Accueil. Cycle de Shaedra, Tome 7: L'esprit Sans Nom
Il me suffit d’entendre quelques histoires de plus sur Kyissé pour comprendre que tout cela n’était qu’un leurre. Effectivement, j’avais déjà entendu la légende sur la dernière Klanez. Une entre tant de mythes existants. Et comme Kyissé était assez convaincante, on l’avait utilisée pour monter toute une scène autour d’elle et disséminer aux quatre vents qu’à Dumblor vivait la très douce Fleur du Nord, la guérisseuse de tous les maux. J’avais du mal à croire qu’en si peu de semaines, le gouverneur ou qui que ce soit ait décidé de faire de Dumblor le centre d’attraction des Souterrains pour une simple fillette.
Kyissé se réjouit beaucoup de nous voir. Et moi aussi. Mais la vie dans ce palais était réellement ennuyeuse et, bien qu’il ne fasse pas froid et qu’il n’y ait ni chaînes ni grilles, j’avais l’impression de ne pas avoir quitté la prison. Tout d’abord, pas moins de cinq femmes m’attaquèrent pour m’habiller et me peigner. Syu, en voyant le résultat, fut scandalisé en s’apercevant que toutes ses tresses avaient disparu, remplacées par d’autres plus grosses et élégantes soutenues par un anneau de métal qui couronnait une tête de terniane de mauvaise humeur.
Aryès aussi fut tourmenté pendant des heures et, finalement, lorsque nous nous retrouvâmes dans les couloirs, nous nous contemplâmes, stupéfaits.
— C’est toi ? —demandai-je, impressionnée.
Aryès, avec ses cheveux blancs attachés dans le dos, était vêtu d’une chemise blanche et de pantalons noirs serrés qui lui donnaient un air de flamant. Il se mit alors à rire.
— Mille dragons et quatre chats ! —s’écria-t-il—. Qui a choisi cette robe ?
Je soupirai patiemment et je baissai les yeux sur ma robe mauve. Elle était un tant soi peu exagérée et luxueuse, c’est un fait, mais pas tant que ça, pensai-je, rougissante.
— Tu peux parler —répliquai-je—. C’est quoi ces broderies dorées ? Attends un moment. Et cette cape ? On te prendrait pour un roi.
Aryès souffla, en regardant sa cape dorée.
— On m’a même obligé à enlever Bourrasque —grogna-t-il, en sortant de son sac le foulard bleu et en l’attachant autour de son cou—. En réalité, la robe te va à merveille —ajouta-t-il, avec un grand sourire.
Je lui rendis son sourire et je le pris par le bras.
— Comportons-nous tels un roi et une reine dans ces circonstances si dramatiques —fis-je solennellement.
Nous avançâmes dans le couloir et nous nous perdîmes dans les galeries et les pièces. Pour nous orienter, nous dûmes demander de l’aide à une vieille femme que nous trouvâmes dans une cour intérieure, en train d’arroser des plantes, et qui nous indiqua aimablement le chemin vers le Salon de la Perle, qui était une sorte de Grande Salle.
Dans le palais, vivaient de nombreuses familles et leurs membres se promenaient dans les couloirs et les salons, entre rires et commérages. On nous avait attribué une chambre non loin de celle de Kyissé. Elle donnait sur une cour intérieure que nous partagions avec une famille de sept enfants, un secrétaire du palais et une dame muette du nom de Munassa, aux cheveux d’un bleu brillant : une personne charmante qui, dès le premier moment, nous avait souhaité la bienvenue et nous avait préparé une infusion délicieuse sans que nous puissions néanmoins deviner avec quelles plantes elle l’avait faite.
Finalement, nous nous étions réjouis de savoir que nous n’allions pas être pendus pour avoir coudoyé des vampires, mais les préoccupations étaient toujours là. Où était Frundis ? L’elfe noire à la tunique rouge qui nous avait conduits au palais et que certains surnommaient discrètement « la Feugatine » avait été incapable de répondre à mes questions. Et j’aurais aussi aimé savoir ce qui était arrivé à Lénissu, Drakvian et Spaw.
