Accueil. Cycle de Shaedra, Tome 1: La Flamme d'Ato
Je regardai autour de moi. Je me trouvais sur un sol blanc illuminé ; au-delà tout était noir. Qu’attendait-on de moi ? J’allumai une sphère de lumière, mais elle n’éclaira pas l’obscurité, comme s’il n’y avait rien à éclairer. Qu’y avait-il dans l’obscurité, au-delà du sol blanc ? Et soudain, je me demandai : n’était-ce pas tout simplement une énigme à résoudre ?
Je me souvins, inopinément, de ce qu’avait dit Kirlens quelques jours auparavant : “Tout ce qui est blanc n’est pas bon ni tout ce qui est noir mauvais”. Tout ce qui est noir n’est pas mauvais, me répétai-je. Je jetai un coup d’œil à ce qui semblait être le pire des vides et je posai un pied. Sur un sol ferme.
Alors un petit couloir s’illumina et je perçus une atmosphère chargée d’énergies. Au milieu du couloir, se trouvait un objet. Suspect, me dis-je, en plissant les yeux. Sans aucun doute, il devait y avoir des pièges. Je passai un bon bout de temps à examiner les énergies, sans arriver à comprendre les sortilèges. Et, par un étrange hasard, je pensai tout à coup que l’objet au milieu du couloir pouvait être un maeth. D’après ce que j’avais lu, un maeth était une magara, créatrice d’illusions qui montrait des choses irréelles en utilisant des harmonies avancées.
Le couloir où je me trouvais n’était peut-être donc pas un couloir. J’essayai alors de percevoir le tracé d’un sortilège harmonique et j’y parvins à moitié, m’assurant au moins qu’effectivement, ce que je voyais était une illusion.
J’examinai le mur, levai une main et le touchai, ou du moins je prétendis le toucher, car ma main traversa ce qui aurait dû être le mur. Je fis un bond en arrière, alarmée. Soudain, j’entendis un rire étranglé.
Je fronçai les sourcils. Est-ce que cela pouvait être un des autres snoris ? En fin de compte, peut-être que le mur était totalement fictif et qu’en réalité, nous nous trouvions tous dans une grande salle sans murs. Ou alors, c’était le maeth.
Le rire laissa place au silence. Je regardai intensément le maeth et je me répétai mentalement que ce rire devait provenir de cet objet.
Alors, j’entendis un cri que je reconnus immédiatement. C’était le cri d’Aléria.
— Aléria ! —criai-je à pleins poumons.
Je traversai le couloir à la hâte, en utilisant le jaïpu avec prudence, car je ne savais rien de ce qui m’entourait réellement. Plusieurs pièges s’activèrent et ce fut un miracle si je les esquivai tous, évitant une chute dans un énorme trou fictif grâce à un saut artistique. J’atterris sur une place pavée. Aryès se trouvait là, les yeux rivés sur l’illusion d’un énorme monstre des abysses.
Aryès, me dis-je, en haletant. C’était Aryès, pas Aléria, évidemment. Aléria ne pouvait pas être là. L’elfe noir était terrifié. Je ne réussis même pas à donner un nom à la créature qui dévoilait ses dents pointues. Aléria aurait certainement pu. J’écartai cette pensée de mon esprit et criai :
— Aryès ! Ce n’est qu’une illusion.
Aryès m’aperçut du coin de l’œil. Il était rigide et livide, les lèvres serrées comme pour ne pas crier. Il était mort de peur. Il ne bougerait pas. Venant d’Aryès, ce n’était pas surprenant. À ce moment, Yori apparut de l’autre côté de la place. Les autres ne tarderaient pas à apparaître. Et apparemment l’objectif était donc de tuer cette créature, supposai-je.
Akyn et Marelta arrivèrent tous deux en même temps et trébuchèrent l’un contre l’autre. Je vis Marelta bousculer mon ami avec brutalité et marmonner quelque chose avant de regarder autour d’elle. Elle poussa un cri en voyant l’énorme forme ténébreuse et terrible.
— Par tous les démons, c’est quoi cette horreur ? —bégaya Akyn.
À cet instant, un rugissement démoniaque retentit. Ce n’était qu’une illusion, me répétai-je, toute tremblante.
— Ouah —entendis-je souffler Aryès, alors que le monstre s’agitait.
