Accueil. Les Pixies du Chaos, Tome 1: Les Ragasakis

15 Le gouverneur de Skabra

Lorsque nous arrivâmes à Skabra, le soleil s’était déjà couché depuis longtemps. Nous marchions depuis un bon moment, longeant le grand lac Lur depuis Keshaq, la cité où s’arrêtait le téléphérique, et la fatigue commençait à se faire sentir dans nos cœurs à tous. Yanika était en partie responsable. Mais bon, elle n’avait plus l’âge d’être portée, n’est-ce pas. Aussi, nous rejoignîmes la ville à pas de guéladère.

La ville thermale était plus grande que je n’aurais cru. Et elle débordait de lumière. Elle se trouvait encaissée contre un versant escarpé qui devait mener aux thermes les plus onéreux. Elle avait une palissade et une rampe montait jusqu’à la porte principale, depuis le lac.

— « Cela faisait deux ans que je ne venais pas à Skabra, » dit Yéren avec émotion tandis que nous grimpions la rampe. « Je me demande si cela a changé. Avant, j’allais souvent écouter les discours des Guérisseurs Blancs. Ils représentent un cercle important de Skabra. À l’époque où j’y allais, ils étaient réputés, mais j’ai entendu dire que le cercle s’est rempli de charlatans. »

— « Vous croyez qu’on nous laissera entrer à cette heure ? » s’inquiéta Sirih.

— « J’entrerai de toute façon ! » affirma Naylah. Elle posa sa lance avec plus de force et ses yeux brillèrent quand elle ajouta : « Je ne me reposerai pas tant que je n’aurai pas trouvé des thermes. »

Je la dévisageai. Dannélah ! Et le gourou, qu’en était-il ? Yéren sembla avaler de travers et il assura :

— « Ne vous tracassez pas, on nous laissera passer. Regardez, il y a encore la queue. Il y a trop de tourisme dans la zone pour imposer des règles strictes. Mais l’usage des armes est formellement interdit à l’intérieur de l’enceinte. »

J’arquai un sourcil, pensai au canif que je portais à la ceinture et demandai :

— « Ils les confisquent ? »

— « Non… Mais si vous voulez entrer avec vos armes, vous devrez remplir un formulaire, » expliqua le guérisseur.

Naylah haussa les épaules.

— « Les formulaires ne me font pas peur. »

— « Ah non ? » intervint Orih avec un petit rire. « Pourtant, l’autre jour, tu as donné à Loy toute la paperasse pour qu’il renouvèle ton inscription au terrain d’entraînement, non ? Je t’ai vue de mes propres yeux. »

Naylah secoua la tête avec un sourire condescendant.

— « Ce n’est pas la même chose, » affirma-t-elle. « Loy est le secrétaire de la confrérie. »

— « Et c’est pour ça qu’il doit s’occuper de ton inscription ? » se moqua Sirih.

Naylah fronça les sourcils et les ignora. Curieux, je répétai :

— « Un terrain d’entraînement ? Il y a un terrain d’entraînement à Firassa ? »

Livon acquiesça. Grâce aux sortilèges de Yéren, le permutateur marchait déjà sans béquilles.

— « Presque tous les guerriers de Firassa vont s’y entraîner. Même les chevaliers d’Ishap. »

— « Y compris Grinan ! » intervint Orih, goguenarde. « L’année dernière, pendant le festival, je les ai vus lutter tous les deux, lui avec son énorme hallebarde et Nayou avec Astéra… Ils m’ont fait penser à ce conte du soleil luttant contre la lune ! »

Je remarquai le léger rougissement de Naylah avant que celle-ci n’accélère le pas et rejoigne la file des gens qui entraient.

En comparaison avec Firassa, ici, l’air était bien plus frais et, peu habitué au froid, je frissonnai, même avec mon manteau. Je jetai un coup d’œil à Yanika et je ne pus retenir une moue amusée en la voyant emmitouflée dans son énorme manteau, avec son épais bonnet et ses gants marron. Elle avait l’air d’un poussin hérissé de plumes.

— « Tu n’as pas froid ? » lui murmurai-je.

Elle souffla.