En tout cas, pour le moment, Aryès et moi ne pouvions rien faire de plus que de nous assurer que Kyissé allait bien et, au début, il nous fut même difficile de la voir, car on importunait la pauvre fillette avec des bains, des réunions, des leçons et autres occupations et tortures, de sorte qu’à peine le tailleur la libérait, le maître de géographie ou le prêtre étiséen prenait sa place pour la tourmenter deux heures de plus.
La fillette parlait de mieux en mieux l’abrianais et, les rares moments où nous étions seuls, elle nous avouait, tout bas, comme si elle avait peur que les autres l’entendent, qu’elle voulait revoir Spaw, Drakvian et Lénissu et qu’elle n’aimait pas le palais parce qu’il y vivait des gens au cœur mauvais malgré leur doux parler et leurs visages souriants. La clairvoyance de la fillette m’étonnait et, parfois, je me demandais qui elle était réellement. Se pouvait-il que ce soit la Fleur du Nord, la dernière Klanez ? Comme je ne cessais d’entendre des conversations sur le sujet, je ne pouvais éviter d’envisager cette éventualité. Cependant, qu’elle le soit ou non, ceci n’avait pas d’importance et ne résolvait aucun problème puisque tous les trois, Kyissé incluse, nous voulions sortir de là.
Nous étions déjà enfermés depuis une semaine dans cette prison luxueuse lorsque la Feugatine commença aussi à nous martyriser Aryès et moi. Durant la première semaine du mois d’Épine, on organisait une importante cérémonie sur la place devant le Palais pour fêter la victoire de la bataille de Saukras. J’avais déjà entendu parler de cette bataille, dans quelques livres, mais je ne me souvenais pas des détails et la Feugatine nous donna toute une leçon sur le sujet. À ce que je compris, ça avait été une grande bataille qui avait marqué la défaite d’une union de peuples d’orcs noirs contre les Dumbloriens. L’elfe, à qui l’on avait malheureusement assigné la tâche de s’occuper de nous, eut l’idée de nous présenter comme les Sauveurs de la dernière Klanez. Aryès et moi, parés comme un prince et une princesse, nous rouspétâmes tellement que la Feugatine crut nécessaire de nous rappeler qu’il existait toujours une prison à Dumblor.
— Avant, nous étions plus tranquilles —ronchonna tout bas Aryès, tandis que nous nous dirigions en rechignant vers un imposant balcon où se tenaient des personnalités importantes.
De cette ample terrasse, on pouvait contempler une partie du mur lumineux de Dumblor, le clocher doré du Temple et la magnifique chambre de commerce en pierre rouge bombée. Au loin, en bas, sur la place du palais, s’étendait un flux de gens de toutes sortes avec leurs étals qui formaient des rues désorganisées. Je vis même plusieurs estrades avec des groupes de musiciens, des danseurs ou des acrobates et, au milieu, une grande plateforme avec un magnifique dais qui semblait attendre la présence du Conseil, de Kyissé et des Sauveurs. La rumeur des voix et des musiques joyeuses montait de la place et se mêlait aux conversations plus proches des gens de la terrasse. Parmi tant de visages, je reconnus Munassa, notre voisine, qui, en nous voyant, nous adressa un sourire sincère. Je me demandais encore qui elle était réellement.
— Ne restez pas en arrière, je vous en prie, chers Sauveurs —nous dit la Feugatine.
Aryès et moi, nous échangeâmes un regard sombre et nous avançâmes au milieu des présents.
— Fladia Leymush ! —s’écria joyeusement un homme d’âge avancé devant lequel la Feugatine s’arrêta afin de le saluer avec une profonde révérence.
