Accueil. Cycle de Dashvara, Tome 3: L’Oiseau Éternel
Ils échangèrent à peine quelques mots avec les cavaliers shalussis : l’un d’eux les informa qu’ils patrouillaient la zone et qu’ils avaient reçu l’ordre de les escorter jusqu’à Lamasta. Makarva les accompagnait et il ajouta des détails. Apparemment, Alta était resté pour organiser l’arrivée des Xalyas après que Zéfrek avait promis que ceux-ci seraient bien accueillis. Orafe ne put s’empêcher de commenter à voix haute :
— Eh bien, que ce Shalussi sache que je lui arracherai les yeux, la langue et la tête s’il nous tend un piège. Dans cet ordre.
— Et moi aussi, par le Liadirlá ! —appuya Maef.
Tous deux s’attirèrent le regard foudroyant du capitaine, la grimace crispée de Dashvara et l’expression offensée des sauvages… S’apercevant qu’il n’avait pas su tenir sa langue, Orafe s’agita, toussota et détourna les yeux, croisant les bras nerveusement. Maef, lui, demeura tout tranquille : après tout, devait-il penser, c’était son cœur qui avait parlé. Dashvara soupira.
Et voilà la diplomatie des Xalyas dans toute sa splendeur…
Ils étaient épuisés, mais, comme personne n’avait spécialement envie de dormir entre deux armées, ils continuèrent leur marche, escortés par la patrouille shalussi. Ils arrivèrent à Lamasta en milieu d’après-midi, exténués et avec une seule idée en tête : dormir et ne pas ouvrir les yeux jusqu’au lendemain matin. Et c’est ce que tous firent. Dashvara le premier. Depuis quand un Xalya était-il capable de fermer les yeux et de dormir avec un Shalussi armé à quelques pas à peine ? Bon… parfois la fatigue endormait les inimitiés les plus ancestrales. Aussi, après s’être installés à moitié éveillés dans un refuge avec un toit plus ou moins imperméable, les Xalyas laissèrent les sauvages veiller sur eux et sur leurs chevaux.
Dashvara se réveilla en entendant des roucoulements d’oiseaux. Il ouvrit les yeux et se trouva face à face avec un pigeon. Il était enfermé dans une petite cage circulaire. Un enfant, peut-être de l’âge de Shivara, accroupi auprès d’elle, essayait de caresser le plumage de l’oiseau en passant un doigt entre les barreaux, l’expression très attentive. Le reste des Xalyas, pour la plupart, était déjà éveillé.
Et le seigneur de la steppe, lui, dort comme un bodun paresseux.
Dashvara se frotta les yeux, jeta un coup d’œil à son bras et constata que Tsu avait changé son bandage pendant qu’il dormait. Il avait dormi si profondément que, si un cheval essiméen était venu le piétiner, il ne s’en serait même pas aperçu.
Il se redressa sur la terre battue du refuge, balaya l’endroit des yeux et remarqua qu’un groupe d’enfants xalyas installé non loin lui jetait des regards curieux. Pas à lui, s’aperçut-il, mais à son bras à la manche retroussée. Aux trois marques qu’il portait. Il leur adressa une moue comique et, en faisant un geste vers ses marques, il lança avec désinvolture :
— De jolis tatouages, pas vrai ? Bonjour, les enfants.
Ceux-ci lui répondirent avec une certaine timidité, comme s’ils n’osaient pas lui parler. Dashvara roula les yeux et, après avoir jeté un coup d’œil et s’être assuré que tout semblait être relativement paisible dans le village, il aperçut l’assiette d’ogroyes, grimaça et lança :
— Si quelqu’un réussit à me trouver quelque chose de mangeable à déjeuner, je vous raconte une histoire que seuls les descendants de l’Oiseau Éternel se rappellent aujourd’hui.
À sa grande joie, ils s’empressèrent de lui trouver quelque chose à manger en plus des ogroyes et, après s’être installé devant cette troupe d’enfants, il commença à narrer l’histoire du loup recherché par ses frères, la même histoire que celle qu’il avait racontée à Atasiag à Titiaka en automne, sauf que, cette fois-ci, il la raconta avec plus d’effets théâtraux, ajoutant des dialogues et des onomatopées. Il réussit à arracher des rires et des expressions ravies et ébahies, même aux plus âgés, qui devaient déjà avoir entendu ce conte plus d’une fois. Il termina ainsi :
— Alors, le loup solitaire pensa : Liadirlá, quelle chance qu’ils m’aient retrouvé ! Et, pour la première fois depuis des années, il hurla avec ses frères : HOOOUUUU ! —Comme les enfants éclataient de rire face à sa démonstration, il leva un index—. Dans la langue des loups, cela veut dire : vive la meute ! Et il hurla encore : HOOUUUUUUUU ! Ce qui veut dire… Ça vous le savez déjà : dignité, confiance et…
— Fraternité ! —s’écrièrent plusieurs, heureux de connaître la fin.
