Accueil. Cycle de Dashvara, Tome 2: Le Seigneur des Esclaves
C’étaient des silhouettes plus petites que les orcs des marais, vêtues de capes sombres, de bottes… une tenue qui coïncidait parfaitement avec celle des saïjits.
Alors comme ça, nous sommes attaqués par des étrangers venus de l’Oiseau Éternel sait où…
— Tu les vois ? —demanda Lumon.
Dashvara hocha la tête, appuyé sur la rambarde de la tour.
— Je les vois.
La Gemme illuminait aimablement la zone entre les marécages et la palissade. Trois Naskrahs avaient surgi de la végétation, mais ils progressaient avec une telle discrétion qu’il était clair qu’ils prétendaient agir sans qu’on les voie. Pour cette même raison, ni Lumon ni Dashvara ne donnèrent l’alarme.
— Descends avertir les autres, Lumon —fit Dashvara—. Je crois que, moi, ils m’ont déjà vu.
Lumon, tapi dans les ombres, acquiesça.
— N’oublie pas de surveiller le nord et le sud aussi —murmura-t-il.
L’Archer s’écarta et commença à descendre de la tour aussi discrètement que possible.
Cette nuit, il n’y aurait pas de patrouilles : tous les Xalyas étaient au baraquement, se préparant à ce qui serait peut-être une bataille meurtrière. Les yeux fatigués, Dashvara scruta les ombres au nord et au sud avant de s’intéresser de nouveau aux Naskrahs. Il eut du mal à les retrouver : ils avançaient, parfaitement camouflés.
Feignant la tranquillité, Dashvara s’adossa contre une des poutres de la tour de guet et il se mit à compter les flèches de son carquois tout en surveillant les Naskrahs du coin de l’œil. Il n’était pas aussi bon archer que Lumon, mais, dans la steppe, il avait été patrouilleur pendant six ans : comme Makarva et les Triplés, il avait suivi l’entraînement du capitaine Zorvun et il avait participé aux attaques défensives des Xalyas contre les nadres rouges et autres créatures sauvages. Certainement, à la Frontière, ils ne pouvaient pas utiliser la même tactique de repli, mais plus d’une fois ils avaient repoussé des bandes d’orcs sous la menace des flèches.
Parfois Dashvara était effaré en pensant à quel point il était ridicule de défendre le territoire de ceux-là même qui le maintenaient en esclavage. C’était plus ou moins comme être entouré de serpents venimeux et choisir de servir celui qui avait le venin le plus lent.
Un serpent qui nous offre une mort lente en échange de bras qui sachent manier une arme… Dashvara n’imaginait pas un comportement plus répulsif. Ce n’était pas seulement ce Maître esclavagiste et le Conseil de Titiaka qu’il fallait condamner : c’était toute la Fédération.
Tu essaies de te consoler en pestant durant tes dernières heures de vie, Dash ?, se moqua-t-il. Cesse de chercher des coupables : tu ferais mieux de te concentrer sur ce que font ces Naskrahs.
Les trois Naskrahs continuaient à ramper vers la palissade. Ils semblaient suivre une tactique précise, mais Dashvara ne parvenait pas à comprendre laquelle. Ils ne pouvaient pas avoir l’intention de les attaquer : ils n’étaient que trois et ils avaient clairement vu ce jour-là qu’au moins dix Xalyas étaient toujours sur pied et bien portants. Assurément, ils tramaient quelque chose.
Dashvara fronça les sourcils quand un nuage passa devant la Gemme. Le ciel se couvrait et il devina qu’il allait bientôt pleuvoir.
Les premières gouttes commençaient juste à tomber quand Lumon revint.
— Du nouveau ? —demanda celui-ci en chuchotant.
Dashvara haussa les épaules.
— Ils continuent à avancer à pas de tortue. Tu sais ce que je crois, Lumon ? —ajouta-t-il tandis que ce dernier jetait un coup d’œil entre les planches de la balustrade—. Je crois qu’ils nous tendent un piège. Un peu comme celui du nuage de fumée verte. Ces Naskrahs semblent plutôt enclins à agir par ruse. Ils me rappellent les Essiméens —murmura-t-il avec une grimace de répugnance.
— Comment peuvent-ils penser que nous ne les voyons pas ? —souffla Lumon après un silence.
— Mmpf. Peut-être qu’ils croient que nous avons la même vue que les orcs.
