Accueil. Cycle de Shaedra, Tome 1: La Flamme d'Ato
Quand Shaedra fut de retour à la taverne, ses vêtements étaient presque secs. C’était l’heure du dîner et l’établissement était bondé. Elle croisa Kirlens, au comptoir. Kirlens était un humain d’une soixantaine d’années, aux yeux sereins et à l’expression sympathique, qui avait l’air de ne jamais se laisser harasser par le travail. Comme il avait du pain sur la planche, il se contenta de lui sourire et de lui dire :
— Maintenant tu es snori, ma petite ! Demain tu me raconteras comment ça s’est passé, hein ?
Shaedra hocha la tête et alla se servir une assiettée de soupe dans la cuisine. Comme toujours, les soupes de Wiguy étaient délicieuses. Elle finit son assiette, puis elle donna un coup de main pour éplucher des pommes de terre et pour écosser des petits pois, jusqu’à ce que Wiguy la renvoie en lui disant :
— Allez, sors de là, tu me gênes, les pommes de terre, on ne les coupe pas si fin.
— Toi, tu les coupes trop gros —rétorqua-t-elle.
— Dis donc, qui c’est la cuisinière, ici ?
Shaedra ne protesta pas et profita de l’occasion pour aller s’enfermer dans sa chambre. Le ciel commençait à s’obscurcir sérieusement et par la fenêtre on ne voyait plus que des ombres sur les toits et une couleur d’un bleu presque noir qui invitait les gens à allumer les lampes dans leurs foyers. Sur une terrasse, on alluma une lanterne et Shaedra put discerner deux silhouettes, l’une assise, l’autre sur le qui-vive, un arc passé à l’épaule. C’étaient deux vigiles.
Tout à coup, elle se rendit compte que, si elle voulait sortir la nuit, elle devrait faire très attention de façon à ce que les vigiles ne la prennent pas pour une voleuse, ce qu’ils croiraient sans aucun doute s’ils la voyaient se déplacer de toit en toit en pleine nuit, à moins qu’ils ne la reconnaissent comme Shaedra, la terniane vagabonde des toits. Mieux valait ne pas être vue si elle ne voulait pas que, le jour suivant, on la dévisage avec méfiance. Maintenant que tout le monde s’était plus ou moins habitué à ce qu’une terniane vive à Ato, ce n’était pas une bonne idée de se faire remarquer.
Bien. Donc, elle devait sortir d’Ato sans que personne ne la voie. L’idée lui parut amusante et palpitante. Pendant un court moment, elle regretta de n’avoir rien dit à Akyn et à Aléria. Eux aussi auraient trouvé que ce serait une belle aventure… Toutefois, il était plus que probable qu’Aléria argumente que sortir de la ville comme des fugitifs était tout à fait inconvenant. Bah. En plus, elle venait d’apprendre qu’elle avait un frère et la nouvelle était trop récente pour la partager. Elle irait seule.
Elle s’écarta de la fenêtre et s’allongea sur son lit, tout habillée, l’air songeuse.
Tout ce qui était arrivé ce jour-là avait été vraiment sensationnel. De simple néru, elle était devenue snori et elle allait apprendre davantage de secrets sur le jaïpu, sur le morjas et sur tout ce qu’elle devait savoir pour devenir une kal. Ce jour-là, une inimitié irréparable s’était déclarée entre elle et Marelta, mais elle avait aussi connu quelqu’un de nouveau, Suminaria, quoiqu’elle ait à peine parlé avec elle. D’où pouvait-elle bien venir ? Elle l’avait entendue parler d’Aefna. Venait-elle de la Grande Pagode ? Tiyanne comme elle l’était, et de la Grande Pagode, elle devait avoir de bonnes raisons pour venir à Ato, pensa-t-elle, intriguée. Mais elle lui avait paru un peu antipathique et imbue d’elle-même. Malgré tout, elle devait reconnaître que Suminaria était une bonne lutteuse. Il restait à savoir si elle était aussi douée dans les autres disciplines.
Shaedra fixait le plafond. Il faisait déjà nuit noire et dix heures avaient sonné. Elle craignait de s’endormir et de se réveiller à l’aube. Elle s’imaginait Murry, l’attendant dans les bois, seul, et une vague de détermination l’envahit. Alors… quel pouvait être le meilleur des chemins ?
