors que, moi, je devenais de plus en plus craintive. Mais une des raisons pour lesquelles je craignais de les suivre était que je ne savais absolument pas qui ils étaient. Et si c’étaient des celmistes capables de détecter des sortilèges harmoniques ? Ou alors des chasseurs de démons, ou des voleurs, ou autres individus dangereux ? Je voulais seulement savoir s’ils avaient quelque chose à voir avec Lénissu. Mais je ne pouvais pas leur barrer le passage et leur demander tout bonnement.

“Si tu te décides, fais-le tout de suite, parce que nous allons les perdre”, m’annonça le singe, en descendant de mon épaule.

De fait, les trois personnes allaient disparaître au coin de l’édifice où je me trouvais.

“Suivons-les”, déclarai-je.

J’escaladai le toit à quatre pattes pour atteindre le côté opposé et suivre leur piste. Ils avançaient rapidement dans les ruelles d’Aefna et j’avais du mal à maintenir leur rythme en courant sur les toits. À un moment, je tombai sur un jardin, et je n’eus pas d’autre solution que de descendre du toit et de sauter dans la rue. Mais, lorsque je les aperçus de nouveau, ils n’étaient pas trois, mais quatre. Et ils marchaient tous les quatre coude à coude, comme une bande de durs, tous vêtus de longues tuniques noires. Ils se dirigeaient vers le nord et ils étaient sur le point de déboucher sur la place de Laya quand, subitement, ils tournèrent sur la gauche. La rue était bordée d’arbres et de maisons avec des jardins sur le devant. Les arbres avaient un tronc étroit et ne pouvaient guère servir à se dissimuler, aussi, je renforçai mon sortilège qui commençait à s’affaiblir.

Il y avait encore des passants sur la Place de Laya, mais cette rue était déserte. Je vis soudain les quatre saïjits disparaître derrière une haie et, un instant, je m’arrêtai, indécise. J’étais sur le point de m’avancer prudemment lorsque je vis la lumière d’une lampe et je compris que le veilleur de nuit allait passer.

J’attendis qu’il passe et je me demandai si les quatre saïjits s’étaient occultés pour la même raison et ressortiraient de leur cachette ou s’ils étaient arrivés à leur destination. La maison derrière la haie était en pierre grise, avec un balcon qui faisait presque tout le tour. Je patientai plusieurs minutes, mais je ne perçus aucun mouvement. Alors, je dis à Syu :

“Pourrais-tu aller voir s’ils sont toujours là ?”

Le singe gawalt traversait déjà la rue, enveloppé par les harmonies. Il possédait un contrôle des harmonies qui, parfois, m’émerveillait.

“Il n’y a personne”, dit le singe et, soulagée, j’allais sortir de ma cachette lorsqu’il s’écria soudain : “Attends. Je crois qu’une personne se cache pas très loin.”

Après un bref échange, je décidai de traverser la rue avec maintes précautions et je parvins de l’autre côté de la maison, en me dissimulant derrière un arbuste chargé de fleurs blanches.

“Il a bougé”, siffla Syu. “Je crois qu’il t’a entendue.”

Je restai pétrifiée.

“Vers où se dirige-t-il ?”

“C’est un hobbit”, décrivit le singe. “Enfin, je crois. Tu vas bientôt le savoir. Il va droit sur toi.”

La panique s’empara de moi et je lançai à Syu une plainte désespérée.

“S’il me voit, je pars en courant”, l’avertis-je.

Nous demeurâmes un moment silencieux, tendus. J’entendis un bruit léger de pieds nus sur les cailloux…

“Il a fait demi-tour”, m’informa Syu.

Je n’osai même pas pousser un soupir de soulagement. Allongée entre deux buissons fleuris, j’attendis que les battements de mon cœur se calment. Que gardait ce hobbit ?, me demandai-je soudain, méfiante. Cette maison était-elle le repaire de quelque confrérie illégale ? Mais que faisaient des membres de cette confrérie à rôder autour du quartier général, juste là où la garde était censée être le plus aux aguets ?

Le singe me rejoignit peu après.

“Palpitant”, commenta-t-il. “Et maintenant, que fait-on ?”

“Maintenant, on va essayer de sortir de là sans que personne ne nous voie”, marmonnai-je.