Lumon jeta un regard vers le nord, vers la Tour de Sympathie, avant de s’enquérir :
— Et l’ombre ?
Dashvara déglutit. Après être rentré de Rayorah avec Alta et Tardif, Tahisran s’était caché dans la remise, mais, en entendant la voix de Dashvara dans la baraque, il avait fini par se présenter devant les Xalyas. Dashvara leur avait déjà parlé de lui, mais il savait qu’entendre raconter une histoire, ce n’est pas la vivre, et voir un tas d’ombres ayant la forme d’un saïjit parler par voie mentale pouvait… en effrayer plus d’un. Tous étaient restés en état de choc. Y compris Sashava. Dashvara avait même surpris Pik en train de faire le signe de dévotion des fédérés et de marmonner quelque chose sur les « mauvais augures ». Devinant que la présence de l’ombre allait miner leur moral plus que le remonter, il avait convaincu Tahisran d’aller à Sympathie vérifier si les deux uniques bien-portants étaient toujours en vie ; Tsu lui avait donné quelques feuilles de docho pour les malades, mais Dashvara devinait que, de toutes façons, si Tahisran se montrait vraiment devant ceux de Sympathie, plus d’un n’oserait pas mâcher quelque chose provenant d’un esprit d’ombres.
Il se racla silencieusement la gorge et, sans perdre de vue les Naskrahs, il répondit :
— Il n’est pas encore revenu. —Après un long silence, il reprit— : Regarde. Ils avancent comme s’ils tiraient quelque chose.
Lumon détourna son regard du nord et le reporta sur les Naskrahs.
— Une corde ? —hasarda-t-il.
Que diables faisaient-ils à tirer une corde devant une palissade ? Non, cela n’avait pas de sens. Ni qu’ils la tirent depuis les marécages, toute dépliée. Dashvara abandonna ses élucubrations. Maintenant, les trois Naskrahs étaient à une vingtaine de pas à peine des pieux. Ils étaient amplement à la portée d’un archer.
Inconscients…
Dashvara saisit son arc et une flèche.
— Nous allons les tuer ? —murmura-t-il. S’ils se débrouillaient bien, ils pouvaient en tuer deux sur trois. Les trois, s’ils se débrouillaient très bien. Et si nous nous débrouillons très mal, aucun, grogna Dashvara intérieurement.
Lumon ne répondit pas aussitôt. Son visage, plongé dans les ombres, ressemblait presque à celui de Tahisran.
— Le capitaine dit qu’on ne se précipite pas —dit-il enfin.
Dashvara faillit sursauter.
— Le capitaine ? —répéta-t-il avec espoir.
— Il semble un peu plus lucide —l’informa Lumon—. Il dit que, si ce sont des saïjits, nous pouvons peut-être parvenir à un accord.
Dashvara le regarda fixement quelques instants. Puis il considéra la proposition de Zorvun. Quelle possibilité y avait-il pour que ces Naskrahs accèdent à parlementer et acceptent la reddition de Compassion ?
La pluie avait redoublé et le vent la poussait vers l’intérieur de la tour. S’il s’éloignait du bord, Dashvara allait perdre de vue les Naskrahs ; il se contenta donc de mettre sa capuche.
Peu après, les Naskrahs commencèrent à reculer. Il n’était pas facile de suivre leurs mouvements. Leurs capes les dissimulaient sacrément bien.
— Je ne crois pas qu’ils aient l’intention de parlementer, Lumon —soupira-t-il enfin—. En plus, si nous parlementons avec eux, nous sommes des hommes morts pour les fédérés.
Lumon ne discuta pas l’affirmation : elle était évidente pour tout Condamné. Dashvara se gratta la barbe, pensif. Peut-être que les Naskrahs ne pensaient pas attaquer cette nuit. À moins qu’il ne sorte de cette corde des esprits assassins capables de voler ou de traverser le bois pour venir les poignarder pendant leur sommeil. Un sourire sardonique étira ses lèvres. Parfois son imagination le terrifiait plus que tout.
Les Naskrahs furent plus rapides pour se retirer, comme s’ils étaient pressés de retourner dans les marécages. Finalement, la lisière demeura déserte, fouettée par le vent et la pluie glacée. Dashvara s’écarta de la rambarde au moment où Lumon sifflait :
— Le nord !
Il se tourna brusquement et plissa les yeux. Il pleuvait à verse, comment Lumon parvenait-il à voir quelque chose ?