Elle repassa les toits en mémoire, évaluant lesquels emprunter, décidant où elle en descendrait, se demandant quels endroits étaient les plus sombres. Une froide logique l’envahissait tandis que, petit à petit, elle traçait mentalement le chemin à suivre.
Ato avait en tout trois tourelles de guet qui dépassaient à peine les maisons. Trois postes et chacun avec deux vigiles en alerte, surveillant les alentours. En alerte ? Vraiment ? Cela faisait des mois qu’il n’y avait aucune attaque de monstres. Les vigiles devaient sûrement être à moitié assoupis, décida-t-elle.
Puis elle fronça les sourcils. Non. Ils devaient être sur leurs gardes, se dit-elle, en se rappelant une phrase que Sayn, le commerçant, répétait si souvent : “ne sous-estime jamais tes ennemis, la prudence te gardera longtemps en vie”. Un conseil peu courageux, mais un bon conseil en fin de compte.
Ces vigiles-là étaient des cékals de la Garde d’Ato… Shaedra se pétrifia. Pensait-elle réellement ce qu’elle venait de penser ? Avait-elle dit « ennemis » ? Elle pâlit. Considérait-elle donc les autorités d’Ato comme ses ennemis ? Cela n’avait pas de sens. Elle ne les avait considérés comme tels que parce qu’elle essayait d’échapper à leur surveillance. Ce n’était qu’un jeu, rien de plus, n’est-ce pas ?
Elle entendit les paroles de Murry aussi clairement que s’il les lui disait à l’instant : “Non, petite sœur, ce n’est ni un rêve, ni un jeu”. Mais alors, qu’était-ce ?
Elle lâcha un soupir et pensa qu’elle avait l’esprit confus et que la meilleure chose à faire était de cesser de penser. Et, malgré elle, elle s’endormit.
Elle rêva de Murry et Laygra, alors qu’ils n’étaient qu’enfants. Ils couraient en riant, à travers le pré en amont de la vallée. Le soleil disparaissait entre les pics et le ciel se teintait d’une couleur flamboyante. Alors, les rires firent place aux cris de Shaedra qui appelait vainement ses frère et sœur jusqu’à ce que la voix cruelle de Marelta, lui réponde : “Sauvage, sauvage !”. Un bruit semblable au claquement d’une porte métallique la réveilla et elle crut entendre encore la voix de Marelta dont la tonalité devenait de plus en plus monstrueuse. Elle secoua la tête et vit qu’elle se trouvait encore dans sa chambre plongée dans l’obscurité. Il n’y avait personne.
À cet instant, minuit sonna d’un bruit de cloche sourd.
Ce n’était qu’un cauchemar, se répéta-t-elle. Elle se souvint qu’elle avait quelque chose à faire, mais quoi ?
L’image très nette de son frère agrippé au tronc de l’arbre lui revint en mémoire, ses yeux brillants et son visage épuisé… Murry !
Elle se leva d’un bond et se dit que les dieux l’avaient réveillée. Après tout, quelquefois, les cauchemars pouvaient avoir un effet bénéfique. Un sourire aux lèvres, elle remercia Marelta pour son rêve et ouvrit la fenêtre en silence. Et elle s’arrêta net.
Bien sûr, c’était ce bruit fracassant qui l’avait réveillée. Il pleuvait des cordes et, à ce moment même, un coup de tonnerre assourdissant retentit et la terre parut trembler. Shaedra referma la fenêtre et réfléchit.
Si la foudre la frappait, c’était fichu. Elle n’avait pas envie de finir carbonisée, pensa-t-elle.
Bien, sachant cela, quelles options lui restait-il ? Le vent s’était levé et la pluie battante tambourinait contre les vitres. Elle songea distraitement au fait que, s’il grêlait, les fleurs des sorédrips tomberaient et qu’il n’y aurait pas de baies cette année.
Elle devait sortir, se souvint-elle soudain. Elle leva les yeux vers la corde et, sur la pointe des pieds, attrapa la cape qui, dans l’obscurité, avait l’air d’un spectre noir.
