Accueil. Cycle de Shaedra, Tome 4: La Porte des Démons

11 Vaches et sauriens

Sotkins bougea légèrement les mains et se déplaça. Nous tournâmes autour du terrain ; je la vis alors esquisser une offensive et je n’hésitai pas : je bondis sur la gauche en faisant une pirouette oblique pour frapper avec le pied, mais Sotkins avait aussitôt esquivé l’attaque et, cette fois, c’était elle qui m’attaquait. J’évitai miraculeusement le coup et, toutes deux, nous retombâmes sur nos pieds. Nous nous regardâmes dans les yeux, d’un air de défi, et nous nous reconcentrâmes.

Non loin, Ozwil et Zahg faisaient de grands mouvements et s’affrontaient avec acharnement. Galgarrios essayait de ne pas faire mal à Laya tandis que celle-ci se décourageait, lui assénant des coups qu’il ressentait à peine. Yeysa et Révis, par contre, étaient très concentrés parce que Révis, quoique robuste, ne l’était pas autant que la monstrueuse humaine et il ne souhaitait pas mordre la poussière, de sorte qu’il avait été obligé de suivre correctement les conseils du maître Dinyu sur l’évasion dans le combat. Quant à moi, Sotkins était en train de me laisser sans souffle et elle ne semblait jamais se fatiguer. Lorsqu’elle décida d’attaquer, je me préparai, je me baissai et je réalisai un mouvement compliqué de mon invention qui la prit totalement au dépourvu. Mon coup sur la cheville la fit vaciller, mais elle ne tomba pas. Par contre, moi, je dus faire une culbute pour m’éloigner d’elle. Sotkins n’attendit pas, mais je réussis à éviter son coup de pied et je me relevai d’un bond, en contre-attaquant pour qu’elle se calme un peu.

Alors, à l’improviste, Sotkins m’attrapa par les cheveux et me les tira. Je criai de douleur et elle en profita pour me donner un coup de genou.

— Je me rends ! —fis-je, en haletant, me prenant les cheveux pour qu’elle cesse de me les tirer.

Sotkins me lâcha les cheveux et sourit tranquillement.

— Tu es rapide, mais pas suffisamment. Et tu devrais t’attacher les cheveux —dit-elle, en me tournant le dos.

Je fis un pas de côté, pour éviter un coup qu’Ozwil pensait adresser à Zahg, et je me dirigeai vers le bord du terrain. De l’autre côté, je vis Sotkins s’arrêter près du maître Dinyu et lui parler. Va savoir ce qu’elle pouvait bien lui dire, pensai-je.

Avec un sourire, je vis que Laya était appuyée sur l’épaule de Galgarrios, en train d’essayer de récupérer un rythme de respiration normal. Apprendre à combattre n’était pas ce qui me plaisait le plus, mais, heureusement pour moi, je me débrouillais mieux que Laya. Je vis Aryès assis sur l’herbe, le regard perdu, occupé à pratiquer ses leçons bréjiques. Comme l’avait averti le maître Dinyu, son apprentissage reposait surtout sur une pratique individuelle et sur la lecture de livres d’histoire et d’études sur l’énergie bréjique. C’était ce qu’on enseignait aux élèves bréjiques des pagodes ajensoldranaises. Je me rappelais qu’à Dathrun, on ne l’enseignait pas de la même manière. Rathrin étudiait l’énergie bréjique et, lorsqu’il parlait de ses études, il semblait qu’un étudiant bréjique avait constamment besoin d’un professeur auprès de lui pour ne pas perdre les pédales. Le docteur Bazundir m’avait enseigné plus d’une chose sur l’énergie bréjique et, à vrai dire, davantage que ce que j’avais appris à la Pagode Bleue toutes ces dernières années, mais il ne m’avait jamais appris à contrôler l’énergie proprement dite. Maintenant, je comprenais le problème dans l’éducation de Dathrun : ce qui manquait aux élèves, c’était de savoir maintenir l’équilibre énergétique, ce que les élèves des Pagodes apprenaient depuis l’âge néru.

Je m’approchai d’Aryès et je m’assis à côté de lui, tout en observant les combats et en attendant que l’un d’eux termine pour changer de partenaire : j’avais combattu toute la matinée avec Sotkins et j’avais les muscles tout endoloris.

— Hier, j’ai parlé à Dol —dit soudain Aryès, en sortant de son mutisme, mais tout en gardant son immobilité et son air concentré—. Et il dit que les Chats Noirs ne sont pas du tout les mêmes qu’il y a dix ans.

Je haussai un sourcil.

— Il dit qu’il n’a pas pu obtenir plus d’informations pour le moment —ajouta-t-il—. Je crois qu’il connaît des anciens membres des Chats Noirs et qu’il a dû se renseigner auprès d’eux.

J’acquiesçai.