— Bonjour, conseiller Dawkman —répondit-elle, avec naturel, en se redressant. Elle se tourna vers nous et, nous désignant d’un geste ample, elle dit, très satisfaite— : Je te présente les Sauveurs de la Dernière Klanez.
Une lueur d’amusement apparut dans les yeux du conseiller lorsqu’il nous examina. Tout un attroupement s’était formé autour de nous, en comprenant que nous étions les célèbres Sauveurs. La situation me semblait si absurde que je ne savais pas si me moquer d’eux ou partir en courant pour fuir ces adulateurs.
— Je vous le souhaite un peu tardivement, mais soyez les bienvenus —dit le conseiller en nous tendant la main.
Surprise, je lui pris la main en pensant que, sur certains points, les Dumbloriens ressemblaient davantage aux habitants d’Éshingra qu’à ceux d’Ajensoldra.
En serrant sa main, je sentis le contact froid de ses bagues. Le conseiller Dawkman sourit et, tendant la main vers Aryès, il demanda :
— Quelle sensation cela fait d’être soudain connus dans le monde entier ?
Dans le monde entier, me répétai-je, amusée. Pour le moment, je craignais que le monde se limite surtout à Dumblor.
— Oh, nous nous sentons comme des héros —répondit tranquillement Aryès.
— Et vous avez tout à fait raison ! —approuva-t-il, amusé—. Mesdames et messieurs, je vous présente les Sauveurs de la Fleur du Nord.
Il y eut un certain nombre d’applaudissements polis qui me stupéfièrent. Vraiment, tout ceci n’était rien d’autre qu’un spectacle. L’homme commença à nous présenter à d’autres personnes influentes qui, à peine nous avaient-elles salués, se désintéressaient de nous pour s’occuper de leurs affaires.
— Conseiller Dawkman —dis-je, alors—. Où est Kyissé ?
— La dernière Klanez —acquiesça-t-il, pour que tout le monde comprenne ma question—. En réalité, je ne sais pas si vous le savez, mais « Kyissé » est un mot de l’ancien tisekwa qui signifie « fille ». Oui, c’est ce que m’a expliqué un de mes amis expert en linguistique. Aussi, personne ne connaît son véritable nom, étant donné que, même elle, elle ne s’en souvient pas. Ne te tracasse pas —ajouta-t-il—, la petite va bientôt arriver. Elle se rendra sur la place et vous, vous l’accompagnerez.
— Ah. —Je secouai la tête, pensive—. Puis-je vous poser une question ?
— Bien sûr !
J’inspirai et je pris un air très grave.
— Comment savez-vous que Kyissé est réellement la dernière Klanez ?
Le conseiller sourit largement et ceux qui nous écoutaient l’imitèrent.
— Les experts celmistes l’ont tout de suite deviné —nous assura-t-il—. Elle a les mêmes yeux que sa grand-mère. Et elle sait utiliser les énergies. Il n’y a pas de doute possible. Et heureusement, car, si ce n’était pas le cas, nous aurions tous l’impression d’avoir été trompés —ajouta-t-il, en plaisantant.
Je réprimai une réplique sarcastique et je soupirai mentalement. Il valait mieux ne pas être trop sincère avec les inconnus.
Peu après, Aryès et moi, nous dûmes descendre sur la place pour accompagner Kyissé dans un défilé spectaculaire pour que tous puissent louer la Fleur du Nord. Je remarquai une pointe d’incrédulité de la part de certains, mais d’autres semblaient prêts à tout avaler et ils furent très émus en voyant surgir la fillette parée d’incroyables atours luxueux. Kyissé était beaucoup plus obéissante que nous. En fait, au bout d’un moment, fatigués d’une telle pantomime et d’un tel assaut de questions, Aryès et moi, nous commençâmes à faire des commentaires théâtraux et invraisemblables sur les dangers qui nous avaient guettés avant de parvenir enfin à Dumblor, tout en gardant un sérieux inébranlable. Nous n’oubliâmes pas de raconter à quel point nous avions été merveilleusement accueillis, avec des montagnes d’habits. La Feugatine perdit alors patience.