Ses vêtements n’allaient pas être secs pour le lendemain, mais qu’importe ? Elle ouvrit la fenêtre, disposa un vieux chiffon sur le parquet, au cas où l’eau entrerait, puis elle sortit sous l’averse, saisit le bord de la fenêtre avec une de ses griffes et la ferma autant qu’elle le put. Le temps de sauter sur un autre toit, elle était déjà trempée. Elle leva la tête vers le ciel puis tourna son regard vers la lumière des vigiles et put ainsi voir tomber du ciel des flèches d’eau. Elle soupira. Elle n’avait pas besoin de les voir puisqu’elle les sentait déjà sur son visage. Les deux vigiles étaient à l’abri sous une toile. La pluie les empêcherait de voir quoi que ce soit.
L’un des avantages de l’averse, c’était qu’il n’y avait pas un chat dans les rues. Par une telle nuit, pas même un voleur n’aurait eu le courage de mettre le nez dehors.
Bien que, la veille, le jour ait été particulièrement beau, la nuit et les gouttes d’eau étaient froides. Shaedra se mit bientôt à trembler de la tête aux pieds. À un moment donné, elle crut glisser du toit et elle s’accrocha en sortant ses griffes, craignant à tout instant de faire du bruit.
Finalement, elle arriva dans une des rues périphériques et, les toits n’étant plus que des toits de chaume, pour éviter de débarquer tout d’un coup à l’intérieur d’une maison, elle rejoignit aussi silencieusement que possible la rue embourbée. Tout le monde dormait. Elle passa par-dessus une charrette délabrée et arriva enfin à la lisière de la forêt.
Quand elle parvint sous les arbres, elle respira plus tranquille. De temps à autre, une énorme goutte lui tombait dessus, mais, au moins, elle n’avait plus l’impression de recevoir sur la tête un seau de soupe froide à chaque pas. Malgré tout, elle avait la sensation de patouiller comme un poisson dans la boue et ses vêtements lui semblaient peser aussi lourd qu’une armure complète.
Elle s’enfonça dans la forêt, dans l’obscurité la plus totale. Elle croyait se souvenir de l’emplacement des arbres et des arbustes sur le bout des doigts, mais, en chemin, elle trébucha plusieurs fois, une racine lui fit un croche-pied et elle se serait affalée tout du long si elle ne s’était pas retenue à un tronc.
Et si Murry était parti ?, se demanda-t-elle tout à coup. Et s’il avait cru qu’avec la pluie elle ne viendrait pas ?
Elle continua à marcher, jusqu’au moment où elle entendit un bruit entre le feuillage et elle s’immobilisa, paralysée. Elle souhaita de tout son cœur que celui qui avait provoqué ce bruit ne soit autre que Murry. Les dessins du livre de la bibliothèque lui vinrent à l’esprit et elle blêmit. Le ciel s’illumina et quelques secondes plus tard le tonnerre retentit. La pluie redoubla et le bruit entre les arbustes se fit de nouveau entendre. Alors, une silhouette surgit, bien plus grande qu’elle.
— Bonjour, Shaedra. J’ai cru qu’avec cet orage tu ne viendrais pas.
Shaedra sursauta et inspira profondément pour se calmer. Ce n’était que Murry. Maintenant elle était en sécurité.
Elle se jeta sur lui et le serra très fort dans ses bras.
— Murry ! J’avais cru que tu étais mort. Tout ce temps… Je croyais…
Il lui caressait les cheveux avec douceur. Il lui parla, la voix tremblante.
— Oui. Nous aurions pu mourir. Mais nous avons réussi à nous échapper. Je m’en souviens comme si c’était hier. Nous chassions quand ils sont arrivés. J’ai pris Laygra et nous avons grimpé aux arbres. Ils ne nous ont pas vus. Après, nous sommes partis à ta recherche, mais nous ne t’avons pas trouvée. J’étais persuadé que tu étais morte, cela fait seulement quelques mois que j’ai su.
— Moi, ce jour-là, je suis revenue au village et j’ai vu que tout avait été détruit —dit Shaedra, les dents serrées—. Puis Kahisso est venu avec Djaïra et Wundail, et il m’a sauvé la vie, et après il m’a envoyée ici.
