Accueil. Cycle de Shaedra, Tome 2: L'Éclair de la Rage
— Pourquoi tu ne m’as rien dit ? —s’exclama Laygra, en colère, lorsque le maître Helith eut disparu de notre vue—. Je m’imaginais bien que tu tramais quelque chose, Murry, mais jamais je n’aurais imaginé que je rencontrerais Shaedra comme ça, du jour au lendemain, et à Dathrun !
— Nous n’étions pas sûrs que cela allait fonctionner. Disons que le maître Helith disait qu’il en était sûr, mais lui, il est toujours très optimiste. En plus, les événements se sont précipités et nous avons dû agir plus tôt que prévu parce que des nadres rouges les ont attaqués. Nous devions les sortir de là, que voulais-tu que je fasse ?
— Oui… bien sûr —bredouilla Laygra, confuse—, mais tu aurais dû me le dire… tu aurais dû me parler de tout ça.
— Tu es contente ou non d’avoir Shaedra parmi nous ? —répliqua Murry en grognant.
Je les regardais tour à tour, les yeux écarquillés.
— Bien sûr que je suis contente —protesta Laygra en me prenant affectueusement par le bras—, très contente… mais la prochaine fois, tu ne dois pas garder des secrets qui me concernent aussi, compris ?
Son visage sévère sembla convaincre Murry.
— D’accord. Viens, Shaedra, sortons de cette tour.
J’acquiesçai, les sourcils froncés. Laygra me regarda fixement et se tourna vers son frère.
— Bonne idée. Je crois que le monolithe lui a embrouillé les idées.
— Mais non —protestai-je—. Ce qu’il y a, c’est qu’il ne se passe pas autant de choses tous les jours. Dites-moi, pourquoi nous ne passons pas une après-midi tranquille, sans parler de liches, ni de monolithes ni de choses de ce genre ? Vous me feriez une sacrée faveur, j’ai l’impression que ma tête va éclater. Si vous me montriez un peu les alentours, par exemple ?
Mon frère et ma sœur me regardèrent, l’air surpris, puis tous deux sourirent.
— Allons à la Galerie d’Or —proposa Laygra.
— Et après, nous pouvons aller au Parc —ajouta Murry—. C’est vraiment un bel endroit. Tu verras.
La Galerie d’or, illuminée par les derniers rayons du soleil, était véritablement une merveille. Au crépuscule, nous parcourûmes le Parc et ils me montrèrent les fontaines, ils me présentèrent plusieurs élèves qu’ils connaissaient et ils me racontèrent leur vie à Dathrun, leurs cours, l’apprentissage, les horaires extrêmement chargés… Tout me rappelait la Pagode Bleue et, en même temps, je me rendais compte que l’apprentissage à Dathrun était très différent de celui que j’avais reçu à Ato. L’académie de Dathrun était beaucoup plus grande et avait beaucoup plus d’élèves, l’ambiance n’était pas la même. Je les écoutais avec intérêt m’expliquer le fonctionnement de l’académie, observant de notables différences entre les deux systèmes.
Au bout d’un moment, je remarquai que ni l’un ni l’autre n’osait me poser des questions sur moi, malgré l’envie de savoir et, peu à peu, je leur racontai moi aussi mes années à Ato, je leur racontai mes disputes avec Wiguy, ma rencontre avec Lénissu, la mort de Sayn et l’apparition du monolithe pendant la dernière épreuve de snori. Lorsque j’arrivai à l’étape du dragon, ils froncèrent les sourcils, incrédules, mais à force de détails ils finirent par y croire. Je terminai mon récit par l’attaque des nadres rouges et, là, je me tus, me raclant la gorge.
— Vous avez déjà traversé un monolithe ?
Laygra fit non de la tête.
— Jamais —dit Murry—. Mais le maître Helith affirme que c’est comme si tu entrais dans des eaux qui auraient des mains qui te tirent de tous les côtés.
— Ce n’est pas une mauvaise image —approuvai-je, pensive—. J’espère ne plus jamais avoir à traverser un monolithe de ma vie.
C’était agréable de parler avec Laygra et Murry, mais j’aurais préféré pouvoir le faire dans d’autres circonstances et pas à un moment où je ne pouvais cesser de penser à ceux que j’avais laissés en arrière, Zemaï savait où. Je n’arrivais pas à comprendre ma situation. J’avais failli mourir aux mains des nadres rouges, mais Marévor Helith était intervenu et m’avait sauvé la vie. Il me suivait depuis des années, m’épiant, et il semblait vouloir me protéger. Un nakrus voulait me protéger ! Quelle importance pouvait avoir une terniane de treize ans et quelques mois pour un mort-vivant de plus de deux mille ans ?