— Nous devons défaire l’illusion ! —lança Marelta, les yeux écarquillés.
J’acquiesçai de la tête, mais ne bougeai pas. À présent, nous étions tous devant la créature et j’étais sûre que le jury attendait que nous éliminions l’illusion à nous tous.
— On la croirait réelle —murmura Akyn.
— Tu as peur ? —répliqua Marelta avec une moue méprisante.
— Allez —nous encouragea Yori—. Au travail.
Nous nous avançâmes et nous nous concentrâmes. Au moins, j’étais assez douée avec les harmonies, pensai-je. La créature grondait et, dès que nous essayâmes de la détruire, elle se rua sur nous pour nous effrayer, sans toutefois nous atteindre. Le jury entier était-il concentré à maintenir cette illusion ?, me demandai-je. Je cherchai les tracés les plus faibles et tentai de les couper. Ce ne fut pas facile : l’illusion se reconstruisait et anéantissait chaque fois nos airs de victoire. Finalement, tout s’effrita, mais, avant de disparaître, la créature s’abattit sur nous. Marelta poussa un cri de terreur.
— Celle qui disait ne pas avoir peur —rit Aryès, nerveux.
Je le considérai, stupéfaite. Aryès en train de se moquer de Marelta ! Vraiment, c’était une première. Et il ne détourna même pas les yeux face à son regard assassin ! Sans pouvoir l’éviter, je laissai échapper un petit rire amusé qui me valut un rictus sardonique de Marelta.
Nous examinâmes enfin la salle. Elle était grande et, plus loin, le sol était recouvert de larges pierres, mais, à part quelques colonnes, il n’y avait rien. Si, une porte à deux battants, au fond et dans la pénombre.
Nous allions avancer dans la salle lorsqu’Akyn leva une main.
— Attendez.
— Quoi ? —répliqua immédiatement Yori.
— Regardez le sol. La forme des pierres —expliqua-t-il—. Ce sont des hexagones. Ils sont de différentes couleurs.
— Et ? —fis-je, sans comprendre.
— Cette salle est un piège —murmura Suminaria.
— Une énigme —rectifia Akyn.
Je le regardai avec admiration. Akyn semblait incarner Aléria et son intelligence à Ato. Certains échangèrent des regards, sceptiques.
— Qu’est-ce que tu proposes ? —lui demanda Laya. Confronté à sa nouvelle autorité, Akyn avait l’air un peu perdu.
— Eh bien…
— Jetons quelque chose sur un hexagone —proposa Révis.
Tous se montrèrent d’accord et nous attendîmes que Révis invoque quelque objet, étant donné que c’était presque un des seuls à réussir une invocation. Il se concentra au point que des gouttes de sueur apparurent sur son visage. Il agitait la tête comme un taureau… et finalement apparut une ridicule bille d’un vert fluorescent. Elle tomba de sa main et se mit à rouler vers l’un des hexagones.
Instinctivement, nous reculâmes de quelques pas.
— Qu’est-ce vous croyez qu’il va se passer ? —demanda Galgarrios.
— Ça va exploser —rit Kajert, nerveux.
— Non. Je crois qu’un monstre va sortir —dit Marelta.
Rien que de penser qu’un monstre se cachait à chaque hexagone, j’oubliai toute réplique moqueuse.
La bille roulait et roulait de plus en plus lentement. Elle s’arrêta à un centimètre de l’hexagone et j’entendis les soupirs exaspérés des autres. Moi-même, je n’en croyais pas mes yeux et j’étais presque sûre que le jury l’avait fait exprès.
— Qu’est-ce qu’on fait ? —souffla Laya.
À cet instant, Aryès avança de quelques pas et se concentra pour jeter un sortilège. Il dessina en l’air des signes que je ne reconnus pas. Soudain, on entendit un léger souffle de vent et la bille glissa jusqu’au premier hexagone. Sans y penser, j’attrapai le bras d’Aryès et le tirai en arrière. Juste à temps. Une pluie de lave ardente tombait sur le premier hexagone et éclaboussait tout autour, en émettant des claquements et crachant des gouttes rouges brûlantes. L’illusion était aussi bien réussie que celle de la créature des abysses, songeai-je, impressionnée.
— Fichtre, Aryès, je ne savais pas que tu étais un expert en énergie orique —lança Yori, ironique.
