Accueil. Cycle de Dashvara, Tome 3: L’Oiseau Éternel

21 La coupe de sang

Dashvara tira sur les rênes de Soleil-Levant et attendit que les Honyrs le rejoignent. En tête, venait Kark Is Tork accompagné de deux femmes. Comme à l’accoutumée, leurs visages étaient voilés, mais Dashvara devina que l’une d’elles était très vieille tandis que l’autre, au contraire, était jeune. Il put le constater lorsqu’arrêtant leurs chevaux devant les Xalyas, les Honyrs dévoilèrent leurs visages. Dashvara sourit derrière son shelshami et se découvrit à son tour avant de jeter un coup d’œil aux cavaliers essiméens qui s’éloignaient déjà : Ashiwa avait proposé de se charger d’emmener les corps à Aralika et Dashvara lui avait répondu qu’il fasse avec eux ce que bon lui semblait. Si ça n’avait tenu qu’à lui, il les aurait laissés pourrir dans la steppe.

— Seigneur des Xalyas ! —prononça la vieille femme honyr en oy’vat—. Au nom de ma famille, moi, Shire Is Fadul des Rahiltaw, je suis venue te jurer loyauté à toi et à tes descendants. Que ma parole scelle le cœur de mes enfants, de mes petits-enfants et de toute leur descendance. Dahars nalkarat !

Sa voix était ferme et sage. Un instant, Dashvara ne parvint pas à parler. La vieille femme venait de prononcer la formule qu’employaient les seigneurs de la steppe pour jurer loyauté aux Anciens Rois. Démons, cela n’avait pas de sens : il était un seigneur de la steppe, pas un Ancien Roi…

— Dash… —lui chuchota la voix inquiète de Zamoy.

Dashvara réagit et se réprimanda durement. Sa tête lui jouait de nouveau des tours et qui sait combien de temps la vieille femme avait attendu une réponse. D’un bond, il descendit de sa monture et s’inclina profondément devant l’Honyr.

— Ayshat, Shire Is Fadul. Je n’oublierai jamais que le peuple xalya a été libéré de ses chaînes grâce à vous. Ayshat et mes vœux de bonheur à ta famille.

La vieille femme inclina la tête, l’observant, les yeux souriants. Dashvara se perdit dans ces yeux clairs et sages et son esprit recommença à s’assoupir… Il sursauta quand il sentit à cet instant la tête amicale de Soleil-Levant se poser sur son épaule. Il sourit et la caressa. Tout est terminé maintenant, daâra, pensa-t-il. Les Honyrs ont décidé de nous sauver et les étrangers ne nous renverront pas à Titiaka. Ceci avait été le simple but depuis qu’il avait débarqué de nouveau sur le continent : retourner dans la steppe et s’unir au clan honyr. Dashvara avait encore des doutes sur la position qu’occuperaient les Xalyas dans le nouveau clan, mais, si l’Oiseau Éternel des Honyrs était comme celui de Sirk Is Rhad, d’Atsan et de Shokr Is Set, il espérait bien qu’il leur assurerait une paix et une amitié durables. Kark Is Tork prit la parole d’une voix profonde.

— Tu as décapité cet homme —dit-il—. Pourquoi ?

Dashvara arqua les sourcils et, sans hésiter, il répondit posément :

— C’était un trafiquant d’esclaves. Cette nuit, il a tué l’un des nôtres et volé deux de nos chevaux. C’est pourquoi je l’ai décapité.

Il ne mentionna pas la torture et il fut certain que ses frères, eux, y pensèrent, mais ils se turent. Kark Is Tork descendit alors de cheval et s’inclina en disant :

— Tes sabres ont fait justice, mon seigneur. Dahars nalkarat ! —conclut-il.

Que ce steppien d’âge mûr lui accorde sa loyauté l’emplit de soulagement et, en même temps, d’un vif embarras… parce qu’il ne savait pas avec certitude ce qu’ils attendaient de lui avec leurs serments solennels. Les Honyrs qui représentaient d’autres familles jurèrent à leur tour loyauté et Kark Is Tork ajouta :

— Nos guerriers sont derrière cette colline. Permets-moi de te guider jusqu’à eux pour que chaque famille puisse te voir —proposa-t-il.

Dashvara sourit et, pour dissimuler son trouble, il s’inclina de nouveau en répondant :

— Ce sera un honneur.

Il monta sur Soleil-Levant et ils grimpèrent la première colline qui séparait Essimée de Xalya. Une fois au sommet, il put voir le campement de l’armée honyr sur le versant de l’autre colline. Les sentinelles essiméennes n’avaient pas exagéré son ampleur : quand il demanda à Kark Is Tork quel était son effectif, celui-ci lui déclara avec une fierté manifeste qu’ils étaient neuf-cent-trente.