— Probablement. Quoique, cela m’étonnerait que Dol ait d’aussi bons contacts que Lénissu —ajoutai-je, avec un sourire ironique qui disparut lorsque je pensai à mon oncle—. Cela fait déjà vingt jours que Dol essaie de trouver les Chats Noirs, ce sont huit jours de plus que prévu et les choses ne semblent pas avancer —soupirai-je—. Mais, au moins, il n’y a pas de mauvaises nouvelles non plus.

— Déria dit que nous pourrions demander de l’aide à Marévor Helith —fit Aryès, en souriant légèrement.

Je soufflai.

— Marévor Helith doit me maudire d’avoir perdu le shuamir. Et Lénissu et lui ne semblaient pas si bien s’entendre. Tu sais ? Je n’ai toujours pas trouvé un seul livre à la bibliothèque où apparaisse le mot « eshayris ».

— Quoi ? —dit Aryès, en se tournant vers moi, étonné—. C’est quoi, les eshayris ?

— Tu ne te souviens pas ? Lénissu en faisait partie. Marévor Helith lui a demandé s’il avait l’intention de redevenir un eshayri. Et Lénissu lui a répondu que non. J’ai déjà demandé plus d’une fois à mon oncle, mais il adore les secrets et je ne sais toujours pas ce que c’est.

— Tu aurais dû me demander avant, je t’aurais aidée à chercher. As-tu demandé à Aléria ? Elle sait sûrement de quoi il s’agit.

J’acquiesçai de la tête.

— Je lui ai demandé. Mais non. Elle ne sait pas. À mon avis, ce doit être quelque chose de très peu connu. Quoique, si un nakrus y accorde de l’importance, cela donne matière à réflexion —observai-je—. De toutes façons, pour le moment, tout cela n’est pas essentiel. Bon —fis-je, en me levant—. Je vais lutter avec Galgarrios, je crois que Laya s’est rendue. Bon exercice, Aryès.

Je m’éloignai et, en entrant sur le terrain, je remarquai que le maître Dinyu et Sotkins étaient absorbés dans une conversation apparemment très intéressante. Laya passa à côté de moi en soufflant bruyamment.

— Bonne chance, Shaedra. Moi, je n’en peux plus !

Je fus surprise qu’elle me parle avec autant de naturel, parce que cela faisait des jours que Laya ne m’adressait plus la parole, comme beaucoup d’autres qui me parlaient à peine, pour les mêmes raisons qui avaient mené Akyn à discuter avec son père sur son droit à choisir ses amitiés. Ma réputation avait tout l’air d’être descendue en piqué, mais je n’avais pas le temps d’y penser et je me fichais des personnes capables d’écouter les balivernes de Marelta Pessus.

Laya devait être vraiment épuisée, pensai-je, en m’approchant de Galgarrios. Le caïte me sourit.

— J’espère ne pas avoir à te soutenir, toi aussi —fit-il.

— Ah ! —répliquai-je, les mains sur les hanches—. À moins que ce ne soit moi qui doive te soutenir, espèce de prétentieux !

Et nous nous mîmes en position. J’évitai plusieurs coups de Galgarrios et j’observai que le caïte, comme d’habitude, tâchait de ne pas donner trop de force à son bras. Mais il ne m’atteignit pas une seule fois. Par contre, moi, je me déplaçai constamment et à toute vitesse, de sorte que Galgarrios se plaignit de vertige et je le laissai se remettre pendant quelques secondes avant de l’attaquer avec un cri sauvage, de bondir et de passer par-dessus lui. Je le saluai avec respect et je m’esclaffai en le voyant se retourner, comme me cherchant du regard.

— Galgarrios ! —dis-je, en riant—. Cesse de te préoccuper de savoir si tu vas me faire mal ou non, je ne vais pas mourir si je reçois un coup, mais je doute que j’en reçoive un —ajoutai-je.

Galgarrios prit un air hésitant.

— Je ne voudrais pas te faire mal —admit-il.

— Moi non plus —lui répliquai-je tranquillement—, mais on dirait que tu penses plus à ne pas me faire mal qu’à essayer de bien faire et, du coup, tu ne te concentres pas.

— D’accord —céda Galgarrios, l’air décidé, en levant les poings—. Allons-y.

Je lui adressai un grand sourire et j’attaquai, j’évitai une série de coups de poing et nous tournâmes et tournâmes, parant nos attaques. Je vis que Galgarrios commençait à fatiguer. Alors, je remarquai qu’il était déconcentré et je pris mon élan à toute vitesse, j’atterris sur ses épaules et je lui pinçai le nez.

— J’ai gagné ! —fis-je, en riant aux éclats, pendant que, Galgarrios, la voix nasalisée, protestait et soufflait.

Je me laissai glisser à terre avec un grand sourire, en chantonnant. J’entendis des rires et je vis que le maître Dinyu riait de mon attaque peu traditionnelle. Sotkins avait un sourire amusé sur les lèvres.