Aryès rougit un peu.
— J’ai lu des choses là-dessus.
— Au moins, comme ça, nous savons que cette salle n’est pas tout à fait inoffensive —dit joyeusement Akyn.
Je lui donnai un coup de coude, moqueuse.
— Trouve-nous un moyen de sortir d’ici, puisque tu es si malin —lui lançai-je.
Nous attendîmes un bon moment, mais la pluie continuait, imperturbable.
— Cela ne va pas s’arrêter —observa Marelta exprimant notre pensée à tous—. Je crois qu’il faut deviner quels hexagones ont des pièges et essayer de ne pas les activer.
Pour une fois, j’étais d’accord avec elle. Malheureusement, personne ne savait par où commencer. Il était impossible de contourner les hexagones pour atteindre la porte qui nous faisait face.
Nous étions désespérés et découragés, quand, soudain, Yori s’exclama :
— Regardez !
Nous nous tournâmes vers lui. Il indiquait l’un des hexagones et nous nous empressâmes de le rejoindre. Il y avait quelque chose d’écrit. Oh, non, me dis-je. C’était sûrement quelque énigme. Et, de fait, c’en était une.
— « Commence par sauter du vide vers le ciel » —lut Salkysso, par-dessus l’épaule de Yori.
Akyn et moi, nous éclatâmes de rire. Cette phrase n’avait aucun sens.
— Je comprends ! —fit Salkysso toutefois—. Ce qu’il faut faire, c’est sauter jusqu’à l’hexagone bleu, là-bas. C’est le seul, il se trouve sur la deuxième rangée.
— Ce bleu, tu veux dire ? —Ozwil désigna un hexagone rouge.
Nous le regardâmes tous perplexes.
— Moi, à la deuxième rangée, le seul hexagone bleu que je vois, c’est celui-là —grogna Yori, signalant un hexagone vert.
J’eus du mal à me retenir de rire quand je compris que chacun d’entre nous voyait les hexagones d’une couleur différente. Lorsque les autres le comprirent aussi, nous nous rendîmes compte que si chacun d’entre nous se plaçait en face de l’hexagone qui pour lui était bleu, chacun avait une place différente. Il ne restait qu’un hexagone libre. Celui d’Aléria, compris-je.
La première qui sauta jusqu’à son hexagone bleu fut Laya. Aucune catastrophe ne se produisit ; aussi, nous sautâmes tous jusqu’à notre hexagone bleu respectif. Comme le mien se trouvait juste derrière l’hexagone activé plein de lave, je dus faire des acrobaties pour l’atteindre, mais j’y arrivai grâce à un joli saut. Tous y parvinrent sans problèmes, excepté Ozwil, qui, peu habitué à sauter sans ses bottes bondissantes, calcula mal et retomba brutalement sur un hexagone qui pour moi était vert. La voix d’un des juges surgit de je ne sais où et lui demanda de rester où il était. Ozwil le prit assez mal, mais il ne bougea pas.
Sur chaque dalle bleue, il y avait une énigme différente inscrite dans la pierre au moyen d’une illusion. Mon énigme était : « De quelle couleur est la livrée officielle de la ville de Neiram ? ».
Je faillis laisser échapper un grognement. Mais quelles questions !, pensai-je. Je regardai autour de moi, les yeux plissés, puis mon visage s’éclaira. C’était le rouge. Mais je grimaçai aussitôt en me rendant compte que le seul hexagone rouge qui m’entourait était occupé par Marelta. Tant que l’elfe noire n’aurait pas bougé, je ne pourrais pas avancer.
Mais Marelta semblait avoir des problèmes pour déchiffrer son énigme. Soupirant intérieurement, je lui demandai :
— Quelle est ton énigme ?
— Et qu’est-ce que tu en as à faire ? —rétorqua-t-elle.
Quand je lui expliquai mon problème, elle ne parut pas non plus très contente, mais elle accepta de me lire son énigme. C’était un exercice de calcul avec des cosinus et des angles. Nous dûmes demander de l’aide à Ozwil, le fort en calcul de la classe. Puni sur sa dalle, il fit les calculs mentalement et nous donna le résultat. Finalement, Marelta avança d’un hexagone et je la remplaçai sur le sien.
Je vis que l’énigme s’effaçait de la dalle et qu’il en réapparaissait une autre : « Quelle couleur a une solution de strandium ? ». Je n’en avais aucune idée.
