Accueil. Cycle de Shaedra, Tome 1: La Flamme d'Ato
Le jour suivant, je passai les examens de Littérature, de Mathématiques et de Biologie. Akyn ne me reparla pas en public et je supposai que son père l’avait sermonné, mais il me lança un regard complice qui me rendit courage et, pourtant, j’avais rendu les feuilles de Littérature presque blanches. Je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même : je n’avais étudié aucun de ces maudits ouvrages, mais à l’heure qu’il était, que m’importaient les résultats ? Kirlens avait beau dire, on ne saurait pas si j’aurais pu devenir un jour une excellente celmiste, parce que je m’en irais la veille des résultats, alors, à quoi bon se tracasser ? En plus, je n’avais jamais eu pour objectif d’être une excellente celmiste, n’est-ce pas ? En réalité, avant la venue de Murry, je n’avais pas d’autre objectif que celui de m’amuser et d’apprendre. Et pour moi rien n’avait changé.
L’après-midi, Lénissu et moi, nous apportâmes à la demeure des Ashar la somme due que nous remîmes à un secrétaire qui portait des lunettes, sans que l’oncle Garvel ne se montre. Lénissu sortit de la maison et laissa échapper un soupir de soulagement :
— Je déteste me trouver chez les grands de ce monde. J’ai la sensation qu’ils peuvent nous écraser comme si nous étions de vulgaires fourmis.
— Tu n’avais pas cette impression chez Émariz —observai-je.
— Bah. Émariz faisait partie des grands, mais elle s’est abaissée d’un coup. Elle a toujours eu de mauvaises relations. Une dame sans scrupules qui traite avec des gens de vile engeance.
— Comme les contrebandiers ? —suggérai-je tranquillement.
— Un bon exemple —répliqua simplement Lénissu.
Je passai l’après-midi à la bibliothèque, en compagnie d’Akyn, installés entre des étagères, dans un recoin par où personne ne passait. Je pus alors tout lui raconter sur le voyage et sur l’Amulette de la Mort. D’abord, Akyn parut horrifié, puis totalement ahuri.
— Dolgy Vranc va venir avec nous ? —siffla-t-il entre ses dents—. Je croyais qu’il était de ces personnes qui ne sortent jamais de leur trou comme les taupes.
— Si tu te rappelles, il nous racontait beaucoup d’histoires sur des endroits étranges. Peut-être qu’il les a réellement vus.
— Oui, il disait qu’il sortait de là ses idées pour fabriquer des jouets, non ? Pff, j’ai du mal à le croire —dit Akyn, en se raclant la gorge.
Je souris.
— Qui sait ? Peut-être y a-t-il plus de vérités que de mensonges dans ce qu’il raconte.
Akyn eut une moue sceptique, mais ne dit rien. Nous étudiâmes tout le reste de l’après-midi, enterrés parmi les livres et la poussière.
Il ne restait plus que trois jours de pratique et nous nous en irions, songeais-je par moments. Chaque fois que j’y pensais, je me réjouissais. Nous partirions loin des tortionnaires ! Et loin de tout Ato, qui me détestait. Akyn était encore plus impatient que moi. C’est sûrement pour cela que le jour suivant, durant l’épreuve de lutte corps à corps, il perdit contre moi et, pourtant, je n’étais d’humeur à me battre contre personne.
Maintenant que Suminaria m’avait parlé de la sphère nerveuse qu’elle avait jetée contre moi, je me rendis compte de l’étendue de son effet. Les mouvements rapides me donnaient la nausée et un fort mal de tête. En outre, bien que les pieds me fassent moins mal, les mains m’arrachaient encore des grimaces de douleur. Inutile de dire que je perdis contre Yori. Je fis un gros effort pour l’emporter sur Marelta, mais je perdis et dus supporter son horrible sourire pendant plusieurs heures. Son mépris commençait à sérieusement me fatiguer. En plus, le jury évita un affrontement entre Suminaria et moi, et cette preuve de prudence ridicule me blessa, car elle montrait clairement que tout le monde pensait que j’étais une petite sauvage incontrôlable à moitié folle capable d’attaquer de nouveau l’intouchable Ashar. Super. Quand je sortis de la Pagode Bleue, j’écumai de rage.
Je retournais à la taverne lorsqu’une masse à l’expression préoccupée et concentrée me barra le passage.
— Shaedra, il faut que je te demande quelque chose.
— Galgarrios —fis-je—. Qu’est-ce que tu fais ici ? Je suis sûre que tes parents ont dû te dire de ne pas me parler.