— Qu’est-ce qu’il se passe au nord ? —répliqua-t-il.
— Je ne sais pas —avoua Lumon—. J’ai vu une lumière. Mais je ne pourrais pas le jurer.
Dashvara se tendit. Si les Naskrahs avaient traversé la palissade plus au nord, leurs tranchées et leurs réparations n’allaient pas leur servir à grand-chose.
Finalement il vit une lumière. Non, pas seulement une lumière. Des dizaines. Plusieurs dizaines. L’eau ne semblait pas les affecter. Juché sur la tour de guet, Dashvara eut l’impression que les étoiles étaient tombées du ciel avec la pluie. Durant quelques secondes, il fut incapable de parler et il constata que Lumon tardait lui aussi à réagir.
— Nous sonnons l’alarme ? —demanda enfin l’Archer d’une voix rauque.
Dashvara le regarda sans savoir quoi répondre. C’était Lumon qui était censé être le chef de patrouille, pas lui.
— Si nous sonnions quelques coups, qu’en penses-tu ? —dit-il enfin—. Après tout, s’ils viennent avec tant de lumière, c’est qu’ils veulent qu’on les voie. —Il marqua un temps d’arrêt—. Je vais descendre. Combien de lumières comptes-tu ?
La réponse de Lumon vint comme un murmure moribond :
— Beaucoup. —Puis après quelques secondes— : Trop.
Les mains de Dashvara transpiraient fébrilement. Il essaya de les sécher sur ses vêtements, mais ceux-ci étaient déjà trempés par la pluie.
— Bon —dit-il avec une voix d’outre-tombe—. Au moins, nous avons un cheval. Peut-être que nous pourrons y faire monter les Triplés. Ils ne pèsent pas bien lourd. —Il déglutit. Essaie de les faire monter de force et ils te tordront le cou, Dash. Tu les connais : ils ne vont pas vouloir partir. Il jeta un coup d’œil vers les marécages. Ils étaient curieusement silencieux. Ils doivent avoir mis cette sorte de corde pour s’assurer que nous ne nous replierons pas vers les arbres. Une corde magique ou que sais-je. Les fédérés les avaient équipés pour se défendre contre les orcs et les milfides. Pas contre des magiciens. Pas contre une armée. Soudain, il ressentit l’urgence de faire quelque chose—. Je vais descendre —répéta-t-il—. Sonne deux coups et avertis au cas où ils attaqueraient aussi de l’est ou du sud.
— Pour quoi faire, Dash ? —lança Lumon tandis que Dashvara commençait déjà à descendre.
— Comment ?
Lumon expliqua :
— Je veux dire, pourquoi avertir ? De toute façon, si nous sommes attaqués par ça ne serait-ce que d’un côté, nous allons déjà être massacrés. —Il avait repris son ton calme et une profonde résignation vibrait maintenant dans sa voix. Il ne voyait pas d’échappatoire.
— Bah —dit Dashvara. Il réfléchit quelques secondes et répéta— : Bah. Tu as raison. Descends si tu veux. Comme ça tu ne rateras pas la bataille finale des Xalyas.
Cela fait très solennel, dit comme ça, hein ? Il sourit ironiquement tout en continuant à descendre.
Une semaine… Ils avaient passé trois ans dans ce trou et, pour une seule semaine, une seule petite semaine, ils allaient devoir mourir loin de la steppe et être dévorés par les milfides, les mouches et les corbeaux. Quel exploit.
Tu te sens toujours fier de moi, capitaine ? Je suppose que oui. De moi et de nous tous. Nous avons survécu au siège du donjon choisissant à contrecœur la vie plutôt que la mort, nous avons vécu autant que nous avons pu et, maintenant, comme diraient les Essiméens, la Mort rappelle ses brebis égarées à la bergerie. Les choses sont ce qu’elles sont. Je suis désolé pour toi, Rowyn. J’ai la funeste impression que les Frères de la Perle n’ont fait que sauver des cadavres. Mais, bon, tout compte fait, les Condamnés ont toujours été condamnés à mort. Bonne chance avec votre travail, quel qu’il soit, Duc.
Deux coups d’alarme retentirent. Grommelant, Dashvara chassa son requiem d’adieu comme on chasse une mouche gênante. Quand il atterrit en bas, ses compagnons sortaient déjà de la baraque, armés jusqu’aux dents. Il vit même la plupart des malades sur pied. Zorvun était assis sur une chaise sur l’estrade, sous la pluie battante, blanc comme une statue de marbre.