Je soufflai, étouffée par mes propres réflexions.
— Je crois que tu as besoin de te reposer un peu —intervint Laygra.
Murry se leva prestement.
— Ne te tracasse pas. À présent, tu es en sécurité. Je vais te conduire à ta chambre.
Je me levai comme dans un rêve, tout en regardant mes frère et sœur, les yeux grands ouverts. Pour eux, j’étais la petite sœur perdue et récupérée qui avait dû subir tant de calamités avant d’être sauvée. J’aurais besoin de temps pour m’habituer à ma nouvelle situation et, de toutes façons, je ne disposerais pas de ce temps, car je pensais m’en aller le plus tôt possible de Dathrun à la recherche des autres. Murry et Laygra m’accompagneraient, bien sûr, et le maître Helith nous donnerait des conseils et il nous laisserait partir et il cesserait de m’espionner et… Nous traversions un couloir illuminé par des pierres de lune, comme les appela Murry, quand soudain je m’arrêtai.
— Attendez —dis-je—. À aucun moment vous n’avez mentionné notre oncle Lénissu. Et chaque fois que j’en ai parlé, vous avez pris une mine sombre… pourquoi ?
Murry et Laygra échangèrent un regard que je ne sus interpréter.
— Eh bien —répondit Murry—, en réalité, cela nous a vraiment étonnés d’entendre ton point de vue sur Lénissu. Nous, nous le voyons d’une façon différente. Chaque fois qu’il venait au village, dans les Hordes, c’était… quelqu’un de sympathique en apparence. Mais Wigas m’a raconté des choses sur lui et ce que j’ai appris ne m’a jamais donné envie de le revoir… du moins jusqu’à ce que tu arrives.
— Peut-être a-t-il changé —suggéra Laygra.
Les sourcils froncés, je les contemplai, l’air surprise.
— Sympathique en apparence ? —répétai-je—. Je ne comprends pas. A-t-il fait quelque chose de mal dont je ne me souviens pas ?
Le silence s’interposa entre nous tandis que je les regardais tous les deux, incrédule. Murry secoua la tête, les yeux tournés vers le passé.
— Tu es fatiguée, peut-être qu’aujourd’hui tu ne comprendrais pas bien… —répondit-il.
— Le monolithe m’a laissée dans un piteux état, je me sens comme un torchon de cuisine —reconnus-je, en l’interrompant—, mais qu’a fait Lénissu ? Cela n’est sûrement pas aussi terrible que ce que vous croyez.
Murry fronça les sourcils.
— D’accord, je vais te raconter : notre oncle était un contrebandier qui trafiquait avec des magaras, dans les Souterrains. Notre père travaillait avec lui avant de se marier avec sa sœur —expliqua-t-il—. Tous deux étaient camarades, mais, quand nos parents se sont mariés, ils ont voulu changer de vie. Lénissu leur a alors donné un collier comme cadeau de noces. —Son visage s’assombrit encore davantage—. C’était un collier volé —me révéla-t-il—. Nos parents ont été accusés. Alors, nous deux, pour nous protéger, on nous a envoyés à la Superficie, dans un village d’humains, sous la protection de Wigas, un vieil ami de la famille. Nos parents ont dû vivre comme des hors-la-loi et, un jour, alors qu’ils fuyaient, ils ont été capturés par Jaïxel.
Je le dévisageai, bouche bée.
— Et moi, je suis restée dans les Souterrains ? —demandai-je, stupéfaite de l’histoire que j’entendais.
— Toi, tu n’étais pas encore née.
— Oh. Bien sûr. Et qu’est-il arrivé à nos parents ? —demandai-je, la voix tremblante.
— Ils se sont échappés, réussissant l’impossible. C’est là qu’ils ont volé la partie de l’esprit de Jaïxel. La suite de l’histoire, je ne la connais pas, bien que je puisse supposer certaines choses.
— Quoi ? —demandai-je immédiatement.