Les autres continuaient à avancer d’hexagone en hexagone. Par contre, Galgarrios semblait aussi bloqué que moi et, sur le visage d’Akyn, on pouvait lire une intense concentration, comme s’il essayait de se rappeler quelque chose. Il ouvrit les yeux et secoua la tête, découragé.
— Un trou de mémoire, Akyn ? —lui demandai-je.
— Qui a découvert l’archipel des Anarfes ?
Eh bien, ils n’hésitaient pas à poser des questions difficiles ! Comme je faisais non de la tête et que je me préparais à lui dire que je n’en avais aucune idée, Laya intervint :
— Je crois que je me souviens ! On le surnommait l’éventreur. Le nom… je ne m’en souviens pas.
Le visage d’Akyn s’illumina et il dit :
— Hansil Gavrïés l’éventreur. Et Gavrïés, c’est le violet, en caeldrique !
— Voilà ! —approuva Laya.
Akyn avança d’un hexagone. Il manquait trois niveaux à Yori et Salkysso, quatre, à la majorité et, moi, j’étais toujours au second.
— Un problème, Shaedra ? —me demanda Akyn.
Je lui lus mon énigme. Akyn siffla entre ses dents.
— Aucune idée —avoua-t-il.
Alors, Galgarrios intervint :
— Il n’existe pas un poème qui dit : « oh, belle fée, aux yeux plus bleus que le strandium » ?
Je clignai des paupières, étourdie, puis je pouffai, amusée. Mais bien sûr ! Je sautai sur l’hexagone bleu et je lançai une exclamation triomphale.
— Merci, Galgarrios ! Tu es un génie. Tu veux que je t’aide pour ton énigme ?
Galgarrios fit non de la tête.
— Non, j’ai déjà compris l’énigme. J’ai compris le jeu. Cela me suffit.
Je le contemplai, stupéfaite. Vraiment, Galgarrios pouvait dire des choses totalement incompréhensibles. Comme il avait l’air content sur son hexagone, je n’insistai pas et je me concentrai sur la prochaine énigme. Les autres n’arrêtaient pas de se poser des questions pour être sûrs de ne pas se tromper ou pour s’entraider lorsqu’ils étaient bloqués.
L’énigme suivante était une question de bon sens et je passai à la suivante avec facilité. Je continuai à avancer. Néanmoins, j’avais perdu beaucoup de temps avec l’énigme du strandium et il me manquait encore trois niveaux quand Yori, Salkysso et Marelta atteignirent la porte.
— Elle est fermée ! —déclara Salkysso.
Alors, ils virent le message placardé sur la porte, mais, apparemment, ils ne savaient pas le déchiffrer. Je me concentrai sur l’énigme suivante avec décision : « Quelle est cette plante ? » Il y avait un dessin en dessous. Je soupirai de soulagement ; je la connaissais :
— Rakorne blanche —dis-je, comme si mes mots pouvaient avoir quelque effet magique. Je sautai à l’hexagone blanc.
— Ça y est ! —cria Yori. Visiblement, ils avaient résolu l’énigme, car ils parvinrent à ouvrir la porte. Yori traversa le seuil… et disparut.
— Et merde alors —l’entendis-je dire. Il se trouvait derrière moi, et devait recommencer depuis le début. Yori avait traversé un déviateur.
Plusieurs se mirent à rire. Marelta disparut par la porte entrouverte suivie de Salkysso, Avend, Laya et Révis et, cette fois, aucun ne fut renvoyé à la case départ. Aryès arriva d’un bond près de la porte et se tourna vers nous, les sourcils froncés. Akyn était sur le point de réussir, Galgarrios n’avait pas bougé de son havre de paix, Yori essayait de se souvenir de son parcours et Ozwil était toujours prisonnier de son hexagone vert, paralysé, l’air mortellement ennuyé. Et Kajert ? À cet instant il venait d’activer un piège et, la mine sombre, il s’assit sur une dalle avant que le jury ne lui dise quoi que ce soit. Quant à Suminaria, assise contre une colonne et les sourcils froncés, elle observait un parchemin. D’où est-ce qu’elle avait sorti ça ?
“Arrache-le-lui des mains !”