Le singe bâilla et approuva.

“Bonne idée. Que crois-tu que garde ce hobbit ?”, demanda-t-il.

Avant que je puisse lui répondre, j’entendis des voix et des bruits de pas foulant les cailloux.

— Ce travail, c’est du gâteau —prononça un des saïjits qui s’approchaient.

— Pas si vite —dit une voix féminine—, l’affaire n’est pas encore résolue. Nous devons sortir l’épée de là.

— Ils la gardent sûrement avec les autres possessions des détenus. Je ne crois pas qu’ils connaissent la valeur de cette épée. —Au ton de sa voix, il semblait être satisfait—. Bonne nuit, Hawrius.

— Bonne nuit —répondit une voix plus lointaine qui devait appartenir au hobbit qu’avait vu Syu.

Les deux saïjits passèrent juste par l’allée la plus proche et je fus sur le point de me lever et de me mettre à courir, mais ma paralysie m’en empêcha. Ils avaient remis leurs capuches et on voyait à peine leur visage.

— Il suffit de mettre en pratique ce que nous avons décidé —ajouta l’homme le plus grand, tout en s’éloignant dans la rue.

Je n’entendis pas ce que lui répondit la femme, mais elle ne semblait pas convaincue que tout soit si facile. Je déduisis peut-être trop de choses de cet échange. Ils parlaient d’une épée, et j’avais tout de suite fait le lien avec Corde, l’épée de mon oncle, qui avait tant intéressé le Mahir d’Ato. L’épée d’Alingar avait une réputation légendaire. Certains disaient qu’elle retenait des esprits prisonniers et qu’elle les libérait pour protéger son porteur. D’autres disaient qu’elle était capable d’invoquer les morts. Bien évidemment, c’étaient des légendes, et je n’avais jamais vu Lénissu l’utiliser, mais cette épée n’en était pas moins une des reliques les plus convoitées de la Terre Baie. Et tout indiquait que ces encapuchonnés prétendaient la dérober.

Si tel était le cas, je commençais à mieux comprendre pourquoi Lénissu avait organisé cet emprisonnement. Mais je n’arrivais toujours pas à croire qu’il n’ait pas trouvé une meilleure façon de se protéger que celle de se faire arrêter et enfermer au quartier général.

“À moins que tout cela n’ait rien à voir”, dit Syu, en lisant mes pensées.

Je soupirai et, aussitôt, je me couvris la bouche, atterrée. Le hobbit Hawrius était toujours là : je ne pouvais pas me permettre de gaffer maintenant. Je me mordis la lèvre inférieure, en essayant de penser à une manière sûre de sortir de là sans que personne ne me voie. À cet instant, j’entendis un accord de violons.

“Ça, je peux t’y aider”, intervint Frundis avec calme. “Je t’envelopperai dans une couverture d’obscurité, qu’en penses-tu ?”

Je demeurai ébahie.

“Tu en es capable ?”

“C’est un peu fatigant pour moi de lancer des illusions à l’extérieur, mais je peux y arriver”, dit Frundis. “Souviens-toi de ces loups sanfurients qui t’avaient attaquée, le jour où je t’ai connue.”

Je me rappelai qu’effectivement, ce jour-là, dans les Plaines de Drenaü, le bâton avait créé harmoniquement plusieurs loups sanfurients pour me prouver qu’il était capable de lutter.

“Si tu peux faire en sorte qu’il ne me voie pas, vas-y”, l’encourageai-je.

“Mais en tout cas, toi, ne tente rien”, m’avertit-il. “Tes harmonies pourraient rentrer en conflit avec les miennes et mon effort serait vain.”

“Ne t’en fais pas, dis-moi seulement quand je peux commencer à courir”, répondis-je, en ressentant quelque appréhension de me fier autant aux capacités harmoniques de Frundis.

Aussitôt, je sentis le flux des énergies harmoniques autour de moi. Frundis m’enveloppa d’une sphère d’obscurité.

“Prêt !”, me dit-il.

Je me levai et je me mis à courir dans la rue comme si j’étais poursuivie par un dragon à trois têtes. Derrière moi, j’entendis un cri étouffé et un son qui ressemblait à celui d’un sac lourd tombant sur le sol.