— Certains ne sont pas des Honyrs descendants de Sifiara —admit-il—. Au cours de ces derniers siècles, des tribus du nord et du désert sont venues sur nos terres. Au début, elles ne se sont pas mélangées, mais maintenant toutes appartiennent à un même clan. Même ceux de la tribu du Kabada, des montagnes d’Esarey, sont venus. Ils sont aussi… euh… des descendants des seigneurs de la steppe. C’étaient des déserteurs —expliqua-t-il face au regard curieux de Dashvara—. Ou des nomades survivants qui se sont retrouvés sans seigneur. Pour la première fois, les Kabada ont été invités au cercle des sages. Quand ils ont entendu ton histoire, ils ont été les premiers à te soutenir.

Dashvara ne sut que dire. Il était si étrange de penser que tant de gens qu’il n’avait jamais vus étaient ainsi prêts à le soutenir uniquement parce qu’il était, par quelque hasard de la vie, le premier-né de Vifkan de Xalya et que le sang des Anciens Rois coulait dans ses veines… Il secoua la tête.

— Mon histoire ? —répéta-t-il.

Kark Is Tork lui jeta un coup d’œil curieux tandis qu’ils chevauchaient et ce fut Shire Is Fadul qui répondit avec une satisfaction évidente :

— L’histoire qui raconte comment le dernier seigneur de la steppe a été vendu comme esclave et a combattu pour son peuple sans l’envoyer à la mort. L’histoire qui raconte comment il a survécu par deux fois au venin de serpent rouge et a fait revivre l’Oiseau Éternel des Anciens Rois dans la steppe et même au-delà.

Les paroles de la vieille femme laissèrent Dashvara songeur. Effectivement, il n’avait pas envoyé le clan à la mort même si, en chemin, il avait blessé sa dignité à maintes reprises, mais… faire revivre l’Oiseau Éternel des Anciens Rois, vraiment ? Ceci était un mérite qui ne lui revenait pas.

Ses yeux se posèrent sur les Honyrs qui chevauchaient hors du campement, à sa rencontre. Il soupira.

— Le dernier Ancien Roi est mort il y a deux-cents ans. —Il esquissa un sourire et haussa les épaules—. Moi, je ne suis pas un roi. Je suis prêt à mettre toute mon énergie à améliorer la vie de toute personne qui respecte le Dahars des Xalyas. Mais je viens à vous comme le seigneur d’un clan dévasté, pas comme un roi. Laissons les rois pour l’Histoire. Le cœur de la steppe n’en a pas besoin. —Il tira sur les rênes et caressa l’encolure de Soleil-Levant en ajoutant— : Le meilleur roi est le Liadirlá que nous avons en nous. Et le meilleur conseiller, notre cheval.

Il se tut et il y eut un silence. Il se maudit intérieurement.

Dès que ta tête va un peu mieux, tu te mets aussitôt à philosopher de nouveau, seigneur de la steppe. Ils te jurent loyauté et tu leur dis que c’est inutile… Ils viennent de sauver ton peuple de l’esclavage, Dash : tu leur dois ce qu’ils demandent et, s’ils te demandent d’être leur roi, tu le seras.

Il allait essayer de corriger ses paroles quand la vieille femme honyr prononça :

— Dawana hassen-shi yetar.

Il n’y a pas de rois parmi les sages, disait-elle… Dashvara croisa ses yeux sombres et souriants et, y percevant l’approbation et le respect, il inclina légèrement la tête en guise de réponse.

Toutefois, un élan de sagesse ne fait pas de quelqu’un un sage, pensa Dashvara. Et il était sûr que cette vieille femme le savait et qu’elle ne se lasserait pas d’évaluer chacune de ses phrases et chacun de ses agissements.

Quand ils rejoignirent les différents membres des familles honyrs, ceux-ci accueillirent Dashvara avec de multiples Dahars nalkarat ! suivis des présentations de rigueur. Et une fois de plus, Dashvara s’exaspéra de son esprit engourdi parce qu’il fut complètement incapable de se rappeler tous les noms qu’il écouta. Tinan était avec eux, ainsi que les jeunes femmes xalyas et, dès que le petit Shivara apparut au milieu de celles-ci, Morzif l’appela avec une exclamation de joie et le souleva dans ses bras. Près d’eux, Sirk Is Rhad souriait largement, de sorte que son visage balafré perdait son air sinistre naturel. Cependant, lorsqu’on annonça à Dwin que son grand-père était mort, il se fit un silence respectueux et, quand Miflin la consola et s’éloigna avec elle, Zamoy commenta pour détendre l’atmosphère :

— Sashava aura des descendants poètes.