— D’une façon ou d’une autre, la partie de l’esprit de Jaïxel t’a été transfusée, nos parents sont morts, poursuivis par la liche, et un homme t’a emmenée au village avec nous. Sincèrement, je ne me rappelle pas le jour où tu es arrivée au village, j’avais moins de cinq ans. Alors, je ne peux pas t’en raconter beaucoup plus.
J’ouvris la bouche puis la refermai, abasourdie.
— Tu crois donc que, sans cette histoire de collier, ils n’auraient jamais croisé le chemin de Jaïxel ?
— Oui, sans ce collier, rien de tout cela ne serait arrivé ! —affirma Murry avec une véhémence qui me laissa pantoise—. Et Lénissu, pendant ce temps, n’a rien fait. Il a disparu sans laisser de traces. Et puis, des années après, il est passé par notre village. Lorsque Wigas m’a tout raconté, j’ai compris que notre oncle n’était pas une personne fiable et qu’il menait des affaires obscures et dangereuses.
Je secouai la tête.
— Tu ne peux pas accuser Lénissu et le rendre responsable de la mort de nos parents —raisonnai-je—. Et puis, notre père et Lénissu travaillaient ensemble, tu l’as dit toi-même. Je ne crois pas que Lénissu ait eu de mauvaises intentions en offrant ce collier. Et s’il a disparu, c’est peut-être parce qu’il n’a pas pu faire autrement.
— Je comprends que tu le défendes —dit Murry—. D’après ce que tu nous en as dit, il n’a pas l’air si méchant. Mais j’ai encore des réserves. —Il ouvrit une porte sur sa gauche—. Entrons.
Il me guida encore à travers plusieurs couloirs avant de grimper des escaliers et d’ouvrir une porte.
— Probablement la chambre que nous t’avions réservée pour dans quelques jours doit être libre —chuchota-t-il, en entrant dans la salle.
— Eh ! —fit une voix rauque—. Attendez. Vous devriez être couchés à cette heure. À moins que vous pensiez aller dormir en classe demain et ronfler comme de répugnants cochons de foire ?
Entre les ombres, portant une lanterne, apparut le visage allongé et peu soigné d’un homme à l’expression dédaigneuse.
— Huris —souffla Murry, le visage surpris—. Je ne savais pas que tu épiais les allées et venues des étudiants.
— Un peu d’ordre dans vos horaires ne vous ferait pas de mal. Qui est la petite, là ? Sa tête ne me dit rien. Jeune Murry, tu n’essaies pas, par hasard, d’introduire des gens de la ville dans notre académie, n’est-ce pas ?
— Oh, pas du tout, voyons, cela ne me passerait pas par la tête —protesta mon frère en laissant échapper un rire forcé—. C’est ma sœur, elle est arrivée aujourd’hui, elle a quitté les terres familiales pour cette académie si belle et si stricte dans ses règlements. C’est une fillette adorable qui ne te donnera pas le moindre problème, je te l’assure.
— Ah oui ? —mâchonna Huris, penchant la tête vers moi. Il me montra ses dents et, moi, je lui montrai les miennes avec une plus grande élégance.
— Bonjour, sieur —lui dis-je.
— Ah. Il vaudra mieux que tu ouvres les yeux et que tu regardes par cette fenêtre, que vois-tu, jeune fille ?
Je regardai au-dehors et ne vis rien.
— Euh… Eh bien, rien. Que dois-je voir ?
Huris m’adressa un sourire goguenard.
— Rien. Comme tu peux le voir, il n’y a absolument rien, parce qu’il fait nuit. Bonne nuit, les enfants. Ces jeunes d’aujourd’hui ne savent même pas utiliser un langage approprié.
Il rentra dans son bureau et je le suivis du regard, abasourdie.
— Qu’est-ce qu’il lui arrive ? Il s’est mis dans cet état seulement parce que je lui ai dit bonjour au lieu de bonne nuit ?
— Je ne sais pas si cela vient de là —réfléchit Laygra—, mais, étant jeune, il était professeur de langue dans une école à Dathrun. Et ne te tracasse pas, il m’a fait une scène très semblable une fois où je m’étais trompée et que j’avais confondu des prépositions.
— Bon, maintenant cherchons un bon lit —dit Murry—. Cette salle est la salle du Dégel, ne me demande pas pourquoi elle s’appelle comme ça, c’est une longue histoire, si tu veux, je te la raconterai demain. Pour résumer, c’est la salle des étudiants qui ont moins de quatorze ans. Nous, nous sommes près de la Salle Érizal, c’est légèrement plus petit. Bon, d’ici s’élèvent huit tours. Dans chacune, il y a plusieurs étages avec des chambres.