Dashvara sourit.
— Vous aussi, vous êtes des loups xalyas —conclut-il—. L’histoire vous a plu ?
Oui, elle leur avait plu, et ils le démontrèrent par de grands sourires et par un éclatant tapage entremêlé de hurlements plus ou moins bien réussis. Makarva arriva près de lui, l’expression mi-moqueuse mi-amusée.
— Ils commencent à prendre des manières de Xalya —commenta-t-il en désignant les enfants bruyants du menton et il reprit d’une voix plus basse mais non moins tranquille— : Au fait, Dash. Je te le dis comme ça, mais nous avons une armée à nos portes. Il y a une réunion des chefs.
Dashvara grimaça et acquiesça.
— J’y vais.
Makarva l’aida à ceindre son ceinturon avec les sabres, il mit la cape bleue des Dikaksunora, ébouriffa les cheveux du gamin au pigeon, qui était en plein milieu, salua sa jeune compagnie et les autres Xalyas qui étaient restés au refuge et sortit avec son vieil ami.
La journée était belle, un peu venteuse et nuageuse, mais peu de jours ne l’étaient pas dans la steppe. Dashvara promena un regard attentif sur le village tout en montant la côte, derrière Makarva. Après avoir vu Aralika, Lamasta paraissait peu de chose en comparaison ; les rues étaient imprécises, les troupeaux se promenaient librement et l’unique édifice important était le temple essiméen en construction. Cependant, durant la révolte, celui-ci avait souffert de nombreux dommages, et Zéfrek avait décidé de se réfugier au pied de la colline, dans une petite maison de pierre entourée de guerriers shalussis. Ceux-ci les regardèrent avec réserve quand ils approchèrent. D’une voix tranquille, Dashvara se présenta :
— Dashvara de Xalya. Zéfrek…
— Entrez —le coupa un des Shalussis.
Il s’écarta sans se départir de son expression hautaine, et Dashvara réprima une grimace avant d’avancer avec Makarva vers la porte ouverte. Sans grande surprise, il constata que le capitaine et Sashava étaient déjà là, causant avec Zéfrek et d’autres Shalussis. Quand il vit le visage de Yodara au milieu de toutes ces têtes sévères, il ne put s’empêcher de sourire. L’officier était donc sorti vivant de la révolte. Son sourire se glaça et se changea en un visage impassible quand ses yeux se posèrent sur une figure assise devant la grande table. Il l’avait à peine vu trois ans plus tôt, mais il l’aurait reconnu n’importe où. Lifdor. Ses lèvres formèrent le nom dans un sifflement muet. Lifdor de Shalussi avait survécu.
Lifdor, Qwadris et Nanda, du clan des Shalussis. Shiltapi, du clan des Akinoas. Todakwa, du clan des Essiméens.
Les paroles résonnèrent dans sa tête avec la voix profonde et sévère de son père.
Lifdor de Shalussi. Assassin, voleur, assassin…
Il se rappelait encore son visage souriant et féroce quand il avait enchaîné son peuple et volé ses chevaux. Il se rappelait encore avec netteté son cri de guerre sauvage et le coup de pied victorieux qu’il avait donné à un officier xalya mort en plein champ de bataille… La main vigoureuse du capitaine sur son épaule gauche le fit revenir à la réalité. Ce n’est qu’alors qu’il se rendit compte que sa main gauche avait empoigné le pommeau de son sabre et commençait à le sortir…
— Dashvara —le pressa Zorvun d’une voix basse et tendue—. Reviens au monde réel, tu veux bien ?
Avec un certain effort, Dashvara détourna enfin le regard de l’expression moqueuse de Lifdor et croisa les yeux sombres du capitaine. Il se maudit intérieurement de s’être laissé emporter par ses impulsions d’une manière si peu rationnelle.