Ils sourirent et on entendit des commentaires moqueurs s’interrogeant pour savoir s’ils seraient aussi chauves en plus de poètes. Dashvara secoua la tête, souriant. On ne pouvait pas dire que Sashava ait eu une mauvaise vie de toutes façons. Certes, il aurait pu vivre encore plusieurs décennies, mais… bon, il était mort dans la steppe et avec son peuple. Comme disaient les sages steppiens : “La mort est la meilleure bénédiction de la vie, parce qu’elle lui donne de la valeur : c’est comme le vent qui souffle sur la steppe, c’est comme l’eau qui coule dans les rivières, comme le nuage qui grandit, comme l’enfant qui naît : la mort est.”

Profitant de ce que la bonne humeur revenait parmi les Xalyas, plusieurs Honyrs l’invitèrent à partager leur repas et Dashvara accepta avec plaisir, car il mourait de faim. Ainsi, il constata que le peuple honyr et leurs alliés jouissaient de plus de prospérité qu’il ne l’aurait imaginé. Sirk Is Rhad et Shokr Is Set leur avaient beaucoup parlé des traditions de leur peuple et de leur passé, mais ils n’avaient jamais rien commenté sur la vie présente. Et, à ce que comprit Dashvara cet après-midi en parlant avec tant de chefs honyrs et kabadas, ils souffraient très rarement de la faim comme les Xalyas en avaient souffert chroniquement ces deux dernières décennies : chaque foyer familial avait des troupeaux de chevaux et de bétail et ils parvenaient à tous bien les nourrir en été et en automne, en les conduisant aux pâturages des montagnes d’Esarey, d’ouest en est, puis d’est en ouest. Avec les premières neiges, ils émigraient jusqu’aux tribus du lac de Faorok, à la frontière avec le Désert Rouge, et commerçaient là-bas avec de nombreux clans, y compris avec des marchands venus de l’Empire d’Iskamangra. C’est précisément de celui-ci qu’ils obtenaient l’acier noir pour forger leurs sabres, légers et résistants comme l’air. On les voyait fiers de leurs armes, mais quand ils s’aperçurent que Dashvara portait aussi des sabres noirs et qu’il leur expliqua qu’ils avaient appartenu à Siranaga, tous s’émerveillèrent. Après un long examen bruyant et animé, une Honyr dit :

— J’aimerais voir comment le seigneur de la steppe les manie. On dit que les Xalyas te surnomment le Prince du Sable comme Siranaga. Est-ce vrai ?

Assis sur un confortable tapis coloré, Dashvara la regarda et se rendit compte que c’était la même jeune femme qui avait accompagné Kark Is Tork et Shire Is Fadul plus tôt. S’il se souvenait bien, elle s’appelait Ladli Is Fadul et était la sœur d’Atsan Is Fadul et la petite-fille de Shire. Il sourit.

— C’est ainsi qu’on me surnomme —affirma-t-il.

— Ladli dit que Siranaga pouvait lutter contre dix guerriers en même temps ! —intervint Shivara, s’asseyant auprès de son seigneur avec sa toupie.

Dashvara sourit.

— Bien sûr. Et on raconte que son cheval avait des jambes si larges qu’elles écrasaient ses ennemis —dit-il, en prenant un ton de conteur.

Shivara écarquilla les yeux.

— Larges comment ?

Avec une expression approximative, Dashvara fit mine d’embrasser un énorme tronc et ceux qui écoutaient s’esclaffèrent.

— Ce n’est pas vrai —protesta l’enfant.

Dashvara haussa les épaules, amusé.

— C’est de l’Histoire.

Il lui ébouriffa les cheveux et se leva lourdement sous le regard interrogateur des Honyrs. Il expliqua :

— Les Xalyas, nous avons l’habitude de faire la sieste après manger. Si ça ne vous dérange pas…

Ils lui indiquèrent aussitôt la meilleure yourte pour qu’il puisse se reposer, celle de Shire Is Fadul et de sa petite-fille, Ladli. Il ne pensa même pas à protester pour qu’on lui en donne une autre plus modeste : il était trop exténué et il savait que, s’il continuait à attendre, il finirait par mettre en évidence non seulement son épuisement mais aussi sa torpeur. Il l’avait sans doute déjà suffisamment révélée. À peine s’allongea-t-il sur la paillasse, toutes les barrières qu’il avait érigées contre la fatigue s’écroulèrent. Sa dernière pensée avant de sombrer lourdement dans le sommeil fut pour l’Oiseau Éternel de Sashava, pour la santé du jeune Okuvara et… pour sa naâsga.