— Et pourquoi je ne resterais pas à l’infirmerie ? —intervins-je, en contemplant avec appréhension l’immense salle—. Je pourrais y retourner.
— Pas question —répliqua immédiatement Murry—. J’ai mis presque une heure pour te faire rentrer à l’infirmerie ce matin. La responsable m’a attrapé et n’a pas voulu me laisser entrer. Elle disait que tu n’avais rien et que tu n’avais besoin que de repos. Pendant ce temps, tu as passé une heure assise inconsciente dans le couloir. Quel bazar ! Mais je me débrouille pas mal quand il s’agit d’argumenter, et j’ai fini par la convaincre de nous laisser entrer. J’ai été plutôt surpris de voir qu’il y avait beaucoup de lits vides ! Cette infirmière est une maudite sorcière. La prochaine fois, j’irai à l’infirmerie Bleue, même si elle est un peu plus loin. Là, on dit qu’ils te mettent dehors en un rien de temps, mais ils te laissent rentrer pour un rien aussi. Beaucoup d’étudiants flemmards y vont… mais… je parle trop, vous ne trouvez pas ?
Laygra et moi pouffâmes en sourdine.
— Non —continua Murry—, ce sera mieux à la Salle du Dégel. Le maître Helith m’a dit de te réserver un lit dans la tour de la Faune. Normalement, le lit était réservé seulement pour dans trois jours, quand nous pensions mettre en marche le monolithe pour venir te chercher. Mais je ne crois pas que ce soit un problème d’arriver quelques jours avant.
Soudain, ses paroles me rappelèrent quelque chose.
— Murry, avant, tu as dit que je venais des terres familiales ou je l’ai inventé ?
Murry s’arrêta près d’une porte et se tourna vers moi avec un sourire amusé.
— Eh bien, tu as bien entendu. Pour ceux qui vivent ici, nous sommes les enfants d’une riche famille installée aux limites de la Forêt des Cordes. Notre famille n’a aucun titre, mais elle est très respectée aux alentours et très riche. Pour entrer dans cette académie, il faut avoir un peu plus que de l’habileté et de la bonne volonté. Les étudiants qui viennent d’une famille modeste ont beaucoup plus de difficultés, et on les méprise constamment, mais, tu sais, ces étudiants sont des fils d’artisans, de paysans propriétaires de leurs propres terres, des gens qui ne sont pas non plus abandonnés de la bienfaisance des dieux. Alors imagine-toi la tête que feraient les autres s’ils savaient d’où nous venons réellement.
Il avait baissé la voix et je remarquai une note d’amertume dans sa voix tandis qu’il continuait de parler.
— C’est le maître Helith qui s’est occupé de construire cette histoire, n’est-ce pas ? —demandai-je en tressaillant.
— Le maître Helith a bon cœur —murmura Laygra, en me prenant par le bras.
Murry acquiesça gravement de la tête.
— Il nous a aidés quand nous étions sans un sou, à vagabonder dans les villes. Nous cherchions des informations sur Jaïxel et personne n’a rien pu nous dire sur lui jusqu’au jour où le maître Helith est arrivé. Il s’est présenté, il nous a proposé d’entrer dans l’académie de Dathrun et il nous a donné de l’argent et des conseils. Sans lui, nous n’aurions pas duré plus de cinq minutes ici.
— Nous avons dû passer une épreuve —me dit Laygra—. Nous n’avions aucune idée des énergies. Avant d’entrer ici, moi, je ne connaissais que quelques trucs qu’on apprend lorsque l’on est guérisseur. Tu peux imaginer qu’au début cela a été dur pour moi. J’ai réussi l’épreuve parce que les professeurs qui m’ont notée ont été impressionnés par mon habileté à reconnaître les plantes. Je leur ai même appris un truc sur la fleur de kalrea —ajouta-t-elle avec un sourire amusé.
— Eh beh —fis-je, en soufflant. Je méditai un moment—. Alors le maître Helith savait déjà qui vous étiez quand il vous a invités à venir à Dathrun.
— Eh bien, la première chose qu’il nous a dite, c’était exactement… —elle se racla la gorge pour adopter une voix différente qui ressemblait si bien à celle de Marévor Helith que je sursautai— : “vous vous conduisez fort indiscrètement, jeunes ternians, n’importe qui pourrait croire que vous cherchez à devenir des liches vous aussi”.