— « Ya-naï. J’ai même plutôt chaud. »

Les gardes étaient efficaces et j’eus l’impression que notre tour arriva très vite. Ils demandèrent nos noms et, quand ils apprirent le motif de notre voyage, les deux gardes échangèrent un regard. L’un informa :

— « Nous avons reçu des instructions à votre sujet. Le gouverneur souhaite vous voir immédiatement. Je vais avertir. »

Mmpf. Alors cette affaire était parvenue aux oreilles du gouverneur de Skabra. D’après ce que j’avais lu, à Skabra, contrairement à Firassa, on élisait un gouverneur, en sus de tout le système de guildes typique des villes de Rosehack. Et le gouverneur actuel, un certain Jakoral, était le leader de la guilde qui s’occupait de régir les thermes. Tandis que le garde s’en allait, son compagnon s’occupa du reste des formalités. Il s’avéra que les canifs n’entraient pas dans la catégorie des armes interdites, et la seule qui dut remplir le fameux formulaire fut Naylah. Il me semblait bien que Sirih avait une dague dans sa botte, mais l’harmoniste ne prit pas la peine de la montrer aux gardes. Quelques minutes après, vint un assistant du gouverneur —un humain brun de haute taille, vêtu de rouge et de blanc— et, s’inclinant vers nous, il nous donna la bienvenue sur un ton courtois et nous invita à le suivre à l’intérieur de la cité thermale.

— « Et ton espion, Drey ? » s’inquiéta Sanaytay alors que nous franchissions les portes.

Je jetai un coup d’œil en arrière. Saoko était resté près des gardes et les fusillait du regard, tandis que ceux-ci lui expliquaient comment remplir le formulaire des armes. Il voulut tout résoudre en faisant une croix sur le papier et grogna :

— « Mettez ce que vous voulez. Moi, je passe. »

Cependant, les gardes ne le laissèrent pas passer aussi facilement. Je secouai la tête et lui tournai le dos, me demandant s’il serait capable de nous retrouver après. Je décidai de ne pas me préoccuper. Après tout, ce n’était pas moi qui l’employais.

— « Mais enfin, Drey, il ne t’a pas sauvé la vie ? » marmonna Orih. « Il nous a même tous sauvés ! » Elle me regardait avec une moue renfrognée. Sans attendre ma réponse, elle fit volte-face et s’écria, s’adressant aux gardes : « Excusez-moi ! Lui, il est avec nous, vous pouvez le laisser passer ! »

— « Orih… » murmura Yéren.

À son ton, je devinai que le guérisseur voulait lui dire de ne pas se mêler des affaires des autres. Mais Orih n’eut pas l’air de comprendre. Ou alors elle fit la sourde oreille. Et, quand Saoko nous rejoignit, la mirole lui adressa même un sourire avant de reprendre la marche. Le mercenaire aux cheveux en brosse ne dit rien. Ni moi non plus. Nous nous contentâmes de suivre les autres.

De même qu’à Firassa, les rues étaient pavées et la plupart des maisons étaient en bambou. Cependant, j’eus l’impression qu’à Skabra, il y avait encore plus de lanternes allumées et il me sembla que les maisons étaient encore plus stylées. Dès qu’on entrait, une place de mosaïques s’étendait et, au centre, se dressait une énorme fontaine de marbre à l’eau dorée. C’était une véritable œuvre d’art, m’émerveillai-je, en contemplant la finesse de l’ouvrage. Tandis que nous continuions à nous enfoncer dans la ville, suivant l’assistant, je pensai que, s’il était une chose sur laquelle la revue n’avait pas menti, c’était sur le nombre des fontaines : il y en avait une presque à chaque croisement, et toutes étaient aussi splendides les unes que les autres.

Le gouverneur vivait dans une ample maison de bois entourée de jardins. Un fort parfum embaumait l’air nocturne et je compris bientôt d’où il provenait quand, à la lumière des fontaines, j’aperçus les buissons foisonnants de fleurs.

Un garde fit coulisser une porte et l’assistant entra. De l’extérieur, je pus voir dans la salle plusieurs personnes agenouillées autour d’une table basse couverte de plats les plus divers. En bout de table, un humain robuste d’âge mûr écarta une patte de poulet qu’il mordillait pour prêter l’oreille aux chuchotements de l’assistant. Il fit un commentaire que je perçus comme un grognement, se leva, suscitant l’interruption du repas des convives, et dit :

— « Continuez à dîner, les enfants. Je reviens tout de suite. »

Les lanternes de la véranda éclairaient bien nos visages et le gouverneur put nous voir aussi bien que nous le voyions. Il portait une simple tunique noire ample, ainsi qu’un énorme pendentif en forme de spirale. J’ouvris grand les yeux. Ceci était le symbole de Nééka la Jouvencelle, la déesse wari de la Beauté et du Bien-être.