Ses rêves, par contre, furent une succession de cauchemars. Il rêva que le donjon de Xalya retombait, il rêva que la steppe se changeait en un énorme bateau qui sombrait, il rêva que sa naâsga se transformait entièrement en mort-vivante et lui disait avec douceur et sur un ton d’excuse : je suis la Messagère de Skâra… Skâra, répétait l’écho. Et alors l’écho s’intensifia et les enfants xalyas commencèrent à crier : Skâra, Skâra… ! Entretemps, le visage de Paopag apparaissait et lui disait avec la voix de son père : l’Oiseau Éternel n’existe pas, mon fils, tu as trahi Siranaga, toi et tes ancêtres, vous avez tué l’Oiseau Éternel… La voix s’était peu à peu modifiée, remplacée par celle de Shéroda et celle-ci lui sifflait : tu as tué, Dashvara de Xalya, tu es coupable… ! L’Oiseau Éternel n’existe pas… Et comme les voix se mêlaient et se répétaient tandis que les enfants continuaient de crier, Dashvara sentit une immense angoisse grandir et grandir… Jusqu’à ce qu’une petite voix exaspérée surgisse et lui dise : tu rêves, Dash. Ce n’est qu’un cauchemar. Réveille-toi, réveille-toi, réveille-toi… SKÂRA !

Il se réveilla inondé de sueur et tremblant comme une feuille. Il se redressa pour se calmer, se frotta le visage et maudit ses rêves. D’abord, il fut convaincu que tout, la lutte contre les sibiliens, la mort de Sashava et celle des Titiakas n’avait été qu’un rêve aussi et qu’il était encore, comme toujours, dans la salle avec Paopag. Comme toujours. Il prononça son nom dans un bredouillement et… il vit alors l’intérieur de la yourte. Une lumière ténue l’éclairait et, clignant des paupières, il s’aperçut que Shire Is Fadul était agenouillée au centre de la tente devant les braises du feu et que, soulevant la théière, elle versait de l’eau chaude dans une tasse. Il croisa le regard de la vieille femme et celle-ci sourit, en s’approchant.

— Le saoran éloignera les mauvais esprits —assura-t-elle.

Dashvara arqua les sourcils et accepta la tasse avec une inclinaison de la tête, essayant d’écarter son trouble. Sa main tremblait encore. Il rougit et inspira, se calmant d’un coup.

— Merci —dit-il. Il ne put éviter un ton légèrement tendu. Il jeta un coup d’œil autour de lui, au confortable foyer, au riche décor, aux tapis, au feu… et tressaillit, s’éveillant brusquement à la réalité—. Liadirlá, il fait déjà nuit ?

Shire découvrit son unique dent et son visage ridé se rida encore davantage.

— Tu as dormi toute la nuit, jeune homme. Le ciel commence déjà à bleuir.

Le trouble de Dashvara s’accrut. Pour ne pas soutenir le regard de la vieille femme, il baissa les yeux sur la tasse de saoran. C’était la boisson steppienne par excellence et elle consistait simplement en feuilles de saoran mêlées à de l’eau et à du lait de jument bouillis.

Il prit une petite gorgée et, après un silence, il demanda :

— Mes frères… ?

— Ils sont retournés à Kark Is Set hier —informa Shire—. Seul un est resté, un jeune homme du nom de Makarva. Il est dehors.

Et toi, pendant ce temps, tu dors à poings fermés et tu délires avec de stupides cauchemars… Dashvara soupira et prit une autre gorgée de saoran. La vieille femme lui tendit une assiette pleine de baies sèches.

— Des arémores d’Esarey —expliqua-t-elle—. Les dernières de l’année. Goûte-les. Elles sont délicieuses.

Dashvara inclina la tête et, sous le regard attentif de Shire, il goûta les baies. Elles étaient, en effet, délicieuses, mais il n’osa pas en manger plus de trois et il reprit sa tasse, les pensées confuses. Le silence se prolongea. Il était vaguement conscient qu’il aurait sans doute dû poser des questions, la remercier… enfin, faire quelque chose qui ait à voir avec le présent. Et, cependant, il ne dit rien. Son silence, ajouté au cauchemar qu’il ne cessait de ressasser, le rendait de plus en plus nerveux. Finalement, Shire dit avec douceur :

— Je sens que ton cœur est troublé, jeune Xalya.

La vieille femme s’était assise de l’autre côté de la yourte et avait repris son rouet et sa quenouille, filant avec des mains expertes. Dashvara fit une moue embarrassée sans savoir quoi répondre et, lui jetant un coup d’œil aimable, Shire ajouta :

— Il n’est pas facile de comprendre son propre Oiseau Éternel.

Dashvara inspira et acquiesça, soudain plus à l’aise.

— Plus je crois le comprendre, plus il change et plus il m’échappe —avoua-t-il.

Shire ne dit rien, mais elle acquiesça à son tour, comme pour l’inviter à parler. Il ne la connaissait pas et, pourtant, Dashvara ressentit subitement une vague de respect pour cette Honyr. Quelque chose en elle lui rappela Namamrah, une ancienne et renommée sage steppienne qui, disait-on, contrairement à d’autres sages, ne comprenait pas le langage de l’eau, ni celui de l’herbe, ni celui du vent : elle comprenait le langage du cœur.