La voix s’imposa à moi comme une violente bourrasque. Je perdis le peu de patience qui me restait et me mis à courir, sautant et activant toutes sortes de pièges. En quelques instants, je sentis une partie de mon bras se glacer, puis une pluie de poison tomber et, enfin, une troupe de léopards me poursuivre. Finalement, j’arrivai près de Suminaria totalement étourdie et l’esprit en effervescence ; je voyais des créatures tournoyer de tous les côtés, mais ma colère demeurait. Je pris le parchemin des mains de Suminaria et le déchirai en plusieurs morceaux devant son regard ébahi. Cette maudite épreuve est terminée, pensai-je. Adieux le jury, les tortionnaires, les assassins de Sayn… Je sentis que quelqu’un me prenait doucement par le bras et m’entraînait loin. Il y eut une explosion, puis plus rien.
Je revins à moi dans ma chambre. J’entendais des voix et je fus surprise quand je les reconnus. L’une d’elle était celle d’Akyn et l’autre celle d’Aryès. Aryès ! Que faisait-il dans ma chambre ? Jamais il n’avait été mon ami. Il m’avait toujours semblé un esprit timide et craintif.
— Tu n’as pas besoin de te préoccuper davantage, Aryès, je m’occupe d’elle —disait Akyn.
— Bien sûr —répliquait simplement l’autre.
Mais je n’entendis aucun bruit de pas. Aucun des deux ne bougeait.
— Pourquoi crois-tu qu’elle a fait ça ? —C’était Akyn qui parlait.
— Tu veux parler des pièges qu’elle a activés ? Je ne sais pas, mais elle a surpris tous ceux du jury.
— Oui. Je me demande comment elle a fait pour ne tomber dans aucun des pièges.
— Ce n’est pas vrai —grommelai-je.
Je grognai et ouvris les yeux. Aryès était debout, près de la porte, Akyn était assis sur ma chaise. Et ils parlaient comme des commères. Je les avais fait sursauter et à présent ils me regardaient, surpris.
— Ce n’est pas vrai, je vous dis —insistai-je—. Presque tous les sortilèges m’ont touchée. J’ai presque l’impression d’avoir encore le bras congelé. Buerk, je n’aime pas ça du tout. Au fait, qu’est-ce que vous faites dans ma chambre ?
— Quand nous sommes sortis de l’édifice, tu étais évanouie et nous t’avons ramenée ici.
— Dernièrement, j’ai l’impression d’être un poids mort à qui il arrive tout le temps des malheurs —marmonnai-je.
Je me redressai et je me rendis compte que j’avais un mal de tête terrible. Je me frappai le front d’un poing impatient.
— Par tous les… Il ne me manquait plus que ça. Qu’est-ce qui s’est passé après que j’ai enlevé le piège des mains de Suminaria ?
Akyn et Aryès échangèrent un regard confus.
— Tu dis ? —demanda Akyn, interloqué.
— Le parchemin. C’était un piège —expliquai-je, impatiente—. Pourquoi est-ce que je me serais mise à courir sinon ? Suminaria était comme sous l’emprise du parchemin et, comme on avait déjà perdu Ozwil, je me suis dit que ça suffisait comme ça.
Je fronçai les sourcils en terminant ma phrase. Ce que je racontais n’avait pas de sens. Non, il devait y avoir autre chose. Je me souvins de la voix impérative qui m’avait crié : “Arrache-le-lui des mains”. Ce que j’avais entendu, était-ce réel ou pas ?
Si Akyn avait été tout seul, j’aurais pu commenter davantage ce qui s’était passé, mais je ne pouvais me fier à Aryès. Il penserait sûrement que j’entendais des voix irréelles dans ma tête. Il penserait : la terniane à moitié folle est devenue lunatique. Je secouai la tête, en soupirant. Cet enchaînement d’évènements étranges ne se terminerait donc jamais ?
— Bah. Je n’ai rien dit. Un instant, j’ai cru… Bah, ça n’a pas d’importance. Comment s’est terminée l’épreuve pour vous ?
Je ne demandai pas pour moi. Je savais déjà que l’épreuve avait été une vraie catastrophe.