Et c’est toi qui les traites de sauvages, Dash ? se sermonna-t-il avec ironie.
Il rengaina complètement le sabre et perçut le raclement de gorge de Zéfrek. Le jeune chef shalussi s’avança.
— Bienvenue à Lamasta, Dashvara de Xalya. C’est un plaisir d’accueillir ton peuple entre mes rangs.
Il tendit la main. Oh, diables, maudite soit la manie de se serrer la main… Dashvara avança la sienne et il la lui serra. Zéfrek la lui secoua vigoureusement, probablement sans mauvaises intentions, mais la douleur fit monter les larmes aux yeux de Dashvara, il haleta et le Shalussi le lâcha, l’air navré.
— Oh, désolé, j’avais oublié que…
— Ça va —assura Dashvara en soufflant—. Ça va —répéta-t-il. Liadirlá, quelle image de seigneur de la steppe donnes-tu à tes amphitryons… Il inspira et ajouta— : Merci d’accueillir mon peuple, Zéfrek. Je vois que tu as été efficace depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. Euh… Bon. Où en est l’affaire avec les Essiméens ?
Zéfrek haussa les épaules.
— Nous avons bon espoir de les refouler.
Dashvara acquiesça et s’appliqua, les moments suivants, à écouter les guerriers shalussis, non sans remarquer que les Xalyas étaient davantage relégués à un rôle de spectateurs que d’acteurs de toute cette histoire…
Des spectateurs, mais après, nul doute que nous devrons sortir les sabres pour les aider. Enfin, sauf moi, qui me contenterai d’écouter Tsu et de manger des ogroyes.
Il remarqua en tout cas que la nouvelle position de Zéfrek et son récent pouvoir avaient opéré en lui un changement radical. Moins méfiant, plus assuré, le fils de Nanda dirigeait sa petite troupe de rebelles avec l’air de savoir de quoi il parlait, comme s’il n’avait pas passé les trois dernières années à gagner son pain comme un misérable pirate de pacotille. À côté de lui, Lifdor tentait visiblement de jouer les guides expérimentés, et Zéfrek accueillait ses conseils avec respect, mais les considérant comme ce qu’ils étaient, des conseils, et non des ordres. Le guerrier vétéran semblait prendre sa position inférieure avec patience, sûrement parce que celui qui avait apporté les armes et avait jusqu’alors dirigé la rébellion était Zéfrek et non lui. Malgré l’envie de l’ôter de sa vue, Dashvara dut reconnaître que, probablement, Lifdor n’avait pas le même esprit venimeux que Todakwa : c’était un Shalussi et, de même que les Xalyas, il devait sans doute avoir le sens de l’honneur. C’était, en définitive, un maudit sauvage capable de tuer pour de l’or, mais qui n’aurait jamais eu l’idée d’asservir toute la steppe et encore moins de faire du commerce avec des étrangers si éloignés.
Pendant que les cinq Xalyas assistaient silencieusement au plan de défense, des messagers vinrent régulièrement informer de l’avancée de l’armée essiméenne. Apparemment, celle-ci ne s’était pas hâtée d’avancer, sans doute parce qu’elle attendait des renforts et parce qu’elle ne voulait pas provoquer inutilement les Shalussis, sachant que ceux-ci retenaient prisonniers plusieurs des leurs, y compris Ashiwa d’Essimée, frère de Todakwa. Lifdor considérait comme très possible qu’un détachement tente de traverser le fleuve pour cerner le village et couper toute fuite possible. Dashvara était d’accord pour ce qui était de cerner le village, mais il doutait que ce soit par crainte d’une fuite ; ils devaient plutôt craindre que les rebelles reçoivent davantage d’aide de Dazbon par le sud. Cependant, durant toute la conversation, aucun Shalussi ne mentionna les Dazboniens. Finalement, qui sait, peut-être que ceux-ci ne savaient pas encore s’il leur convenait d’intervenir dans les relations entre Essimée et Diumcili et qu’ils se contentaient de semer la pagaille. Plus de pagaille. Comme s’il n’y en avait pas déjà assez. Ce n’était pas étonnant que les Anciens Rois aient appelé cette terre la Roche des Enfers. Et, pourtant, ce n’était pas comme si mille tribus vivaient là : maintenant, ils n’étaient fondamentalement que quatre grands clans, plus les Honyrs… La seule pensée qu’ils aillent une nouvelle fois s’entredéchirer les uns les autres rembrunit profondément Dashvara. Pourquoi donc le destin s’acharnait sur leurs vies ?