— Allez en paix, Sauveurs, allez vous reposer —grommela-t-elle finalement, exaspérée—. Nous parlerons de tout cela plus tard.
Elle n’eut pas besoin de nous supplier. Nous nous éclipsâmes aussi vite que nous le pûmes, marchant rapidement au milieu des participants de la fête. L’homme qui protégeait la Feugatine nous interpela et je retins une moue en voyant qu’il voulait nous accompagner jusqu’à l’édifice principal du palais.
Je murmurai à Aryès :
— Et moi qui voulais me défiler pour aller chercher Frundis.
— Une mauvaise idée —répliqua-t-il, en secouant la tête—. S’ils t’attrapent, nous pourrions être renvoyés en prison. Pensons avec calme, Shaedra. Ne vaut-il pas mieux attendre un jour où Kyissé ne soit pas le centre d’attention, pour sortir tous les trois de cette impasse ? Nous pouvons aussi nous enfuir tous les deux. Nous cherchons Lénissu et ensuite nous enlevons Kyissé. En tout cas, je t’assure que je ne peux pas la laisser entre les mains de ces personnes.
Je réfléchis rapidement. Aryès avait raison. Cela ne servait à rien de fuir juste pour aller chercher Frundis. Or, pour nous enfuir définitivement, nous avions besoin de l’aide de Lénissu, sinon, n’importe quel pisteur serait capable de nous trouver en moins d’une heure. Mais comment pouvais-je communiquer avec Lénissu sans m’éloigner du palais ?
Il se trouva qu’à cet instant j’aperçus Asten. Je sentis aussitôt une vague d’espoir. Asten revêtait l’uniforme noir des gardes spéciaux et il portait à la ceinture une épée avec un fourreau magnifiquement orné. La jeune dame qu’il suivait devait être cette femme de conseiller dont il nous avait parlé.
— Asten —dis-je à Aryès, avec un geste discret.
Il comprit tout de suite mes intentions, et nous déviâmes légèrement du chemin, nous dirigeant vers l’elfe de la terre. Je remarquai que notre « protecteur » fronçait les sourcils, soupçonneux. Nous contournâmes un spectacle d’acrobaties et une exposition d’art et, alors, Asten nous aperçut lui aussi. Il secoua négativement la tête, très discrètement, et il s’intéressa de nouveau à la personne qu’il protégeait. Nous ralentîmes le pas. Il était clair que ni lui ni nous n’avions intérêt à ce que quelqu’un sache que nous nous connaissions. Mais, maintenant qu’il nous avait vus, Asten irait certainement le dire à Lénissu…
Je me raclai la gorge.
— Tu crois que nous pouvons espérer qu’il parlera de notre problème à Lénissu ? —m’enquis-je, dubitative, en chuchotant.
Aryès réprima difficilement un sourire.
— Connaissant Lénissu, il est sûrement déjà au courant de notre problème depuis le début —répliqua-t-il.
Je roulai les yeux.
— C’est vrai. Mais on dirait qu’il n’a encore trouvé aucune solution pour nous sortir de là. Peut-être que nous devrions l’aider et sortir par nos propres moyens.
— Sincèrement, je crois qu’il vaudra mieux attendre que Lénissu ait un plan, car, sinon, je doute que nous parvenions à quoi que ce soit. Une chose est de sortir du palais. Ça en est une autre de sortir de Dumblor sans arme ni rien et de risquer de se faire dévorer par une bande de hawis.
— Ou pire, nous pourrions être saignés par un vampire —ajoutai-je, amusée—. Tu as raison. Vu la situation, je préfère être une Sauveuse.
Nous revînmes au palais, suivis de notre ombre protectrice. Nous allions entrer par la porte principale, mais, alors, les gardes nous arrêtèrent.