— Un joli coup, Shaedra ! —me félicita le maître Dinyu, en se levant tranquillement et en défroissant sa tunique noire—. Je suis curieux de savoir, où as-tu appris à sauter comme ça ?

— À sauter ? —répétai-je, en fronçant les sourcils—. Hum. À Roche-Grande, peut-être ?

— Roche-Grande ? —répéta le maître Dinyu, sans comprendre.

— La Garderie —expliqua Yeysa, après avoir donné un coup de poing à Révis et l’avoir envoyé à trois mètres de distance—. C’est au sud d’Ato, sur la rive du Tonnerre. C’est un endroit où jouent certains nérus.

Son ton n’était pas spécialement flatteur et je fronçai les sourcils, contrariée.

— Je comprends —dit le maître Dinyu, en souriant—. Cela explique pourquoi, lorsque vous combattez, Galgarrios et toi, tout semble pur divertissement. —Je me mordis la lèvre, en rougissant, mais il ajouta— : Mais, en définitive, le har-kar devrait toujours être un pur divertissement. —Il nous observa tous, puis son regard revint se poser sur moi—. Sotkins me disait que, quand elle luttait contre toi, elle était toujours déconcentrée par ton jaïpu. Et il est vrai que ton jaïpu est inhabituel.

Je rougis.

— Oui… c’est que j’ai l’habitude de fondre le jaïpu avec le morjas —avouai-je.

Le maître Dinyu, sans perdre sa sérénité, acquiesça de la tête, pensivement.

— Ça aussi, tu l’as appris à Roche-Grande ? —me demanda-t-il.

— Non. Ça, je l’ai appris à Dathrun —répliquai-je, un peu gênée qu’il me demande autant de choses.

— Tu as été à Dathrun ? —demanda le maître Dinyu, soudain enthousiaste—. À l’académie ? —j’acquiesçai—. Et est-ce très différent d’ici ?

Je m’aperçus alors que tous étaient suspendus à notre conversation et je me raclai la gorge.

— Oui, très différent —j’hésitai et, voyant que le maître Dinyu m’écoutait avec intérêt, j’essayai d’ajouter quelque chose—. En réalité, le niveau théorique est assez élevé, et ils sont assez exigeants, mais il leur manque quelque chose.

— Quoi ?

— Ils ne savent pas contrôler le jaïpu convenablement, et ils ne savent donc pas contrôler complètement les énergies même s’ils savent des tas de choses sur elles. Il y a beaucoup plus d’accidents qu’ici et, apparemment, il y a eu au moins quatre apathiques ces dernières années.

— Quatre apathiques —souffla Révis, stupéfait.

— Mais tu ne disais pas que tu avais appris le jaïpu ? —dit Sotkins, en fronçant les sourcils.

J’ouvris la bouche et je restai muette. Mince, j’avais gaffé. Et maintenant, que pouvais-je dire ? Je n’avais pas la moindre intention d’introduire Daelgar dans le récit.

— Eh bien… —dis-je—. En fait, ils n’enseignent pas le jaïpu comme une énergie capable de permettre de contrôler les énergies asdroniques. Mais ils l’enseignent comme énergie darsique, bien sûr.

La réponse eut l’air de leur suffire et le maître Dinyu me demanda alors de lutter avec Yeysa. L’énorme humaine me faisait une peur terrible, mais après avoir reçu les félicitations du maître Dinyu, je ne pouvais pas refuser. Yeysa et moi, nous nous mîmes en position tandis que Sotkins se préparait à lutter avec Ozwil et Révis avec Galgarrios.

— Tu devrais participer à la foire cet été —me fit Yeysa sur un ton mauvais, mais à voix basse, avant de commencer—. Tu ferais un excellent bouffon avec ton singe. Tu sais très bien attirer l’attention et faire le ridicule.

Je rougis de colère.

— Et, toi, tu ferais une belle vache —répliquai-je, indignée.

Yeysa écarquilla les yeux de surprise et ignora le salut avant le duel, lançant son poing en avant avec une force brutale. Je vis venir le coup et je m’écartai facilement, mais l’attaque ne m’en laissa pas moins un goût amer de frayeur dans la bouche et je m’éloignai autant que je le pus en faisant des pirouettes. Yeysa semblait vraiment me haïr, et je ne comprenais pas pourquoi. À moins qu’elle soit susceptible au point de ne pas pouvoir encaisser une insulte, même si, elle, elle répandait des injures aux quatre vents.

Avec un soupir silencieux, j’observai Yeysa se précipiter sur moi. Je joignis les mains en réalisant un salut ironique et, lorsque Yeysa se jeta sur moi, les yeux brillants de vengeance, je m’écartai de nouveau et je ne pus éviter un léger sourire.

— Tu ressembles vraiment à une vache furieuse —fis-je, avec un petit rire.