“Connais-toi toi-même”, disait Namamrah, “et ta plume demeurera sereine face au vent le plus violent…”

Dashvara sentit son cœur se serrer douloureusement. En ce moment, bien qu’en théorie, il ait obtenu ce qu’il voulait, la liberté de son peuple, la victoire, la paix… il se sentait malgré tout plus enchaîné que jamais. Après un autre long silence, il posa la tasse et fit :

— Cet homme… —Il s’étrangla et son visage se durcit quand il reprit— : cet homme que j’ai tué hier était un assassin. Ma raison me disait : tue-le. Le cœur de mes frères me criait : tue-le. Et mon Oiseau Éternel… a lui aussi éprouvé ce désir. Celui d’éliminer ce diable et de le faire disparaître de la surface de la terre.

Une rage triste l’envahit. Il secoua la tête et baissa les yeux vers ses mains. Dans sa confusion, il pouvait presque les voir couvertes de sang.

— Je suis aussi assassin qu’Arviyag —annonça-t-il d’une voix étrangement calme—. J’ai tué des hommes en pensant qu’ainsi, je sauvais la vie de mes frères, de mon peuple. Mais, en réalité, si j’ai tué Nanda, c’était par vengeance. Si j’ai tué Rayeshag Korfu, c’était par rage et mépris. Si j’ai tué Arviyag alors qu’il était sans défense… c’était par peur et dégoût. Et par haine.

Il fronça les sourcils et tourna des yeux brillants vers les braises qui dégageaient encore de la chaleur.

— Mon Oiseau Éternel a été faible —affirma-t-il—. Un sage steppien, Moarvara, disait que l’Oiseau Éternel d’une personne naissait lié à une coupe de sang et que la voie du sage était celle de se centrer sur le pied de la coupe pour qu’elle soit toujours équilibrée et qu’elle ne verse jamais une seule goutte de sang. Ce ne sont pas les coupes de mes frères qui comptent, disait-il, ce ne sont pas les coupes de mes ennemis non plus. La seule coupe qui compte ici est la mienne. La seule qui soit liée à mon Oiseau Éternel. Et, avec ma seule volonté, je peux la maintenir pleine, si j’écarte loin de moi la vengeance, l’orgueil, la lâcheté, la convoitise, l’ambition et la cruauté. Et si les autres coupes essayent de rompre la mienne, elles n’y parviendront pas, parce que ma coupe est faite d’acier noir et les griffes de mon Oiseau Éternel l’enserrent de telle sorte que mon corps répandra tout son sang plutôt que de laisser tomber une seule goutte du trésor qu’il enserre.

Dashvara déglutit et conclut :

— Ma coupe saigne de tous côtés.

Il se tut, se raidit et marmonna intérieurement : Pourquoi diables racontes-tu ça à la vieille femme, Dash ? Tu crois peut-être que tes divagations philosophiques l’intéressent parce qu’elle t’a juré loyauté ? Tu crois qu’il lui importe de savoir si ta coupe saigne de tous côtés ? Il réprima un éclat de rire sarcastique. La seule chose que tu aies bien montrée, c’est que tu n’as absolument rien d’un roi. Mais, que diables, tant que les Honyrs auront un peu de compassion et seront disposés à accepter ton peuple, qu’importe le reste ? Il soupira. Le mieux que tu puisses faire est de remercier la vieille femme pour le petit déjeuner, d’appeler Soleil-Levant et de partir rejoindre tes frères et ta naâsga…

Il termina le peu qui restait dans sa tasse et dit :

— Pardonne mes divagations, ayulâa. Ma langue s’agite plus qu’elle ne le devrait et prononce des paroles peu sensées. Mille fois merci à toi et à ta petite-fille de m’avoir accueilli dans votre yourte…

Il se tut, car, alors qu’il se redressait, la vieille femme avait levé une main pour l’arrêter. Il se rassit, respectueux, bien qu’à contrecœur. Le visage de la vieille femme ne souriait plus, mais il reflétait toujours une sérénité inébranlable.