— Vous êtes du palais ? —demanda l’un des gardes, en essayant de ne pas paraître trop inquisiteur.
— Ce sont les Sauveurs de la Dernière Klanez —expliqua l’homme vêtu de noir qui venait de nous rattraper.
Le garde, sans mettre en doute son affirmation, ouvrit grand les yeux, il s’écarta d’un bond pour nous laisser passer et il s’inclina profondément devant nous, en disant sur un ton empreint d’humilité :
— Veuillez nous excuser.
Je réprimai un gros soupir. Vraiment, je ne savais pas qui s’était chargé de répandre la nouvelle sur la Klanez et les Sauveurs, mais il avait réalisé un excellent travail.
À l’entrée, notre espion prit congé de nous aimablement, en peu de mots, et il nous laissa seuls. Plongés tous deux dans nos pensées, nous parcourûmes les couloirs et les escaliers qui menaient à notre chambre. Soudain, j’entendis des claquements et un :
“Bonjour, ma chérie.”
Je poussai un cri étouffé de surprise et Aryès me saisit le bras, alarmé.
— Que se passe-t-il ? —demanda-t-il.
— C’est… Zaïx —murmurai-je dans un souffle.
“Je serai rapide”, dit Zaïx. “Je venais simplement vérifier que tu étais toujours en vie. N’oublie pas de venir me rendre visite, un de ces jours. Au fait, est-ce que ton protecteur prend bien soin de toi ? Prends soin de lui aussi, hein ?”, poursuivit-il, sans me laisser répondre. “Tu comprends, c’est comme si c’était mon propre fils. Prenez soin de vous.”
Sa présence disparut et je restai un moment perplexe. Je secouai la tête, en me demandant si un jour Zaïx et moi, nous réussirions à avoir une conversation moins fulgurante. C’était comme s’il m’avait transmis un message mental sans se préoccuper d’obtenir la moindre réponse. Il ne se serait aperçu de rien si j’avais été entourée de squelettes malveillants.
Aryès me lâcha le bras, en voyant qu’il n’arrivait rien de grave, et il déclara :
— Avant tout, entrons dans la chambre.
— Boh —dis-je, en haussant les épaules—. Il n’y a rien de nouveau. Il est venu et il est reparti.
À ce moment, Syu apparut en courant à toute vitesse dans le couloir. Je le regardai, voyant qu’il se passait quelque chose…
“Shaedra !”, s’écria-t-il, avec un soulagement manifeste. “Ils me poursuivent !”
“Comment ça ? Qui te poursuit ?”, demandai-je. Je tournai mon regard vers le bout du couloir. Personne ne semblait le poursuivre. En voyant qu’Aryès m’imitait, je compris que Syu nous avait parlé à tous deux.
“J’ai réussi à les semer”, m’expliqua le singe, en entrant avec nous dans la chambre. “Mais, ne me dis pas que tu n’as rien remarqué ?” Je le regardai et je fis non de la tête, sans comprendre. Syu laissa échapper un grognement. “Ma cape !”, déclara-t-il, avec une soudaine rage. “Ils me l’ont volée.”
Je demeurai bouche bée. Bien sûr ! Je comprenais maintenant pourquoi il m’avait semblé qu’il manquait quelque chose au singe.
— Nous la récupérerons —lui promis-je.
— Vraiment, il ressemble de plus en plus à Spaw avec sa cape —observa Aryès, avec un petit sourire, en ôtant les élégantes et incommodes bottes qu’on lui avait imposées pour la cérémonie—. Qui te poursuit, Syu ?
On entendit des rires dans le couloir et Syu feula, comme un chat en colère.
“C’est eux”, acquiesça-t-il.
Sans y réfléchir à deux fois, je rouvris la porte de la chambre pour voir quatre gamins d’une douzaine d’années, vêtus pour la cérémonie, qui avançaient en plaisantant avec des airs espiègles. Je plissai les yeux.