Yeysa se tourna vers moi et, à cet instant, je regrettai ce que je venais de dire, mais mes lamentations ne servirent à rien : l’énorme humaine fonça comme un taureau enragé et la lutte commença réellement. Jamais je ne fus aussi prudente dans un combat, parce que je savais que Yeysa se réjouirait de me donner tous les coups de poing qu’il faudrait pour me jeter à terre. Aussi, j’attaquais à peine. À un moment, j’entendis l’exclamation de Révis :

— Lâche ! Attaque, Shaedra, tu peux le faire !

— Oui, tu peux ! —m’encouragea Ozwil.

Révis et Ozwil devaient en avoir plus qu’assez de recevoir des coups avec Yeysa et de voir leurs offenses impunies, pensai-je. Je sentis le jaïpu, la Sréda et le sang entrer en effervescence en même temps.

— À l’attaque ! —cria Zahg.

Yeysa était trop sûre d’elle-même, elle avait une confiance excessive en ses poings pour pouvoir se défendre d’attaques très rapides. Je me fondai sur les luttes que j’avais vues entre Yeysa et Sotkins pour mes premiers mouvements. Je m’inclinai en arrière pour éviter un poing et j’attaquai. Yeysa tournait de tous les côtés en essayant de m’attraper et j’évitais ses attaques à tous les coups. Ozwil, Révis, Galgarrios et Laya étaient euphoriques. Mais, alors, je réagis trop lentement et je restai trop près de mon adversaire. Je vis arriver son poing à toute vitesse et elle me cogna à l’épaule, me jetant à terre. J’éprouvai presque la même sensation qu’en passant par un déviateur.

Je me relevai d’un bond, étourdie, et, à cet instant, je remarquai quelque chose, derrière l’épaule de Yeysa, en l’air. Je restai bouche bée. Aryès volait, les pieds croisés et les yeux fermés, et il ne semblait se rendre compte de rien…

— Aryès ! —fis-je, en le montrant de l’index.

Mais, alors que tous tournaient la tête, Yeysa laissa échapper un grognement incrédule.

— Tu ne vas me tromper avec tes pièges ridicules —siffla-t-elle.

Et, sans plus attendre, elle me décocha un coup de poing de mille démons qui me jeta par terre et me plongea dans l’inconscience.

* * *

Je me réveillai dans la salle de l’infirmerie de la Pagode, allongée sur un matelas, sous une couverture blanche qui avait l’air d’un linceul. J’entendis quelques murmures et je tournai la tête. Le maître Yinur était agenouillé à côté d’un lit, pas très loin d’où j’étais, et, près de lui, se trouvait Aléria, les mains posées sur la jambe d’un patient, avec une expression d’extrême concentration. Je fronçai les sourcils et je secouai la tête pour éclaircir mes pensées confuses. Je promenai mon regard dans la pièce. Je vis un vieillard assis, adossé contre un mur, buvant du thé et toussant d’une horrible toux rauque. Et je vis un néru, un genou bandé, qui sortait en ce moment même de la salle, en boitant, accompagné de sa mère. Et, dans la salle, il n’y eut plus que le vieillard, moi, le maître Yinur, Aléria et… Je fronçai les sourcils.

— Aryès ? —fis-je, incrédule.

Le visage d’Aryès se tourna vers moi et il me contempla, bouche bée.

— Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? —demanda-t-il, horrifié.

Je tâtonnai mon visage et je me rendis compte que j’avais la joue toute enflée.

— Yeysa. Je me vengerai de cette brute —lui assurai-je.

— Elle va le regretter ! —s’écria Aryès, en essayant de se redresser.

Le maître Yinur posa la main sur sa poitrine pour l’obliger à rester étendu et Aléria vociféra :

— Cela suffit ! —Elle nous foudroya tous deux du regard—. Je suis en train de travailler. Je dois soigner une jambe fracturée.

J’allais demander ce qui s’était passé quand Aryès expliqua :

— Apparemment, je me suis mis à léviter pendant que j’étudiais l’énergie bréjique, et…

— Je vous ai dit de vous taire ! —protesta Aléria, irritée, ouvrant de nouveau les yeux.

— Tu es tombé —terminai-je pour lui—. Mince alors —ajoutai-je, en me rappelant la dernière image que j’avais vue avant que cette maudite Yeysa ne m’attaque comme une écervelée. Aryès avait dû tomber d’une hauteur de trois mètres au moins.

Je sentis, alors, que le maître Yinur me prenait le bras, attentionné.

— Étends-toi, nous nous occupons tout de suite de toi.

Je palpai de nouveau ma joue et je haussai les épaules.

— Bah, cela ne fait pas aussi mal que sur le coup —dis-je, en me levant—. Je crois que je vais rentrer à la maison…

Le maître Yinur me fit me rallonger sur ma paillasse et je ne pus faire autrement que de rester, que cela me plaise ou non. Je savais quels produits on utilisait pour réduire la douleur et les enflures et j’aurais pu me débrouiller toute seule. En plus, je n’avais pas envie de voir comment Aléria soignait la jambe d’Aryès ni d’entendre la toux de ce pauvre vieillard.