— Il y a du courage dans tes paroles, jeune homme —assura-t-elle—. Moarvara n’était pas le seul à penser cela. Il y eut une époque où nos ancêtres respectaient la vie avant tout, ils condamnaient la chasse, les chefs des clans respectaient leur peuple et celui-ci les suivait non pas par convoitise ni par peur, non pas pour la gloire, mais parce que le respect et l’amour les unissaient. —Une légère moue indéfinissable étira ses lèvres—. Mais une montagne, aussi solide soit-elle, si elle est peu à peu rongée de l’intérieur, finit par s’effondrer et il ne resta plus dans la steppe qu’un foyer de ruines. Des ruines écrasées, désolées et paralysées par un glorieux empire forgé sur le sang et le pouvoir. Comme tu le sais, jeune Xalya, sur lui régnèrent ceux qui se firent appeler Anciens Rois. Ils dominèrent toute la steppe, du finistère de Guès jusqu’à Aïgstia, des montagnes de Padria jusqu’aux Hautes-Terres. Ce sont eux qui commandaient et leurs hordes de cavaliers traversaient la steppe, le désert et les montagnes comme des rafales incendiaires. L’Oiseau Éternel se fit mensonge. Le respect et l’amour n’étaient plus que des sentiments incomplets, égoïstes, enchaînés à un seul groupe et aveugles au reste. La convoitise et l’ambition étaient alors les uniques motivations de ces seigneurs de la steppe : leurs cœurs se firent de pierre, leurs sabres se couvrirent du sang de leurs frères. Et ceux que nous appelons zoks, les Essiméens, les Shalussis, les Akinoas, répondirent à leur propre souffrance par la haine, à la mort par la mort et au symbole de l’Oiseau Éternel par d’autres symboles. Ils s’allièrent à des seigneurs de la steppe contre d’autres seigneurs. Les zoks les virent s’entretuer sans presque lutter et, c’est pourquoi, ils vainquirent.

La vieille femme parlait paisiblement, sans exprimer de tristesse pour l’histoire de la steppe. L’Histoire, comme la mort, est, pensa Dashvara, la comprenant. Le passé ne peut pas être changé, mais on peut apprendre de lui. Il se répéta la phrase trois fois avant de se rendre compte de sa signification profonde : il avait tué, mais, en son for intérieur, il avait reconnu son erreur et il lui fallait seulement renaître, remettre sa plume sur pied… mais cette fois-ci pour qu’elle ne retombe jamais. Il n’avait besoin que de volonté. “Ta volonté est comme l’air”, disait un sage steppien : “Un sabre a beau traverser l’air, il ne le rompt pas. Ta volonté n’est pas une rafale qui forcit et faiblit : c’est de l’air calme, elle est comme l’eau qui, sans forme, suit son cours vers le bas et fait céder quiconque essaie de lui donner une forme.”

Dashvara se rappelait comme si c’était hier la silhouette droite de Maloven se promenant dans la salle de bibliothèque du donjon de Xalya tout en récitant face à ses jeunes élèves les sages paroles des anciens.

“Chaque pas”, disait-il. “chaque sourire, chaque battement de paupière, répondra à votre Oiseau Éternel et vous devez penser à lui à travers vos actes pour le connaître. Il vous guide et vous le guidez parce que vous ne faites qu’un avec lui : quand vous le comprendrez, il n’y aura pas de repentir, car il n’y aura pas de contradiction en vous. La paix et le bonheur empliront votre âme et rien ne pourra jamais les en extirper complètement.”

Dashvara secoua la tête avec un certain amusement. Moi qui ai passé toutes ces années à penser que Maloven était un illuminé idéaliste et voilà que je me mets à présent à admirer ses idéaux pacifistes. Plutôt pratique de le faire maintenant que j’ai une armée de neuf-cents guerriers prêts à suivre mes ordres.

Il soupira et demanda finalement, confus :

— Pourquoi me jurer loyauté si tu crois qu’il ne doit pas y avoir de rois, ayulâa ?

La vieille femme sourit et, sans cesser de tordre la laine sur son fuseau, elle répondit :

— Les Honyrs, nous sommes un peuple contradictoire depuis la naissance de notre clan. Sifiara n’a jamais surmonté sa trahison et, après des années d’isolement complet, il est revenu à Kark Is Set tous les ans pour implorer le pardon de son frère et de ses descendants jusqu’à sa mort. Ils ne lui ont jamais pardonné. Son obsession pour relever sa plume était telle qu’il imposa parmi ses gens des coutumes très strictes, si strictes qu’il généra un véritable fanatisme. Lorsque l’on sent que l’on perd son identité, on s’accroche à elle avec plus de force. —Elle soupira doucement—. Sifiara a éduqué ses enfants pour que ceux-ci assurent la transmission de ses ordonnances. Au lieu de nous nourrir dans un esprit de vengeance, il nous a inculqué un sentiment de culpabilité, il nous a convaincus que nous étions un peuple maudit et irrémédiablement condamné jusqu’au jour où un descendant des Anciens Rois pardonnerait nos fautes.

Elle secoua la tête.

— Alors, les guerres sont venues et nous avons observé de loin les seigneurs de la steppe sans comprendre comment des fils de l’Oiseau Éternel pouvaient agir d’une manière aussi absurde. Jusqu’au jour où nous avons compris que l’Oiseau Éternel qu’ils professaient n’était plus le même, qu’il s’était assombri et… que leurs coupes de sang chutaient sans aucun frein. À partir de là, nous avons commencé à les mépriser —avoua-t-elle avec un calme constant—. Vous étiez pour nous les diables qui revêtaient des plumes bleues en apparence et foulaient dans la pratique un lac de sang, de dépravation et d’oubli.