— Que vas-tu faire ? —me demanda Aryès depuis l’intérieur sur un ton prudent.
J’ignorai sa question et je me postai fermement devant les quatre voleurs.
— Avez-vous volé la cape d’un singe, il y a peu ? —interrogeai-je, menaçante.
Les enfants échangèrent des regards et alors, ils se mirent à rire, très amusés. Je sentis subitement un grand désir d’éduquer ces garnements et, d’un geste rapide dont le maître Dinyu aurait été fier, j’attrapai celui qui était le plus près par le bras, plus pour l’effrayer et lui imposer le respect que pour lui faire mal.
— Je ne plaisante pas, vous comprenez ? —sifflai-je—. Rendez tout de suite la cape ou vous aurez des problèmes.
Tous les quatre me regardèrent, stupéfaits. Ils n’avaient plus envie de rire.
— Quelle cape ? —demanda alors l’un des enfants.
La question me fit l’effet d’un coup de poing dans le ventre.
“Syu ?”, prononçai-je, la bouche sèche. “Tu es sûre que c’étaient eux ?”
“Absolument sûr”, affirma Syu, en sautant sur mon épaule et en tirant la langue aux quatre petits bandits.
— Le singe a perdu sa cape ? —fit le gamin que je tenais par le bras—. Le singe est à toi ?
Les maudits garnements recommençaient à rire.
— Comment osez-vous importuner la Sauveuse ? —fit la voix d’Aryès derrière moi—. Rendez la cape, bande de lâches. C’est un ordre.
Je fus impressionnée de voir que ses paroles étaient beaucoup plus efficaces que mes menaces. L’un des voleurs sortit la cape verte du singe, l’agita devant nous et, avec un rire stupide, il partit en courant dans le couloir. J’échangeai un regard irrité avec Aryès. Alors, prenant appui contre le mur, je bondis, je passai par-dessus la bande en entendant les protestations de Syu, qui s’agrippait à mon cou, je fis plusieurs pirouettes malgré ma robe et j’atterris devant ma proie.
“Tu es pire qu’un jeune gawalt”, grogna Syu, en se reprenant rapidement cependant.
Ébahi, le gamin devint livide comme la mort, et je crus qu’il allait s’évanouir, mais non. Il bredouilla simplement :
— Comment… comment… ?
Sans un mot, je tendis une main calme vers la petite cape que j’avais offerte à Syu, il y avait longtemps déjà. Comme il ne réagissait pas, je la lui pris des mains et je la passai au singe, qui se l’attacha autour du cou avec un geste fier.
“Je lui pardonne sa stupidité”, déclara-t-il, magnanime. Je souris mentalement.
— Tu as de la chance que le singe te pardonne tes espiègleries —dis-je, grandiloquente—. Et maintenant va-t’en.
Le garçon tourna la tête et s’aperçut, atterré, que ses amis étaient déjà partis en courant, l’abandonnant à son sort. Il prit la poudre d’escampette, sans plus attendre.
“Na !”, fis-je, enthousiaste, tout en retournant dans la chambre avec de petits bonds joyeux et en disant : “Tu as vu, Syu, eh ? Qu’est-ce qu’on dit ?”
Le singe et Aryès roulèrent les yeux en voyant mon évidente satisfaction.
— À présent, on pourra vraiment t’appeler la Sauveuse —approuva Aryès, moqueur.
J’entendis le petit rire de singe de Syu et je me raclai la gorge, amusée.
— Il faut bien commencer par quelque chose. Aujourd’hui, c’est une cape, demain, ce sera le monde —assurai-je, avec des airs de prophète.
Aryès joignit les mains sous son menton et déclara :
— Si l’on sortait cette phrase demain pour clôturer la cérémonie, on nous couvrirait d’or. Mais avant de sauver le monde, allons dîner.
J’acquiesçai et je lui fis remarquer :
— Moi à ta place, je mettrais des bottes.