— Ouah, Laygra ! —m’exclamai-je, admirative—. Comment fais-tu ?
— C’est une question de pratique —fit-elle d’une voix aigüe et féminine.
— C’est un don —dit Murry, en riant.
— Bien que parfois ce soit aussi une malédiction —intervint la voix rauque d’un vieillard fataliste.
Je regardai autour de moi. Tout était désert.
— Par Ruyalé ! —murmurai-je, émerveillée—. Tu es ventriloque. Ça, c’est vraiment incroyable.
— Le vieux Revlor, au village, m’a enseigné pas mal de choses —répondit Laygra, très amusée—. Mais il y a des choses plus incroyables que ça. Imagine-toi comment nous avons réagi en voyant la tête de Marévor Helith la première fois. J’ai failli mourir de peur.
— On a cru que c’était Jaïxel —expliqua Murry.
— Tu peux croire que Murry a essayé de l’attaquer avec sa dague ? —dit Laygra, les yeux ronds.
— Quoi ? —fis-je, bouche bée, en essayant d’imaginer Murry sortant sa dague contre le mort-vivant. L’image était risible et terrible à la fois.
— Il a perdu la raison en une seconde —prononça ma sœur.
Murry grogna.
— Je n’aurais jamais pensé qu’un nakrus aurait l’intention de nous aider.
— Et je me demande encore pourquoi il veut nous aider —dis-je, en bâillant.
En me voyant bâiller, Murry s’avança pour ouvrir la porte de la tour de la Faune :
— Assez parlé, il est l’heure d’aller dormir.
Ils me conduisirent par de larges escaliers de quelques marches qui menaient à une salle à manger avec cheminée, divans, tables et tapis d’une qualité incontestable.
— Eh bien —murmurai-je, les yeux rivés sur un tapis qui représentait un château illuminé, aux murailles blanches et coupoles dorées—, quel luxe.
Murry prit un papier et y jeta un coup d’œil.
— Numéro 12. Par ici —dit Murry.
Nous traversâmes la salle et nous débouchâmes sur un balcon très long qui encerclait un petit parc à la végétation luxuriante, avec au milieu, un arbre énorme dont la cime s’élevait très haut dans le ciel.
Le balcon avait plusieurs portes qui communiquaient avec les chambres.
— Je n’étais jamais venue ici —commenta Laygra.
— Moi non plus —reconnut Murry—. Mais je ne crois pas qu’on ait du mal à trouver le numéro 12.
Nous trouvâmes la chambre un étage plus haut, sur un autre balcon. Dans les escaliers, nous croisâmes le veilleur qui nous guida aimablement en nous disant :
— Tu verras, petite, la tour de la Faune est la meilleure de l’académie. Et vous, d’où êtes-vous ?
— Moi, je suis du Département de l’Air —répondit Murry.
— Et, moi, je suis en médecine, dans le Département Bleu —dit Laygra.
Le gardien acquiesça tranquillement.
— C’est ici —dit-il—. Numéro 12. Je crois qu’effectivement il y a un lit vide. Maintenant je me rappelle. La jeune sibilienne est partie il y a quelques semaines. Bon. Vous pouvez retourner à vos chambres respectives, jeunes gens. Je m’occuperai de votre sœur si elle a besoin de quelque chose. Bonne nuit.
Je leur dis bonne nuit à tous et j’entrai dans la chambre sur la pointe des pieds, en essayant de ne pas réveiller ceux qui dormaient. Le lit que j’avais se trouvait près de la fenêtre. À l’un de mes pas, je marchai sur quelque chose qui s’agita soudain en miaulant et feulant.
Que les dieux me protègent, un chat !, me dis-je, immobile et debout entre les lits.
— Qu’est-ce qui se passe ? —demanda une voix pâteuse.
— Rien —répondis-je—, tout va bien.
— Hum.
Je demeurai un moment immobile pour m’assurer que tout était calme. Le chat continuait de me cracher des insultes, mais, au moins, il s’était écarté de mon chemin et je parvins sans plus d’incidents jusqu’à mon lit. Là, j’ôtai mes bottes et je me glissai sous les couvertures sans me donner la peine de me dévêtir. Je m’endormis aussitôt et je rêvai d’un âne qui avançait dans un champ en friche en traînant une charrette avec une paresse étonnante.