Quand je vis son expression blessée, je me traitai d’insensible et je le pris doucement par le bras pour continuer à marcher avec lui.
— Je regrette, Galgarrios, je suis un peu brusque ces derniers temps. Qu’est-ce que tu voulais me dire ?
Galgarrios accepta mes excuses sans broncher et passa directement à ce qui le préoccupait.
— Je me demandais si tu savais où était Aléria.
Quelle question ! Que voulait-il que je lui réponde ?
— Non, Galgarrios, je n’en ai aucune idée.
Galgarrios se tourna vers moi. Ses yeux brillaient d’une concentration qui n’était pas habituelle chez lui.
— Eh bien, moi, si, je sais où elle est.
Il me fallut plusieurs secondes pour comprendre qu’il parlait sérieusement.
— Toi, Galgarrios, tu sais où est Aléria ? —murmurai-je.
Il acquiesça, convaincu.
— Oui.
— Où ça ?
— Elle est allée chercher Daïan.
J’attendis qu’il ajoute autre chose, mais non, c’était tout. Intérieurement, je laissai échapper un immense soupir. Pourquoi avais-je eu l’espoir qu’il en sache davantage ?
— Très bien, Galgarrios —répliquai-je—, mais cela ne nous avance pas beaucoup.
Galgarrios prit un air surpris.
— Tu crois ? Mais il suffit d’aller où se trouve Daïan et voilà.
— Et toi, bien sûr, tu sais où se trouve Daïan.
Il ferma à demi les yeux, pensif, et opina du chef :
— Non, je ne le sais pas —reconnut-il, et je grognai, exaspérée, mais il continua— : Mais, cette nuit, quand je réfléchissais, j’ai compris.
— Félicitations. Et tu as compris quoi ?
Son visage s’illumina.
— Tu ne vois pas ? Les ombres. Le cri. Tout concorde. Ils ont emmené Daïan à l’Île Sans Soleil.
Je ne pus l’éviter, je couvris des mains mon visage.
— Oh, Galgarrios !
— Je suis bon, hein ?
Il me souriait, très fier de lui. J’éclatai. Mon exaspération se transforma vite en un éclat de rire sonore.
— Ah —dis-je, me séchant les yeux—. Super, Galgarrios, vraiment super.
Son visage perplexe se changea en un visage heureux.
— Alors, il faut le dire au Mahir, pour qu’il aille la chercher, n’est-ce pas ?
— Écoute, ne te préoccupe pas. Je me charge de tout.
Il n’y vit pas d’inconvénients, il fut même très soulagé à l’idée que ce ne soit pas lui qui doive parler au Mahir. L’Île Sans Soleil, me répétai-je, souriante, tandis que j’entrais à la taverne. Comment pouvait-il encore croire à cela ?
* * *
Le jour suivant, nous avions l’épreuve pratique qui, selon beaucoup, comptait plus que tous les autres examens. Je me levai tôt, sans que Wiguy ait à me sortir du lit. En bas, Lénissu n’était pas là et je pariai qu’il dormirait à poings fermés jusqu’à midi. Je déjeunai malgré ma nervosité et je me retrouvai à la Pagode Bleue sans avoir le temps de me faire à l’idée que j’étais arrivée.
— Aujourd’hui, c’est l’épreuve décisive —me murmura Akyn, pendant qu’un maître du jury, le maître Tabrel, nous guidait hors de la pagode vers un édifice contigu.
— Eh bien, j’espère qu’elle sera à ma hauteur —lançai-je sur un ton pédant, imitant Yori.
Nous éclatâmes de rire et Yori, qui nous avait entendus, nous jeta un regard mauvais.
— Bien —dit le maître Tabrel une fois tous arrivés dans une salle allongée qui avait plein de portes—. Prenez chacun un de ces bandeaux et mettez-les autour de la tête. Ne l’enlevez à aucun moment et sous aucun prétexte —tandis que nous nous exécutions, il ajouta— : Derrière ces portes, se trouve la scène de l’épreuve. Souvenez-vous du règlement et faites tout ce que vous pouvez pour terminer l’épreuve.
Malgré mon esprit confus, que ce soit à cause du stress de l’épreuve ou à cause de la sphère nerveuse de Suminaria, j’aperçus un sourire en coin sur le visage du maître Tabrel.
— L’épreuve a commencé —prononça-t-il à l’intention des treize snoris que nous étions.
Nous ouvrîmes chacun la porte qui nous était assignée, nous la franchîmes et nous plongeâmes dans l’obscurité.