Alors, au bout d’un moment, je me relevai et je m’approchai du vieil homme.

— Je peux vous préparer un autre thé ? —lui demandai-je aimablement.

Le vieil homme finit de tousser et sourit d’un sourire édenté, mais sage.

— S’il te plaît.

Je lui apportai aussitôt une tasse en utilisant la théière qui se trouvait sur une table basse et je m’assis à côté de lui, en silence. Je sentis que je portais toujours le collier de Drakvian et je soupirai de soulagement. Si quelqu’un me l’avait enlevé pendant que j’étais inconsciente, je crois que je me serais de nouveau évanouie de consternation.

— Merci —dit le vieillard, en reposant la tasse vide sur le plancher—. Comment t’appelles-tu ?

— Shaedra —répondis-je.

— Moi, c’est Dinald. Depuis que je suis né. —Il sourit et je lui rendis son sourire.

— Moi aussi, c’est Shaedra depuis que je suis née. Mais on m’appelle Saurienne, aussi. Et Écaille Verte, certains —dis-je, en repensant à Zoria et Zalen.

Le vieil homme se mit à tousser et je grimaçai, partageant sa douleur.

— Quels surnoms —commenta Dinald, lorsque sa crise de toux fut passée—. Moi, on ne m’a jamais donné qu’un surnom, le Môme.

J’arquai un sourcil, amusée.

— Le Môme ? Même quand vous ne l’étiez plus ?

— Ouais. Le Môme doit faire ceci, le Môme doit faire cela… On m’appelait constamment le Môme. Que peut-on faire contre un surnom ?

Je secouai la tête.

— Rien. Il faut juste souhaiter qu’on ne nous surnomme pas l’Escroc ou le Moche —répliquai-je—. Mais les surnoms signifient davantage que les noms, on les donne toujours pour une raison.

Dinald m’observa avec un réel intérêt.

— Alors comme ça, tu te considères un Saurien ?

Je souris, amusée.

— Ceux qui m’appellent Saurienne ne savent pas qu’en réalité je ne suis pas n’importe quel saurien. Ils ne savent pas que je suis un dragon —lui révélai-je, avec un grand sourire.

Une lueur d’amusement apparut dans les yeux du vieil homme.

— Un dragon, hein ?

— Shaedra —gronda Aléria et je vis qu’elle avait terminé avec Aryès et qu’elle s’approchait de moi.

— Oui ? —répliquai-je, appréhensive, en regardant ses mains pleines d’énergie essenciatique.

— Je croyais que les ternians avaient du sang de dragon, pas que c’étaient carrément des dragons —sourit-elle.

Je fis une moue, pensive.

— J’ai peut-être un peu exagéré —concédai-je.

— Bon, maintenant c’est ton tour. Assieds-toi bien droite et ne crie pas —fit Aléria.

Je la foudroyai du regard, très droite.

— Les dragons ne crient pas —répliquai-je, très digne. Je remarquai le sourire amusé du vieil homme et je me raclai la gorge.

Cependant, lorsqu’Aléria sortit son désinfectant, je pâlis. Et quand elle appliqua le coton sur ma joue, je soufflai plusieurs fois bruyamment, les yeux exorbités.

Aléria sourit à demi.

— C’est une chance que tu ne craches pas de feu.

Je plissai les yeux.

— Qui t’a dit que je n’en suis pas capable ?

Aléria, sans répondre, se contenta d’appliquer de nouveau le coton et je fermai la bouche, en serrant fort les dents.

— Démons ! —exclamai-je, lorsqu’Aléria retira son maudit coton.

— C’est désinfecté —déclara joyeusement Aléria—. Au fait, Shaedra, tu devrais faire plus attention, sinon je te vois déjà venir ici tous les jours pour que je te rafistole.

Je grognai.

— Yeysa m’a attaquée quand je ne regardais pas.

— En plus ! —s’exclama Aryès, allongé, mais agité comme une puce—. Je savais que cette Yeysa n’allait pas me plaire du tout.

— Ne te tracasse pas, je me vengerai —dis-je fermement.

— Shaedra ! —répliqua Aléria sur un ton d’avertissement.

Mais le maître Yinur était déjà parti et je ne vis pas pourquoi j’allais contenir ma rage.

— C’est vrai, on dirait qu’elle me déteste. Peut-être qu’elle a gobé tout ce que lui a dit Marelta sur moi.

— Shaedra… —insista Aléria, mal à l’aise.

— Bah, ça ne me dérange pas —lui assurai-je—, qu’ils médisent tout ce qu’ils veulent, mais, là, Yeysa est allée trop loin.

Aryès se redressa, en acquiesçant énergiquement de la tête.