Un changement de ton dans la voix de Zéfrek lui fit de nouveau tourner la tête vers lui.
— … armes suffisantes —disait-il—, vu que nous avons encore des hommes experts dans l’art de la guerre qui ne possèdent pas d’armes adéquates. Comme j’ai pu le constater, il y a des personnes parmi les vôtres qui sont armées et qui n’ont presque pas été entraînées. Je me demandais si vous accepteriez de nous céder temporairement ces armes. Il s’agit de défendre Lamasta le mieux que nous le pouvons.
Ceci lui resta en travers de la gorge. Qu’il cède des armes aux Shalussis ? Mais Zéfrek le lui demandait-il sérieusement ? Brusquement, il se força à réprimer toute réponse impulsive et raisonna. Techniquement parlant, Zéfrek avait raison : il valait mieux que ces armes soient entre les mains d’experts plutôt qu’entre celles d’adolescents atterrés, même si l’idée de les leur céder ne lui en paraissait pas moins risquée et démoralisante. Il jeta un coup d’œil vers Zorvun et Sashava. Alors que ce dernier foudroyait Zéfrek des yeux, sur le point d’exploser, le capitaine acquiesça d’un léger hochement de tête. Dashvara soupira intérieurement et, sous le regard attentif de la dizaine de guerriers shalussis, il croisa les bras en acquiesçant calmement et lança :
— Vous aurez les armes.
Zéfrek sourit.
— Merci.
Dans son léger sourire, Dashvara crut lire un : tu vois, seigneur des Xalyas ?, ton peuple a à peine quelques guerriers capables et tu n’es même pas en condition de combattre : que ça te plaise ou non, c’est moi maintenant qui commande. Ben tiens, et les ilawatelks volent aussi. Dashvara fit une légère grimace sardonique et rétorqua :
— De rien. Ce sont des armes des Anciens Rois. J’espère que ceux qui les utiliseront verseront du sang assassin et sauveront des vies innocentes.
Ses paroles furent accueillies par des expressions impassibles. Peut-être que certains y virent quelque reproche. Cependant, en cet instant, Dashvara ne pensait pas tant aux actions passées des Shalussis, mais plutôt que ces armes, vieilles comme elles l’étaient, devaient sans doute aussi avoir défendu des assassins et verser le sang d’innocents. Un sabre n’avait d’autre maître que celui qui l’empoignait.
Ils ne tardèrent pas à mettre fin à la réunion et, quand le capitaine sortit de la maison à la hâte, Dashvara, Yodara, Sashava et Makarva le suivirent. Ils n’oublièrent pas de ralentir le rythme pour ne pas laisser le Grincheux en arrière.
— Ça, c’est le comble —marmonnait celui-ci en avançant avec ses béquilles—. Dès qu’ils auront repoussé les Essiméens, ils nous tomberont dessus et nous n’aurons plus de quoi nous défendre.
— Avant tout, ils doivent repousser les Essiméens —répliqua le capitaine sans s’arrêter—. Ces diables amèneront des renforts d’Ergaïka et plus de cavalerie d’Aralika. Disons environ sept-cents au total. L’armée de Zéfrek compte à peine deux-cents hommes. Et même s’ils sont très habiles au combat, il leur manque de l’organisation. De toutes façons, je ne crois pas que Zéfrek nous tombe dessus, mon ami. Moi, à sa place, je me préoccuperais d’abord de mes propres gens. Un cavalier doit contrôler son cheval avant de pouvoir le diriger.
De retour au refuge, le capitaine s’occupa de collecter les armes, et Dashvara prit Makarva à part, lui arrachant une moue intriguée.
— Qu’est-ce qu’il se passe, Dash ?
Celui-ci hésita, car il savait que son idée n’allait pas être très bien accueillie. Il jeta un coup d’œil aux nuages, au chemin poussiéreux, aux visages xalyas qui écoutaient attentivement les ordres du capitaine et, finalement, il se lança :
— Écoute, Mak… J’aimerais que quelqu’un parte d’ici en direction du nord pour avertir ma naâsga de notre position.
Son ami se rembrunit aussitôt.