— « Bon, bon, » dit le gouverneur, « Vous êtes donc les Ragasakis. »

— « C’est cela, » confirma Naylah. « Nous sommes venus chercher le gourou des Protecteurs Jardiques. On nous a dit qu’il a disparu aux thermes de… »

— « Oui, oui, » la coupa le gouverneur, avec une impatience distante. « On m’a déjà informé de tout. Tu dois être Naylah, la lancière. »

Je perçus le hoquet de surprise de la jeune guerrière. Le gouverneur nous observa tous et son regard finit par se poser sur Yanika, puis sur moi. Il fronça les sourcils. Il fit un pas vers la véranda, franchissant le seuil, et s’arrêta devant moi, l’air saisi.

— « Par la Jouvencelle ! Je n’arrive pas à le croire… Ce tatouage… Vous êtes des membres du clan Arunaeh ? »

J’arquai un sourcil. Cet humain de la Superficie avait reconnu le tatouage très facilement. Je haussai les épaules.

— « Je m’appelle Drey Arunaeh. Elle, c’est ma sœur. »

Je l’entendis se racler la gorge. Le gouverneur ne me quittait pas des yeux.

— « Il y a à peine un an… un homme du nom de Nalem Arsim Arunaeh est venu ici pour compléter les œuvres de mes thermes les plus sacrées. » Ses yeux se détournèrent vers le versant couvert d’arbres. Un long sentier éclairé par les lanternes grimpait jusqu’au sommet. Il murmura, perdu dans ses souvenirs : « C’était un homme stupéfiant. »

Je souris largement.

— « Oui. C’est mon grand-père. »

Le gouverneur parut s’étouffer, et les deux gardes qui surveillaient l’entrée se raidirent. L’assistant qui nous avait conduits jusque-là se précipita vers lui :

— « Gouverneur ! Gouverneur, tout va bien ? »

L’intéressé se redressa et répliqua sèchement :

— « Bien sûr que tout va bien, Karom. » Il se tourna vers moi et acquiesça fermement. « Drey Arunaeh, n’est-ce pas ? Hum. Sache que ton grand-père a fait un excellent travail… mais j’espère que vous autres, vous accomplirez le vôtre d’une façon, euh… moins fracassante. »

Je me mordis la langue, pensif, piqué de curiosité. Mar-haï… Que diables as-tu fait ici, grand-père ? J’aperçus le regard curieux de Livon et me rappelai qu’il n’avait appris qu’il y a peu que le clan Arunaeh était connu dans les Cités de l’Eau. Et, ironiquement, sa renommée était parvenue à Skabra non pas grâce aux bréjistes du clan typiquement craints mais grâce à l’un des rares destructeurs oriques Arunaeh.

Avant que je ne puisse répondre au gouverneur, celui-ci leva une main pour imposer silence.

— « Je voulais seulement vous dire ceci, Ragasakis : je souhaite autant que vous que vous trouviez ce Gourou du Feu sain et sauf, mais je ne permettrai pas que vous causiez de scandale dans ma ville. Ici, les gens ne se font pas kidnapper dans les thermes. C’est tout simplement impossible. »

— « Impossible ? » rétorqua soudain une voix derrière nous. « Est-ce que tu insinues par hasard qu’il a disparu volontairement, Jakoral ? »

Je me tournai, maudissant le vent fluctuant de la Superficie qui altérait ma perception orique. Debout dans l’allée, les bras croisés, un jeune elfe aux cheveux longs et noirs, enveloppé dans une cape, regardait le gouverneur, les sourcils froncés.

— « Rozzy, » soupira le gouverneur. Il enfouit ses mains dans les manches de sa tunique et retourna sur le seuil en disant : « De retour de ta ronde, hein ? Et je suppose que tu ne l’as pas trouvé aujourd’hui non plus. »

Rozzy serra les dents, de mauvaise humeur, mais il ne répondit pas et insista :

— « Aruss a été enlevé. Il n’abandonnerait jamais ses confrères. »

Il le disait avec ferveur, comme s’il défiait quiconque d’oser dire le contraire. Le gouverneur soupira de nouveau.