Ils s’écartèrent l’un de l’autre et demeurèrent un moment en silence, émus.
— Comment… comment tu as su que j’étais vivante ? —demanda-t-elle alors.
Murry secoua la tête.
— Kahisso me l’a dit.
Shaedra en resta bouche bée.
— Tu connais Kahisso ?
— Il y a quelques mois, il est passé par le village où j’ai vécu ces trois dernières années. C’est un village de ternians, et il n’a pas été très bien accueilli, mais, quand il a guéri une fillette malade, ils lui ont demandé de rester quelques jours de plus, pour le remercier. Il a entendu notre histoire et il a compris que nous devions te connaître, bien qu’il ait été très surpris par une telle coïncidence. Je lui ai alors dit que tu étais notre sœur et, lui, il m’a dit où tu vivais. —Il marqua une pause et sa voix trembla légèrement quand il continua—. Il m’a expliqué qu’il t’avait envoyée à Ato en compagnie d’un centaure lunaire et qu’il ne t’avait pas revue depuis. Je me suis fâché contre lui —avoua-t-il.
Shaedra plissa le front.
— Comment ça, tu t’es fâché ?
Murry s’assit sur une racine et l’invita à faire de même.
— Les centaures lunaires sont des créatures dangereuses.
Shaedra s’indigna.
— Alfi était quelqu’un de formidable !
— Mm. Kahisso m’a dit que tu ne courais aucun danger, mais, moi, j’ai vu des centaures lunaires et ces créatures ne m’ont pas semblé très amicales. Quoi qu’il en soit —dit-il, en levant la main pour la faire taire—, tu es arrivée à Ato saine et sauve. C’est ce qui compte pour l’instant.
Il y eut un silence.
— Et tu as laissé Laygra toute seule dans ce village pour venir ici ? —demanda Shaedra avec un frisson.
Murry sourit.
— C’est un village de ternians, Shaedra. Ils nous ont recueillis et nous ont protégés après que nous avons erré dans les montagnes pendant presque un an. Laygra est tombée malade et elle serait morte s’ils ne l’avaient pas soignée. J’ai confiance en mon peuple.
Shaedra répéta cette dernière phrase dans sa tête plusieurs fois, hallucinée. Son peuple ? Il semblait être fier d’appartenir à un peuple. Un peuple de ternians.
— Dans ton village… il n’y a que des ternians ? —demanda-t-elle à voix basse. Elle prononça le « ton village » sur un ton neutre.
— Oui, tous le sont. Une grande différence avec ta ville —remarqua-t-il.
Alors, Shaedra ne put retenir la question qu’elle se posait depuis un bon moment :
— Pourquoi est-ce que tu es venu ?
Dit comme ça, cela semblait presque une accusation. Elle essaya d’adoucir un peu le ton :
— Je veux dire, pourquoi après tant de temps… ?
— Parce que nous croyions que nous t’avions perdue pour toujours —répliqua-t-il sans s’offusquer— et, quand j’ai su que tu vivais, j’ai pensé que tu voudrais nous aider à nous venger.
Ses yeux verts étincelaient dans la nuit. Nous venger ?, se répéta-t-elle, déconcertée.
— Nous venger de quoi ? —articula-t-elle.
Cette fois, Murry sursauta, l’air surpris.
— Nous venger de Jaïxel, bien sûr.
Shaedra cligna des yeux, essayant de comprendre. Jaïxel, se dit-elle. Il en parlait comme si elle devait le connaître, mais, à vrai dire, elle ne se souvenait pas d’avoir jamais entendu ce nom.
— Jaïxel ?
— La liche, Shaedra ! —exclama-t-il—. Jaïxel. Celui qui a envoyé les nadres rouges contre le village d’humains. Celui qui a rasé tout le village pour nous tuer !
Shaedra se leva d’un bond, effrayée, et recula. Murry avait changé, ce n’était plus le même. Ce n’était plus l’enfant paisible et presque timide dont elle se souvenait.
— Shaedra, je… Enfin. Visiblement, tu ne sais rien. Tu ne sais même pas ce que nos parents sont devenus, n’est-ce pas ?