— Ils arrivent par le nord ! —s’écria Dashvara, quand il eut contourné la tranchée—. Ils sont plus de cent. Peut-être beaucoup plus. Ce ne sont probablement pas des orcs. Ils portent des lumières bleues. Beaucoup. Ça doit être des lanternes parce qu’elles ne s’éteignent pas avec la pluie.
Le capitaine acquiesça. Il semblait sur le point de s’évanouir.
— Sédrios ? —appela-t-il—. Tu sais ce qu’il te reste à faire.
Le Vieux hocha la tête et Dashvara le vit entrer de nouveau dans la baraque. Il ressortit immédiatement avec une toile blanche attachée à une lance. Dashvara écarquilla les yeux. Le blanc était la couleur de la guerre pour les Xalyas mais, pour les fédérés, c’était la couleur de la paix. Allez savoir ce que signifie le blanc pour ces Naskrahs… Si jamais ils réussissent à voir la couleur du drapeau.
Bah, de toutes façons, on ne perdait rien à essayer de parler, même si on leur répondait avec des cris de guerre, des flèches et des coups de hache. Eux se comporteraient de façon civilisée et ils tenteraient de parlementer.
Dashvara sourit et sentit alors que ses nerfs se détendaient, que son cœur se tranquillisait… Typiques symptômes de l’homme qui voit la fatalité lui tomber dessus.
Il rejoignit Tsu et le vit là, debout, inexpressif à part un léger tremblement dans sa main qui empoignait l’épée. Il secoua la tête. Le drow ne savait pas lutter. De fait, le médecin lui avait même assuré qu’il ne pensait jamais empoigner une épée à moins que ce ne soit absolument nécessaire. Il lui tapota l’épaule, se rendant compte de la chance qu’il avait eu d’avoir connu un drow médecin de torture au si grand cœur.
— Alors, Tsu ? Comment te sens-tu à l’aube de ta première bataille ?
Le drow demeura inexpressif.
— Il fait nuit, Dash —intervint Makarva, feignant la désinvolture—. Le soleil ne se lèvera pas avant plusieurs heures.
Et nous ne le reverrons pas, Mak, c’est ce que tu veux dire, n’est-ce pas ?
Dashvara contempla les visages de ses frères, graves et troublés, ondulants de feu face aux torches. Zamoy le Chauve, d’habitude si bavard et exalté, agrippait ses sabres avec la tranquillité du combattant vétéran ; Miflin avait les yeux presque fermés et remuait les lèvres, récitant peut-être son dernier poème ; Makarva, lui qui était toujours attentif à ce qu’éprouvaient les autres, lui qui était si fort pour tous les berner quand ils jouaient, secouait maintenant la tête, méditatif, cherchant peut-être un sens à tout cela. Dashvara tourna son regard vers le rideau de pluie.
Il est trop tard pour chercher un sens à quoi que ce soit, Mak. Peut-être en a-t-il toujours été ainsi.
Il pensa à eux tous, à leurs années de patrouille dans la steppe, à leurs années à la Frontière… Des vingt-deux frères qui l’entouraient, tous sans exception étaient de dignes Xalyas de l’Oiseau Éternel. Tous, avec leurs défauts et leurs vertus, avaient derrière ces barbes et ces yeux durs un esprit radieux. Soudain, Dashvara sentit que son cœur se gonflait de fierté. Un brusque élan lui fit prendre la parole.