— « Oui. Je sais. Je dis juste qu’Aruss a peut-être voulu faire un tour hors de l’enceinte et que c’est là qu’il a été attaqué. Mais pas dans mes thermes. » Il marqua un temps comme pour que ce soit bien clair et ajouta d’une voix désinvolte : « Ragasakis. Je vous présente Rozzy, des Jardiques. Si Aruss, le Gourou du Feu, venait à disparaître, Rozzy serait son successeur. »

Les yeux du dénommé Rozzy flamboyèrent et sa voix fut glaciale quand il siffla :

— « Qu’est-ce que tu insinues ? »

— « Rien, Rozzy, rien, » assura le gouverneur. « Tu es un peu tendu : calme-toi. Je sais que vous êtes tous les deux des amis intimes depuis l’enfance. Et bien que vous vous battiez tous les deux pour le poste de gourou… tu as renoncé à lui en sa faveur, si je me rappelle bien. Cela signifie simplement que tu n’as pas l’âme d’un leader, Rozzy. Mais je suis sûr qu’en joignant ton effort à celui de ces aventuriers, tu réussiras à retrouver ton ami. Et, bien sûr, vous avez tous mon appui, tant que vous ne mêlez pas les gens de ma ville à cette affaire. Si vous inquiétez mes patients, vous aurez des problèmes. Ai-je été clair ? »

Ses patients, me répétai-je. C’était une curieuse façon de parler de ses clients… mais je supposai qu’étant un fidèle de la Jouvencelle, il était normal qu’il les considère tous comme des âmes à purifier et à soigner.

Naylah acquiesça avec solennité.

— « Laisse ça entre nos mains, gouverneur. »

— « Nous serons la discrétion même, » ajouta Orih, découvrant toutes ses dents de mirole.

Sirih se moqua :

— « Que ce soit moi qui dise ça, bon, mais toi, Orih ? »

La mirole lui donna un coup de coude. Le gouverneur leva les yeux vers l’elfe aux cheveux noirs et ajouta sur un ton apparemment cordial :

— « Ne t’inquiète pas, Rozzy. Tout finira par s’éclaircir… j’espère. Et maintenant, permettez-moi de poursuivre mon repas. Bonne nuit à tous et tenez-vous bien. »

— « Bonne nuit et bon appétit ! » lui souhaita Livon.

Le gouverneur se retira à l’intérieur et Sirih grommela tout bas :

— « Tenez-vous bien ? Il nous prend pour des enfants ou quoi ? »

— « Pour un prêtre de la Jouvencelle, nous sommes tous des enfants, » expliqua Naylah, tournant le dos à la maison. « C’était comme ça aussi pour le prêtre de mon… »

Elle se tut d’un coup et se massa une tempe, la respiration brusquement précipitée. Bien sûr, me rappelai-je. J’avais oublié que Naylah venait elle aussi des Souterrains, là où les dieux waris étaient les plus courants. Elle n’avait pas rejoint la confrérie avant ses douze ans, elle aurait donc dû normalement se souvenir sans problèmes de son enfance et des divinités de sa famille. Mais, visiblement, elle avait des difficultés à se rappeler son passé. Et dernièrement, d’après les autres, ses souvenirs surgissaient plus fréquemment… comme si l’arrivée de ces dokohis les avait déclenchés. Livon posa une main sur le bras de la lancière, inquiet.

— « Nayou ? Ça va ? »

— « Mm… » assura Naylah, agrippant sa lance avec plus de fermeté. « Allons-y. »

— « Je connais une bonne auberge, » intervint Yéren tandis que nous nous mettions en marche. « Ça s’appelle La Source et c’est tout près d’ici. Une des meilleur marché, mais elle a tout de même des thermes incorporées, et une superbe vue sur le lac. »

Orih et Livon furent tout de suite séduits et, avec Yanika qui bâillait plusieurs fois par minute, je me réjouis de savoir que ladite auberge n’était pas loin d’où nous étions.

— « Euh… » dit une voix embarrassée derrière nous.

Nous nous retournâmes. L’elfe aux cheveux noirs, Rozzy, nous avait suivis dans la rue. Il se racla la gorge.

— « Je tenais à vous dire, » dit-il, « ce n’est pas moi qui ai demandé de l’aide au conseil des guildes de Firassa. De fait, je n’y suis pas allé. Je peux retrouver Aruss sans vous. »

Sirih et Naylah froncèrent les sourcils. Mais c’est Livon qui parla, sur un ton compréhensif et sans un brin d’irritation.

— « Tu ne veux pas qu’on t’aide ? »

— « Euh… Je n’ai pas dit ça, » protesta Rozzy. « Je dis simplement que votre aide n’est pas nécessaire. »

— « Ça ne fait rien, » assura Livon avec sincérité. « Si tu veux que nous t’aidions, même si notre aide n’est pas nécessaire, nous t’aiderons ! »

Rozzy le regarda avec une moue déconcertée qui anima son visage taciturne. Je réprimai difficilement un sourire face à l’optimisme de Livon.