— Elle est allée beaucoup trop loin —fit-il vivement—. Ses parents sont en train d’agrandir leur maison et mon père s’occupe de la construction. Je dirai à mon père de fragiliser un peu la charpente, pour qu’elle tombe sur Yeysa quand elle marchera en faisant tout trembler comme un mastodonte.

Rien qu’en imaginant la scène, je répondis au sourire d’Aryès par un autre grand sourire. Aléria nous regarda tour à tour, en colère, horrifiée par notre attitude.

— Cela suffit ! On dirait des personnes haineuses et vindicatives, je ne permettrai pas que vous parliez de la sorte devant mon patient —gronda-t-elle, en désignant le vieil homme.

— Oh, ne vous gênez pas pour moi —répondit tranquillement Dinald—. Je me rappelle encore, quand j’étais jeune, mais… combien d’années se sont écoulées depuis lors ! J’en faisais, des espiègleries, à l’époque. —Il rit, les yeux perdus dans le passé.

— Faire s’écrouler un toit sur une personne est plus qu’une espièglerie —répliqua Aléria, en nous foudroyant du regard.

Aryès roula les yeux et acquiesça.

— Tu as raison. Mais donner un coup de poing à quelqu’un qui ne s’y attend pas, ce n’est pas non plus une espièglerie, c’est de la pure cruauté.

— Ça l’est —acquiesçai-je, tout à fait d’accord.

Aléria ferma les poings, exaspérée.

— Ça va, partez avant de me faire perdre les nerfs.

Je me levai d’un bond et saluai le vieillard.

— Ça a été un plaisir de parler avec vous.

— Pareillement —répliqua le vieil homme, en souriant.

— Tu viens ? —dis-je à Aryès.

Aryès fronça les sourcils et, en retirant la couverture, il découvrit sa jambe bandée.

— Ma jambe est fiable ? —demanda-t-il à Aléria.

Aléria laissa échapper un soupir exaspéré.

— Bien sûr qu’elle l’est. Je sais ce que je fais. Tu peux marcher comme avant, mais doucement jusqu’à ce que… —Elle fronça les sourcils—. Attends. Oui, je crois que des béquilles te seraient utiles. Comme ça, tu n’appuieras pas tout le poids sur ta jambe. C’était le détail que j’oubliais —ajouta-t-elle avec un sourire innocent et elle fronça les sourcils—. Mais le fait est que je ne sais pas où il peut bien y avoir des béquilles.

— Ça ne fait rien —intervins-je—, je vais aller dans la forêt et je reviens tout de suite avec deux bons bâtons. Au fait, Aléria…

— Oui ?

Je portai la main à ma joue gonflée et je me raclai la gorge.

— Il ne faudrait pas mettre une couche de trésile, ou quelque chose comme ça ? Pour faire désenfler un peu tout ça ?

Aléria rougit et prit une mine orgueilleuse.

— Je pensais le faire, mais j’ai décidé que tu étais beaucoup plus jolie comme ça. —Elle sourit devant ma moue dubitative—. À vrai dire, j’avais oublié. Je vais chercher la trésile et, après, tu iras chercher les béquilles.

J’acquiesçai, amusée.

— Une excellente guérisseuse —fis-je, moqueuse.

Aléria prit un air innocent.

— Bien sûr que je le suis —répliqua-t-elle, avant de disparaître chercher de la trésile pour mon hématome.

Je m’approchai d’Aryès en silence.

— Cela te fait très mal ? —lui demandai-je.

— Et à toi ? —répliqua-t-il.

Nous sourîmes et je m’assis à côté de lui, en attendant. Aléria revint très vite et, moi, en sortant de la Pagode, je courus directement chez le père d’Aryès, parce qu’Aryès m’avait assuré qu’il n’était pas nécessaire d’aller dans la forêt et que je trouverais dans la menuiserie de bons bâtons pour faire des béquilles.

Je m’arrêtai devant la maison d’Aryès et je vis que la porte de la menuiserie était ouverte. On entendait un bruit de scie. J’entrai silencieusement et je regardai à l’intérieur, impressionnée.

Il y avait des poutres, des planches, des meubles inachevés, et même une charrette tout juste terminée. Un homme d’âge mûr et assez robuste était en train de scier une énorme planche. Près de lui, sur une petite table, se trouvaient un crayon très usé et des papiers remplis de croquis et de chiffres. Lorsqu’il eut terminé de scier, je m’avançai.

— Sieur Domérath ?

L’homme sursauta et tourna vers moi ses yeux bleus. Il avait le même visage caractéristique qu’Aryès, le visage d’un kadaelfe, c’est-à-dire, moitié elfe noir moitié humain ; et les mêmes yeux bleus qu’Aryès et le même nez, mais son visage était plus large et ses yeux étaient soulignés par des cernes profonds. Je me souvins alors qu’Aryès avait fait allusion un jour aux problèmes d’insomnie de son père. Cet homme semblait ne pas avoir dormi depuis trois mois.

— Oui ? —demanda-t-il, en passant sa main sur son front couvert de sueur.