Shaedra fit non de la tête. Elle avait l’impression d’avoir deux tambours qui résonnaient et retentissaient dans ses oreilles. Murry s’était levé et l’avait prise par les épaules, la regardant fixement.
— Je ne suis pas la personne la mieux placée pour te le dire, mais écoute, nos parents étaient ternians comme nous, avant de se perdre pour toujours.
— Avant de mourir, tu veux dire ?
— Non. Ils ne sont pas morts. Pas vraiment. —Il fit une pause et parla entre ses dents, comme si l’aveu le faisait souffrir— : Ils se sont transformés.
Shaedra fronça les sourcils. Ils se sont transformés ? Mais en quoi ? Elle examina les yeux de Murry et se figura qu’ils s’étaient transformés en monstres, en géants, en…
— Que veux-tu dire avec « ils se sont transformés » ? —lança-t-elle, déconcertée.
L’expression de Murry s’assombrit encore plus.
— C’étaient des nécromanciens, Shaedra. Ils ne sont plus mortels. Ils ont disparu et personne n’a plus jamais entendu parler d’eux.
Shaedra le dévisagea, bouleversée. La nouvelle était terrifiante. Pourtant, elle n’arrivait pas à se sentir concernée. Après tout, elle n’avait jamais connu ses parents. Pour elle, c’étaient des inconnus.
— Mais qu’est-ce qu’ils ont à voir avec nous ?
— Tu te le demandes vraiment ? —répliqua amèrement Murry—. Le village ternian nous a accueillis d’abord parce que notre sœur était malade et, après, quand ils ont su qui nous étions, ils ont voulu nous jeter dehors. Mais finalement ils nous ont fait promettre que jamais nous n’essayerions de contrôler les énergies. Nous sommes des enfants maudits, Shaedra. Les enfants de morts-vivants —cracha-t-il—, des enfants de nakrus.
Un nakrus, pensa Shaedra, se sentant défaillir. Elle pensa à l’image du livre et se souvint des paroles de Galgarrios, “Berk, c’est répugnant, un nakrus”. Si Murry disait vrai, il était clair que tous les mortels les mettraient à la porte où qu’ils aillent. C’était presque un miracle que ceux du village, tout en sachant qui ils étaient, aient permis à Murry et à Laygra de rester.
— Et c’est qui ce Jaïxel, au juste ? —demanda-t-elle—. Qu’a-t-il à voir avec nos parents ?
À l’évidence, Murry ne s’attendait pas à ce qu’elle se remette si vite. Il fronça les sourcils, l’air grave.
— Jaïxel est une liche très puissante. Nos parents ont volé quelque chose qui lui appartient. Je crois que c’est une partie de son phylactère. D’après ce qu’on raconte, il le cherche depuis des années et, quand il a su que nous étions les enfants des voleurs, il a voulu se venger.
Shaedra le regarda bouche bée.
— Alors, comme ça, on lui vole quelque chose et, lui, il s’en prend à des innocents ? Quelle crapule ! —s’indigna-t-elle.
Murry secoua la tête.
— Tout ça est très grave, Shaedra. Jaïxel n’est pas un simple commerçant auquel on a volé quelques perles. C’est une liche à qui l’on a volé une partie de son âme.
Shaedra se mordit la lèvre, songeuse.
— Je vois. Et il remuera ciel et terre pour la retrouver, pas vrai ? —demanda-t-elle.
Murry se laissa tomber sur la racine et soupira tout en hochant la tête.
— C’est bien ça.
Il avait l’air abattu. Shaedra esquissa un sourire. Que la foudre la frappe avant qu’elle ne se sente abattue ! Mais une peur indescriptible qui lui tétanisait les muscles s’emparait d’elle. C’était une peur semblable à celle qu’elle avait ressentie le jour où Yori lui avait montré ses dents pointues et avait feint de l’attaquer. Elle avait peur, oui, parce qu’elle avait la quasi-certitude que ce que cherchait Jaïxel était précisément le collier qu’elle portait autour du cou. Elle se mordilla la lèvre et se répéta avec insistance : la quasi-certitude.