— « Trêve de plaisanterie, » grogna enfin le Protecteur Jardique. « Je le retrouverai, même sans votre aide. »

— « Cela fait déjà cinq jours que ton gourou a disparu, » intervint Naylah. « Si tu l’as cherché depuis tout ce temps sans le trouver… peut-être que cela signifie qu’il n’est pas dans la ville. »

— « Pff, ça, j’en suis sûr, » dit Rozzy sèchement. « Vous arrivez ici sans aucune idée de ce qui s’est passé… Aruss n’est pas en ville. Nous avons trouvé un de ses gants au bord du lac, à plusieurs heures de marche d’ici vers l’ouest. J’ai de nouveau parcouru tout le bord du lac sans trouver de trace, mais… mais je le trouverai, » affirma-t-il. « Aujourd’hui, j’ai rencontré un homme qui connaît bien la zone ouest et je l’ai engagé pour qu’il me guide. Demain, je partirai des portes à sept heures et, cette fois, je reviendrai avec Aruss, quoi qu’il m’en coûte, Ragasakis. »

Il fit demi-tour avec brusquerie et s’éloigna d’un bon pas. Après un silence, Sanaytay toussota et commenta d’une voix douce :

— « Ça avait tout l’air d’une invitation. Vous ne croyez pas ? »

— « Mm, » appuya Naylah avec un léger sourire. « C’est ce qu’on dirait. »

— « Une invitation ? » demanda Livon, perdu. Et il ouvrit grand les yeux, comprenant. « Oh… Il veut qu’on l’aide, pas vrai ? Eh bien, il aurait pu être plus clair. »

— « Il aurait pu, » corrobora Orih. « Mais… n’est-ce pas émouvant ? On dit que les hommes qui parlent par circonlocutions sont très sensibles, là au-dedans ! »

Elle tapota son cœur. Je roulai les yeux. Assis sur le sac à dos de Livon, Tchag cligna des paupières et, tandis que nous continuions à avancer dans la rue, il demanda à son porteur :

— « C’est quoi, les circonlocutions ? »

Livon prit une mine méditative.

— « Mm… Ça, eh bien… les circonlocutions, c’est quelque chose comme… tu vois bien… »

Il n’en sait rien lui non plus, compris-je. Avec discrétion, je suggérai sur un ton dégagé :

— « Des détours ? »

— « Oui ! C’est ça ! Des détours ! » approuva Livon, souriant et reconnaissant.

Tchag émit un grognement de compréhension et sembla se plonger dans de profondes méditations tandis que nous marchions. Si les rues principales étaient encore un peu animées, celle que nous parcourions était tranquille. On entendait des voix et de la musique provenant de quelques maisons de bambou, mais rien qui ne rompe la paix nocturne. Après un silence durant lequel on ne percevait que nos respirations et nos pas contre les pavés, Naylah émergea de ses pensées en disant :

— « Il y a quelque chose de bizarre dans cette affaire, Ragasakis, et j’ai l’impression que le gouverneur a voulu nous en avertir. Ce Gourou du Feu… » Elle s’arrêta et ses sourcils se froncèrent encore davantage quand elle murmura : « Il se pourrait bien que ce soient les propres Protecteurs Jardiques qui l’aient fait disparaître. »

Je ne fus pas surpris. C’est ce que j’avais soupçonné, surtout quand j’avais entendu l’histoire des successions. Mais, alors, si Rozzy avait fait disparaître son ami pour le substituer, pourquoi nous avait-il demandé de l’aide ? Cela ne concordait pas. Sanaytay inspira, rompant le silence.

— « Naylah… Tu veux dire que c’est Rozzy qui l’a… ? »

La flûtiste ne termina pas sa question. La simple possibilité l’avait rendue plus pâle que d’ordinaire. Naylah secoua la tête.

— « C’est juste une hypothèse parmi d’autres. Peut-être que cet elfe cherche réellement son ami. Mais… demain, quand nous quitterons la ville avec lui, restez sur vos gardes. »

Nous acquiesçâmes, sentant une nouvelle tension flotter dans l’air. Une trahison à l’intérieur d’une confrérie était toujours troublante. J’en savais quelque chose grâce à mon frère.

— « Bien, » sourit Naylah. Et ses yeux scintillèrent comme des étoiles quand elle ajouta : « Alors, allons à l’auberge laisser nos affaires. »

Je crus entendre distinctement ses pensées conclure : et après, direction les thermes !