— Tu ne me demandes pas à moi d’y aller, n’est-ce pas ? —Il poussa un souffle mécontent—. Dash, nous ne sommes que vingt guerriers, les Essiméens vont nous attaquer et tu veux que je vous laisse en arrière ? Tu pourrais envoyer quelqu’un d’autre…
— Bon, d’accord, et qui alors ? —répliqua calmement Dashvara.
Makarva fronça les sourcils et haussa les épaules.
— Qu’est-ce que j’en sais, n’importe qui. Atok. Lui, il ne se plaint jamais.
Contrairement à d’autres, compléta Dashvara. Il adressa un sourire moqueur à son ami et acquiesça.
— C’est bon. Je vais…
— Moi, je peux y aller —intervint soudain une voix en l’interrompant.
Surpris, Dashvara se tourna et roula les yeux en voyant que le jeune Tinan avait écouté la conversation. L’adolescent ajouta avec sérieux :
— J’ai le bras amputé de toute façon, je ne pourrai jamais être un vrai guerrier… Mais je suis un bon cavalier. Et je veux aider.
Son expression pleine d’espoir et de désir de se montrer utile arracha à Dashvara une vague d’affection. Il hésita un moment, parce que l’idée d’envoyer Tinan seul dans la steppe l’inquiétait…
— Je t’accompagne, l’ami —dit alors la voix joyeuse d’Api. Le jeune démon avait surgi par une fenêtre. Il passa à l’intérieur du refuge d’un saut d’acrobate en ajoutant— : La perspective de rester coincé dans ce village ne me plaît pas du tout. Et, moi aussi, je suis un bon cavalier —plaisanta-t-il. Il tourna des yeux gris étincelants vers Dashvara—. Nous devons transmettre un message en particulier ?
Dashvara examina son visage enthousiaste et secoua la tête. Sacré démon…
— C’est bon —accepta-t-il—. Vous irez tous les deux. Racontez à Yira tout ce qui est arrivé et dites-lui que nous allons tous bien, que les Shalussis sont nos alliés et que les Essiméens mettront probablement un moment à se décider à faire quelque chose parce que les Shalussis retiennent prisonnier le frère de Todakwa.
Tinan acquiesça, les yeux brillants.
— Je transmettrai le message, mon seigneur. Merci de me faire confiance.
Dashvara esquissa un sourire et lui donna une tape sur l’épaule.
— Merci à toi, sîzan. Tu as intérêt à être prudent. —Il s’écarta en ajoutant— : Contournez la zone autant que vous le pouvez par l’est, puis chevauchez vers le nord. Si vous ne trouvez pas les Honyrs, il faut espérer qu’eux vous trouveront. Bonne chance.
— Bonne chance à vous aussi ! —sourit Api—. Je crains que vous en ayez davantage besoin que nous. Allez, en avant, compagnon ! —dit-il à Tinan.
Après avoir pris quelques vivres, les deux adolescents ne tardèrent pas à monter sur des chevaux ; néanmoins, ce n’est que lorsque Zéfrek eut donné son autorisation que les guerriers shalussis les laissèrent enfin sortir de Lamasta. Du haut de la colline du temple, Dashvara observa les deux cavaliers galoper vers l’est jusqu’à ce que ceux-ci deviennent de simples points noirs. Alors, il se tourna vers le nord, vers où regardait la majorité des Xalyas qui étaient montés là pour voir. Pour voir l’essaim sombre formé par les centaines d’Essiméens qui venaient de s’installer sur une hauteur, à environ cinq milles de Lamasta.
Dashvara éprouva une inquiétante sensation de déjà-vu face à cette situation. Les Essiméens, le siège imminent, l’attente… tout était si semblable à ce qu’il avait vécu trois ans plus tôt ! Cependant, contrairement à alors, ils n’avaient pas de donjon, mais ils avaient des alliés. C’étaient tous des esclaves rebelles, peu importait qu’ils soient descendants des Anciens Rois ou des tribus sauvages. Tous cherchaient la même chose : leur liberté.
Et nous la trouverons, d’une manière ou d’une autre, se promit Dashvara avec ferveur.
Se détournant de l’ennemi, ses yeux se perdirent vers le nord-est, vers la vaste steppe simple, vive et pacifique que les Voleurs de la Steppe —et les Xalyas— aimaient comme une mère.
— Mâ Sêt —murmura-t-il en oy’vat pour lui-même, appelant la steppe, et il murmura encore plus bas, telle une prière— : Fais que ta terre devienne boue et aiguilles sous les pieds de tes assassins.