Dashvara acquiesça, attristé.

— Et c’est vrai.

La vieille femme s’arrêta un moment de filer et leva un regard songeur, non pas vers Dashvara mais vers la porte, avant de continuer sa tâche. Sans contester l’affirmation de Dashvara, elle dit :

— Il y a un dicton chez notre peuple qui dit ainsi : « mourir est un art, nous mourons tous, mais nous ne savons pas tous mourir ». —Elle pencha la tête de côté et observa— : De la même façon, nous vivons tous, mais nous ne savons pas tous vivre. Vivre est un art que l’on apprend et que l’on oublie. D’après mon peuple, les enfants sont les sages de la vie, les adolescents oublient ce qu’ils ont su d’instinct et les adultes… réapprennent parfois.

Un fin sourire illumina son visage vieilli, comme si cette conversation lui rappelait d’agréables souvenirs. Elle conclut :

— Malgré ses premiers doutes, mon peuple est à présent convaincu de ta bonne foi, Dashvara de Xalya. Il désire ardemment trouver le pardon que Sifiara a tant espéré et il veut te prouver qu’après tant de générations, il est toujours loyal à l’Oiseau Éternel des Anciens Rois. Le problème… c’est que tous ne savent pas distinguer les Anciens Rois qui vécurent dans une steppe amie de ceux qui essayèrent de la dominer par la force. Certains croient que tu reprendras ton droit et conquerras les terres qu’occupent maintenant les Essiméens et les Shalussis… les zoks. Mais je sais que tu ne le feras pas —prononça-t-elle—. Et je sais que tu allègeras les règles que Sifiara nous a imposées. C’est pour cela que je t’ai juré loyauté, seigneur de la steppe.

Ses yeux vifs se fixèrent sur ceux de Dashvara, provocateurs, l’air de lui dire : ton Oiseau Éternel n’a pas intérêt à tromper mes espérances, parce que mon peuple en a besoin.

Dashvara réprima mal une moue incrédule.

— Certains croient-ils vraiment que je vais me battre avec les Essiméens et les Shalussis ? Ce serait ridicule.

La vieille femme haussa les épaules. Elle avait cessé de filer.

— Le Cœur de la Steppe a toujours été la capitale des Anciens Rois.

Dashvara roula les yeux.

— La meilleure capitale dans une steppe, c’est celle qui bouge et qui n’a pas de lieu fixe. Les Essiméens et les Shalussis ont autant le droit que nous de vivre à Rocdinfer et je ne vais pas sortir les sabres pour reprendre un tas de pierre. Et je dirais plus : tant que les étrangers ne nous trahissent pas, qu’ils emportent l’or et le salbronix. Nous n’en avons pas besoin. Les Xalyas, nous cherchons seulement un endroit où vivre. Les Honyrs, vous nous l’avez offert et, c’est pourquoi, je jure par mon Oiseau Éternel, Shire Is Fadul, que je ferai tout ce que tu me diras pour soulager la conscience honyr. Je ne souhaite que le plus grand bien pour ton peuple —assura-t-il.

— Qui est le tien —sourit la vieille femme—. Les Honyrs seront toujours des Honyrs, mais ils ne désirent pas moins que tu les considères comme ton peuple.

Dashvara s’empourpra légèrement et approuva :

— Bien entendu. Quiconque respecte le Dahars des Xalyas est mon frère, ayulâa. Je serai toujours un Xalya. Mais ce sera également un honneur pour moi d’être reconnu comme un Honyr.

En même temps qu’il prononçait ces mots, il comprit que ceci serait la meilleure façon de faire comprendre aux Honyrs qu’il n’y avait plus aucun déshonneur pour leur peuple puisque le seigneur de la steppe lui-même acceptait d’être adopté par eux. Les yeux de la vieille femme souriaient.

— Ayshat, mon fils. Que ton Liadirlá vole en paix.

La vieille femme reprit son rouet. Elle avait dit tout ce qu’elle voulait lui dire. Dashvara se leva en s’inclinant.

— Merci pour ton hospitalité, ayulâa.

Il allait sortir de la yourte quand l’Honyr lança d’une voix douce :

— Plus petit est l’oiseau, plus son vol est léger.

Dashvara arqua les sourcils, troublé. Shire souriait, sans le regarder, tout en continuant à filer. Un instant, il s’imagina que cette vieille femme était Namamrah en personne, puis que c’était sa réincarnation et alors… il se moqua :

Est-il nécessaire d’avoir le nom d’un ancien sage pour être sage à son tour ? Balivernes. Et maintenant, arrête de raisonner et bouge-toi.