— Hommes de Xalya ! —prononça-t-il à voix haute. Il s’attira les yeux surpris de tous—. Étant donné que nos possibilités de sortir vivants sont pour ainsi dire inexistantes, je voudrais vous dire quelque chose à tous. —Il s’éclaircit la voix—. Pour varier, je commencerai par une évidence. Nous sommes des Xalyas. Cela signifie que nous sommes frères, pas par le sang, mais par nos idées et par l’affection que nous nous portons les uns aux autres. Nous sommes frères parce que nous avons confiance en nous, et nous sommes Xalyas parce que nous avons foi en notre plume et en notre Oiseau Éternel. Une fois dite cette évidence, je voulais vous dire que, même si la logique me dit que nous devrions être terriblement désespérés, je me sens heureux —il sourit—. Ne vous est-il jamais arrivé de vous sentir si heureux que vous en venez à penser absurdement : « bon, si je meurs maintenant, ma vie aura été complète » ? Eh bien, c’est ce que je ressens tout de suite. Je sens que, vu notre destin, je ne pourrais avoir trouvé de meilleure façon de mourir que de mourir sur un tas de boue avec vingt-deux frères et un drapeau plus sale que blanc. —Il rit doucement—. Je sens que tout ce que j’ai vécu, les bonnes choses comme les mauvaises, je ne les changerais pas pour une longue vie de fédéré. Cela ne signifie pas que je ne vais pas regretter bien des choses, mais je le fais à la manière d’un vieil homme qui abandonne son existence en sachant que son devoir est de l’abandonner, pour le bien des lois naturelles. Et je voulais vous dire, avec tout ça, que je vous aime tous de telle manière qu’il n’existe pas de mot dans le dictionnaire de l’inspecteur Rondouillard pour le décrire et… —Il perdit son souffle, toussa et avala du sang—. Diables, frères, s’il est vrai qu’il existe une vie après la mort comme l’affirment les républicains, soyez heureux.
Il inspira bruyamment et ce ne fut pas le seul, loin de là. Makarva et Zamoy, plus expressifs, séchèrent leurs larmes. Le capitaine cligna des paupières. Miflin murmura un vers que seule la pluie entendit. Sashava poussa un feulement.
— Oiseau Éternel, mon garçon ! —grogna-t-il—. Nous ne sommes pas encore morts.
Dashvara avala sa salive mêlée à de l’eau salée. Il ne parvint pas à se sentir honteux de ce qu’il avait dit parce que c’était vrai et, en plus, justement, ils allaient mourir.
— Si nous étions morts, Sashava, je n’aurais pas pu faire mon discours de Philosophe.
Plusieurs laissèrent échapper des rires. Et ce n’étaient pas des rires nerveux : à présent, tous les Xalyas se redressaient, même les malades, et l’assurance étincelait dans leurs yeux. L’assurance de savoir que, même s’ils mouraient, personne ne leur ôterait ce qu’ils avaient vécu.
Quelle belle consolation, pensa Dashvara avec ironie.
Mais c’était tout ce que pouvait leur donner le seigneur de la steppe cette nuit-là.
Alors, doucement, il entendit Alta entonner une chanson qu’il n’avait pas entendue depuis très longtemps, depuis la chute du Donjon, quand les soldats xalyas avaient juré devant le seigneur Vifkan de ne pas se rendre et de lutter jusqu’à la fin, jusqu’à ce que meure le dernier descendant des anciens clans. Ironiquement, ceux qui entonnaient à nouveau l’hymne étaient les seuls à ne pas avoir tenu leur serment. Bientôt, presque tous s’unirent au chant.
Chevauche, mon frère, chevauche,
Que le soleil rayonne sur ton chemin
Et ouvre les portes closes
À ton Oiseau Éternel en son sein.
Dans ton cœur et ton pays,
Trace ton propre destin,
Honore ton clan par l’amour
Et la force de ton esprit.
Chevauche, mon frère, chevauche,
Vers le cruel ennemi.
S’il veut dérober mon âme,
Mes sabres seront mon cri.
Pour la liberté nous luttons,
Pour la famille nous mourons.
Ni par peur ni par couardise,
Ni par bassesse nous nous rendons.
Notre Oiseau Éternel
Ne consent pas l’égoïsme.
Nous sommes Xalyas, nous sommes guerriers,
Nous sommes des sages les héritiers.
Âmes féroces de la steppe,
Nous, descendants des Anciens,
Nous arracherons la vie
Aux barbares et assassins.
Pour la paix de la famille
Chevauchons dignes jusqu’à la fin !
Quelques secondes après que la dernière note des Xalyas mourut à Compassion, Dashvara se rendit compte que la pluie avait presque cessé de tomber. C’est alors qu’il discerna le bruit caractéristique de sabots frappant la terre humide. La lumière de deux lanternes surgit d’entre les ténèbres.
— Des chevaux —murmura Maltagwa.
— Quatre —compta Lumon—. Et un étendard.
Les cavaliers se présentèrent devant eux avant qu’ils aient le temps de très bien comprendre ce qu’il se passait.
— Le capitaine Faag salue les Condamnés de Compassion ! —s’écria d’une voix puissante le héraut qui portait l’étendard.
Les vingt-trois Xalyas le dévisagèrent, stupéfaits. Dashvara aurait juré que la Grâce de la Compassion en personne était venue les secourir.