— Bonjour. J’aurais besoin de bâtons qui puissent servir de béquilles —lui dis-je—. C’est pour votre fils.

Le sieur Domérath parut aussitôt plus éveillé.

— Pour mon fils ? Mais que dis-tu ?

— Aryès s’est mis à léviter sans s’en rendre compte et il est tombé —expliquai-je calmement—. Ne vous tracassez pas, il a seulement une fracture à la jambe, Aléria la lui a déjà soignée. Mais il a besoin de béquilles pour marcher, selon la guérisseuse.

— Il est tombé en lévitant ? —répéta-t-il—. Je lui avais bien dit que c’était dangereux —soupira-t-il—. Je lui apporterai les béquilles moi-même. Il est à la Pagode, n’est-ce pas ? —j’acquiesçai de la tête—. Et toi aussi, tu es tombée en lévitant ? —demanda-t-il alors, en remarquant ma joue.

Je lui adressai un sourire hésitant.

— Euh… non. J’apprends le har-kar.

— Ah —comprit le sieur Domérath—. Et tu es Shaedra, n’est-ce pas ?

— C’est ça —répondis-je, de plus en plus hésitante, alors que le père d’Aryès recherchait dans tout son attirail quelque chose qui puisse servir de béquilles.

— Tu étais avec mon fils pendant sa disparition, n’est-ce pas ?

J’acquiesçai de nouveau et il sortit un long bâton de bois.

— J’ai entendu parler de toi —dit-il simplement, sans plus de commentaires.

Je me demandai, dubitative, si les choses qu’il avait entendues lui avaient donné une bonne ou une mauvaise opinion de moi. En tout cas, les on-dit, ces derniers temps, ne m’étaient pas très favorables. Marelta s’assurait qu’il en soit ainsi.

Finalement, le sieur Domérath scia le long bâton en deux parties égales et sortit avec moi après avoir fermé sa menuiserie. Lorsque nous arrivâmes à la Pagode, Aryès fut très surpris de voir son père entrer avec deux bâtons et il se redressa aussitôt.

— Papa ! —s’exclama-t-il.

— Salut, fils, chaque fois que je ne suis pas là, il t’arrive un malheur. Allez, prends ça et rentrons à la maison avant que tu ne te casses l’autre jambe.

Aryès obéit, en se levant prudemment et en s’aidant des béquilles.

— Merci, Aléria —fit-il—. À demain, Shaedra.

— À demain —répondis-je, en le voyant disparaître par l’ouverture sans porte—. Kwayat ! —m’exclamai-je soudain, stupéfaite d’avoir totalement oublié ma leçon avec le démon—. Je dois partir, Aléria —fis-je, précipitamment—. Merci pour tout !

Je sortis de la Pagode comme une flèche, je dépassai Aryès et son père, et arrivai à la taverne avec l’impression d’avoir parcouru les derniers mètres en volant. Mais, alors, je me souvins que j’avais toute la joue enflée et je décidai d’entrer par la porte arrière pour aller manger rapidement quelque chose avant d’aller voir Kwayat. Je trouvai Kahisso, Wundail et Djaïra assis dans la cuisine, en train de terminer de manger.

Depuis qu’ils étaient arrivés, ils n’avaient pas ôté leurs vêtements d’aventuriers et tous trois détonnaient pas mal au milieu des habitants d’Ato. Kahisso portait des vêtements sombres, une ceinture de cuir à laquelle était suspendu un sac assez rebondi, et il portait le collier de l’ordre des raendays, un pendentif circulaire de fer avec des mots inscrits autour en caeldrique : « Honneur, Vie et Courage ». C’était cela le lemme des raendays, un lemme peu original en soi, comparé à celui des confrères dragons, par exemple, mais, lorsque Kahisso parlait de la philosophie raenday, il le faisait en montrant un immense respect pour l’Espéré, le kaprad des raendays. Et Wundail semblait partager l’estime qu’il éprouvait envers cet inconnu. Djaïra, par contre, peut-être parce qu’elle était déjà beaucoup plus âgée qu’eux, se complaisait à critiquer ce kaprad qui les envoyait dans des missions dangereuses sans les avertir, pour une récompense qui n’en valait presque pas la peine.

Wundail portait une veste vert sombre et ses longs cheveux châtains étaient relevés en un chignon qui, à lui seul, lui donnait un air guerrier. Quant à Djaïra, elle avait les cheveux toujours aussi roux qui retombaient de façon désordonnée sur sa tunique bleu foncé.

Tous trois levèrent la tête en me voyant entrer dans la cuisine et me dévisagèrent quelques secondes, bouche bée. Je leur souris.

— Ne faites aucun commentaire sur mon aspect —dis-je—, je sais déjà que j’ai l’air d’une har-kariste vétérane.

Ils sourirent et Kahisso recula la chaise qui était près de lui.

— Assieds-toi et mange quelque chose.