Quand il sortit de la yourte, les premiers rayons du soleil pointaient déjà à l’est. Tout comme celles des autres chefs du clan, la tente se trouvait installée sur un grand charriot. Et, sur les marches du charriot, Dashvara vit avec surprise qu’y étaient entassés de nombreuses draperies, des assiettes, des tapis, de jolis vases et autres objets d’indubitable valeur. Il resta à regarder cet étalage de richesse avec perplexité et il descendait les marches en faisant attention de ne buter sur rien quand un rire sonore le fit se tourner. Makarva approchait accompagné de Sirk Is Rhad et d’Atsan Is Fadul.

— Bonjour, sîzan ! —lui dit son ami, enjoué—. J’espère que tu aimes les cadeaux parce que tu en as pas mal.

Dashvara écarquilla les yeux et se tourna de nouveau vers le tas de richesses. Tout ça était… pour lui ?

— Liadirlá —articula-t-il, abasourdi.

Makarva et les deux Honyrs s’esclaffèrent et le premier ajouta :

— Et ça, sans compter les cinq-cents chevaux qu’ils nous ont promis.

Cinq-cents…, se répéta Dashvara, stupéfait. Sans pouvoir encore en croire ses yeux, il tendit une main vers une tapisserie enroulée aux couleurs mauves, blanches et dorées. Sur celle-ci, il y avait une figurine de bois. Il la prit avec une étrange sensation dans le corps. Elle représentait un magnifique cheval avec son cavalier. Sur le bras du cavalier, il y avait un oiseau posé, dressé, prêt à s’envoler. Il lui vint à l’esprit l’image de son seigneur père quand celui-ci lui apprenait à chasser et envoyait son aigle faire des tours dans le ciel en quête de proies…

— Celui-là, c’est un vieil homme qui dit te connaître qui me l’a donné —intervint Atsan Is Fadul—. Apparemment, on l’a retrouvé à moitié mort il y a deux ans au pied des montagnes. C’est un zok, mais tous le considèrent comme un grand sage —assura-t-il—. Il s’appelle Bashak.

Dashvara leva brusquement la tête. Par l’Oiseau Éternel… Le vieux Shalussi était donc vivant. Il sourit et promena un nouveau regard ému sur les cadeaux. Il laissa échapper, touché :

— La générosité des Honyrs est impressionnante.

Sirk Is Rhad et Atsan Is Fadul souriaient, réjouis. Dashvara fit une pause et se sentit légèrement coupable quand il dit :

— Je suppose que, si ce sont des cadeaux, je peux en faire ce que je veux.

Ils le regardèrent avec curiosité.

— Naturellement —confirma Sirk Is Rhad.

Dashvara acquiesça et, comme il y avait d’autres Honyrs non loin, il baissa la voix en demandant :

— Vous croyez qu’ils s’offusqueront si je paie une dette avec tout ça ?

— Une dette ? —répéta Makarva, déconcerté.

Dashvara se racla la gorge.

— Les quarante chevaux, Mak. Et les armes et armures. Et l’énorme faveur que Kuriag Dikaksunora nous a faite en nous emmenant dans la steppe. Cette dette-là.

Makarva grimaça, à l’évidence contrarié que tant de richesses se retrouvent dans les mains d’un étranger. Il objecta :

— Mais, enfin, le Titiaka est pourri de richesses, Dash.

Dashvara haussa les épaules.

— Il faut réparer d’une façon ou d’une autre le mal que nous lui avons causé. C’est important —assura-t-il—. Kuriag doit quitter la steppe la tête haute. Il est le seul à pouvoir empêcher que les Fédérés se jettent sur nous.

Zamoy, Orafe ou un autre frère plus impétueux auraient soufflé et grogné, affirmant que, si les Fédérés venaient, ils les rejetteraient à la mer à coups de sabre. Mais Makarva était un homme beaucoup plus raisonnable. Probablement plus que moi, pensa Dashvara. Le jeune Xalya finit donc par acquiescer, convaincu par l’argument, et il dit en montrant un livre :

— Tu peux lui donner le reste, mais pas ça. Ce sont les pensées de Sifiara lui-même. C’est pour toi. Et ça… —il soupira, en faisant un geste vague vers un joli damier de katutas. Il articula à regret— : Je suppose que le Titiaka saura s’en servir.

Dashvara sourit, prit le damier avec ses pièces finement ouvragées et le tendit à Makarva.

— En y réfléchissant bien, mon ami, je suis sûr que tu en feras meilleur usage que Kuriag.

Makarva prit un air ébahi.

— Oh. Vraiment ? Mais… il est à toi, Dash. Et il est bien plus beau que celui que nous avons.

Dashvara rit.

— Justement. Comme ça, quand tu seras uni à Shkarah et que tu auras ta propre yourte, tu pourras m’inviter à jouer aux katutas.

Makarva rougit comme une garfia. Souriant de toutes ses dents, Dashvara lui mit le damier entre les mains et lui donna une tape sur l’épaule.

— En route pour Aralika, sîzan.