— Eh bien —dit Akyn—, moi, j’ai réussi à atteindre la porte et à sortir. Yori est resté bloqué sur un hexagone. Galgarrios —il sourit en le mentionnant— s’est assis sur l’hexagone où il se trouvait et s’est mis à bâiller. Et Aryès —ajouta-t-il, en se raclant la gorge—, il vous a pris Suminaria et toi et vous a aidées à sortir de la salle…
— Tu as fait ça ? —m’exclamai-je, bouche bée.
Aryès avait rougi, mais il souriait comme un enfant heureux.
— Oui, c’est ce que j’ai fait.
Je ne commentai pas son action parce que tout simplement je n’arrivais pas à comprendre le changement d’attitude d’Aryès. Il avait été capable de riposter face à Marelta. Capable de faire un sortilège orique… et capable de se ridiculiser en nous sortant Suminaria et moi de la salle des hexagones alors que nous n’étions pas en réel danger.
— Eh bien —grognai-je, tout en me frottant les tempes endolories—. Je suppose que les membres du jury te récompenseront pour cet acte solidaire.
Aryès pâlit.
— Sûrement —répliqua-t-il brusquement—. Je dois y aller —ajouta-t-il avant d’ouvrir la porte et de sortir en lançant un « à demain ».
La porte se referma derrière lui.
— Par tous les démons, qu’est-ce qui lui prend ? J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?
Akyn leva les yeux au ciel.
— Laisse tomber. Il ne changera jamais. En tout cas, il s’est offert volontairement pour m’aider à te ramener jusqu’ici.
— Tout un détail. Et Galgarrios ?
— Il était évanoui. Kajert aussi. En réalité, tous ceux qui se trouvaient dans la salle étaient inconscients et ont dû être sortis, sauf Aryès. Ne me demande pas pourquoi. Il y a des mystères insondables.
— Oui, des mystères insondables —répétai-je, en fronçant les sourcils.
Je sentais qu’il y avait quelque chose que je devais comprendre. Quelque chose qui était en relation avec la voix qui m’avait parlé. Cette voix n’avait rien à voir avec l’épreuve ni avec le jury. Mon instinct me le disait.
Je me levai d’un bond et j’allai vérifier si je pouvais ouvrir la fenêtre… Fermée. À nouveau fermée !, pensai-je, un peu effrayée. Mais cette fois le sortilège était encore plus facile. Cela n’avait rien de compliqué. Mais, pourquoi ? Peut-être un message, réfléchis-je, en essayant de me tranquilliser. Mais un message, pour l’être, devait d’abord être compréhensible et, moi, je ne comprenais rien.
— Tu sais, Akyn ? —dis-je en observant le tracé du sortilège de la fenêtre.
— Quoi ?
Un instant, je voulus lui dire autre chose, je voulus lui dire que j’avais compris que le parchemin était enchanté et que Suminaria avait été sur le point de subir un sortilège maléfique, peut-être même de mourir. Mais alors, je me souvins que chaque fois que je disais quelque chose, une catastrophe arrivait et je me contentai de lui montrer la fenêtre.
— C’est la deuxième fois que ça arrive. Un sortilège de verrouillage sur ma fenêtre. Tu crois que cela pourrait être des défauts du morjas ?
Akyn se leva aussitôt et vint à mes côtés. Il s’assura que la fenêtre ne pouvait pas s’ouvrir, puis il fit non de la tête.
— Cela ne semble pas être un défaut du morjas.
Je laissai échapper un soupir fatigué. J’avais mal à la tête et je n’avais pas envie de réfléchir. Devinant peut-être mon état d’esprit, Akyn s’abstint de me poser des questions, il m’aida à rompre le verrouillage magique et, peu après, je me retrouvai seule dans ma chambre, les pensées embrouillées se bousculant dans mon esprit. Je plaçai la chaise près de la fenêtre et je m’assis pour contempler les toits.
Dehors, deux coups de cloche sonnèrent. Tant d’heures s’étaient écoulées ? Combien de temps avait duré l’épreuve ? Je n’en avais aucune idée. Je levai la tête et je regardai la tour de garde, au loin. Un elfe de la terre, les coudes appuyés sur le parapet, contemplait le ciel d’un air serein.
Les questions continuaient à se presser dans ma tête, sans me laisser une minute en paix. Pourquoi quelqu’un voulait-il faire du mal à Suminaria ? Pourquoi me verrouillait-on la fenêtre ? Pourquoi Daïan et Aléria avaient disparu ? À toutes ces questions, seul un immense silence me répondait.