— Je suis affamée ! —répondis-je, en m’asseyant et en me servant avec la louche une bonne portion de soupe aux légumes encore chaude.

— Je n’arrive pas à croire que ce soit un har-kariste qui t’ait fait ça —dit Djaïra—, tu es rentrée dans un arbre ?

Wundail s’esclaffa sans cesser de me regarder et je roulai les yeux.

— Ce n’était pas un arbre —dis-je—, c’était une vache.

Et, alors, je leur racontai ce qui s’était passé et cela les fit se tordre de rire, mais ils lancèrent également un certain nombre d’injures contre Yeysa.

— J’espère que la vache est restée satisfaite —commenta Kahisso—, mais il faut dire que tu aurais dû être à ce que tu faisais. Dans une bataille réelle, on ne peut se laisser distraire par aucune chose.

Je secouai la tête, en soupirant.

— Je me rends de plus en plus compte combien une bataille doit être dure et absurde. Imaginez qu’on se trouve dans une bataille contre des nadres rouges et que l’on ne peut pas se distraire parce qu’on a en face un gros nadre affamé. Mais on sait que des amis tout près sont en danger et que, si l’on ne fait rien, ils vont mourir. Cela doit être une sensation terrible, vous ne croyez pas ?

Kahisso, Wundail et Djaïra échangèrent un regard en silence. Kahisso acquiesça.

— Nous n’avons pas besoin de nous l’imaginer —répliqua-t-il—. Cette situation, nous l’avons vécue des centaines de fois.

— Oui —confirma Wundail.

— Oh —dis-je lentement—. J’aurais dû m’en douter.

Nous continuâmes à parler un moment des batailles dans lesquelles ils s’étaient retrouvés mêlés et des blessures qu’ils avaient reçues et, lorsque deux heures sonnèrent, je me levai.

— Je dois partir. Comment cela se fait que Kirlens ne soit pas passé par là ? Il est à la taverne, n’est-ce pas ?

Kahisso fit non de la tête.

— Il est allé parler avec le commerçant qui lui apporte la bière. Apparemment, ils ont un petit désaccord sur les prix —ajouta-t-il avec un sourire amusé.

— Ce brasseur a sûrement encore monté les prix —fis-je, avec animosité—. Il augmente toujours les prix et, s’il a trop de bière, il préfère la donner aux cochons plutôt que de l’offrir à des saïjits, du moins c’est ce qu’on raconte.

L’idée les amusa et je partis en les saluant joyeusement. Je sortis par la cour des sorédrips et je mangeai une poignée de baies avant de trotter comme une néru dans le Couloir vers la sortie de la ville.

Ce jour-là, il faisait un jour magnifique et la neige des hauts pics des Hordes que l’on voyait depuis Ato commençait même à fondre. La terre se séchait rapidement, mais le Tonnerre descendait toujours aussi assourdissant. La construction du nouveau pont continuait cependant, de même que celle des tours et les paysans venus des alentours travaillaient avec les cékals et quelques volontaires d’Ato, pour quelques kétales par jour. La pierre de Léen s’entassait sur les charrettes résistantes et les travailleurs s’activaient de façon régulière, retournant au travail après la pause du repas.

Je parvins à la colline et je vis que Kwayat avait décidé de donner sa leçon, là, et non dans la petite grotte, pour profiter du soleil et de la chaleur du jour. Il arrivait toujours avant moi et je me demandais parfois ce qu’il faisait le reste de la journée. Avait-il d’autres tâches que celle d’enseigner à un jeune démon ? Ou s’ennuyait-il à Ato ? Je pensai soudain que je ne l’avais jamais invité à dîner au Cerf ailé, mais il est vrai que cela me paraissait un peu gênant d’inviter un démon chez Kirlens comme si de rien n’était. Enfin bon, moi aussi, j’étais un démon, mais Kirlens me connaissait. Par contre, Kwayat n’était qu’un mystérieux inconnu qui, comme aurait sûrement pensé Kirlens, me connaissait depuis peu. Comme j’aurais aimé raconter à Kirlens toute la vérité !

Ce jour-là, Kwayat continua à m’apprendre à contrôler la Sréda. Il ne fit aucun commentaire sur l’hématome de ma joue et je me doutai qu’il devait s’imaginer ce qui s’était passé. Il lui semblait beaucoup plus important de m’apprendre comment fonctionnait la Sréda et, moi, j’avais l’impression que plus j’apprenais, moins je me transformais.

— Tu crois que cela signifie quelque chose ? —lui demandai-je, en abordant la question—. Tu crois que je progresse ?

Kwayat fronça les sourcils et, après une pause qui me rendit nerveuse, il répondit :

— Si je ne te voyais pas du tout progresser, je ne serais pas là à perdre mon temps.

Cette phrase n’était pas spécialement une source d’encouragement, mais, au moins, elle prouvait bien que Kwayat prenait mon enseignement très au sérieux.